Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 11 décembre 2018 à 15h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Je m'interroge de plus en plus sur notre rôle depuis le début de la discussion sur ce projet de loi de finances. Vous venez d'entendre le ministre nous exhortant à voter cet amendement de crédits concernant la revalorisation de la prime d'activité, avant de nous dire qu'une autre solution pourrait être présentée d'ici quelques heures ou quelques jours. A priori, les 100 euros supplémentaires pour les bénéficiaires du SMIC passeraient par la prime d'activité, tel que le propose l'amendement. Mais le ministre nous affirme dans le même temps que d'autres dispositifs sont à l'étude... À ce niveau-là, ce n'est même plus de la navigation à vue !

Nous vivons cette année une discussion budgétaire assez inédite. À plusieurs reprises, le Gouvernement nous a expliqué d'abord que telle ou telle mesure était trop coûteuse, avant de se raviser et d'affirmer quelques instants plus tard que son coût est finalement faible sous telles conditions et que l'on peut l'adopter. Ainsi, le gel de la hausse des taxes sur les carburants que nous avons voté nous avait d'abord été reproché. Finalement, le Gouvernement s'y rallie.

À présent, le Gouvernement souhaite notre vote immédiat sur les amendements sur lesquels nous devons nous prononcer, pour avancer l'application de la seconde bonification de la prime d'activité et augmenter les crédits correspondants. Peut-être une autre idée surgira-t-elle de Bercy quelques minutes après notre vote ?

Trois amendements sont soumis à notre examen. L'amendement C-1 modifie les crédits de la prime d'activité, financée par la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Je rappelle qu'un article rattaché à cette mission, l'article 82 du projet de loi de finances pour 2019, créé une nouvelle bonification de la prime d'activité. Vous pourrez lire davantage sur le sujet dans le rapport spécial de nos collègues Arnaud Bazin et Éric Bocquet pour la commission des finances et dans l'avis de Philippe Mouiller pour la commission des affaires sociales. La prime d'activité est versée par les caisses d'allocations familiales (CAF) à ceux qui perçoivent un revenu d'activité situé entre 0,5 et 1,2 SMIC. Contrairement à ce qu'a pu dire le ministre Gérald Darmanin, il s'agit bien d'une dépense publique. Le Gouvernement propose ainsi de majorer de 600 millions d'euros les crédits de la mission « Solidarité », comprise dans le budget de l'État. Ces 600 millions d'euros seront ensuite versés à la CAF, puis aux bénéficiaires.

En lien avec cet amendement de crédits C-1, l'amendement C-2 modifie l'article 82 pour anticiper la création d'une seconde bonification individuelle de la prime d'activité dès le 1er janvier 2019 et non plus le 1er avril 2019 tel que le prévoyait le texte issu de l'Assemblée nationale. Fixé au départ à 20 euros dans le texte initial, le montant de cette bonification a été rehaussé à 30 euros, l'Assemblée nationale votant un amendement de crédits en ce sens. L'amendement ne prévoit pas de modifier ce montant, il appartient au pouvoir réglementaire de mettre en oeuvre de cette mesure. Comment le Gouvernement arrive-t-il à la somme de 100 euros en 2019 ? Il n'ajouterait en réalité que 50 euros en 2019 à la prime d'activité, s'il inclut déjà, par exemple, dans ces 100 euros les 20 euros de la première bonification créée en 2018 et les 30 euros de la seconde bonification déjà prévue pour 2019. Les amendements C-1 et C-2 n'emporteraient donc pas de grand changement dans cette hypothèse puisqu'une trajectoire en hausse de la prime d'activité était déjà prévue, avec une revalorisation chaque année portant le montant total de la seconde bonification à 70 euros au 1er avril 2021. Le ministre a bien précisé qu'il s'agit d'un montant moyen de 100 euros et que cette prime est fonction du foyer. Cela signifie donc que dans un foyer où l'un des conjoints touche le SMIC mais l'autre perçoit un salaire bien plus élevé, le conjoint smicard ne bénéficierait pas nécessairement de ces 100 euros supplémentaires.

Nous pouvons nous prononcer concrètement sur l'amendement C-2 dont l'objet est clair. En revanche, notre vote sur l'amendement de crédits C-1 donnerait une sorte de « blanc-seing » au Gouvernement, qui décidera de la répartition des 600 millions d'euros supplémentaires. Encore une fois, nous allons nous exprimer sur ces amendements tout en sachant que le Gouvernement pourrait aussi revenir dessus et remplacer cette mesure par une autre...nous verrons bien. L'amendement C-3 est un amendement de coordination tirant simplement les conséquences de ces amendements sur le tableau de l'article d'équilibre.

Debut de section - PermalienPhoto de Roger Karoutchi

Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris quelles autres voies étaient possibles. Comment peut-on arriver à une hausse du SMIC de 100 euros dès le mois de janvier ? Plusieurs dispositifs existent, mais je n'en vois pas qui puissent être mis en place aussi rapidement, même en étant réglementaires. Le rapporteur général pourrait-il nous éclairer sur ces autres solutions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

J'imagine qu'une autre voie serait l'introduction d'un abattement sur les charges salariales à travers un projet de loi rectificatif de financement de la sécurité sociale, sous réserve de sa conformité avec la Constitution, le Gouvernement n'entendant pas faire peser une hausse du pouvoir d'achat sur les entreprises.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Joyandet

Actuellement, la prime d'activité tient compte du foyer fiscal, et non pas seulement de la paie du salarié ?

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Effectivement, la prime est versée d'après la composition du foyer. Un foyer dont l'un des conjoints perçoit le SMIC n'est pas certain de bénéficier de cette hausse de la prime d'activité, cela dépend notamment du niveau de revenu de l'autre conjoint.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Delcros

Un salarié percevant le SMIC mais non admissible à la prime d'activité, compte tenu des revenus de son foyer, ne bénéficiera donc pas de la mesure proposée par le Gouvernement ?

Pouvez-vous également préciser pourquoi le ministre est parti d'un déficit budgétaire de 1,9 % du PIB pour établir son raisonnement, et non pas de 2,8 % comme cela était annoncé ? Le Gouvernement a-t-il d'ores et déjà pris en compte la transformation du crédit d'impôt compétitivité-emploi (CICE) en baisse de charges pour arriver à cette différence de 0,9 point de PIB ?

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Il est possible que des salariés au SMIC ne perçoivent pas cette hausse de la prime d'activité, effectivement.

Quant au calcul du déficit, il s'agit bien d'une défalcation du budget de l'État, faisant suite à la disparition du CICE et à sa transformation en baisse de charges pour 2019. Ce mode de calcul peut laisser songeur, dans la pratique, le déficit pourrait se dégrader à 3,5 % du PIB.

Debut de section - PermalienPhoto de Marc Laménie

L'exposé de l'amendement C-3 mentionne un déficit à hauteur de 42,5 milliards d'euros. Il me semblait que le déficit public était plutôt voisin de 100 milliards d'euros.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Je vous rappelle que le montant du déficit a été modifié hier soir avec le vote de l'amendement du Gouvernement tirant les conséquences de nos votes en seconde partie sur l'article d'équilibre. Le Gouvernement a en fait tenu compte du rejet de certaines missions, conduisant à améliorer le solde budgétaire de façon artificielle.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Capo-Canellas

Il y a une certaine improvisation du Gouvernement et le rapporteur général l'a bien souligné. Nous échapperons difficilement à un autre dispositif que celui qui nous est ici proposé puisque la prime d'activité est notamment conjugalisée ! Les manifestants qui bloquent les ronds-points s'attendent pourtant à un versement de 100 euros nets supplémentaires pour chacun des smicards. Le discours politique ne peut faire abstraction de cette réalité et je vois mal comment le Gouvernement pourra éviter une augmentation nette du SMIC pour y parvenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

J'ajoute que la mesure annoncée prévoit 100 euros de plus par personne rémunérée au SMIC, mais en moyenne. Cela veut donc dire que certains gagneront moins que 100 euros, d'autres plus...

Debut de section - PermalienPhoto de Emmanuel Capus

Pour revenir sur la question de Bernard Delcros, la présentation d'un déficit à 1,9 % du PIB n'est-elle pas une façon d'annoncer le report d'un an de la transformation du CICE en baisse de charges ?

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Cela semble envisagé par le Gouvernement, de même qu'une surtaxe pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés, ou l'arrêt de la baisse de l'impôt sur les sociétés...

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

En réponse à la question de Bernard Delcros sur le 0,9 point que le ministre a sorti du taux de déficit public, je précise qu'il s'agit de l'application d'une « jurisprudence » de la Commission européenne. Elle autorise en effet la déduction des mesures de transformation ou de trésorerie pour éviter l'application de la procédure de déficit public excessif.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Je m'attends aussi à ce qu'un autre dispositif soit annoncé rapidement. Il y a des plafonds pour bénéficier de la prime d'activité : 1 500 euros pour une personne seule, 2 200 euros pour un couple sans enfant et dont l'un des conjoints travaille... Les conditions d'attribution varient sensiblement selon le nombre de personnes qui travaillent et selon la structure familiale. Il y a même un simulateur en ligne pour calculer le montant de la prime d'activité, lequel s'obtient en fonction des données saisies : situation familiale, niveau de ressources, temps de travail, etc. En l'état actuel des choses, il est donc impossible que chaque personne percevant le SMIC bénéficie bien des 100 euros supplémentaires via la prime d'activité ! Pour y parvenir, il faudrait un autre dispositif, certainement bien plus coûteux que celui qui nous est aujourd'hui présenté.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Il nous faut à présent donner un avis sur les amendements. À titre personnel, je ne vais pas les refuser, vu la situation particulière dans laquelle nous sommes. Je propose néanmoins un avis de sagesse à la commission. Encore une fois, un avis favorable serait une forme de blanc-seing donné à un dispositif qui renvoie à l'application de mesures réglementaires et sur lesquelles nous n'avons pas encore assez d'éléments.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Cet avis de sagesse convient-il à l'ensemble de la commission ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Savoldelli

Je ne suis pas tout à fait à l'aise avec cet avis de sagesse. Je demande donc un vote de la commission sur cet avis proposé par le rapporteur général. Tel un communicant, le président de la République a annoncé hier un supplément de 100 euros sur le SMIC, alors que le ministre nous propose aujourd'hui la hausse d'une prestation sociale. En l'absence de clarté dans ce débat, le groupe Communiste, Républicain, Citoyen et Écologiste s'abstiendra.

La commission s'en remet à la sagesse du Sénat sur les amendements C-1, C-2 et C-3.

La réunion est close à 15 heures 25.