Commission d'enquête mutations Haute fonction publique

Réunion du 10 juillet 2018 à 18h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition de M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France

La réunion est ouverte à 18 h 05.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Mes chers collègues, nous allons mener aujourd'hui la quarantième audition en entendant M. François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France.

Monsieur le Gouverneur, votre parcours de haut fonctionnaire, de directeur de cabinet, de directeur d'administration centrale, puis votre passage par le secteur bancaire avant d'occuper les fonctions éminentes qui sont les vôtres, nous ont conduits à vous solliciter.

Les carrières offertes aux hauts fonctionnaires, le rôle des grands corps, la question de la valorisation ou non de l'expérience dans le secteur privé nous occupent depuis plusieurs mois. Sur tous ces sujets votre point de vue nous intéresse particulièrement.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Villeroy de Galhau prête serment.

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Je souhaiterais vous faire part de mes convictions sur le service public, dont je suis un passionné, au sein duquel j'ai passé l'essentiel de ma vie professionnelle et où j'ai choisi de revenir il y a trois ans.

Je regrette profondément que l'image du service public se soit dégradée dans notre pays. Je suis convaincu qu'il est un grand atout pour notre économie lorsqu'il est performant et innovant. Rien ne me gêne plus que cette réputation de frein de la croissance française, alors qu'il pourrait être une part du génie national.

Pour que le service public attire et motive les meilleurs candidats, il y a trois leviers : la qualité de la formation initiale et permanente - c'est l'un de ses atouts ; la gestion des ressources humaines, point sur lequel il y a des marges de progrès ; l'ouverture, non pas indispensable mais bénéfique à des parcours passant par l'extérieur -l'entreprise ou des administrations étrangères-.

La question de l'indépendance et de l'intégrité est légitime. Elle concerne tous les personnels de la fonction publique, en particulier ceux qui envisagent d'en partir ou de la rejoindre.

Il existe au sein de la Banque de France une commission consultative sur les incompatibilités, présidée par le déontologue de la Banque en toute indépendance. Elle applique l'article L. 142-9 du code monétaire et financier et reprend, mutatis mutandis, les dispositions de déontologie de la fonction publique, lesquelles sont sans aucun doute les plus strictes de l'Eurosystème. Est ainsi prévue une période d'incompatibilité de trois ans : il faut noter que c'est la règle la plus stricte de tous les pays de la zone euro.

Pour susciter la motivation, la rémunération n'est pas le seul point. Il faut une responsabilisation accrue des personnels. La France a la chance d'avoir une fonction publique de grande qualité, mais elle ne fait pas assez confiance à ceux qui en ont la responsabilité. Il convient de donner aux directeurs d'administration centrale et aux responsables de service des perspectives à moyen terme, c'est-à-dire de trois à cinq ans. Ces objectifs, même lorsqu'ils sont exigeants en termes d'économies sur les moyens, doivent être prévisibles et fongibles.

Un autre levier de motivation est constitué par la simplification et la délégation, un gisement immense. Nous y travaillons au sein de la Banque de France. Des femmes et des hommes à qui l'on confie des responsabilités et des procédures plus simples peuvent faire des merveilles. Cette somme d'énergies ne demande qu'à être libérée.

Le dernier levier, encore trop négligé, est l'investissement dans la numérisation. Il ne s'agit pas d'obliger les citoyens à passer par le canal digital dans l'interface avec les services publics, mais tous les agents sont en droit de travailler avec les outils modernes dont ils disposent chez eux.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Nous ne doutons pas de la qualité de la fonction publique en général, et de la haute administration en particulier. Cette commission d'enquête a aussi pour objet d'éviter que leur image ne se dégrade, à l'instar de ce que l'on observe pour tous ceux qui participent à la vie publique.

Monsieur le Gouverneur, vous êtes issu du corps de l'Inspection générale des finances, comme le Président de la République et beaucoup d'autres, notamment un quart environ des dirigeants des banques françaises. N'est-ce pas beaucoup ? Que je sache, l'ENA n'a pas été créée pour former des banquiers !

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Je regrette, comme vous, cette dégradation générale d'image, qui touche aussi les acteurs de la vie publique. Cette dérive déraisonnable n'est pas spécifiquement française. Par ailleurs, tous les fonctionnaires en souffrent.

Vous avez évoqué l'Inspection générale des finances. Je plaide pour que ce soit la compétence qui compte. On ne devrait pas arguer du corps d'origine d'un candidat pour le nommer, ou non, à un poste. Certes, il est parfois plus difficile de juger la compétence ; d'où la tentation de s'en remettre aux « étiquettes ».

Une majorité d'inspecteurs des finances travaille pour le service public, et le fait d'être issu de ce corps ne donne aucun droit. Peut-être ce titre confère-t-il une plus grande compétence dans tel ou tel domaine, mais ce n'est pas à moi d'en juger. Il y a autant de personnalités différentes que d'inspecteurs des finances. A contrario, il ne faut pas exclure un candidat d'un poste parce qu'il aurait cette étiquette...

Dans le secteur bancaire, il convient qu'il n'y ait aucun monopole en la matière. Le mutualisme est un facteur de diversification du choix des dirigeants bancaires. La pression internationale a également contribué à faire évoluer les choses. Le nouveau patron d'AXA ou celui de la première banque française ne sont pas inspecteurs des finances.

Je ne dis pas non plus qu'un inspecteur des finances compétent ne peut pas être banquier ! Seulement, ce n'est pas la vocation principale de ce corps. Nous devons, collectivement, dépasser les étiquettes dans les deux sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Ma remarque ne portait pas seulement sur les inspecteurs des finances. Nombre d'autres hauts fonctionnaires sont concernés par ces migrations : les cadres de Bercy, les conseillers d'État... Il y aurait même un bureau, le MS3P, chargé de tenir à jour ces offres d'emploi.

Cet état de fait ne risque-t-il pas de faire douter de l'indépendance de l'État face au lobby bancaire, qui a un réel pouvoir d'influence ?

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Je ne connais pas le bureau MS3P, et il n'a joué aucun rôle dans ma vie...

Premier point : il ne faut pas nécessairement empêcher certains fonctionnaires, qui sont une minorité, de partir en entreprise, mais il est essentiel d'encadrer ce mouvement. Ces départs peuvent correspondre à une volonté de respiration, à une capacité de mobilité, à une nécessité de renouvellement de la fonction publique. À cet égard, le dispositif déontologique qui existe au sein de la Banque de France, notamment la commission consultative sur les incompatibilités, permet de garantir l'absence de conflits d'intérêts. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de l'assouplir ; en revanche, nos voisins européens pourraient s'en inspirer et nous en discutons à l'intérieur de l'Eurosystème.

Second point : pour ce qui est des retours, il n'existe pas de dispositif déontologique spécifique, mais les dispositions du code pénal et la loi de 2013 sont très claires en termes de prévention des conflits d'intérêts.

Pour ce qui est de mon cas personnel, lors de l'examen de mon dossier par les deux chambres du Parlement, d'aucuns avaient bien voulu dire que mes engagements étaient exemplaires : j'ai rompu tous les liens financiers avec mon ancien employeur, BNP Paribas, je me suis engagé à ne prendre part pendant 2 ans à aucune décision individuelle concernant cet établissement, j'ai fait une déclaration de patrimoine et d'intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, qui les a approuvées tacitement.

Trois ans plus tard, j'ai tenu tous ces engagements. Mais l'indépendance va au-delà. Il faut certes des règles pour prévenir tout conflit d'intérêts, mais aussi un caractère et une éthique. Comme je l'ai dit devant la commission des finances du Sénat en septembre 2015, « j'ai mes limites comme chacun, mais je crois être un homme droit et un homme libre ».

Bien connaître le métier de banquier est quelquefois un atout pour résister aux arguments plus ou moins pertinents de certaines corporations.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

C'est l'argument invoqué par le président Roosevelt au moment de nommer John Edgar Hoover au FBI : on lui avait dit qu'il s'agissait d'un gangster...

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

J'espère que la comparaison s'arrête là... Je revendique encore une fois, et je le fais avec un peu de gravité, le fait d'être un homme droit et libre. Je l'ai prouvé lors de la négociation des Accords de Bâle III, ou voilà quelques semaines en proposant au ministre un « coussin contracyclique » de capital supplémentaire face à la très forte croissance du crédit bancaire, des initiatives qui n'ont pas suscité l'enthousiasme de la profession bancaire. La compétence fonde aussi l'indépendance.

J'ai pris ces décisions en fonction de ce que j'estimais être l'intérêt général et le bien du pays. Le fait de connaître un métier de l'intérieur augmente, de ce point de vue, l'indépendance.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Nul ne met en doute votre honnêteté et votre liberté de penser. Face aux menaces de dérégulation qui sont agitées, vous avez dit clairement que vous y étiez opposé.

Il y a cependant un problème. Comme le dit l'universitaire Jézabel Couppey-Soubeyran, « la capture opérée par le lobby bancaire et financier n'est pas tant financière qu'intellectuelle ». Il n'est pas question de mettre en doute le sens du service de la nation des uns ou des autres, mais on ne peut pas tout oublier... Les intérêts du système bancaire sont-ils toujours les mêmes que ceux de la nation ?

Le choix entre un système qui donne des résultats économiques et un système solvable, solide, capable de résister, c'est un problème de fond !

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Non, les intérêts du système bancaire ne coïncident pas toujours avec ceux de la nation. Je n'ai jamais pensé cela ! Simplement, parfois, il faut trouver des zones d'intersection, et à d'autres moments des zones d'opposition.

Il ne faut pas, dix ans après la crise de 2008, céder à la tentation de l'oubli et de la déréglementation, qui peut exister des deux côtés de l'Atlantique.

Depuis dix ans, les exigences de fonds propres des banques ont été considérablement renforcées, puisque ces fonds ont plus que doublé en Europe comme aux États-Unis. C'était nécessaire après la crise.

Personne ne doit oublier les conséquences de la crise financière sur les plans économique et social.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Multiplier peu par deux ou trois, ce n'est toujours pas grand-chose...

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Monsieur le Gouverneur, mes chers collègues, je dois m'absenter et vous prie de m'en excuser. Je cède la présidence à M. Pierre Cuypers.

- Présidence de M. Pierre Cuypers, vice-président - 

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Vous avez parlé de la période de déport de deux ans, fondée sur le droit français en vigueur. Les exigences sont-elles similaires pour les autres banquiers centraux européens ?

Que pensez-vous des « allers-retours » de certains agents de la Banque de France qui sont susceptibles, au cours de leur carrière, de contrôler des entreprises pour lesquelles ils ont travaillé ?

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Pour ce qui est de mon retour à la Banque de France et de la période de déport de deux ans, il se trouve qu'il n'y avait pas de dispositions applicables. J'ai choisi l'option la plus vertueuse.

Dans le cas du passage d'une banque centrale nationale à la Banque centrale européenne (BCE), on reste dans la sphère publique et au sein de l'Eurosystème.

Pour le passage d'une banque privée vers la BCE, les dispositions en vigueur chez nos voisins sont moins strictes que les nôtres. Le déport n'est qu'une disposition parmi d'autres.

Vous évoquez les agents de la Banque de France qui en partent et qui reviennent. Ces cas sont minoritaires. Sur 1 000 contrôleurs, on compte chaque année quelques dizaines de départs. Sur ce nombre, il y a extrêmement peu de retours. Ce cas pratique est ultra-minoritaire.

Pour les départs, les règles sont très claires : délai de trois ans, code pénal et, pour la Banque de France, l'article L. 142-9 du code monétaire et financier, avec la commission consultative sur les incompatibilités. Les autorisations de départ sont très souvent assorties de conditions.

S'il y avait des retours - je ne suis même pas sûr que le cas se soit présenté ces dernières années -, nous ne mettrions naturellement pas la personne concernée en position de contrôler une institution où elle a exercé. C'est du bon sens et de la bonne gestion.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

Vous avez évoqué l'image dégradée du service public. Est-ce un fait politique ? Cela s'explique-t-il par la formation et la gestion ou une forme d'autoprotection de la haute fonction publique ?

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

À cette question essentielle et difficile, j'apporterai une réponse partielle et personnelle. Le climat général peut influer : tout ce qui touche à la vie publique et collective fait aujourd'hui l'objet d'une moindre considération. Les élus, en particulier les parlementaires, en sont les premières victimes, ce qui est grave.

S'agissant des fonctionnaires, ce phénomène général joue, nourri probablement par un sentiment abusif de privilèges. Les fonctionnaires bénéficieraient d'une protection, travailleraient peu, feraient partie d'un secteur abrité et représenteraient la France des statuts contre le secteur exposé, la France qui se bat et qui est soumise aux risques de la compétition et de la mondialisation. Ce sont des clichés que je ne partage pas.

La fonction publique a besoin d'un statut qui protège sa liberté et son indépendance. En revanche, si être fonctionnaire est un honneur, cela crée aussi des obligations. Un pays a besoin d'un service public et de fonctionnaires protégés par un statut, mais il est en droit d'attendre en retour que la production de ce service public soit la plus efficace possible.

On impute aux fonctionnaires la responsabilité d'un service public jugé trop coûteux - objectivement, il coûte nettement plus cher que ceux de nos voisins européens - et peu innovant. C'est rarement aux fonctionnaires qu'incombe cette responsabilité. Nous devons donner à ces hommes et à ces femmes les leviers pour être plus exigeants et ambitieux pour le service public. C'est ma réponse à ce manque de considération. Je l'ai écrit dans la lettre que le gouverneur de la Banque de France envoie annuellement au Président de la République : un service public innovant et performant peut redevenir un grand atout de notre pays. Soyons exigeants et donnons aux fonctionnaires les leviers de gestion et d'investissement.

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

C'est une question non pas de moyens en nombre de fonctionnaires, mais de leviers de management ou de gestion. L'expérience de l'entreprise peut être utile, même si je ne l'absolutise pas. Certains considèrent qu'elle est un parangon d'efficacité : ce n'est pas le cas, elle a ses limites. Mais, sur certains leviers - la responsabilisation, la simplification, les outils modernes -, quelques leçons peuvent être utiles.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

C'est la première fois, au cours de nos auditions, que l'on entend le sujet de la pertinence des outils numériques et de leur importance pour attirer notamment les jeunes générations de fonctionnaires ; je partage tout à fait ce constat.

J'avais été amenée à mener un audit sur les moyens informatiques d'un grand ministère. Il en était ressorti que ceux-ci étaient totalement obsolètes, déconnectés des réalités actuelles : ils constituaient un frein pour attirer de jeunes diplômés, qui auraient dû travailler sur des outils complètement éloignés de la sphère réelle. Au-delà, ce retard pose des enjeux en termes de sécurité.

Devoir utiliser Google Drive pour partager des notes au lieu de SharePoint, être obligé de refaire la mise à page à chaque ouverture de fichiers informatiques incompatibles entre trois missions d'inspection ; je ne suis pas sûre que ce soit une gestion efficace des deniers publics...

Debut de section - PermalienPhoto de Benoît Huré

J'ai écouté avec grand intérêt vos propos. Vous mettez en avant ce que peut représenter une administration de qualité qui ne soit pas un boulet pour la dynamique d'un pays. Un des objectifs de notre commission d'enquête est de trouver les moyens, avec ceux qui, à un niveau ou à un autre, l'exercent, de faire apparaître aux yeux de nos concitoyens l'action publique comme performante, coordonnée et justifiée.

Le rapporteur l'a dit à plusieurs reprises, et vous l'avez reconnu, on voit la montée de certaines formes de populisme, du « tous pourris ». Les premiers à payer l'addition sont les élus politiques, les personnes elles-mêmes élues, mais aussi leur entourage. Si nous n'y prenons garde, cela touchera demain un autre pilier de notre pays, l'administration. On observe que, de réorganisation en réorganisation, l'administration « opérationnelle », c'est-à-dire celle qui est devant nos concitoyens - le soignant devant le malade, l'enseignant devant l'élève, les forces de sécurité sur le terrain -, sert de variable d'ajustement par rapport à l'administration plus « fonctionnelle ».

On a aussi commis des erreurs, parce que nos concitoyens, qui ne sont pas si ignorants de la réalité de la mondialisation, ont besoin dans leur quotidien d'avoir, à la fois, l'élu qui soit « à portée d'engueulade », si j'ose dire, et le fonctionnaire, celui qui, à une autre époque, conseillait, accompagnait, contrôlait et sanctionnait - les maires, les chefs d'entreprise, les responsables d'association... Aujourd'hui, on a l'impression que les deux premières fonctions ont disparu.

Je voudrais connaître votre impression sur ma perception d'un homme de terrain qui n'a pas votre expérience. Par exemple, la reconcentration de l'administration des départements vers les grandes régions suscite une incompréhension des usagers.

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Je suis d'accord avec ces deux interventions, qui vont dans le sens de l'expérience que nous vivons à la Banque de France.

Madame Lavarde, à propos de la numérisation et des outils, je ne peux qu'être d'accord avec vous. J'ajoute que, pour attirer au sein du service public les jeunes qualifiés - nous sommes sur un marché de l'embauche assez concurrentiel -, il faut aussi jouer sur l'autonomie qu'on leur laisse et la place dans la hiérarchie qu'on leur accorde.

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Oui ! Nous avons créé un comité perspective jeunes, composé d'une vingtaine de jeunes de 25 à 35 ans, en poste dans le réseau, au siège et à l'ACPR. Nous leur avons posé deux questions : la première sur l'état d'avancement de la digitalisation ou de la numérisation de l'entreprise Banque de France, la seconde sur la place des jeunes. On attend d'eux qu'ils secouent le cocotier, dans une proportion raisonnable - sans le faire tomber !

Le service public n'a pas une image très jeune aujourd'hui, aussi est-il important d'attirer et de motiver les meilleurs de cette génération.

Monsieur Huré, la Banque de France a un réseau, et chaque département a un directeur de la Banque de France, le premier visage de notre établissement pour les parlementaires. Nous nous sommes demandé comment concilier deux aspirations des Français apparemment contradictoires, mais légitimes.

La première, c'est que nos concitoyens veulent des services publics qui coûtent moins cher, parce qu'ils veulent payer moins d'impôts. Si nous avons beaucoup plus de dépenses publiques que nos voisins, nous finissons par avoir davantage d'impôts et de dette. J'ai écrit au Président de la République qu'à modèle social égal - notre modèle étant assez proche de celui de nos voisins -, la sphère publique française connaît des surcoûts qu'il faut traiter.

La seconde aspiration, comme vous le faisiez remarquer en homme de terrain, c'est que les Français veulent des services publics de proximité, et donc que le directeur de la Banque de France et son équipe approchée restent dans les départements.

Nous avons pris la décision fondatrice de maintenir une direction de la Banque de France dans chaque département. Cela n'était pas évident, et un certain nombre de bons esprits techniques nous ont fait remarquer qu'une Banque de France dans les départements ne se justifiait plus. Nous pensons le contraire.

En revanche, au fur et à mesure des départs à la retraite, nous diminuons les effectifs et nous regroupons le back office, le traitement d'un certain nombre de dossiers, dans des villes moyennes ou des capitales régionales. Cela nous permet de faire des économies, tout en maintenant l'ensemble des services de proximité.

Cette évolution de notre organisation est transparente pour les élus, pour les citoyens, pour les entreprises. Je ne suis pas sûr que beaucoup d'autres services publics vivent une évolution de ce type, mais je crois en cette solution. Je le dis d'autant plus sereinement que je n'en suis pas l'auteur : elle a été décidée par mon prédécesseur, j'en suis le « metteur en oeuvre ». Voilà ce qu'on peut faire pour rendre compatibles deux aspirations incontestables et assez légitimes des Français.

Je crois à la présence de proximité. Je l'ai répété à plusieurs reprises, la Banque de France a cette très grande chance d'avoir la tête en Europe - je vais demain au conseil des gouverneurs à Francfort - et les pieds sur le terrain. Je discute à Francfort de sujets très macroéconomiques sur la politique monétaire, après avoir entendu, comme la semaine dernière en Seine-Saint-Denis, le Conseil consultatif des entrepreneurs, au cours duquel ces derniers évoquent leurs problèmes : c'est un formidable atout. Je n'oppose jamais le terrain et les grands débats de politique économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

Monsieur le Gouverneur, j'aimerais que l'État vous entende. Regardez ce qui se passe dans nos départements, notamment dans nos ruralités, avec la fermeture des trésoreries... On perd la notion du service rendu au public. Ce n'est pas un problème de coût, car ce service ne peut pas être économiquement rentable. Les difficultés que cette situation engendre dans nos collectivités sont dramatiques. J'ai bien entendu qu'il fallait absolument rendre ce service.

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Je reste avec modestie dans le terrain de jeu qui est le mien, c'est-à-dire la Banque de France ! Je ne me prononcerai pas sur les trésoreries. Chaque responsable d'une grande administration doit trouver un chemin de compatibilité entre les deux aspirations que j'évoquais.

Je redis une conviction que j'ai tant comme citoyen que comme responsable économique : le niveau de dépenses publiques est aujourd'hui trop élevé. À nous de voir comment assurer la compatibilité entre ces deux objectifs. Je le dis avec modestie, je ne sais pas s'il est possible de maintenir toutes les trésoreries.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Monsieur le Gouverneur, il faut une séparation entre l'exécutif et l'organisme payeur, mais est-il envisageable de modifier le mode de fonctionnement actuel, qui est assez lourd, entre les collectivités et le Trésor public ?

Ma seconde question n'est pas tout à fait liée au sujet de notre commission d'enquête. Nous avons vécu en 2008 une crise financière extrêmement grave, qui a provoqué beaucoup d'inquiétudes. Selon certaines autorités, une situation de ce type pourrait de nouveau se produire. Avez-vous des informations sur ce sujet ?

Des dispositions ont été prises pour sécuriser les citoyens, notamment pour ce qui concerne les fonds propres. Si la crise de 2008 se reproduisait, les dispositions mises en place sont-elles suffisantes pour calmer ces inquiétudes ?

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Le superviseur que je suis peut dire aux Français qu'ils ont un système bancaire très solide, l'un des plus solides d'Europe et même du monde - nous l'avons vu lors de la crise de 2008. S'y ajoute un système de garantie des dépôts, qui a été renforcé, vous y avez fait allusion. Je veux être clair sur cette question : la sécurité des Français sur le plan financier me paraît totalement assurée.

Sur la crise financière, le superviseur que je suis est aussi payé pour ne dormir que d'un oeil et rester extrêmement vigilant sur les risques de crise. Il a été procédé à un renforcement très important des règles de sécurité sur les banques, sur les assurances et, dans une moindre mesure, sur les gestionnaires d'actifs ou les fonds, pour lesquels il faut continuer à renforcer les choses. Nous ne pouvons pas dire aujourd'hui que tout risque de crise financière est écarté ; le jour où nous le dirons, nous serons en situation psychologique dangereuse. Je vous renvoie à ma lettre au Président de la République, que j'ai d'ailleurs remise au président du Sénat la semaine dernière - elle lui est aussi adressée de par la tradition républicaine -, dans laquelle j'évoque les risques d'instabilité financière.

Si l'on rapporte la dette mondiale, c'est-à-dire l'addition de la dette publique, celle des États, et la dette privée, celle des ménages et des entreprises, au PIB mondial, on obtient en quelque sorte le taux d'endettement de l'économie mondiale, un thermomètre auquel il faut être attentif : malheureusement, ce taux n'a cessé de croître, de 190 % en 2001 bien avant la crise, à 210 % en 2007 au moment de la crise, et à 240 % dix ans après.

La crise n'a pas arrêté un mouvement de croissance de la dette mondiale plus rapide que l'économie. En revanche, elle en a changé la répartition, et on peut donc pointer, avec une grande prudence, là où se trouvent les risques aujourd'hui. Globalement, la dette a un peu reculé dans les pays avancés ; elle a nettement augmenté dans les pays émergents, notamment la dette privée, celle des grandes entreprises. On cite souvent la Chine : l'économie y a beaucoup crû, mais la dette des entreprises a augmenté encore plus vite. Heureusement, les autorités chinoises prennent depuis un an des mesures assez fortes pour maîtriser l'endettement privé des entreprises.

Par définition, je ne puis vous dire où se produirait une prochaine crise financière. Je peux juste vous faire part de deux convictions : premièrement, c'est que le système financier mondial est aujourd'hui plus sûr qu'il y a dix ans, compte tenu des mesures prises ; deuxièmement, c'est que nous ne pouvons jamais dire que tous les foyers de risques sont écartés. C'est le début de la sagesse !

Debut de section - PermalienPhoto de Josiane Costes

Monsieur le Gouverneur, vous avez signalé que pour rendent la fonction publique plus attrayante, il faudrait nommer des compétences et non pas des étiquettes. En France, nous avons largement fait l'inverse !

Pour y parvenir, faudrait-il revoir le format de nos concours de recrutement, typiquement français ? Dans certains pays anglo-saxons, les choses ne se passent pas ainsi.

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Quand je dis qu'il faut nommer des compétences et pas des étiquettes, je n'en tire pas forcément la même conséquence que vous. Certaines personnes ont des étiquettes et sont néanmoins compétentes : avec beaucoup d'immodestie, j'espère en faire partie, mais c'est vous qui en serez juge ! Il ne faut en tout cas pas que l'étiquette empêche de nommer une compétence.

Vous avez posé la question du concours, qui est une tradition de la fonction publique française depuis 1789. Celui-ci présente énormément d'avantages en termes d'impartialité des recrutements. Il faudrait peut-être le pondérer par une forme de personnalisation ou d'appréciation personnelle. Vous ne pouvez pas juger une personne pour quarante années de vie professionnelle uniquement sur sa capacité à faire une dissertation... Je caricature un peu les concours, car il peut y avoir des entretiens personnels.

Comme c'est le cas à la Banque de France depuis toujours, pouvoir combiner deux types de recrutement, c'est-à-dire les personnes recrutées sur concours et les contractuels, peut être aussi une bonne façon de faire. La vocation n'est pas forcément la même : ceux qui réussissent le concours entrent sur la base d'un pacte social et pour une durée longue ; ceux qui sont embauchés par contrat le sont d'abord sur un poste, même s'ils peuvent rester plus longuement ensuite.

Dans quelle mesure ce modèle mixte peut-il s'appliquer au reste de la fonction publique ? J'avoue ma limite technique.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Nous sommes pleinement rassurés sur le risque de répétition du crash de 2008. Il est vrai que vous ne pouvez pas vraiment nous dire le contraire : vous êtes un optimiste fonctionnel ! Personnellement, je suis moins confiant.

Vous en avez fait l'expérience avec la pétition de personnalités compétentes s'opposant à votre nomination, une pétition basée sur la théorie des apparences, puisque rien de précis ne vous était reproché. Cela pose une question de fond : ce n'est certainement pas uniquement avec l'arme juridique du conflit d'intérêts qu'on parviendra à stopper l'ère du soupçon. Je vous remercie pour votre intervention.

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Sur mon cas personnel, je crois que la discussion fait partie de la démocratie, tout comme la décision. Je suis très heureux que la décision de ma nomination ait été prise sous le contrôle du Parlement. C'est ensuite à moi de montrer que je travaille en homme droit et en homme libre.

J'ai été tout à fait rassurant, non par obligation professionnelle mais par conviction technique, sur la solidité et la sécurité du système financier français, mais je ne crois pas l'avoir été avec le même engagement sur l'absence de risque de crise financière à l'échelle internationale. Nous devons être extrêmement vigilants.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

Si l'Italie commence à aller mal, on ne sait pas ce qui va se passer...

Debut de section - Permalien
François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France

Je suis le superviseur du système français, et je pense vraiment que les Français peuvent, en toute sécurité, utiliser leur système financier. Si l'on reprend l'histoire des crises financières, c'est quand il y a un relâchement de la réglementation ou de la vigilance, c'est-à-dire de la supervision et de la surveillance, que les risques commencent à augmenter. Il est extrêmement sain de rester en alerte. Attention à la tentation de l'oubli ou, pour certains, de la déréglementation : elle serait très mauvaise conseillère.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Cuypers

Je vous remercie, monsieur le Gouverneur, de la clairvoyance de vos propos et de votre conclusion, que nous partageons complètement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La séance est close à 19 h 05.