(mardi 9 juillet 2013)
Je vous remercie, Monsieur Noyer, d'être parmi nous aujourd'hui. Compte tenu de la séance du Sénat qui doit se dérouler à 18 heures, cette audition en sera écourtée.
Vous devez à présent prêter serment devant la Commission d'enquête. Toute information relative aux travaux non publics d'une Commission ne peut être divulguée ou publiée qu'en cas de faux témoignage. Il est passible des peines prévues par les articles 434-13, 413-14 et 413-15 du Code Pénal.
Monsieur Noyer, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites : « Je le jure ».
En premier lieu, je souhaiterais revenir sur les expériences de la Banque de France relative aux zones offshore, lesquelles jouent un rôle essentiel dans la finance internationale.
Quelle importance attribuez-vous à ces zones offshore d'un point de vue qualitatif et quantitatif ?
Que vous inspire la cartographie des groupes financiers français ?
Quelle responsabilité l'activité bancaire et financière, qui s'est fortement développée dans ces zones non régulées, porte-t-elle dans la crise financière ?
L'une des difficultés réside dans la comptabilisation précise des implantations offshore. Nous couvrons des pays importants économiquement pour l'UE et ses exportateurs, tels que la Suisse, le Luxembourg ou l'Autriche. Je ne peux donc pas fournir une réponse uniforme à vos questions.
La Suisse est ainsi un des plus grands pays d'exportation pour les industriels français. Il est donc normal que les banques accompagnent les entreprises françaises en Suisse. Il est vrai que ce pays peut servir de refuge fiscal à de grandes fortunes mais, dans ce cas, les résidents français ne font pas appel à des banques de leur propre pays. Par conséquent, la gestion de fortune concerne plutôt des clientèles d'autres régions du monde, agissant d'ailleurs dans la plus grande légalité pour des raisons de diversification de patrimoine.
La Suisse est d'ailleurs un des pays les plus exigeants en matière de réglementation prudentielle et de contrôle prudentiel. Nous accordons beaucoup d'importance, conformément aux textes dont nous veillons à l'application, à l'existence d'un système centralisé visant à l'application des réglementations et du contrôle des risques dans les banques françaises.
En revanche, nous accordons assez peu d'importance aux pays des Antilles, sauf sur des créneaux spécifiques comme le financement des navires ou des avions.
J'ai le sentiment que le rôle de ces zones dans le déclenchement de la crise financière est faible. La crise financière est née de l'accumulation de leviers d'endettement trop importants des particuliers, des entreprises, des systèmes bancaires.
Sur une construction déjà fragile, la diffusion de produits innovants complexes a commencé aux Etats-Unis dans des secteurs peu réglementés. Ces produits étaient construits de manière tellement opaque que la répartition du risque attendue a, en fait, abouti à une suspicion généralisée sur la valeur des actifs et donc au déclenchement d'une crise de liquidités, puis au blocage des marchés monétaires et des refinancements entre banques.
Cette crise a donc surgi dans un pays particulièrement développé. Des poches non réglementées ou mal surveillées ont permis l'accumulation des instruments déclencheurs de la crise.
J'en tire la conclusion que nous avons besoin de progresser, tous ensemble au niveau international, pour éviter que des pans entiers de l'activité financière échappent à des règles, aussi communes que possible, et à une surveillance, aussi harmonisée que possible. Bien entendu, nous nous exposons aussi au risque en provenance de zones non réglementées et, pour cette raison, particulièrement attractives d'un point de vue fiscal. Il est donc légitime que les Etats s'unissent pour éradiquer ces zones de sous-réglementation et de sous-fiscalité, même s'il est difficile d'affirmer qu'elles ont joué un rôle essentiel dans le déclenchement de la crise.
La titrisation, phénomène moteur de la crise financière, ne s'est-elle pas développée beaucoup plus aisément dans les paradis fiscaux, compte tenu de l'opacité qui y règne ?
La titrisation s'est développée aux Etats-Unis au grand jour. En réalité, il n'existait pas de freins suffisamment performants en face de produits complexes et opaques.
La titrisation en elle-même ne représente pas un problème. Nous travaillons ainsi actuellement avec les grandes banques de la place à la mise au point, d'ici l'automne, d'un produit de titrisation de créances sur les PME. L'idée consisterait à accorder des crédits aux PME. Les banques en conserveraient une partie et en titriseraient une autre partie.
Ce dispositif serait ainsi tout à fait transparent. Il permettrait de dresser une liste précise des crédits aux PME concernés. Ces crédits recevraient une note attribuée par les services de la Banque de France. Nous pourrions ainsi connaître la nature du risque et son évolution. Cet instrument d'investissement pourrait, par exemple, être utilisé par les organismes d'assurances.
Au niveau de la BCE et de l'Euro Système, nous essayons de favoriser la renaissance d'une titrisation simple et transparente.
La titrisation devient dangereuse dans le cas de produits complexes, eux-mêmes intégrant des produits complexes, dont il est au final difficile de connaître la véritable valeur. Je rappelle toutefois que ces produits complexes, véritables étincelles de la crise, se sont développés au grand jour à New-York, en l'absence de la réglementation nécessaire.
Monsieur Noyer, en qualité de Gouverneur de la Banque de France, vous êtes également Président de l'ACP. A quelles limites de transparence des grands groupes financiers multinationaux avez-vous été confronté ?
Je ne pense pas qu'il existe des limites à la transparence dès lors que l'objet de notre enquête correspond bien à nos attributions. Quand il s'agit d'un groupe dont le siège est en France, je pense que nous obtenons toutes les informations que nous souhaitons connaître sur l'ensemble de ses activités en France et de ses succursales dans l'espace économique européen.
Lorsque nous sommes en présence de succursales en dehors de l'espace économique européen ou de filiales, nous devons distinguer, d'une part, ce que nous exigeons pour asseoir notre contrôle consolidé et, d'autre part, le détail des opérations qui relève des superviseurs locaux.
Nous veillons à ce que tous les groupes possèdent un contrôle centralisé des risques et des procédures. Il importe de se doter les moyens de repérer les activités risquées d'une succursale où qu'elle soit dans le monde.
Je n'ai pas le sentiment que nous nous sommes déjà confrontés à des refus. Bien entendu, il convient de préciser que nous nous limitons à ce que la loi nous permet de demander. Nous avons le sentiment que les exigences de la loi nous suffisent à vérifier les risques pris par l'ensemble des banques, même s'il est impossible de se prémunir contre tout risque d'accident. Cependant, nous ne connaissons pas de limites réelles qui seraient un obstacle à notre contrôle.
Dans les cas où notre action ne s'inscrit pas dans le cadre d'un accord international, nous avons pris l'habitude de demander l'autorisation au superviseur local de conduire une enquête ciblée sur ce que nous souhaitons vérifier. Dans la plupart des cas, nous obtenons des réponses favorables, y compris dans des places financières asiatiques (Hong-Kong, Singapour) ou des Antilles.
Nous avons connu un cas où l'ACP, après enquête, avait initié une procédure de sanction. La commission des sanctions a finalement jugé que nous n'avions pas la base juridique nécessaire pour lancer cette procédure. Nous avions demandé au gouvernement de nous fournir une base juridique suffisante. Le gouvernement a donc proposé d'inclure une telle disposition dans la loi actuellement en délibération au Parlement.
Quel est le niveau de coopération des superviseurs locaux dans les pays où le secret bancaire est institué ?
Dans les pays dotés d'une réglementation et d'un contrôle sérieux et exigeant, nous ne rencontrons aucune difficulté.
En revanche, dans des territoires plus petits, où l'autorité de contrôle est relativement faible, les informations fournies par le superviseur manquent parfois de précision. Dans ce cas, nous pouvons nous assurer que le contrôle des risques est bien réalisé, avec une remontée d'informations suffisante de la part de la succursale vers la maison-mère.
Estimez-vous que la responsabilité des banques est directement engagée dans le déclenchement de la crise financière du fait de manquements au respect des règles prudentielles ? Quelle est, à vos yeux, cette responsabilité ? Quelles mesures pourraient être prises pour garantir qu'une nouvelle crise ne survienne pas prochainement ?
Je pense, en premier lieu, que la réglementation n'était pas suffisamment adaptée. La crise est essentiellement liée à une crise des liquidités.
Certains pays, contrairement à la France, étaient dépourvus de toute règle en matière de liquidité. L'expérience nous a montré que les exigences de capital ne donnaient pas un matelas suffisant. Il était insuffisant au regard des opérations menées. Tous les efforts fournis ces dernières années, par le G20, le Conseil de stabilité financière ou encore le Comité de Bâle, ont consisté à établir des exigences internationales de liquidité et relever le niveau d'exigence de solvabilité.
Les banques avaient des pratiques dangereuses et aucune règle internationale ne les en empêchait. Ainsi, le développement de la politique de rémunérations variables, fondée sur la rentabilité immédiate d'opérations, a créé un risque de déformation de la structure des opérations.
Dans certains pays, les risques pris par les banques ont été beaucoup plus excessifs qu'en France. En effet, certains pays n'avaient pas l'habitude d'une supervision intrusive comme elle l'est en France. Ces pays estimaient que le jeu des forces de marché suffisait à équilibrer la situation. La France avait la réputation d'avoir une administration particulièrement pointilleuse. Ce reproche ne nous a plus jamais été adressé après le déclenchement de la crise.
Je ne dis pas cela pour nous dédouaner de toute erreur car, en vérité, tout le monde a sous-estimé les vulnérabilités du système. Cependant, je tiens à souligner que la France a connu moins de problèmes que beaucoup d'autres pays.
Je me demandais s'il n'existait pas un paradoxe entre la quête de transparence et l'espionnage généralisé. En fait, il semble que la situation générale soit connue de tout le monde mais que, pour préserver l'intérêt des affaires, personne n'ose lever un pan du voile de peur de déclencher un « grand déballage ».
Certaines révélations sont parues dans la presse ces derniers mois. Pensez-vous que nous sommes encore à la merci de nouvelles révélations ?
Comment percevez-vous l'évolution de la situation depuis l'an dernier ?
Croyez-vous que nous ayons avancé dans le règlement des conflits d'intérêts ? Le Sénat examine en ce moment même un texte relatif à ce problème. Nous avons observé les dommages que le conflit d'intérêts avait occasionnés aux Etats-Unis.
De votre point de vue, peut-on régler mieux les conflits d'intérêts ?
Dominique Strauss-Kahn, auditionné récemment par le Sénat, a expliqué que le Fonds Monétaire International avait évalué le besoin de refinancement des banques, y compris des banques françaises, à un niveau plus important que ce qui avait été estimé dans un premier temps.
Pensez-vous que la situation du système bancaire français et européen est totalement apurée ?
Nous avons réalisé beaucoup de progrès dans les échanges d'informations entre superviseurs. La coopération active est la seule manière d'avoir une image fidèle de la situation. Il est satisfaisant d'observer une prise de conscience générale en la matière.
Sur la question des conflits d'intérêts, je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à votre interrogation. Il s'agit d'une question de déontologie. Nous disposons en France d'une autorité de contrôle prudentiel essentiellement composée d'agents statutaires de la Banque de France, c'est-à-dire de quasi fonctionnaires qui y passent l'essentiel de leur carrière. Ils bénéficient donc d'une culture du service public et d'indépendance profondément ancrée dans leurs pratiques. Tous les pays n'ont pas la chance de pouvoir s'appuyer sur une telle tradition. Il convient de s'assurer du respect des règles déontologiques dans chaque pays pour limiter les risques de conflits d'intérêts.
Enfin, je ne partage l'avis exprimé par Dominique Strauss-Kahn. Le FMI a toujours émis des avis pessimistes sur l'état de l'Europe. Le FMI avait raison de s'inquiéter du développement de bulles immobilières dans certains pays européens, insuffisamment couverts par des provisions.
Toutefois, le FMI a tort, de notre point de vue, de penser que les banques européennes sont moins capitalisées que les banques américaines. Je pense que nous avons trouvé, dans le monde actuel, un équilibre optimal entre le souci de recapitaliser les banques pour surmonter des accidents sans faire appel aux contribuables et l'objectif de ne pas exiger des ratios de capital trop élevés. En effet, cela risquerait d'entraîner une réduction du crédit et, in fine, un financement insuffisant de l'économie. Je recommande de conserver cet équilibre pour la prochaine décennie.
Nous avons encore des progrès à réaliser dans la compensation du maximum de dérivés OTC, du suivi transparent de toutes les opérations, et du calibrage des exigences de marges sur dérivés. L'empilement des dérivés a été, à mon avis, un des facteurs déclenchant de l'épisode Lehmann Brothers.
Nous avons besoin d'une règle internationale sur le contrôle des dérivés. Elle est en cours d'élaboration et sera au point probablement avant la fin de l'année.
Les dernières questions figurent sur le questionnaire qui vous a été adressé. Nous attendons à présent de recevoir vos réponses détaillées sur chacune de ces questions.
Nous aurons certainement l'occasion de vous entendre de nouveau sur ce sujet.