Commission d'enquête menace terroriste après chute de l'Etat islamique

Réunion du 18 avril 2018 à 16h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Serge Hefez

On ne le peut pas. Beaucoup de ces jeunes se révèlent au final d'une profonde innocence, candeur, dans leurs approches. C'est sur cela que se fonde le mécanisme d'endoctrinement.

En ce qui concerne le « loup solitaire », il y a en psychiatrie traditionnellement une distinction, dans le passage à l'acte, entre le « loup solitaire », qui trouve en son for intérieur les ressorts de son action et de sa motivation, et des personnes radicalisées du fait de l'influence d'une tierce personne. Aujourd'hui, on a des jeunes qui se trouvent à cheval entre ces deux catégories, qui se sont radicalisés, mais en très peu de temps. Ils sont ainsi déjà des « loups solitaires » en devenir et il suffit de quelques suggestions pour les faire passer à l'acte.

La réunion est close à 16 heures.

La réunion est ouverte à 16h05.

Présidence de M. Bernard Cazeau, président -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Notre commission d'enquête poursuit ses travaux avec l'audition de Mme Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde.

Mme Sallon travaille au sein du service international du journal à la rubrique Moyen-Orient. Elle a couvert, entre mi-octobre 2016 et mi-juillet 2017, la bataille de Mossoul, en Irak, et a passé plus de quatre mois sur le terrain à suivre l'offensive des forces irakiennes contre le groupe djihadiste et à enquêter sur son règne à Mossoul. Elle a d'ailleurs publié, cette année, L'État islamique de Mossoul - Histoire d'une entreprise totalitaire.

Dans cet ouvrage, vous vous êtes plus particulièrement intéressée à la véritable nature du califat que Daech prétendait imposer et qui, selon vous, était un projet unique par son ampleur et ses objectifs. Vous avez recueilli de nombreux témoignages, en particulier auprès des habitants de Mossoul. Plus largement, vous suivez l'actualité en Irak. Aussi avez-vous des informations et des analyses à nous apporter sur la façon dont les djihadistes capturés, y compris des ressortissants français, sont jugés sur place. Comment percevez-vous la politique des autorités irakiennes en la matière ? Quel est l'état de la justice en Irak ? Plus généralement, quelle est votre analyse de la menace que représente aujourd'hui l'État islamique, à la fois sur la zone syro-irakienne et à l'intérieur de nos frontières ?

Nous vous avons adressé un questionnaire qui peut constituer le « fil conducteur » de votre intervention. Je vous propose de vous donner la parole pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes, puis j'inviterai mes collègues, en commençant par notre rapporteure, Sylvie Goy-Chavent, à vous poser des questions.

Cette audition fera l'objet d'un compte rendu publié.

Enfin, je rappelle, pour la forme, qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure. ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Hélène Sallon prête serment.

Debut de section - Permalien
Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde

L'exemple de Mossoul est intéressant pour comprendre la montée en puissance de Daech et la reprise de la vie après la libération de la ville.

Mossoul était la plus grande ville détenue par Daech. La chute de Mossoul ne s'est pas faite en quatre jours de bataille militaire - en juin 2014 -, mais par un grignotage progressif. Toutefois, on a eu l'impression d'une chute brutale car plus beaucoup de journalistes étaient sur place et nos yeux étaient tournés vers l'Irak et la Syrie.

Daech est une organisation issue d'Al-Qaida. En Irak, beaucoup de membres de Daech sont d'anciens officiers baasistes et proviennent d'une partie de la population marginalisée. Les sunnites ont en effet perdu le pouvoir à la suite de la chute de Saddam Hussein.

Sur cette fracture, des groupes ont réussi à s'implanter. Mossoul était un lieu important du financement de Daech. On estime qu'au sommet de sa puissance, Mossoul rapportait 8 millions d'euros par mois à Daech. Après le retrait américain en 2011, on a constaté une déliquescence de l'État irakien et une contestation des autorités locales et fédérales par la population en raison d'une corruption importante. Par exemple, on constatait des arrestations arbitraires. La situation sécuritaire était également préoccupante : les communautés étaient mises dos à dos et ne coopéraient plus avec les autorités. Ce contexte explique la chute très rapide de Mossoul.

Initialement, la population a accueilli favorablement Daech. En effet, en juin 2014, on ne savait pas ce qu'était l'Etat islamique. Il y avait d'ailleurs un certain dénigrement de cette organisation. Pour rappel, Barack Obama, interrogé sur les nouveaux groupes djihadistes en Irak et en Syrie, avait minimisé le danger en faisant cette comparaison : « Si une équipe de jeunes met le maillot des Lakers, ça ne fait pas d'eux Kobe Bryant pour autant ». La population a accueilli Daech pour se débarrasser des autorités. Or, dans la période actuelle, on pourrait revenir à la situation d'avant la prise de Mossoul par Daech.

En outre, la Syrie connaît actuellement sa vraie première déstabilisation. Le régime syrien sur place a reconquis son territoire, mais on peut se demander quel est l'état de ces territoires. En outre, on est loin d'une réconciliation nationale. Le régime n'est en effet pas en phase de réconciliation avec les populations de ces territoires d'opposition. En outre, le pouvoir syrien n'a pas de prise sur les territoires. Des groupes profitent de cette situation. On est ainsi dans un régime de chefs de guerre. Le régime a perdu beaucoup d'hommes et n'a pas les moyens de stabiliser les zones.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Comment la population a-t-elle été traitée par Daech à Mossoul ?

Debut de section - Permalien
Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde

Daech dispose de combattants intelligents. Quand il a lancé son offensive, il s'est appuyé sur des tribus marginalisées et sur la forte fracture existante entre les citadins et les villageois. Il a ainsi fait croire qu'il remettrait au pouvoir les autorités civiles. Depuis 2004, la ville était confrontée à une négligence de la part de l'État ; les services municipaux manquaient d'investissement. La population était opposée au pouvoir fédéral et local. La population a beaucoup pâti du manque des services et des barrages militaires. L'ancien Premier ministre avait une politique excessivement confessionnelle. Les forces militaires étaient en très grande majorité chiites. Elles ont mené la vie dure à la population sunnite du fait du « printemps arabe » qui a touché l'Irak fin 2012. Avec les barrages militaires, un trajet prenant normalement 20 minutes nécessitait une à deux heures.

Daech a fait retirer tous les barrages, a réparé les routes, a embelli la ville, a rétabli les services municipaux. Certes, la population devait payer une taxe, mais elle était d'accord car elle avait des services en retour. La Constitution de la ville a été distribuée le 13 juin. Celle-ci prévoyait une interdiction de toute expression politique. Des règles vestimentaires pour les femmes et les hommes ont été instaurées, une interdiction des jeux, de fumer et de boire a été mise en place. Les femmes n'avaient le droit de sortir qu'en cas de nécessité. Les châtiments étaient rétablis. Toutefois, dans un premier temps, ces règles n'ont pas été appliquées. Ainsi la réglementation relative aux femmes a-t-elle été appliquée à partir de mi-juillet, et l'interdiction de fumer un peu plus tard. En septembre 2014, trois mois après la prise de Mossoul, la totalité du corpus a été appliqué. Daech est devenu beaucoup plus paranoïaque. Du fait des frappes de la coalition, la ville a été fermée dès août : plus personne ne pouvait y rentrer, ni en sortir sans autorisation spéciale. Daech était un État très bureaucratique. Sur les 2 millions de personnes, 500 000 habitants sont partis. 1,5 million de personnes étaient ainsi prises au piège dans la ville. Les personnes qui sont restées ont voulu garder leurs maisons et leurs biens. Celles qui sont parties sont les élites qui étaient déjà menacées par Al-Qaida ; les policiers et l'armée, car ils avaient un fort lien à l'État ; des habitants qui avaient les moyens de partir - les professeurs notamment.

Pour ceux qui restaient, les règles étaient strictes : interdiction des pantalons trop courts, obligation d'aller à la mosquée, diffusion de propagande dans les rues. La pression a augmenté à partir de septembre 2014 car Daech sait que la coalition rencontre des succès et qu'elle a réussi à infiltrer son mouvement. Ainsi le gouverneur de Mossoul, lié à Daech, a-t-il été tué par une frappe ciblée en septembre. Daech mène alors une traque aux informateurs. On constate une surveillance de plus en plus forte et les interdictions s'amplifient au fur et à mesure des frappes. En 2016, Daech mène des raids et des fouilles chez les gens.

Debut de section - PermalienPhoto de Sylvie Goy-Chavent

L'idéologie salafiste domine-t-elle en Irak et en Syrie ? Vous nous avez dit que Daech s'était appuyé sur l'action sociale. Une situation identique en France est-elle possible ? En outre, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les Frères musulmans dans cette zone ?

Debut de section - Permalien
Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde

En ce qui concerne l'idéologie en Irak et Syrie, Saddam Hussein a travaillé avec les Frères Musulmans, fondés en 1928 en Égypte. Au départ, les Frères musulmans prônaient une réforme de l'islam et la lutte contre l'occupant britannique. Les Frères musulmans ont gagné du terrain dans les années 1950 en Irak. Ce mouvement a toujours utilisé l'action sociale pour prendre pied. À Mossoul, les élites étaient de plus en plus affiliées aux Frères musulmans. Il y a une volonté de ce groupe de participer aux élections. Cela a favorisé une waahbisation de la société et a également touché l'armée. En outre, la migration de villageois vers la ville a conduit au développement de quartiers de populations salafisées. Certaines zones sont ainsi salafisées depuis 15 à 20 ans. Si Mossoul est traditionnellement une ville conservatrice - toutes les filles sont voilées et il y a beaucoup de distance entre les hommes et les femmes -, il ne s'agissait pas toujours de salafisme.

Toutefois, ce que Daech a apporté était inconnu à Mossoul : ainsi l'application de châtiments très rigoristes n'était pas dans la mentalité des habitants. Il faut se souvenir que Mossoul est le deuxième plus grand pôle universitaire. La mentalité de Daech n'était pas celle de la population.

Falloujah est vu depuis 2004 comme une ville salafiste. Or, il ne faut pas oublier que, dans les années 1980 et 1990, c'était la ville des soufistes. On voit actuellement une résurgence du soufisme. Falloujah peut être un terrain pour Daech. En effet, si une partie de la population a fait un rejet total de la religion - absence de fréquentation de la mosquée - en raison du carcan religieux qui lui était auparavant imposée, d'autres sont toujours salafistes et proches du djihad. Ces derniers ont accueilli Daech qui correspondait à leurs valeurs. Or, on retrouve aujourd'hui dans certaines de ces mosquées des discours complotistes. La situation est inquiétante. En outre, aucun travail de médiation entre les communautés n'est actuellement fait. Il en est de même sur les manuels scolaires extrémistes, présentant une vision très conservatrice de la société et du rôle de la femme.

Les attentats qui frappent l'Afghanistan visent les bases où sont présents des Iraniens. Il y a également une fracture sectaire.

En ce qui concerne la France, j'ai moi-même eu l'occasion d'approfondir mon travail. Toutefois, Daech est présent de manière dématérialisée. On ne recrute plus forcément dans les mosquées ou les organisations. Il y a moins de groupes formalisés : ce sont désormais des petites cellules qui iront ensuite rejoindre les théâtres d'opération ou mèneront des attaques.

Pourquoi Daech a-t-il autant capté la jeunesse ? La guerre en Syrie a eu une résonance importante en France. Au départ, beaucoup de jeunes disaient s'y rendre pour faire de l'humanitaire. En Jordanie, il y avait un discours anti-chiite très fort. J'ai ainsi interviewé le président de la chambre de commerce dont les deux fils ont rejoint Daech et il leur a d'abord envoyé de l'argent. Certains sont tombés dans la radicalisation, passant d'un groupe à l'autre. Enfin, la raison originelle n'est pas toujours la religion ou la violence. Al-Qaida était vu comme un groupe élitiste, rhétorique. Daech voulait des combattants, avait la volonté de transcender les groupes pour changer leur vie et le monde.

Parmi ces jeunes, certains ont été aiguillés par des imams leur proposant de faire de l'humanitaire, puis les ont dirigés vers des groupes armés. En outre, la Syrie était facile d'accès par rapport à d'autres théâtres d'opération. Beaucoup sont passés de rien à Daech car ils y ont vu une opportunité. Le passé religieux est parfois très bref.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Vous nous avez indiqué que plusieurs pays étaient déstabilisés et être pessimiste sur l'avenir de la Syrie. Bachar El-Assad est un des problèmes. Or, il est toujours là. Peut-être qu'à un moment, faudra-t-il discuter avec lui ? Cette discussion pourrait-elle être un facteur d'apaisement de la région ? Il nous faudra bien avoir des liens avec ces pays.

Debut de section - Permalien
Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde

Politiquement, il n'y a pas beaucoup d'options. La Russie est maîtresse du jeu. Si la Russie et l'Iran font le choix de maintenir Bachar al-Assad, il n'y a pas beaucoup d'autres interlocuteurs possibles. Il faudrait essayer d'amener la Russie et l'Iran à trouver une autre figure, pour le symbole. Le risque de Bachar El-Assad et de ce régime est sa mentalité selon laquelle il vit dans une citadelle assiégée. Il a fait bombarder et gazer une partie de sa population. Il ne peut être un héros de la réconciliation nationale. Assad vient de faire passer une loi donnant deux mois aux Syriens pour réaffirmer leur propriété sur leurs maisons et leurs terres, sous peine pour l'État de récupérer les biens non réclamés. Or, la grande majorité des Syriens vivent aujourd'hui en exil. Le but est que cette population ne revienne pas en Syrie. Les zones que le régime juge dangereuses sont des zones qui se sont soulevées en 2011 car la population avait été touchée par la sécheresse et n'avait pas profité du développement économique. Comment espérer dans ces conditions aller vers une stabilisation ? Dans ces conditions, aucun groupe insurgé ou combattant n'acceptera une solution de paix, que ce soit à Genève ou Astana.

Nous sommes dans des processus longs : en Égypte, les Frères musulmans sont arrivés au pouvoir car Moubarak et ses prédécesseurs avaient empêché toute opposition. Les Frères musulmans faisaient de l'action sociale. En clôturant l'espace politique, le gouvernement a créé une frustration et un rejet auprès de nombreux groupes, dont la jeunesse. Il s'agissait certes d'un pouvoir fort, mais qui n'était pas stable. Certes, il y a aujourd'hui un libéralisme économique en Égypte. Il faudrait encourager ce pays à un peu plus de libéralisation politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Eustache-Brinio

Beaucoup de chrétiens d'Orient ne souhaitent pas repartir. Quel est leur avenir ?

Debut de section - Permalien
Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde

À Mossoul, il y avait 35 000 chrétiens lorsque Daech est arrivé. Ils étaient déjà maltraités auparavant par les djihadistes et Al-Qaida. Tous sont désormais partis. On assiste au retour d'une dizaine de familles. La plupart ne veulent pas rentrer. Certes, des initiatives ont été prises par certains jeunes, comme le nettoyage des églises et de l'université. Mais les chrétiens d'Orient savent que leurs maisons ont été pillées ou bien par Daech, ou bien par leurs voisins. En outre, ce sont des personnes qui vivent en communauté et sont attachés aux rites. Tant qu'ils n'auront pas d'églises et de prêtres, ils ne reviendront pas. Deux prêtres sont retournés, dont Monseigneur Sako. Mais il n'y a pas beaucoup d'espoir. Si des efforts sont faits pour diffuser un sentiment de confiance et d'accueil, peut-être y aura-t-il à terme un retour.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Berthet

Avez-vous la connaissance de la présence de Français sur place ?

Debut de section - Permalien
Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde

Nous savons qu'en Irak, il y a des femmes et des enfants français. Tous ont demandé leur retour. Djamila Boutoutaou vient d'être condamnée à la perpétuité. Les autorités françaises disent ne pas être au courant. On peut s'interroger sur les procès menés : ils durent 10-15 minutes, les accusés n'ont pas d'avocats ou ceux-ci sont nommés devant le tribunal et ont à peine 5 minutes pour lire le dossier, il n'y a pas d'individualisation des peines. Beaucoup de djihadistes, lors de l'avancement des forces de la coalition, sont partis en Syrie. On estime à environ 60 le nombre de Français en Syrie, auxquels s'ajoutent les femmes et les enfants. Des personnalités importantes de Daech y sont détenues. Il existe un flou juridique. La position française est de laisser juger ces personnes par des autorités qu'elle ne reconnait pas. Or, les Kurdes sont actuellement pris en étau avec l'offensive turque sur Afrin. Il n'est pas à exclure qu'à terme, les Kurdes s'allient au régime syrien.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Cazeau

Le procureur Molins a rencontré les magistrats irakiens et indique leur faire confiance, qu'il s'agit de magistrats de qualité. Or, sur France Info, les avocats de l'accusée française se plaignaient de ne pas avoir eu le temps d'entrer en contact avec leur cliente.

Debut de section - Permalien
Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde

Je ne remets pas en cause le travail des juges des verdicts qui jugent en fonction de critères définis. Ainsi, dès lors que les avocats peuvent prouver des tortures sur leurs clients, ces magistrats prononcent un non-lieu car il n'est pas possible de condamner quelqu'un sur la base de tels aveux. Le problème se situe en amont, au niveau des juges des enquêtes. Ils disposent d'environ 1 000 dollars par enquête. Or, les crimes se sont passés sur des zones très vastes, et pendant trois ans. Comment faire une enquête sérieuse dans ces conditions ? En outre, la torture est répandue. Les avocats doivent payer pour éviter que leurs clients ne soient torturés. Des arrestations arbitraires ont également lieu.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Vous nous dites que toutes les zones ne sont pas sécurisées en Irak. Or, j'avais l'impression que c'était le cas. Dans quelles zones Daech est-il encore présent aujourd'hui ? Les Kurdes sont présents en Irak. À terme, ils demanderont une autonomie pour le Kurdistan. Si rien n'est fait, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Quelles sont les chances d'une stabilisation du pays ?

Debut de section - Permalien
Hélène Sallon, journaliste au quotidien Le Monde

Deux zones sont encore aujourd'hui des bastions d'Al-Qaida. En période de défaite, ils s'étaient réfugiés dans le tora bora irakien, à la frontière irako-syrienne, qui est une zone de grottes et de crevasses où ils ont caché des armes et des véhicules. Les Monts Hamrin, au Sud du Kurdistan irakien, constituent une autre zone de présence des djihadistes. Il y a une influence kurde au sud de cette région. Toutefois, on a vu la résurgence d'un groupe qui se fait appeler les white flags. C'est un mouvement insurrectionnel depuis 2002. Ils harcèlent les forces de sécurité, font des embuscades. Récemment, ils ont égorgé 27 policiers des forces locales de sécurité. Cette zone n'a jamais été totalement maîtrisée par les Irakiens.

En outre, les djihadistes reconstituent leurs financements. Ils ont investi de petites sommes dans des fermes piscicoles, dans les compagnies de taxi, les bureaux de change, les sociétés d'import-export. Ils ont réussi à entrer sur le marché des enchères des banques centrales. Leur micro-business leur permet de financer les combattants en cellule dormante et les familles des martyrs. Cela permet d'entretenir un mythe et la possibilité d'une résurgence, de plus en plus proche.

Dans la région des Monts Hamrin, les Peshmergas kurdes se sont retirés pour aller vers Afrin. Un accord est en cours pour une nouvelle coopération sécuritaire entre les Peshmergas et les autorités locales pour renouer les liens. La zone à cheval entre les zones d'influence kurde et arabe est également en danger.

Le Premier ministre Abadi a une position dure envers le Kurdistan. Des élections doivent avoir lieu prochainement en Irak et il n'est pas certain qu'il soit réélu. Plusieurs forces vont s'affronter. Cette élection est décisive pour l'avenir de l'Irak et notre présence sur place. Abadi souhaite faire de l'Irak un terrain neutre, ouvert à la France, aux États-Unis, à l'Iran... La milice et le camp chiites appellent au retrait américain et considèrent, de manière générale, que les Occidentaux sont des envahisseurs. Il y a ainsi un risque de faire perdurer une tendance au sectarisme et à la fermeture prônée par Maliki. Certes, on constate un mouvement de protestation de la population contre le sectarisme et la corruption. Cela forme une première base pour des réformes. On a vu des débuts de lutte contre la corruption. Il faut appuyer ces efforts, sans toutefois froisser l'Iran. En effet, le djihadisme se nourrit de toute fracture, notamment avec l'Iran et l'Arabie saoudite. L'Irak est un État failli depuis 15 ans. Il est nécessaire de faire un effort d'accompagnement et de consolidation de ce pays par les États voisins et la coalition.

La réunion est close à 17h05.