Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 28 novembre 2017 à 16h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Nous sommes réunis pour examiner un projet de décret d'avance portant ouverture et annulation de crédits à hauteur de 853 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 843 millions d'euros en crédits de paiement. Conformément à l'article 13 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), notre commission doit faire connaître son avis sur le décret au Premier ministre dans un délai de sept jours à compter de la notification du projet de décret, qui est intervenue mardi dernier.

Le recours au décret d'avance constitue une exception au principe de l'autorisation parlementaire des crédits. La LOLF définit quatre conditions de validité du recours au décret d'avance. Ainsi, les annulations doivent être au moins égales aux ouvertures, afin de ne pas affecter l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances. Les montants de crédits ouverts ne doivent pas dépasser 1 % des crédits prévus en loi de finances initiale et les crédits annulés ne peuvent être supérieurs à 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours. Ces trois critères purement mathématiques sont respectés.

Le dernier critère, celui de l'urgence, est plus qualitatif. Je souscris à l'analyse de la Cour des comptes selon laquelle l'urgence signifie à la fois que l'ouverture des crédits doit être nécessaire et que le besoin budgétaire était imprévisible.

La vérification du caractère urgent des dépenses supplémentaires exige un examen détaillé des ouvertures. Les crédits ouverts par le présent projet de décret d'avance doivent aussi être analysés en tenant compte du projet de loi de finances rectificative. Le présent projet de décret d'avance s'inscrit en effet au sein du schéma de fin de gestion pour 2017, c'est-à-dire de l'ajustement en fin d'exercice des crédits alloués afin d'éviter des impasses budgétaires tout en assurant le respect de la norme de dépenses.

Les ouvertures auxquelles procède le décret d'avance sont concentrées sur les besoins les plus urgents, pour lesquels les délais associés au vote du projet de loi de finances rectificative poseraient des problèmes : les crédits de personnel et d'intervention en forment donc, comme chaque année, la plus large part, dans la mesure où le Gouvernement ne peut différer le paiement du traitement des fonctionnaires ou de certaines allocations.

L'ampleur du schéma de fin de gestion pour 2017, qui s'établit à 3,9 milliards d'euros, est notable au regard de la tendance de long terme : en principe, et en dehors des pics de 2015 et 2016, les redéploiements de fin d'année s'élèvent plutôt à 2 milliards d'euros.

Les ouvertures de crédits prévues par le décret d'avance se répartissent en quatre grands ensembles : les dépenses de personnel du ministère de l'éducation nationale et de trois autres ministères, à hauteur d'environ 500 millions d'euros ; les opérations extérieures et intérieures du ministère des armées, pour 240 millions d'euros - malheureusement, la sous-budgétisation de ces opérations est récurrente - l'hébergement d'urgence, à hauteur de 65 millions d'euros ; enfin, les dépenses de sécurité civile et de contentieux du ministère de l'intérieur, pour environ 25 millions d'euros.

Sur tous ces postes, il est évident que les crédits doivent être ouverts rapidement : l'État doit payer ses fonctionnaires, assurer la continuité des opérations dans lesquelles l'armée est engagée. En revanche, en dehors des dépenses liées au cyclone Irma, on peut être beaucoup plus réservé sur l'imprévisibilité des besoins : tous ces postes de dépenses ont déjà fait l'objet d'ouvertures par décret d'avance en fin de gestion les années passées. Nos rapporteurs spéciaux dénoncent tous les ans les sous-budgétisations récurrentes des opérations intérieures et extérieures et de l'hébergement d'urgence. Il est donc difficile de considérer que les besoins sont imprévisibles !

Cependant, le Gouvernement ne peut pas être tenu responsable des biais de construction du dernier projet de loi de finances et le projet de loi de finances pour 2018 paraît plus sincère que la budgétisation initiale pour 2017. En particulier, le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une augmentation de la provision inscrite au titre du financement du surcoût des opérations extérieures de la Défense à hauteur de 200 millions d'euros. Cela permettra de faire un premier pas, encore insuffisant, vers une plus grande sincérité budgétaire.

J'évoquerai rapidement les annulations de crédits permettant de gager les ouvertures. Comme d'habitude, la plus grande partie des annulations porte sur des crédits mis en réserve, ce qui ne nous permet pas d'identifier les dispositifs touchés par les redéploiements. Les annulations portent sur vingt-cinq missions du budget général. Les missions « Défense », « Égalité des territoires et logement » et « Outre-mer » ne font pas l'objet d'annulations de crédits.

En autorisations d'engagement, plus de 10 % des annulations portent sur le programme 552 « Dépenses accidentelles et imprévisibles » de la mission « Crédits non répartis ». D'après le Gouvernement, ces annulations sont rendues possibles par une sous-consommation marquée de la provision spécifique du programme pour les éventuelles prises à bail des administrations centrales et déconcentrées. Cela confirme le caractère surévalué de la dotation du programme en autorisations d'engagement.

En crédits de paiement, les missions « Travail et emploi », « Justice » et « Recherche et enseignement supérieur » portent les annulations les plus importantes en crédits de paiement, à hauteur respectivement de 212 millions d'euros, 78 millions d'euros et 60 millions d'euros. Les annulations de crédits sur la mission « Travail et emploi » portent principalement sur l'enveloppe de crédits alloués à la prime à l'embauche pour les petites et moyennes entreprises, qui présenterait une sous-consommation par rapport aux dépenses anticipées au mois de juillet. Sur la mission « Justice », les annulations toucheraient surtout l'administration pénitentiaire et la justice judiciaire, en particulier les dépenses informatiques du ministère et les crédits liés à l'immobilier judiciaire. Cette forte mise à contribution du ministère de la justice n'est pas cohérente avec l'engagement pris par le Président de la République de faire de la justice un budget prioritaire pour le quinquennat. Enfin, l'annulation de 48 millions d'euros sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » traduit une consommation décevante des crédits alloués à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL). Pourtant, au moment de déposer un dossier, les élus locaux se voient souvent répondre qu'il n'y a plus d'argent au titre de la DSIL. D'après les réponses du Gouvernement, fin octobre, la consommation des crédits de paiement sur cette enveloppe s'élevait à 96,5 millions d'euros, soit seulement 30 % de l'enveloppe de 322 millions d'euros prévue en loi de finances initiale pour 2017.

Le projet d'avis qui vous est soumis, et qui vous a été distribué, reprend l'ensemble des points que je vous ai présentés. Finalement, je vous propose de rendre un avis favorable sur ce projet de décret d'avance, avec quelques réserves sur le caractère réellement imprévisible des dépenses ainsi que sur les annulations de crédits de la mission « Justice ».

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Raynal

Chacun est très attentif aux crédits supprimés. Or les annulations proposées dans ce décret concernent surtout des crédits déjà gelés. L'effort demandé ne semble donc pas extraordinaire. Le groupe socialiste et républicain s'abstiendra.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Ce décret n'est en effet pas comparable avec d'autres que notre commission a pu rejeter, comme ce décret qui amputait gravement le budget des opérateurs du ministère de la recherche. Les annulations proposées semblent supportables par les administrations.

La commission adopte l'avis présenté par le rapporteur général sur le projet de décret d'avance.

L'avis est ainsi rédigé :

La commission des finances,

Vu les articles 13, 14 et 56 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances ;

Vu la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 ;

Vu le décret n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance ;

Vu le projet de décret d'avance notifié le 21 novembre 2017, portant ouverture et annulation de 852 837 221 euros en autorisations d'engagement et 842 605 218 euros en crédits de paiement, le rapport de motivation qui l'accompagne et les réponses du ministre de l'action et des comptes publics au questionnaire du rapporteur général ;

Sur la régularité du projet de décret d'avance

1. Constate que l'objet du projet de décret d'avance est de financer les dépenses de personnel du ministère de l'éducation nationale et de trois autres ministères, les opérations extérieures et intérieures du ministère des armées, l'hébergement d'urgence et les dépenses de sécurité civile et de contentieux du ministère de l'intérieur ;

2. Note que les ouvertures de crédits prévues par le présent projet de décret sont gagées par des annulations de même montant réparties sur vingt-cinq missions du budget général et qu'elles représentent 0,56 % des autorisations d'engagement et 0,61 % des crédits de paiement ouverts par la loi de finances de l'année ; qu'elles n'excèdent donc pas le plafond de 1 % des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année et que les annulations n'excèdent pas le plafond de 1,5 % des crédits ouverts par les lois de finances afférentes à l'année en cours ;

3. Estime que l'urgence à ouvrir les crédits est avérée au regard de la nécessité d'assurer la continuité du paiement des personnels de l'État, de poursuivre les opérations extérieures et intérieures dans lesquelles est engagée l'armée française, de faire face aux besoins de l'hébergement d'urgence ainsi qu'aux dépenses les plus urgentes résultant de l'épisode cyclonique Irma et les dépenses de contentieux du ministère de l'intérieur ;

4. Constate que les conditions de régularité du recours au décret d'avance prévues par la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée sont donc réunies ;

Sur les ouvertures prévues par le projet de décret d'avance :

5. Relève que le présent projet de décret d'avance doit être analysé de façon conjointe au projet de loi de finances rectificative en cours d'examen par le Parlement, celui-ci ouvrant plus de 3 milliards d'euros en crédits de paiement pour assurer la fin de gestion de l'exercice 2017, dont 1,3 milliard d'euros au titre de divers dispositifs de solidarité comme la prime d'activité (840 millions d'euros) ou l'allocation adulte handicapé (369 millions d'euros) et 1 milliard d'euros au titre des refus d'apurements communautaires ;

6. Observe que le schéma de fin de gestion prévu par le Gouvernement dans le projet de loi de finances rectificative et le présent projet de décret atteint 3,9 milliards d'euros en crédits de paiement, soit un montant inférieur aux pics constatés en 2015 et 2016 mais qui reste important au regard de la tendance de longue durée qui voyait les ajustements de crédits nécessaires pour piloter la fin de l'exercice budgétaire s'établir à environ 2 milliards d'euros ;

7. Note qu'au total, les crédits ouverts par décret d'avance en 2017 s'élèveront à 3,66 milliards d'euros en autorisations d'engagement et 3,88 milliards d'euros en crédits de paiement, soit un montant inégalé en crédits de paiement depuis 2006 et plus de deux fois supérieur à la moyenne des années 2006 à 2014 ;

8. Estime que l'ampleur des réallocations de crédits s'explique pour une large partie par les biais de construction de la loi de finances initiale pour 2017, qu'avait relevés la commission des finances du Sénat lors de ses travaux relatifs au projet de loi de finances et qui ont été confirmés par la Cour des comptes à l'occasion de l'audit des finances publiques réalisé à la demande du Premier ministre ;

9. Observe à ce titre qu'à l'exception de la sécurité civile, qui nécessite l'ouverture d'environ 15 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement pour faire face aux dépenses les plus urgentes résultant de l'épisode cyclonique Irma, les ouvertures de crédits motivant le présent projet de décret d'avance sont similaires aux dépenses financées par le décret d'avance n° 2016-1652 du 2 décembre 2016 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance et note que les opérations extérieures et intérieures du ministère de la défense, les dépenses de personnel de l'État, en particulier du ministère de l'éducation nationale, ainsi que les dépenses liées à l'hébergement d'urgence, font l'objet d'une sur-exécution récurrente par rapport aux prévisions de la loi de finances initiale qui nuit à la lisibilité de la politique budgétaire du Gouvernement et fragilise la crédibilité de la budgétisation initiale ;

10. Constate en particulier que le décret d'avance constitue désormais un instrument récurrent d'ajustement des crédits destinés aux opérations extérieures et intérieures, dont le besoin de financement en incluant le présent projet de décret d'avance s'élève à 956 millions d'euros en 2017, soit un besoin de financement annuel total d'environ 1,5 milliard d'euros, trois fois supérieur à l'enveloppe de 491 millions d'euros allouée en loi de finances initiale, nuisant tant à la bonne information du Parlement qu'à la soutenabilité de la budgétisation de la mission « Défense » ;

11. Relève toutefois que le projet de loi de finances pour 2018 prévoit une augmentation de la provision inscrite au titre du financement du surcoût des opérations extérieures à hauteur de 200 millions d'euros, qui permettra de faire un premier pas, encore insuffisant, vers une plus grande sincérité budgétaire ;

12. Observe que, comme l'an dernier, près de 700 millions d'euros sont ouverts pour financer la masse salariale de l'État et portent principalement sur les personnels du ministère de l'éducation nationale ; que les hypothèses de budgétisation relatives à la masse salariale se sont une fois de plus révélées insuffisantes, en particulier concernant l'exécution 2016, supérieure de 143 millions d'euros au niveau retenu dans le cadre de la loi de finances 2017, le coût des mesures de transformation de contrats aidés en emplois d'accompagnants aux élèves en situation de handicap (AESH) qui dépasse de 183 millions d'euros l'enveloppe allouée en loi de finances initiale pour 2017 et le « glissement vieillesse technicité » (GVT) qui occasionne un surcoût de 94 millions d'euros ;

13. Note que l'exécution 2017 des dépenses d'hébergement d'urgence devrait connaître un dépassement de 336 millions d'euros en autorisations d'engagement et 318 millions d'euros en crédits de paiement par rapport à la prévision initiale et qu'avec 1,95 milliard d'euros, la dotation prévue pour 2018 est déjà inférieure de plus de 100 millions d'euros à celle de l'année en cours ;

14. Estime qu'en l'espèce, l'absence d'imprévisibilité de la majeure partie des dépenses au regard de leur sur-exécution chronique ne saurait constituer par elle-même un motif de refus d'ouverture des crédits par voie de décret d'avance en raison du changement de Gouvernement intervenu entre l'adoption de la loi de finances initiale pour 2017 et la transmission du présent projet de décret d'avance ;

15. Souligne cependant une nouvelle fois que le recours à la voie réglementaire pour ouvrir des crédits doit demeurer, comme le prévoit la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 précitée, une exception ; que le caractère urgent des ouvertures ne préjuge pas de leur imprévisibilité et que le décret d'avance ne saurait se substituer à une budgétisation initiale sincère ;

Sur les annulations prévues par le projet de décret d'avance :

16. Constate que la plus grande partie des annulations porte sur des crédits mis en réserve, ce qui ne permet pas au Parlement d'identifier les dispositifs touchés par les redéploiements ;

17. Observe que plus de 10 % des annulations en autorisations d'engagement portent sur le programme 552 « Dépenses accidentelles et imprévisibles » de la mission « Crédits non répartis », ces annulations étant rendues possibles par une sous-consommation marquée de la provision spécifique du programme pour les éventuelles prises à bail des administrations centrales et déconcentrées, confirmant le caractère surévalué de la dotation du programme en autorisations d'engagement ;

18. Constate que les missions « Défense », « Égalité des territoires et logement » et « Outre-mer » ne font pas l'objet d'annulations de crédits ;

19. Note que les missions « Travail et emploi », « Justice » et « Recherche et enseignement supérieur » portent les annulations les plus importantes en crédits de paiement, à hauteur respectivement de 212 millions d'euros, 78 millions d'euros et 60 millions d'euros ;

20. Relève que les annulations de crédits sur la mission « Travail et emploi » portent sur l'enveloppe de crédits alloués à la prime à l'embauche pour les petites et moyennes entreprises, qui présenterait une sous-consommation par rapport aux dépenses anticipées au mois de juillet ;

21. Observe que les annulations sur la mission « Justice » portent principalement sur l'administration pénitentiaire et la justice judiciaire ; qu'outre des crédits mis en réserve, elles touchent les dépenses informatiques du ministère et les crédits liés à l'immobilier judiciaire ;

22. Estime que la forte mise à contribution du ministère de la justice n'est pas cohérente avec l'engagement pris par le Président de la République de faire de la justice un budget prioritaire pour le quinquennat et s'interroge sur la capacité réelle du ministère de la justice à réaliser rapidement ses projets de modernisation, notamment informatiques ;

23. Note que les annulations prévues sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » portent principalement sur des crédits mis en réserve destinés à financer les dépenses immobilières des universités et sur le Fonds de compétitivité des entreprises ainsi que sur la dotation à Bpifrance au titre de la distribution des aides à l'innovation ;

24. Observe en outre que le financement des dépenses de contentieux du ministère de l'intérieur, qui devraient être près de trois fois supérieures à la dotation prévue en loi de finances initiale, repose en grande partie sur des redéploiements de crédits internes au programme, notamment depuis le Fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation ;

25. Relève que l'annulation de 48 millions d'euros sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » traduit une consommation décevante des crédits alloués à la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) dans la mesure où fin octobre, la consommation des crédits de paiement sur cette enveloppe s'élevait à 96,5 millions d'euros, soit seulement 30 % de l'enveloppe de 322 millions d'euros prévue en loi de finances initiale pour 2017 ;

26. Émet, sous les réserves formulées précédemment, un avis favorable au présent projet de décret d'avance.

La réunion est close à 16 h 20.