Bienvenue à tous pour cette matinée d'auditions, dont je vous rappelle qu'elle est publique. Les auditions peuvent être regardées en direct sur le site Internet du Sénat. Elles font également l'objet d'une publication sur Facebook. Les internautes ont la possibilité de poser des questions à partir de la plateforme dont les coordonnées vous sont données sur notre site.
Le sujet qui nous réunit ce matin est sensible, c'est celui des SDHI, ou inhibiteurs de succinate déshydrogénase.
L'origine de cette audition est une demande de la présidente de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, Madame Barbara Pompili, qui a souhaité que nous examinions ce sujet suite à des tribunes publiées dans la presse par des chercheurs appelant à la suspension de l'utilisation de pesticides agricoles contenant des SDHI, tandis que l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), chargée de l'évaluation du risque associé à ces pesticides, considère que le sujet ne fait pas l'objet d'une urgence absolue.
Avec Cédric Villani, nous avons souhaité organiser cette audition publique afin que l'interrogation puisse progresser et que les personnes auxquelles cette question pose souci puissent bénéficier de l'éclairage de l'Office parlementaire.
L'Assemblée nationale a entendu le directeur général de l'ANSES le 6 novembre dernier dans le cadre d'un groupe d'études. Ces travaux ne bénéficient pas d'un compte rendu officiel. Pourtant, un compte rendu a été diffusé dans la presse, suscitant de nouvelles interrogations. Très clairement, un débat public inorganisé s'est ouvert. Nous avons décidé de faire un débat public plus organisé.
Le thème des risques sanitaires et environnementaux liés à l'agriculture est extraordinairement sensible. Nous le savons très bien à l'Office puisque nous avons traité ce sujet en mai 2019 dans un rapport signé par quatre de nos collègues. Ce n'est pas le glyphosate en tant que tel que nous avions analysé, mais le fonctionnement des agences et des dispositifs d'évaluation des risques sanitaires et environnementaux en France et en Europe. Nous avions mis en évidence les difficultés à trouver le chemin de la confiance entre scientifiques, politiques et société civile. À cette occasion, nous avions évoqué la question des SDHI. Nous avions rappelé que l'ANSES s'était mobilisée en déclenchant une expertise d'urgence, dont le rapport publié en début d'année 2019 concluait à l'absence d'alerte sanitaire justifiant un retrait du marché des SDHI.
Différentes auditions nous attendent ce matin, dans un esprit pacifique. Nous avons estimé qu'il serait plus intéressant d'entendre les intervenants les uns après les autres, tant la tension peut être forte. Nous entendrons ceux qui ont attiré l'attention de l'opinion sur les dangers éventuels des SDHI, à savoir Pierre Rustin et Paule Bénit, ainsi que des représentants de l'ANSES, dont son directeur général Roger Genet. Nous avons également la chance d'avoir parmi nous Francelyne Marano, professeur émérite de biologie cellulaire et de toxicologie, qui nous apportera son appui et son regard d'expert, alors que les SDHI pourraient remettre en cause les conditions de la respiration cellulaire.
Nous organisons cette audition pour que certaines personnes puissent s'exprimer. Il est donc très important que nous les écoutions. Nous ne sommes pas une agence d'évaluation. Nous n'avons pas à refaire le travail des organismes européens et français. La seule vraie question qui se pose à nous est la suivante : les mécanismes d'évaluation des risques tels qu'ils sont aujourd'hui mis en oeuvre sont-ils suffisamment adaptés et pertinents ?
Avant de céder la parole à Madame Marano, je me tourne vers Cédric Villani, qui est très impliqué dans la réflexion sur les pesticides et la place des SDHI. Cédric Villani est bien mieux placé que moi pour faire un point de situation sur le débat qui s'est ouvert à l'Assemblée nationale.
Monsieur le Président, vous avez dit l'essentiel dans votre discours introductif. Nous sommes sur un sujet essentiel, qui s'inscrit dans le débat général sur l'agriculture et la nécessaire transition vers une réduction des pesticides et des fongicides. Le débat public s'est fait de manière désorganisée et passionnée, avec des lettres ouvertes, des tribunes et des saisines. Nous savons à quel point le rôle et la légitimité des agences européennes ou nationales ont été particulièrement discutés ces dernières années. Personne ne conteste le fait qu'il faille des organismes capables d'émettre des avis en réactivité de manière satisfaisante. Il en va de notre rôle de contrôler, d'évaluer et de faire des recommandations sur la place de ces organismes. Ce débat s'inscrit aussi dans le contexte d'une réflexion sur l'intégrité scientifique. Il est important de rétablir la confiance entre les citoyens et les institutions d'évaluation.
Nous allons aujourd'hui entendre parler de choses extrêmement techniques. Pour certains d'entre nous, ce sont des lointains souvenirs de collège. Pour d'autres, ce sont des questions de culture scientifique passionnantes. N'oublions pas que derrière, il y a un débat citoyen et des enjeux de santé publique. Il nous faudra nous livrer à l'exercice délicat de comprendre et d'interroger des experts sur des sujets techniques, tout en gardant en tête la nécessité de prendre les meilleures décisions pour le débat public et de faire en sorte que le débat puisse être compris et entendu par tous les citoyens.
Les saisines sont venues de plusieurs origines. Barbara Pompili, présidente de la commission du développement durable de l'Assemblée nationale, a tenu à mettre ce débat sur la table. J'ai eu l'occasion de rencontrer Pierre Rustin, qui m'a fait part de ses découvertes et inquiétudes. Nous avons aussi été saisis par nos collègues Pierre Laurent et Pierre Dharéville. Une lettre de 4 pages fait partie du dossier. Notre collègue Loïc Prud'homme s'est également mobilisé.
Le sujet est dans l'air du temps. Plusieurs prises de position nous ont incités à le mettre sur la table de l'OPECST. Nous sommes toujours prêts à mettre de tels sujets sur la table. Cette audition est ouverte au public. Je me chargerai de recenser et de relayer les questions que poseront les internautes.
Je n'ai rien de plus à dire. Nous pouvons nous lancer dans le débat.
Merci à tous. C'est un grand honneur pour moi de participer à une telle audition. Il est très important que les experts puissent s'exprimer.
Je n'ai pas prévu de vous faire un cours de biologie cellulaire. Je m'efforcerai plutôt de vous présenter la place qu'occupe cette famille de fongicides que sont les SDHI dans les pesticides. Des autorisations de mise sur le marché ont été données pour certaines molécules de cette famille depuis très longtemps. Que faut-il faire lorsque de nouvelles données arrivent ? Que devons-nous faire de ces données ?
Je suis vice-présidente de la commission sur les risques environnementaux au Haut Conseil de la santé publique. Je fais également partie de la commission de prévention et de précaution du ministère de la transition écologique et solidaire. Nous avons été sollicités en tant que groupe d'experts pour répondre à la question suivante : que devons-nous faire lorsqu'une alerte arrive après autorisation de mise sur le marché de molécules ?
L'équipe Rustin a dévoilé ses résultats expérimentaux dans une publication scientifique en novembre 2019. Le même mois, la Commission nationale déontologie et alerte en santé publique et environnement a réagi suite au signalement qui lui avait été adressé par Pierre Rustin, et a statué sur la façon dont l'alerte a été traitée par les autorités sanitaires.
Effectivement. Au CPP, il nous est demandé d'utiliser cet exemple pour regarder de quelle manière traiter ce type d'alerte.
Pour commencer, il m'a semblé nécessaire de replacer les fongicides, dont les SDHI, dans un ensemble. On ne sait pas toujours à quoi correspond le terme de pesticide. Les produits phytopharmaceutiques (ou phytosanitaires) sont utilisés pour la protection des plantes. C'est dans cette catégorie que l'on trouve les substances chimiques de synthèse, dont les fongicides et les SDHI, mais également les insecticides, les herbicides et d'autres produits. À côté de cela, nous avons les produits biocides, dans lesquels on trouve des SDHI : désinfectants, produits de protection du bois, etc. Sous le terme de pesticide se cache tout un ensemble de familles et de molécules qui n'ont absolument pas les mêmes fonctions et qui ne sont pas utilisées dans le domaine agricole. C'est pourquoi les experts parlent de produits phytopharmaceutiques.
Dans les pesticides pris au sens large, ce sont les matières actives qui ont été étudiées dans le cas des publications et des alertes relatives aux SDHI. Ces matières ont un effet direct sur la cible. Dans un pesticide, qu'il soit utilisé en agrochimie ou autre, vous avez une ou plusieurs matières actives. Vous avez également des adjuvants. Souvent, il n'en est pas tenu compte, alors qu'ils peuvent avoir des effets tout à fait importants. C'est par exemple le cas du glyphosate. Les publications de scientifiques ont souvent étudié les matières actives et pas les formulations, c'est le cas des travaux publiés récemment par l'équipe de Pierre Rustin.
Comment les produits phytopharmaceutiques sont-ils évalués sur le plan réglementaire ? Comment les autorisations sont-elles données ? Il existe évidemment un dossier sur leur efficacité. Il faut que ces produits soient efficaces sur la cible. Les risques pour le travailleur sont également évalués, de même que les risques pour le consommateur et l'environnement. Ainsi, les abeilles sont une cible particulièrement sensible. Tout ceci apparaît dans des règlements européens depuis 1991 ; des modifications ont été apportées en 2011. Ce travail est effectué par les agences nationales et européennes.
Depuis relativement peu de temps, la procédure européenne d'autorisation pour les fongicides, comme pour les autres produits phytopharmaceutiques et les biocides, se fait par zone. Il existe trois zones : nord, centre et sud ; la France appartient à la zone sud. Chaque État-membre formule ses propres demandes, mais in fine, l'autorisation de mise sur le marché des produits s'effectue au niveau européen.
Les fongicides qui sont utilisés en agrochimie et en agriculture luttent contre les pourritures qui attaquent les fruits, les légumes, la vigne, le blé, le maïs ou les semences. Ces moisissures sont des champignons unicellulaires, ou inférieurs, qui peuvent former des filaments. Ces champignons provoquent des maladies chez les plantes, mais également chez l'homme (par exemple les mycoses). D'ailleurs, des SDHI sont utilisés comme médicaments pour lutter contre les mycoses, mais ce ne sont pas ces catégories de molécules qui vont nous intéresser aujourd'hui. Les champignons inférieurs peuvent provoquer de graves intoxications chez l'homme. Les toxicologues connaissent très bien, et depuis longtemps, les mycotoxines, qui sont des substances produites par des champignons qui peuvent être extrêmement toxiques. En particulier, nous avons beaucoup étudié les aflatoxines, qui sont une famille de mycotoxines : ce sont les plus puissants cancérigènes du foie que nous connaissons. Il faut avoir conscience que la lutte contre les maladies d'origine fongique des végétaux peut être une protection de la santé humaine.
Les agriculteurs utilisent des fongicides pour lutter contre ces maladies. Il en existe de très nombreux. Tous ont une cible au niveau de la cellule. L'idée consiste à détruire les cellules qui constituent les moisissures qui attaquent les végétaux. Les SDHI appartiennent à la catégorie des inhibiteurs de la respiration cellulaire. Il existe également des inhibiteurs de la division cellulaire, des inhibiteurs de la biosynthèse des stérols, des perturbateurs de la synthèse des protéines et des perturbateurs du métabolisme des glucides. Il faut bien comprendre que bien que ce que l'on souhaite provoquer, c'est la mort de la cellule champignon, ces cibles cellulaires se retrouvent dans toutes les cellules du vivant. La question des SDHI relève donc d'un contexte général dans lequel d'autres cibles peuvent être tout aussi préoccupantes.
Les mitochondries sont ce qui nous permet de vivre. Elles sont l'usine à respiration de la cellule. Elles produisent ce que les biologistes nomment énergie cellulaire à partir du glucose et de l'oxygène. Une cascade de réactions conduit à la formation de molécules d'ATP, ces molécules hautement énergétiques qui sont utilisées dans toutes les réactions des fonctions cellulaires, notamment pour permettre la synthèse des protéines ou de l'ADN. Les réactions chimiques de la chaîne respiratoire conduisent à la formation de ces molécules ATP, ce sont ces réactions qui sont inhibées par les SDHI. On parle d'inhibiteurs de la chaîne respiratoire.
Les SDHI interviennent sur un élément, voire deux éléments pour les nouvelles molécules, de cette chaîne respiratoire : il s'agit du complexe II, avec une enzyme qui s'appelle la succinate déshydrogénase. Pour arriver jusqu'au complexe V, il existe une succession de réactions. Les molécules dites inhibiteurs du complexe II arrêtent la chaîne respiratoire : elles empêchent que la chaîne de réaction se fasse jusqu'au complexe V, celui qui est responsable de la production de la molécule hautement énergétique qu'est l'ATP.
Il existe toute une série de SDHI. Les premières ont été synthétisées en 1966. Il semblerait qu'elles ne soient plus guère utilisées. Des évolutions sont ensuite intervenues. Le mécanisme d'inhibition du SDHI sur l'enzyme est le suivant : la molécule chimique synthétisée par les chimistes (un des SDHI) se fixe sur l'enzyme et l'empêche de fonctionner. Il s'agit d'une compétition entre la molécule biologique qui est naturellement utilisée dans la chaîne respiratoire (le succinate) et le SDHI, et cette compétition est remportée par le SDHI.
Les mécanismes que vous évoquez ne sont pas du tout spécifiques aux champignons. Nous les retrouvons dans toutes les cellules eucaryotes.
Effectivement.
Des molécules peuvent-elles être autorisées uniquement dans certains pays ?
Oui. Je ne suis pas une spécialiste des SDHI, pas plus que des fongicides d'une manière générale. Je connais tout de même un peu le fonctionnement de la réglementation autour des pesticides. Certaines molécules peuvent être autorisées en France et pas dans d'autres pays. Cette question est plutôt à adresser à l'ANSES. Des molécules sont retirées en permanence, soit parce que les producteurs ne sont plus intéressés par leur commercialisation, soit parce que les autorités réglementaires en ont décidé ainsi car elles ont découvert de nouveaux problèmes.
De nouvelles molécules sont arrivées. Elles agissent sur le complexe II de la chaîne respiratoire, mais également sur le complexe III. Elles sont donc plus efficaces. Ces nouvelles molécules ont été complètement réévaluées. Ont-elles fait l'objet d'un dossier d'autorisation de mise sur le marché ou s'est-on contenté de compléter les dossiers des anciennes molécules ? Je ne le sais pas. Il faudra poser cette question à Messieurs Genet et Mullot.
Nous le ferons.
Je terminerai mon propos avec l'évaluation toxicologique des produits phytosanitaires, dont les fongicides. Les tests réglementaires sont, dans leur grande majorité, effectués sur des animaux, même s'il a été question de méthodes alternatives dans le cadre d'un autre rapport de l'OPECST, dont les tests cellulaires de génotoxicité, qui sont très lourds.
Les tests réglementaires sont essentiellement effectués sur le rat. Ils permettent de déterminer les doses journalières admissibles (DJA), doses maximales sans effet pour la santé. Ce travail est effectué par des experts en commission. Tout le problème consiste à savoir si cette dose journalière admissible est suffisante. Ne se passe-t-il pas d'autres choses, à des concentrations inférieures à celles qui ont été déterminées au moment de l'autorisation de mise sur le marché ? Les molécules qui sont utilisées depuis de nombreuses années sont-elles réévaluées ?
La toxicologie réglementaire utilise surtout des méthodes in vivo. Les toxicologues « modernes » souhaitent que des mécanismes d'action soient introduits dans les évaluations réglementaires. Cela se fait déjà systématiquement dans le médicament. L'utilisation de méthodes in vitro et in silico est également de plus en plus demandée pour les phytosanitaires, de manière à éviter l'utilisation d'animaux dans les tests réglementaires.
Des études in vitro ont été réalisées dans le cadre des nouvelles données sur les SDHI. Ces études portent sur des cultures de cellules et des extraits cellulaires, ce qui pose la question de l'extrapolation de ces données obtenues in vitro à un organisme entier. Cela pose également la question de l'introduction de nouveaux tests, qui évalueraient la mitotoxicité, c'est-à-dire la toxicité spécifique des molécules pour la mitochondrie ? Ce débat dépasse largement la question des SDHI. Souvent, ces molécules n'agissent pas directement sur l'ADN. Elles peuvent intervenir dans la promotion de la cellule transformée, qui peut évoluer vers un mécanisme de cancérogénèse. Les effets épigénétiques nous intéressent particulièrement.
Merci de votre attention. J'espère ne pas avoir été trop technique.
Merci à vous pour cette présentation. Vous parlez d'évaluation in vivo et in vitro. Les évaluations posent également question d'un point de vue épidémiologique. J'aimerais vous entendre sur ce point.
Par ailleurs, vous parlez d'évaluation toxicologique. Avec les phytosanitaires, nous ne pouvons pas nier la question environnementale.
Je n'ai évoqué que la manière dont se fait l'autorisation de mise sur le marché de ce genre de molécule et ce qu'il se passe en cas d'alerte. On peut souhaiter ne pas en arriver jusqu'à une alerte épidémiologique. On pourrait se poser de graves questions si des effets adverses apparaissaient sur des populations humaines. Cela peut se produire. Nous l'avons vu avec les insecticides, avec des pathologies qui apparaissent chez les agriculteurs. Il faut vraiment éviter d'en arriver là, d'où l'idée de prendre en compte les alertes qui sont émises.
Les premiers SDHI datent des années 60. Nous devrions donc disposer d'un certain recul.
Bien sûr, mais je ne peux pas vous en dire beaucoup plus car je ne suis pas une spécialiste des SDHI.
Le volet environnemental est évidemment très important. Il est obligatoire d'en tenir compte dans la mise sur le marché de produits phytosanitaires. J'ai participé au Grenelle de l'Environnement en tant que représentante de l'État. J'y ai demandé la diminution de 50 % de l'utilisation des produits phytosanitaires.
Je suis ce dossier de près. Selon la littérature internationale, il existe dix mécanismes biologiques de carcinogénicité. Sont-ils utilisés en toxicologie réglementaire ? Par ailleurs, 8 SDHI sur 11 provoquent des tumeurs sans génotoxicité. Avez-vous une explication sur ce phénomène ?
Concernant la cancérogénicité, les dossiers réglementaires prévoient que des tests de mutagénèse sont effectués sur des bactéries et des cellules isolées. Ils visent à voir si la substance provoque des altérations du génome. Quelques tests in vitro sont obligatoires dans les dossiers de mise sur le marché.
L'étude de la cancérogénèse se fait également in vivo, en l'occurrence, sur le rat pendant deux ans. Selon le type de produit, elle peut se faire par voie orale ou respiratoire. Il n'existe pas de recherche aussi précise que ce que vous venez de dire. En cas de doute, nous pouvons regarder s'il existe une perturbation. Ce n'est pas systématique. Je n'ai pas vu les dossiers de SDHI. Je ne sais donc pas ce qui a été recherché. Vous pourrez poser cette question à Monsieur Genet.
Il peut exister des molécules qui n'ont pas d'effet mutagène, donc qui n'agissent pas directement sur la molécule d'ADN, mais qui sont tout de même promoteur de tumeur. Il s'agit du second stade de la cancérogénèse, celui qui voit la cellule mutée devenir une cellule cancéreuse. Peut-être que Monsieur Rustin pourra mieux vous répondre que moi concernant le rôle cancérogène des SDHI. Je ne sais pas si les SDHI agissent selon ce mécanisme.
C'est la raison pour laquelle je propose à présent aux membres de l'Office d'écouter Monsieur Rustin et Madame Bénit.
Juste avant, j'aimerais que nous évoquions une autre question de fond sur l'usage des fongicides. Cette question a été transmise par le public. Que pouvez-vous nous dire de la virulence et de l'impact sanitaire des toxines produites par les champignons, notamment en cas d'agriculture sans fongicides ?
Certaines moisissures produisent ces toxines. Ces moisissures ne sont pas forcément celles que ciblent les SDHI. Elles peuvent se développer dans des silos contenant des arachides. C'est pour cela que nous n'acceptons pas les importations d'arachides venant de certains pays d'Afrique subsaharienne. Ces mycotoxines sont particulièrement dangereuses pour la santé humaine. Il peut également y avoir des contaminations dans les silos à blé ou à maïs. Ces mycotoxines peuvent avoir des impacts sanitaires non-négligeables. Elles ont été découvertes dans les années 70-80. Nous avons beaucoup travaillé sur le sujet pour comprendre leur mécanisme d'action. De ce point de vue, il est utile de pouvoir protéger les semences qui sont utilisées pour l'alimentation, y compris animale.
Permettez-moi d'intervenir sur cette question extrêmement importante. Pour lutter contre des micro-organismes, la voie chimique n'a de sens que lorsque l'infection est présente. Le traitement préventif crée un risque monstrueux de création de résistances, comme c'est le cas pour les antibiotiques utilisés chez l'homme. L'idée d'utiliser des pesticides pour lutter contre les micro-organismes de manière préventive n'est pas pertinente sur le long terme. Il existe d'autres techniques pour lutter contre la pourriture qui attaque les organismes végétaux. Il peut simplement s'agir d'aérer les milieux. Malheureusement, nous sommes passés en silos fermés, dans lesquels la pourriture des éléments est augmentée dans des proportions énormes. Il faut éviter au maximum d'utiliser des pesticides pour lutter contre les toxines. Sur le long terme, cela se révèlera catastrophique.
Monsieur Rustin, vous avez publié récemment un travail qui conclut à un risque pour les organismes exposés aux SDHI. Pouvez-vous nous en parler plus précisément ?
Tout ce que je vais vous dire est public et scientifiquement solide. J'ai préparé à votre attention un dossier avec toutes les références scientifiques. Tellement de choses sont dites que nous ne savons plus ce qui a une validité scientifique réelle.
Les SDHI sont des agents qui bloquent la respiration cellulaire qui se déroule dans les mitochondries. Toutes les cellules vivantes possèdent des mitochondries en nombre extrêmement variable (d'une dizaine à plus de 10 000). Ces mitochondries sont actives ou non. Il est extrêmement compliqué de connaître le fonctionnement des mitochondries. Les chercheurs, qui travaillent sur le sujet depuis 70 ans, n'ont découvert qu'une petite partie des fonctions mitochondriales. De nouvelles fonctions apparaissent en permanence.
Les aliments que les êtres vivants absorbent sont détruits en petits composés. Ces petits composés sont dirigés vers la mitochondrie dans les cellules. L'énergie contenue dans les aliments et libérée par la mitochondrie est utilisée pour dégager de la chaleur et, pour une partie minoritaire de l'énergie, synthétiser la molécule d'ATP. Elle est utilisée dans tout l'organisme pour assurer les fonctions vitales (coeur, cerveau, muscles), on voit donc l'importance des mitochondries. Elles peuvent d'ailleurs contrôler la mort cellulaire. En outre, beaucoup de gènes mutés produisent des cancers par l'intermédiaire des fonctions mitochondriales.
Venons-en maintenant à l'action des SDHI sur les mitochondries de tous les organismes. Une chaîne respiratoire est composée de cinq complexes qui travaillent de concert. Les SDHI bloquent le complexe II de la chaîne respiratoire. Nous connaissons très bien ce complexe, qui est probablement celui qui a été le mieux décortiqué. Nous connaissons notamment le site de fixation des SDHI sur l'enzyme. Nous savons dans le détail qui intervient, et à quel endroit.
Lorsque les SDHI se fixent sur la succinate déshydrogénase, trois conséquences sont possibles : une diminution de la production de l'ATP dans la chaîne respiratoire ; une production d'ions superoxydes ; une accumulation de succinate. Ces trois conséquences sont mêlées ; elles peuvent être variables selon le niveau de blocage de la SDH. Un petit bocage de la SDH se traduira essentiellement par la production de superoxydes. Un blocage un peu plus important affectera également la production d'ATP. Un blocage total de la SDH entraînera une accumulation de succinate. Néanmoins, un blocage partiel peut être plus dangereux qu'un blocage total.
Nous sommes des biochimistes et des généticiens, pas des toxicologues. Pour un scientifique, il n'est pas très « intéressant » de travailler sur la SDH. Le problème vient de ce que nous ne connaissons pas les maladies mitochondriales. Jusqu'en 1980-1985, ces maladies n'existaient pas dans les livres. Elles étaient considérées comme impossibles car non viables. Par la suite, la génétique a explosé. Elle a démontré qu'il existait de nombreuses mutations, dans de nombreux gènes, qui étaient à l'origine de maladies mitochondriales. L'idée selon laquelle ces maladies étaient impossibles s'est avérée complètement fausse. Les maladies mitochondriales peuvent être rares ou fréquentes. Elles touchent tous les organes et peuvent intervenir à tous les âges de la vie. Des maladies neurologiques fréquentes (Alzheimer, Parkinson) sont directement associées à une manipulation anormale de l'oxygène par les mitochondries, générant du stress oxydant, qui joue un grand rôle dans ces maladies. Or, nous n'avons aucune thérapie pour ces maladies et nous ne comprenons rien à leur évolution, qui peut être très lente ou très rapide. Les maladies mitochondriales sont effrayantes.
Quel est le niveau de consensus de la communauté scientifique sur ce point ?
Il est total sur le fait que nous ne connaissons pas grand-chose aux maladies mitochondriales. Les congrès sont toujours de cet ordre. En revanche, nous connaissons beaucoup de gènes. Nous avons nous-mêmes été impliqués dans la description des premiers gènes causant des maladies mitochondriales. La première mutation du gène de la succinate déshydrogénase causant une maladie mitochondriale a été mise en évidence en 1985. Notre problème tient au fait que nous ne comprenons rien à l'évolution de ces maladies. C'est en réfléchissant au sujet que nous en sommes venus aux SDHI. Nous avons commencé à chercher des facteurs qui pourraient intervenir dans l'évolution de ces maladies. Paule Bénit m'a suggéré de regarder au niveau de l'environnement. En utilisant un moteur de recherche pour rechercher des inhibiteurs de la respiration mitochondriale dans l'environnement, nous avons réalisé que nous en utilisions comme pesticides à grande échelle. C'est ainsi que nous sommes arrivés aux SDHI. Sachant ce que nous connaissions sur la SDH, nous sommes tombés de nos chaises. Nous avons immédiatement appelé l'ANSES. J'étais convaincu que l'ANSES se saisirait instantanément de ce problème.
Parmi les trois conséquences possibles d'un blocage de la succinate déshydrogénase, la baisse de la production d'ATP crée un certain type de maladies chez l'homme (neurologiques, myopathies, atteintes rénales). La création de superoxydes crée essentiellement des maladies neurologiques, avec une carcinogénèse liée à des mutations de l'ADN. Enfin, le blocage total de la succinate déshydrogénase, qui est peu probable avec les SDHI, aboutit à des cancers très particuliers.
De quels cancers est-il question ? Le lien est-il certain ?
Pour le moment, il s'agit de cancers des voies neurologiques, ils surviennent pour des mutations identifiées. Ils sont extrêmement rares car il faut bloquer complètement les enzymes, mais leurs mécanismes sont très intéressants pour les chercheurs. Le sujet est fascinant pour les scientifiques, mais il n'a probablement pas un grand intérêt du point de vue des SDHI. Les superoxydes et la cancérogénèse classique sont plus intéressants. Les SDHI produisent des superoxydes. Ce point a été mesuré et démontré. Avec des superoxydes dans le système, tout peut arriver en termes de cancer. Personne ne pourra dire le contraire.
La SDH est conservée extrêmement fortement au cours de l'évolution. Tous les gènes qui codent pour cette enzyme sont les mêmes quels que soient les organismes, du champignon jusqu'à l'homme. Les alignements de séquences sont spectaculaires car ils montrent l'analogie de tous les gènes dans tous les organismes. On peut logiquement prédire que les SDHI bloqueront la SDH de tous les organismes. Je ne connais pas d'inhibiteur de la SDH qui soit spécifique à un organisme.
Certains pesticides sont très spécifiques aux champignons, ils ne présentent donc pas de danger pour l'homme. Cela ne vaut pas pour les SDHI, qui ne présentent aucune spécificité. Nous le savons depuis 44 ans. Or ce point n'est jamais évoqué, que ce soit par les firmes qui les commercialisent ou par l'ANSES.
Nous avons simplement vérifié que les SDHI bloquaient la succinate déshydrogénase dans de nombreuses espèces. Nous avons étudié 8 des 11 SDHI utilisés en France, sachant que les doses sont extraordinairement difficiles à contrôler, en particulier dans les différents tissus humains. Les SDHI sont des molécules hydrophobes qui s'accumulent très spécifiquement dans l'organisme.
Nous avons ensuite étudié la toxicité des SDHI pour les cellules humaines avec une approche particulière. Si vous mettez du glucose dans les cultures cellulaires, les cellules n'ont plus besoin de leurs mitochondries car elles peuvent générer de l'ATP directement à partir du glucose. En retirant le glucose, la croissance et la survie cellulaires dépendent des mitochondries, on peut donc savoir si un composé est toxique pour les cellules, via les mitochondries. C'est ainsi que nous sommes arrivés à la conclusion que les SDHI étaient catastrophiques pour les cellules humaines. Les SDHI entraînent la mort cellulaire dès lors qu'il n'y a pas de sucre dans le milieu. Or les tests réglementaires sont réalisés en présence de sucre. Ces tests n'ont donc aucune valeur.
Les superoxydes dismutases sont des enzymes marqueurs de la production de superoxydes, responsable du stress oxydant. Les SDHI induisent-ils les superoxydes dismutases ? Les cellules se mettent-elles à accumuler des défenses contre les superoxydes ? La réponse est positive. Les cellules humaines traitées avec des SDHI détectent la production de superoxydes, d'où une induction de la superoxyde dismutase. Indépendamment du blocage ou non de la respiration, les SDHI créent un problème majeur car ces superoxydes sont hautement cancérigènes. Les expériences faites avec glucose n'ont aucun rapport avec la mort cellulaire ou la respiration.
Or, des parties de la population sont surexposées aux SDHI. J'étais convaincu que l'ANSES s'emparerait du sujet et prendrait des mesures immédiatement. Il n'en a rien été. Les SDHI ne présentent pas de spécificités en termes d'espèces ou de cibles. Les SDHI de nouvelle génération bloquent de nouveaux composants de la chaîne respiratoire.
Les tests réglementaires tels qu'ils sont réalisés n'ont pas de valeur. C'est également le cas de la plupart des modèles qui sont utilisés avec des rongeurs. Les cancers liés à la SDH sont liés à l'épigénétique, et pas du tout à de la mutagénèse classique. Les SDHI sont parfaitement capables d'induire des tumeurs chez le rongeur, mais ce ne sont pas les mêmes tumeurs que chez l'homme, et nous ne sommes pas capables d'induire chez le rongeur les tumeurs telles que nous les observons chez l'homme. Il ne sert donc à rien d'utiliser des rongeurs pour étudier la cancérogénicité des molécules.
Des molécules ayant subi les mêmes tests que les SDHI ont déjà été retirées. Elles visaient également la respiration et présentaient une toxicité identique, si ce n'est qu'elles impactaient le complexe I et non le complexe II. Ces substances, qui étaient utilisées comme insecticides, avaient passé les tests sans aucun problème. Elles ont été arrêtées lorsqu'il est apparu qu'elles avaient déclenché une vague de maladies de Parkinson.
Monsanto donne une information mensongère aux agriculteurs. Quand on traite un champ de colza avec du SDHI, leur publicité donne l'impression que le rendement du champ augmente quasiment de moitié. En réalité, cette impression d'un effet spectaculaire n'est pas vraie du tout, puisque la variation est de 2 à 3 %, et il n'existe même pas d'écart type. L'image qui est présentée aux agriculteurs est donc totalement mensongère.
La présentation des chiffres est importante. Ce que vous venez de montrer est clairement une escroquerie de présentation.
Je voudrais revenir sur la non-spécificité des SDHI, qui est revendiquée par les firmes elles-mêmes. Qu'en est-il réellement de cette non-spécificité ? Concerne-t-elle uniquement les SDHI ou faut-il avoir le même niveau d'inquiétude pour l'ensemble des pesticides ?
À des doses énormes, les pesticides ne sont plus spécifiques. À des faibles doses, ils présentent un certain degré de spécificité que nous n'avons pas avec les SDHI.
Les fongicides ont différentes cibles. Il n'y a pas que la mitochondrie. Il peut également y avoir la division cellulaire ou la membrane. Ces cibles se retrouvent de manière systématique dans toutes les cellules eucaryotes. C'est une question de cinétique dans l'organisme. L'organisme humain est complexe. Il ne présente pas la même cinétique d'absorption et d'élimination qu'un organisme unicellulaire comme une moisissure. Ce point est pris en compte.
Les insecticides ont des cibles que l'on retrouve chez l'homme. En revanche, les herbicides ont des cibles spécifiques aux végétaux. La problématique est donc différente. Des études toxicologiques ont tout de même été effectuées pour évaluer l'impact des herbicides chez l'homme.
L'argument de la non-spécificité des SDHI est donc valide.
C'est toute la problématique de l'utilisation de molécules chimiques qui ciblent des fonctions cellulaires qu'on retrouve chez tous les organismes vivants. C'est également une question de relation dose-effet. Ce débat important dépasse très largement la question des SDHI.
Pas forcément. Les pathologies mitochondriales sont extrêmement compliquées. Leur évolution est très lente. Tout n'est pas équivalent. Ce n'est pas la même chose de bloquer la réplication de l'ADN et de bloquer partiellement une fonction mitochondriale. Les conséquences sont complètement différentes sur les pathologies et leur évolution. Tous les biochimistes ne connaissent pas les mitochondries. Les pathologies mitochondriales sont très compliquées.
En Gironde, région dont je suis issue, les viticulteurs peuvent difficilement se passer de ce type de substance. Existe-t-il une épidémiologie des maladies mitochondriales par région ?
Je n'ai pas de compétence particulière pour répondre à cette question. De nombreuses agricultrices qui ont perdu leur mari m'ont écrit, mais je ne sais pas quelle est la valeur épidémiologique. Je ne sais pas si le sujet a été étudié. Il serait extrêmement difficile d'avoir des certitudes sans connaître les taux d'exposition des personnes.
L'INSERM a été sollicité pour une révision de l'expertise collective sur les pesticides, qui date de 2013. Toutes les pathologies associées à l'exposition aux pesticides ont été prises en compte. Cette révision est quasiment terminée. Elle sera vraisemblablement publiée dans les 2 à 3 mois. Vous disposerez alors de données plus précises sur l'exposition aux phytosanitaires. Toutefois, je ne crois pas que les données seront présentées par région.
D'un côté, Monsieur Rustin nous explique que les SDHI ne présentent aucune spécificité. Ils s'attaquent à toutes les mitochondries, quels que soient les organismes. D'un autre côté, si les SDHI s'attaquaient aux espèces cultivées, ils ne seraient pas utilisés. Comment les SDHI peuvent-ils davantage impacter les champignons indésirables que les cultures elles-mêmes ?
Je vous livre d'autres questions posées par les internautes. Elles sont très variables et je vous les donne en l'état. Qui finance le site endsdhi.com, et pour quel montant ? La science est-elle crédible quand son contributeur s'allie à des associations militant pour l'interdiction des seuls pesticides de synthèse ?
Pensez-vous qu'il faille remettre en cause toutes les autorisations délivrées par l'ANSES, ou cela ne concerne-t-il que les autorisations relatives aux SDHI ?
Enfin, pourquoi faire une équivalence entre exposition aux SDHI et maladies mitochondriales qui impliquerait une inhibition de toutes les SDH de l'organisme ? Quel serait le déclencheur ?
Une plante est recouverte d'une cuticule de cire qui contient des petits pores qui permettent des échanges gazeux. Lorsqu'il pleut la nuit, les SDHI descendent dans le sol au lieu de se déposer sur les feuilles, qui sont imperméables. Dès lors, les racines pompent les SDHI et le blé meurt. Les végétaux résistent aux SDHI car ils sont relativement imperméables à tout. En revanche, ils meurent s'ils pompent les pesticides par les racines.
Les feuilles peuvent également absorber directement durant la journée. Elles ne sont pas imperméables.
Il faut le montrer. J'ai travaillé pendant 10 ans sur le kalanchoe, qui est une plante du désert, et sur la capacité de ses feuilles à avoir des échanges gazeux. Les plantes résistent car la plupart des choses qu'elles absorbent passent par les racines.
C'est moi qui finance le site endsdhi.com. Je paie 1,50 euro par mois. Le site a été fabriqué par mon fils. Je le mets moi-même à jour.
Je ne suis pas militant. Je ne suis membre d'aucun parti politique, ni d'aucune ONG. Je suis ce qu'on appelle un « rat de laboratoire ». Des gens ont donné un écho à ce qu'on a dit. Nous sommes ouverts à toute personne qui souhaite s'emparer du sujet. Des ONG l'ont fait. C'est très bien comme ça. Si d'autres veulent le faire, ce sera avec plaisir.
Au départ, nous avons contacté l'association Pollinis pour avoir de la visibilité. Ils nous ont apporté 10 000 euros de financement. C'est tout ce que nous avons reçu.
L'inertie de l'ANSES nous a posé un problème de prise en charge de la question.
Quel est l'ordre de grandeur des budgets de fonctionnement que vous avez utilisés pour l'ensemble de vos recherches ?
Nous avons dépensé moins de 10 000 euros pour les SDHI, hors salaires.
Les 10 000 euros qui ont été évoqués sont-ils une partie négligeable ou importante ?
C'est beaucoup par rapport au petit matériel, mais négligeable par rapport à nos salaires sur 2 ans. Un laboratoire qui a l'habitude pourrait réaliser en 15 jours ou en un mois les expérimentations que nous avons faites sur les cellules. Il est inadmissible que l'ANSES, qui a été prévenue en 2017, n'ait pas renouvelé nos expérimentations dans ses laboratoires. Ils auraient pu répondre à la question de la non-spécificité en 15 jours. Leur rapport est d'une indigence monstrueuse. Il est inadmissible qu'une agence publique se soit comportée de la sorte. Sur une telle question de santé publique, elle aurait dû agir vite. Cela ne leur aurait pas coûté très cher. Il est incroyable que nous n'ayons pas été associés à une expertise sur les SDHI, alors que nous étions les mieux placés pour intervenir. J'avais pourtant demandé à l'ANSES d'être partie prenante.
Quels liens voyez-vous entre exposition aux SDHI et maladies mitochondriales ?
Le résultat d'un blocage de la chaîne respiratoire, que ce soit par un mécanisme génétique ou chimique, est identique : l'activité de respiration des cellules diminue. Cela peut être de manière partielle ou totale. Les maladies génétiques ne sont pas toujours associées à des blocages importants. Dans le foie, 10 % de baisse d'activité mitochondriale peut causer un problème hépatique. Inversement, les blocages chimiques tels qu'on peut les obtenir avec des SDHI peuvent être importants, selon les doses et les concentrations dans les tissus. Personne n'en sait rien pour le moment. Personne, à l'ANSES, ne peut m'affirmer que le cerveau humain accumule plus ou moins de SDHI.
Avez-vous observé une augmentation de la fréquence des tumeurs chez l'être humain depuis que les SDHI sont utilisés ?
Dans vos conclusions, vous recommandez de modifier d'urgence les tests réglementaires. Quels tests aimeriez-vous modifier ? Quels tests souhaitez-vous introduire dans l'homologation des produits phytosanitaires ?
Il est extrêmement difficile d'établir un lien direct avec un seul produit, d'abord parce que nous sommes soumis à des centaines de pesticides qui sont dans la nature, ensuite parce que la durée de vie des SDHI est de 5 à 10 ans. Au-delà, ils deviennent totalement inefficaces et sont retirés du marché. Leurs « petits frères » arrivent derrière, avec une toute petite modification. Ils ont le même effet, voire pire. La dernière génération de SDHI inhibe non seulement le complexe II, mais également le complexe III de la respiration cellulaire. À chaque fois, ce qui est considéré comme un nouveau produit est quasiment la même chose que le produit précédent, avec les mêmes modes d'action.
La première étude sur la cohorte AGRICAN date de 2014. Une actualisation a été publiée le mois dernier. Elle démontre que certains cancers ont augmenté (peau, prostate).
t. - Non. La comparaison se fait par rapport à la population générale, mais nous sommes tous de plus en plus imprégnés. Les pesticides sont partout, dans l'eau que nous buvons et dans l'air que nous respirons.
On peut tout de même dire que les maladies de Parkinson et d'Alzheimer progressent. Les conséquences que l'on peut prévoir des SDHI sont des atteintes neurologiques. Il n'existe pas de lien établi, mais le principe de précaution devrait nous conduire à arrêter. Il s'agit d'un principe de base de notre constitution.
Il fait effectivement partie du bloc constitutionnel, mais dans un sens différent de celui que vous évoquez.
Mais qui est celui que tout le monde comprend, et c'est celui-là que j'aime bien. Le monde politique a écrit des choses qui sont incompréhensibles par la population. Cette ambiguïté est inadmissible. Par exemple, comment peut-on interdire les pesticides à un endroit parce qu'ils sont dangereux, et les autoriser à un autre endroit ? S'ils sont dangereux, ils doivent être interdits partout.
Il existe un débat sur la notion de risque acceptable. Il est majeur. Toutefois, le sujet de cette audition est suffisamment complexe pour que nous restions focalisés sur les SDHI.
Je ne crois pas que vous ayez répondu à l'une de mes questions : quels tests réglementaires faudrait-il mettre en place pour éviter qu'une molécule qui pose problème ne soit remplacée par une molécule qui lui est quasiment identique ?
Ces cinquante dernières années, nous avons modifié plusieurs fois les tests réglementaires. La communauté des toxicologues et une partie des scientifiques sont convaincues qu'on peut garantir l'innocuité des molécules. Ma conviction personnelle est qu'on ne peut pas garantir l'innocuité des molécules en modifiant les tests. Le rapport bénéfice-risque est central. Les SDHI sont utilisés dans un certain nombre de domaines où ils devraient être interdits car leur utilité n'a pas été démontrée.
J'ai du mal à comprendre que le gain de productivité mineur que vous avez soulevé justifie un usage portant lieu à controverses.
Nous avons questionné la FNSEA, l'UIPP et l'ANSES sur l'influence des SDHI dans les rendements. Aucune de ces organisations n'a été capable de nous donner le moindre chiffre. Les seules données que nous possédons proviennent de firmes comme Monsanto, qui les distribuent aux agriculteurs. C'est insupportable. Le bénéfice-risque des SDHI n'est même pas démontré.
La communauté scientifique travaille sur la recrudescence des maladies de type Alzheimer ou Parkinson. De votre côté, vous travaillez sur quelque chose d'extrêmement spécifique que beaucoup de gens découvrent. Existe-t-il des croisements entre vous ? La communauté scientifique intègre-t-elle vos travaux dans ses recherches ?
Oui. Nous avons publié un appel dans Le Monde d'hier. Parmi les signataires figurent de nombreuses personnes qui travaillent sur Parkinson et Alzheimer. J'ai réuni un comité international de scientifiques ; il comprend une personne spécialisée dans la maladie de Parkinson.
Je vous remercie de votre participation et du caractère très clair de vos réponses.
Merci beaucoup. Je voudrais d'abord remercier l'OPECST pour l'organisation de cette audition, dans la continuité du rapport que vous avez publié en mai dernier et qui a parfaitement résumé le fonctionnement des agences d'expertise sanitaire. J'espère que cette audition contribuera à resituer le débat dans le cadre scientifique qui lui convient, alors que la problématique qui est aujourd'hui soulevée par les SDHI me semble être davantage d'ordre sociétal que scientifique.
L'interdiction des pesticides en France relève d'un choix de société ; elle n'entre pas dans les missions de l'ANSES. L'ANSES a pour mission d'évaluer l'innocuité et l'efficacité des produits réglementés, notamment phytopharmaceutiques, qui sont mis sur le marché. L'enjeu consiste à protéger les populations. Il est de définir les conditions dans lesquelles ces produits peuvent être utilisés, avec un impact qui ne soit pas inacceptable sur l'homme et sur l'environnement. C'est dans ce but que le gouvernement a confié à une agence sanitaire le soin d'évaluer ces produits.
L'ANSES a pour mission d'évaluer à la fois les médicaments vétérinaires, les produits phytosanitaires et les produits biocides. Nos avis sont pris sur la base d'experts scientifiques qui viennent du monde académique. Nous évaluons ces produits avec rigueur et sur une base scientifique.
On oppose souvent la science réglementaire et la science académique. Sur cette question des SDHI, il ne s'agit pas de cela. Tout nouvel élément dans la littérature scientifique est pris en compte par l'agence pour réviser ses évaluations de risques dans le cadre des autorisations de mise sur le marché. C'est l'analyse de la littérature scientifique qui nous a conduits à délivrer l'avis de janvier 2019 sur les SDHI. Cet avis a été coordonné par Monsieur Mullot et conduit par un groupe d'expertise collective en urgence.
Pour l'agence, les pesticides ne sont pas des produits anodins. Monsieur Rustin et ses collaborateurs ont lancé un signalement en avril 2018 par une tribune dans Libération. Cette alerte sur les risques potentiels des fongicides a été prise en compte et traitée selon les méthodes que nous déployons habituellement. Nous mettons en place un groupe d'expertise collective en urgence. Ces groupes pluridisciplinaires allient plusieurs compétences. Nous ne lançons pas d'appel à candidatures, comme nous le faisons pour sélectionner nos comités d'experts, car nous devons répondre dans les meilleurs délais.
Quelle est la taille de ce groupe d'étude ? Comment les recrutements ont-ils été effectués ?
Ce groupe spécifique était constitué de quatre experts. C'est assez habituel. Lorsque nous répondons à des saisines en urgence et que nous avons besoin d'une évaluation rapide, nous nommons des rapporteurs parmi nos collectifs d'experts. Ces rapporteurs connaissent le fonctionnement de l'agence et l'évaluation. Ils rapportent à des cabinets d'experts spécialisés dont l'agence dispose. En l'occurrence, nous en sommes à la troisième auto-saisine de l'agence. Nous avons d'abord eu une saisine en urgence conduite par ce groupe, dont l'objectif était de valider une hypothèse sur une alerte : l'inhibition des succinates déshydrogénases qui sont impliqués dans la respiration cellulaire mitochondriale peut-elle entraîner des effets comparables à ceux identifiés chez les malades porteurs de mutation, associés à certains cancers rares, du gène de cette succinate déshydrogénase ? C'est à cette question que le groupe a répondu.
Le périmètre de la première saisine visait donc à analyser si l'exposition aux SDHI pouvait entraîner des effets comparables à des mutations génétiques impliquées dans certains cancers.
C'est exactement la question que nous a posée Pierre Rustin lorsqu'il a contacté l'agence en novembre 2017. Nous lui avons proposé d'ouvrir nos dossiers d'évaluation des produits sur le marché afin qu'il puisse prendre connaissance des données toxicologiques dont nous disposions. Au regard de l'alerte de 2018, c'est la question qui était posée. J'ai souhaité que le groupe se concentre non sur la réévaluation des produits, mais sur la qualification de cette alerte. Y avait-il alerte sanitaire ou non au regard de l'hypothèse présentée ? À cette époque, Pierre Rustin ne nous a pas fourni d'articles ou de données expérimentales. PLOS One a publié un article scientifique en fin d'année 2019, soit largement après que nous ayons rendu notre avis, et il porte de toutes autres hypothèses que celles qui avaient été avancées, et auxquelles le groupe d'expert a répondues.
Quel type de revue est PLOS One ?
Il s'agit d'une revue en ligne internationale d'un bon niveau scientifique, sans être exceptionnelle.
Par la suite, l'agence s'est auto-saisie afin de réviser l'avis de 2019 en élargissant les questions posées. L'agence s'est également auto-saisie sur les risques agrégés liés à l'exposition de l'ensemble des produits de la famille des SDHI. Il existe donc trois saisines de l'agence. Il en est une à laquelle nous avons répondu en janvier 2019, et les deux autres sont en cours.
En 2018, le groupe d'experts en urgence a procédé à l'examen de l'ensemble des données disponibles et pertinentes au regard de la question posée (études épidémiologiques, études expérimentales chez l'animal, études chez l'homme). Il s'est également appuyé sur des données issues de dispositifs de contrôle, de surveillance et de vigilance. Le comité a aussi procédé à des auditions, notamment des scientifiques qui avaient lancé l'alerte. Le rapport a été rendu en janvier 2019. Le temps important entre la saisine et le rendu témoigne de la nécessité d'approfondir les questions.
L'agence est arrivée à la conclusion que les données examinées n'indiquaient pas d'augmentation de l'incidence des cancers associée au déficit de l'enzyme succinate déshydrogénase et que le niveau des expositions alimentaires totales rapportées aux seuils toxicologiques actuellement établis est très faible. Nous conduisons régulièrement des enquêtes d'alimentation totale.
De quoi s'agit-il ?
Il s'agit d'un mécanisme d'évaluation d'expertise que l'agence met en place de manière très régulière. Il nous permet de mesurer l'exposition réelle des Français aux pesticides par la voie alimentaire. Nous retrouvons, dans la dernière enquête alimentation totale, des échantillons qui contiennent des SDHI. Le plus utilisé est le boscalid. Nous retrouvons des taux de boscalid dans 3 % des échantillons qui ont été analysés, à un niveau 100 fois inférieur à la dose journalière admissible.
Qu'est-ce que le boscalid ?
Il s'agit de l'une des 11 substances actives autorisées au niveau européen qui fait partie de la famille des inhibiteurs de SDH. En France, 52 produits contenant une ou plusieurs de ces 11 substances actives bénéficient d'une autorisation de mise sur le marché.
L'évaluation des produits phytosanitaires repose sur un double mécanisme. Dans un premier temps, les substances actives sont autorisées au niveau européen. Elles sont régulièrement révisées. D'ailleurs, l'autorisation de plusieurs de ces substances arrivera à échéance dans les trois prochaines années. Dans un second temps, l'agence délivre des autorisations de mise sur le marché en France des produits qui contiennent ces substances actives. Aujourd'hui, cela concerne 54 produits.
L'alimentation varie en fonction des territoires, des habitudes familiales ou des moyens des ménages. Comment en tenez-vous compte ?
Nous réalisons d'abord une étude sur les habitudes de consommation des Français. Il s'agit de grandes enquêtes réalisées sur l'ensemble du territoire national sur la base d'un échantillon statistique de la population. À partir de ces habitudes alimentaires, nous identifions les aliments qui sont consommés et nous les regroupons par catégories afin d'illustrer la réalité de la consommation des Français. Cela nous permet de mesurer les résidus de produits chimiques auxquels nos concitoyens sont exposés. L'analyse d'autres dispositifs de vigilance comme la phytopharmacovigilance nous donne un feedback des autorisations de mise sur le marché. Au besoin, nous pouvons réviser les évaluations de risques au regard de l'exposition telle qu'elle est réellement constatée.
Le rapport de 2019 a donc conclu à l'absence d'alerte sanitaire, ainsi qu'à la nécessité de renforcer les recherches sur le potentiel toxicologique de ces substances, de surveiller les éventuels effets sanitaires qui se manifestent sur le terrain et d'étendre la vigilance à l'échelle européenne et internationale. Depuis janvier 2019, l'ANSES s'est consacrée à mettre en oeuvre ces recommandations.
Concernant l'exploration d'éventuels effets sanitaires, nous avons sollicité l'INSERM, qui révise actuellement son expertise collective « pesticides et santé » de 2011. Nous lui avons demandé d'inclure un volet sur les SDHI. Le rapport final de l'expertise collective de l'INSERM devrait être disponible fin avril.
Nous avons échangé avec des chercheurs sur le type de recherche qui pourrait être financée afin de diminuer l'incertitude sur la toxicité des SDHI. Nous finançons une étude à hauteur de 450 000 euros, sur notre budget, pour explorer les données des registres nationaux du paragangliome héréditaire, qui est lié une mutation des gènes SDH.
Nous finançons également deux programmes de recherche qui visent à préciser les modes d'action des SDHI et à développer une matrice sur les substances toxiques pour la mitochondrie. Avec AGRICAN, nous disposons d'une cohorte d'agriculteurs qui nous permet de surveiller l'épidémiologie de cette population.
Nous avons renforcé les contrôles concernant l'exposition des populations par des collectes de données via notre programme de phytopharmacovigilance créé par la loi de 2014. Des études sont en cours sur la surveillance de la contamination de l'air, du sol et de l'alimentation. Ces études, qui concernent tous les pesticides, prennent en compte spécifiquement les SDHI.
Tout ceci prouve que nous ne sommes pas restés sans rien faire. Nous avons besoin des lanceurs d'alerte.
Parallèlement, l'agence s'est auto-saisie à deux reprises : d'une part sur les effets agrégés de l'exposition à l'ensemble des substances SDHI par les différentes voies d'exposition (alimentaire, respiratoire) ; d'autre part, nous avons relayé le signalement au niveau européen et international, de manière à vérifier si des alertes allant dans le même sens avaient déjà été émises. Une substance active est en cours de réévaluation, tandis que trois nouvelles substances actives SDHI sont en cours d'examen au niveau communautaire. Nous avons alerté les États-membres qui évaluent ces substances de l'hypothèse avancée par le groupe de Monsieur Rustin. Nous en tiendrons évidemment compte dans la revue qui sera faite.
À ce jour, que ce soit en France ou ailleurs, aucun élément n'est venu confirmer l'existence d'une alerte sanitaire qui pourrait conduire au retrait des autorisations de mise sur le marché des produits qui contiennent ces substances actives. L'agence est extrêmement rigoureuse sur ce point. Elle assoit son évaluation sur des faits scientifiques. Aujourd'hui, nous avons un nombre très limité d'articles provenant d'une équipe. Aucune autre alerte n'a été lancée. Or le croisement des sources est la base de l'expertise collective. Nous avons besoin d'autres approches.
La commission nationale de la déontologie et des alertes en santé publique et environnementale a produit un rapport qui aboutit à la conclusion suivante : « les informations rapportées dans cet article sont sujettes à discussion en raison des incertitudes expérimentales relevées. Le lien entre un effet inhibiteur des fongicides sur l'activité de la SDH et une induction de pathologie chez l'homme n'est pas recevable ».
Je rappelle que le rôle de la cnDAspe consiste à évaluer la manière dont les alertes sont traitées. En novembre 2019, elle a évalué la manière dont vous aviez traité le signalement effectué par l'équipe évoquée.
La cnDAspe a conclu que l'ANSES avait traité le signalement qui lui avait été transmis par l'équipe de chercheurs de manière réactive et approfondie en informant les autorités compétentes européennes et américaines et en engageant des financements importants pour améliorer les connaissances sur l'effet des SDHI.
Il s'agit bien du périmètre de la première saisine, à savoir le lien entre l'exposition aux SDHI et certaines maladies.
Absolument. Aujourd'hui, il n'existe pas d'élément suffisamment probant pour que nous puissions considérer que les éléments scientifiques apportés créent un doute sur l'évaluation qui a été conduite au niveau européen de ces substances actives, dont certaines sont utilisées depuis plus de 40 ans.
L'ANSES est une agence scientifique. Nous sommes tout à fait prêts à réviser nos méthodes et nos avis. Nous le faisons très régulièrement. Simplement, pour interdire l'usage de ces produits en France, comme certaines parties le demandent, il faudrait que nous disposions d'éléments scientifiques suffisamment probants.
Ces dernières années, nous avons retiré des autorisations de mise sur le marché pour un ensemble de substances, dont l'époxiconazole, un fongicide utilisé sur des grandes cultures de manière beaucoup plus abondante que les SDHI. Nous avons conduit une évaluation extrêmement rapide du caractère perturbateur endocrinien de l'époxiconazole sur la base des nouveaux critères européens retenus pour l'évaluation. Nous avons retiré les autorisations de mise sur le marché de ces produits en avance de phase, sans attendre les décisions communautaires, car nous avons estimé que le caractère dangereux de ces substances le justifiait. Qui plus est, la France avait demandé dès 2014 à la Commission de réévaluer en urgence cette famille de produits.
S'agissant des produits à base de SDHI, nous ne disposons pas d'éléments qui permettraient à la France d'appuyer une demande de réexamen en urgence de ces substances, mais nous restons vigilants.
Des centaines de scientifiques de différentes institutions se sont exprimés, notamment par le biais de tribunes. Comment évaluez-vous leurs contributions ?
Ces vingt dernières années, une quinzaine d'articles ont porté sur les pathologies liées à des inhibitions ou des mutations du gène de la succinate déshydrogénase mitochondriale. Pour l'essentiel, ils provenaient de Pierre Rustin et de ses collaborateurs. La tribune qui a été publiée dans Le Monde a été préparée par un groupe de chercheurs. À ma connaissance, ceux qui ne sont pas français n'ont pas lancé d'alerte dans leurs pays respectifs, ou approché leurs autorités sanitaires. Cette tribune a été signée par 450 scientifiques. Cette signature relève davantage de la pétition que de la contribution. Il ne s'agit pas de 450 scientifiques qui se sont penchés sur cette question. Ce sont 450 scientifiques qui ont signé une pétition de soutien à l'équipe de Pierre Rustin.
On oppose souvent les experts des agences sanitaires aux scientifiques du monde académique. Or, ce sont les mêmes personnes. Nous recrutons, dans nos comités d'experts, des scientifiques de l'INRA, du CNRS, de l'INSERM et des universités. Jamais l'agence ne remet en cause l'avis de ces experts. On ne peut pas opposer les bons chercheurs académiques aux mauvais experts des agences sanitaires. Encore une fois, ce sont les mêmes personnes. Nous venons de lancer un appel à candidatures pour renouveler nos comités d'experts. Je serais très heureux que les chercheurs qui se sentent impliqués répondent et participent à nos groupes d'experts. Nous avons besoin d'eux.
Je confirme que les experts qui interviennent dans les comités d'études spécialisés de l'ANSES sont mes collègues. Ce sont uniquement des chercheurs académiques, qui font cela en plus de leurs autres activités.
Intervenant en tant que témoin extérieur, je ne connais pas bien la question des SDHI. J'ai donc regardé ce qui avait été publié dans PubMed sur l'impact des SDHI. J'ai trouvé très peu de choses. Cela m'a surprise. Est-ce à dire que depuis 1966, la communauté scientifique ne s'est pas franchement penchée sur cette problématique ? Ce serait assez étonnant.
Par ailleurs, Monsieur Rustin a évoqué une possible accumulation de SDHI, en particulier dans le cerveau. Cela m'a surprise car je pensais que ces molécules s'éliminaient rapidement, et la métabolisation de ces molécules est censée être évaluée dans le cadre d'une délivrance d'autorisation de mise sur le marché.
Sur quoi portent les quelques publications autour des SDHI que vous avez trouvées dans PubMed ?
J'ai trouvé moins de dix publications sur l'impact sanitaire des SDHI. C'est vraiment très peu. J'ai peut-être mal cherché. Néanmoins, je crois qu'il y a peu de choses. Certaines publications portent sur les mécanismes d'action des SDHI. L'une d'entre elles va dans le même sens que ce qui a été montré dans PLOS One.
Avez-vous été surprise du très faible nombre d'études pour des produits qui sont utilisés depuis un demi-siècle ?
Oui. J'ai regardé de près la publication de PLOS One qui repose sur des expériences in vitro. Les conclusions qui en sont tirées dépassent ce qu'une scientifique comme moi peut dire. Les données sont là, les expériences ont été correctement faites. Elles reposent d'ailleurs en partie sur des données que l'on trouve sur Internet, c'est le cas de la comparaison de la séquence du gène de la succinate déshydrogénase entre différentes espèces.
D'après les spécialistes internationaux du cancer, dix processus biologiques interviennent dans la carcinogénicité. Aujourd'hui, seule la génotoxicité est retenue par la toxicologie réglementaire. Pourriez-vous réviser vos méthodes d'évaluation en conséquence ?
J'ai précisé que des études de cancérogénèse étaient effectuées sur le rat pendant deux ans.
Par ailleurs, si la littérature scientifique peut sembler manquer de données s'agissant des effets des SDHI sur l'être humain, elle est abondante sur les effets des SDHI sur les écosystèmes et les rongeurs. Ne faudrait-il pas tenir compte de ces données sur la biodiversité pour renseigner la potentielle toxicité des substances actives SDHI sur la santé de l'être humain, alors que la non-spécificité de la cible des SDHI semble faire consensus ?
Chaque évaluation des produits réglementés prend en compte les effets sur l'homme, sur l'environnement et sur les organismes cibles, en discriminant l'effet sur les utilisateurs, sur les personnes à proximité et sur les consommateurs. Cela entre complètement dans les données qui sont demandées dans le cadre réglementaire. Je rappelle qu'il n'a pas été demandé au groupe d'expertise collective d'urgence (GECU) de réévaluer ces produits. L'évaluation au niveau européen et national est conduite dans un autre cadre.
J'ai également fait une recherche dans PubMed. J'ai trouvé 120 études disponibles sur l'effet des inhibiteurs de la SDH, dont 95 réalisées au cours des cinq dernières années. Ces études portent surtout sur l'acquisition de résistance aux inhibiteurs de SDH, sur des effets non-ciblés, sur des modifications génétiques associées et sur le développement du poisson zèbre. Il n'y a donc pas beaucoup d'études toxicologiques dans la littérature académique.
L'article de Pierre Rustin est intéressant. Il fait un point sur la non-spécificité. Les médicaments, les produits phytosanitaires et les produits biocides sont toxiques par construction. Ils visent une cible particulière. C'est l'usage qui fait qu'il n'existe pas de risque inacceptable pour l'homme ou l'environnement, dans les conditions d'utilisation.
Visiblement, ce n'est pas ce qui a été conclu avec Madame Marano au regard des SDHI.
Je n'ai pas dit cela. J'ai dit qu'on déterminait des doses sans effet et des doses journalières acceptables. Ma présentation était très générale. Les cibles mitochondriales sont générales chez tous les eucaryotes. Il faut pouvoir répondre à la question que j'ai posée sur la cinétique dans un organisme.
L'article de Pierre Rustin souligne que ces substances sont toxiques sur des lignées cellulaires isolées. Ce n'est pas inattendu. C'était déjà décrit dans la littérature. Il conclut qu'il n'existe pas de test homologué au niveau européen qui prenne spécifiquement en compte la toxicité mitochondriale, qui pourrait être sous-estimée dans les tests in vitro. Je crois qu'il a raison. Cela remet-il en cause l'évaluation des produits telle qu'elle est conduite ? Bien sûr que non. Au-delà des tests in vitro, nous prenons en compte des études in vivo intégratives, c'est-à-dire qui intègrent les mécanismes d'action mitochondriaux et autres. Ces études in vivo ne renvoient aucun signal faisant craindre un risque sanitaire.
Les tests réglementaires devraient mieux prendre en compte ce type de toxicité. Pour autant, ce n'est pas suffisant pour remettre en cause l'évaluation qui est réalisée à partir des données disponibles.
Je représente le groupe d'expertise collective d'urgence qui a rendu l'avis de 2018. Cet avis reposait sur une alerte bien précise, sur la base des données disponibles à cette époque. Ainsi, je ne peux pas me prononcer sur la question des incidences sur le cerveau. Nous n'avons pas réalisé de revue exhaustive des données PLOS One de 2019.
La littérature scientifique est très fournie sur l'inhibition du SDH constitutionnelle, héréditaire ou congénitale. Elle est également très fournie sur les mécanismes de résistance des champignons, qui sont les cibles des SDHI. En revanche, il n'existe que quelques publications sur l'évaluation, majoritairement in vitro, du risque sanitaire humain des SDHI.
Nous avons dit quelques mots, dans l'avis du GECU, sur la question de la biodiversité et de l'effet sur les organismes non-cibles, typiquement le poisson zèbre. Ces données existent. Elles ont été identifiées. Elles ont toutes été conduites avec des doses très supérieures aux doses attendues dans l'environnement. Il était donc légitime de trouver des effets sanitaires.
L'expertise collective de 2018 a été menée dans un délai légèrement plus long que celui qui nous avait été assigné. Je l'assume. La question était complexe. De plus, nous effectuons ces travaux d'expertise en sus de nos activités professionnelles.
Le signalement de 2018 était extrêmement divers. Il faisait à la fois mention de la mortalité des abeilles, de la perte de biodiversité et de maladies humaines. Nous avons dû adresser une somme de questions relativement importante. Nous les avons résumées, dans le rapport 2018, sous forme d'hypothèses des lanceurs d'alertes. Nous avons essayé de dégager les quelques hypothèses scientifiques qui nous semblaient ressortir de l'alerte. Nous avons adressé ces hypothèses dans le périmètre qui était celui de 2018 et dans un temps contraint.
La question sur l'épigénétique dépasse l'évaluation des SDHI. La possibilité de mécanismes de cancérogénicité passant par des voies épigénétiques par rapport à la génotoxicité directe est une question scientifique très active, qui fait l'objet de nombreuses publications. Les outils sont encore en cours de construction. Le modèle animal qui est utilisé depuis des dizaines d'années n'est pas le plus mauvais. Des essais de cancérogénicité ont été conduits pendant deux ans chez le rat, soit sa durée de vie entière et nous renseignent sur la propension de ces pesticides et substances phytopharmaceutiques à provoquer des cancers chez les animaux.
Je voudrais revenir sur le rapport que vous avez rendu en janvier 2019, en commençant par une question simple et formelle : tous les membres du groupe d'expertise ont-ils déclaré leurs conflits d'intérêts potentiels ? Dans ce rapport, que nous avons lu avec beaucoup d'attention, vous écrivez qu'il est nécessaire de mieux décrire les mécanismes d'inhibition des SDHI. Les pouvoirs publics se sont-ils saisis de ce sujet ? Des opérateurs publics ont-ils lancé des recherches ?
La déontologie est l'un des fondements de l'agence. Nous avons mis en place un comité de déontologie et de prévention des conflits d'intérêts. Nous lui avons demandé de travailler sur une grille d'analyse des liens d'intérêts. Cette grille a été révisée l'an dernier. Elle permet de cribler chaque déclaration publique d'intérêts (DPI) en termes de lien mineur, lien majeur et conflit d'intérêts. De ce point de vue, l'agence a servi de modèle. Nous avons une grille d'analyse qui va plus loin que la loi Touraine de 2016. Depuis cette loi, toutes les déclarations publiques d'intérêts des agences sanitaires sont disponibles sur le site du ministère de la santé. Elles sont accessibles à tout le monde. Si un scientifique ou un expert de l'agence reçoit un financement personnel dans le cadre de la mission d'expertise qu'il conduit, il s'agit d'un lien majeur. Si son laboratoire est financé au-delà de 5 % par une société qui entre dans le champ d'expertise de l'agence, il s'agit également d'un lien majeur. Nous sommes extrêmement rigoureux sur ces questions.
Notre deuxième pilier est la transparence. Tous nos avis sont publics et la composition des comités figure dans les avis. Enfin, notre troisième pilier est le dialogue avec les parties prenantes. Nous avons mis en place des comités de dialogue qui associent toutes les parties prenantes. Ainsi, il existe, depuis 2017, un comité de dialogue sur les pesticides, qui se réunit trois à quatre fois par an.
Les DPI sont mises à jour au moins une fois par an. Elles sont examinées par notre déontologue. En cas de changement majeur, les experts doivent faire évoluer leur déclaration en cours d'année. Les règles déontologiques de déport sont annoncées lors de chaque réunion des comités d'experts spécialisés.
Il m'a souvent été demandé pourquoi Pierre Rustin ne faisait pas partie de nos comités. La question qui était posée est une question de toxicologie. Nous avions donc besoin d'experts dans ce domaine. De plus, nous sommes très vigilants sur les liens d'intérêts, et cela concerne les personnalités du monde économique comme les personnalités de la sphère académique. Une personne qui défend une thèse prioritaire peut être auditionnée, mais elle ne peut pas être partie prenante du débat entre spécialistes. Ce débat doit être le plus neutre et le plus ouvert possible. Si nous invitions les scientifiques de Roche ou de Bayer à participer au comité d'experts lorsque nous évaluons un produit phytosanitaire, tout le monde sauterait au plafond.
Il me semble bien que des experts qui ont participé au GECU avaient des thèses prioritaires. Ce point a été relevé par les acteurs du dossier.
Franchement, je ne sais pas à quoi vous faites allusion. Il n'y avait aucune thèse prioritaire parmi les quatre membres du GECU. Je souhaite réagir vigoureusement aux attaques dont l'agence a été l'objet, notamment au travers d'un amendement parlementaire faisant état de liens « bien connus et déjà démontrés » de l'agence par rapport à des intérêts économiques. Je m'oppose vigoureusement à cette vision. Je demande qu'on me fasse état de liens d'intérêts économiques entre l'agence et le secteur économique (phytosanitaires, biocides, médicaments vétérinaires). Nous avons construit l'agence pour prévenir ces conflits d'intérêts. J'ai été très choqué qu'un tel amendement parlementaire puisse être porté par des représentants de la nation.
On constate une explosion des maladies neurodégénératives et un effondrement gravissime de la biodiversité. Il pourrait y avoir présomption d'effet sur les maladies neurodégénératives. En tenez-vous compte ? Il y aurait également un impact sur les vers de terre et les abeilles. Prenez-vous en compte les effets cocktail ?
L'agence n'est pas là pour défendre les produits phytosanitaires. Ce n'est pas son rôle. Elle est là pour évaluer les conditions dans lesquelles ils peuvent être utilisés sans impact pour la santé, et pour protéger les populations. Les actions en justice qui sont entreprises nous placent dans une situation difficile puisque nous sommes amenés à défendre les produits pour défendre notre évaluation. Or nous ne sommes pas là pour défendre les produits, ni leur usage. L'agence évalue les risques auxquels nous sommes confrontés dans notre vie quotidienne ; elle est là pour diminuer les facteurs de risque. Chaque fois que nous pouvons diminuer l'usage de ces produits, nous en sommes ravis.
Le sujet de l'effet cocktail, qui reviendrait à prendre en compte de manière agrégée l'ensemble des expositions, est extrêmement complexe. Les autorisations sont données par produit. Il existe deux cadres d'évaluation à l'agence : les directions en charge de l'évaluation des produits réglementés travaillent dans un cadre réglementaire, tandis que la direction d'évaluation des risques conduit des expertises transversales ; elle peut être saisie de questions plus larges qui combinent plusieurs effets. Ces deux approches sont menées en parallèle.
Le sujet de l'effet cocktail est extrêmement complexe car des centaines de milliers de produits sont présents dans l'environnement. Avoir une combinatoire de ces produits pour en mesurer l'effet chronique à très long terme est une question scientifique qui n'est pas près d'être résolue.
L'effet cocktail est une incertitude scientifique. Nous l'avons écrit dans le rapport 2018 du GECU. Il n'existe pas, aujourd'hui, de méthode scientifique établie, rigoureuse, reconnue et reproductible qui permette d'évaluer cet effet. Au mieux, des sommes pondérées sont effectuées. Sur ce sujet, nous avons recommandé que les travaux continuent.
Je confirme que les déclarations publiques d'intérêt des membres du groupe d'expertise collective sont publiques. Je réponds également de l'impartialité et de l'indépendance de mon groupe. Nous avons travaillé en toute quiétude, sans faire l'objet d'aucune pression ou d'aucune tentative d'influence au nom d'un intérêt qui ne serait pas scientifique.
Enfin, la biodiversité et les espèces non-cibles font partie de l'évaluation des substances phytopharmaceutiques avant mise sur le marché. Il existe des batteries de tests réglementaires qui évaluent l'impact sur les abeilles. D'ailleurs, le cadre réglementaire de l'impact sur les abeilles a récemment été durci. Tous ces tests ont été réalisés et interprétés selon les critères harmonisés qui existent au niveau européen pour les substances dont nous parlons.
Il est une question à laquelle vous n'avez pas répondu. Des recherches spécifiques ont-elles été réalisées pour combler la lacune que vous avez identifiée concernant l'analyse scientifique des fonctionnements d'inhibition ? Que s'est-il passé depuis un an ? Des études ont-elles été lancées ? Par qui ? Ont-elles abouti ?
Le mandat de notre groupe était d'évaluer un signal, de donner un avis et de formuler des recommandations, voire de mettre en évidence des incertitudes. Notre mandat s'arrêtait là. Je ne peux porter à moi seul l'ensemble de la recherche française et vous dire ce qui a été lancé. Je sais simplement que des actions ont été réalisées. L'ANSES a soutenu des travaux.
Nous avons encouragé le dépôt de projets de recherche. À date, deux projets de recherche sont financés sur des fonds publics dans le cadre d'un appel à projets. Ils portent sur l'utilisation des fongicides SDHI et l'évaluation épidémiologique, épigénétique et métabolique en lien avec le cancer. Ces deux projets sont portés par des chercheurs qui avaient lancé l'alerte et avaient signé la tribune de Libération. En revanche, ils n'ont pas signé la tribune qui a été publiée hier dans Le Monde. Le temps de la recherche étant ce qu'il est, ces projets n'ont pas encore donné de résultats.
Par ailleurs, l'ANSES a la possibilité, via un dispositif de phytopharmacovigilance, de faire remonter des signaux. Il s'agit d'une spécificité française. C'est ainsi que nous avons pu financer une étude dont l'objectif consiste à analyser si l'exposition aux fongicides SDHI contribue ou non à l'émergence de tumeurs chez les patients à risque. Les patients à risque sont porteurs de la mutation du gène SDH. À ce titre, ils sont prédisposés à développer des tumeurs phéochromocytomes et paragangliomes. Nous disposons, en France, d'un registre exhaustif sur tous les cas de ces tumeurs rares. Ce travail est mené par un professeur qui avait signé la première tribune, mais pas la seconde. Nous avons demandé à recevoir de premiers éléments le plus tôt possible. Nous souhaitons notamment savoir si les personnes qui développent ces tumeurs sont localisées à proximité d'une zone où l'exposition aux pesticides et aux SDHI est importante.
De manière générale, la recherche en toxicologie mérite d'être renforcée en France. Une étude de cancérogénicité coûte environ 5 millions d'euros. Le programme national de recherche environnement/santé/travail, que l'agence pilote, dispose d'un budget annuel de 8 millions d'euros. L'ensemble des financements de l'Agence nationale de la recherche en santé/environnement et santé au travail est compris entre 8 et 10 millions d'euros. Vous voyez bien que ces études de cancérogénicité chez l'animal ne peuvent être conduites que par des industriels. Il existe un intérêt majeur à ce qu'une agence comme la nôtre soit en capacité de faire des demandes à la recherche, et qu'il y ait des financements dédiés. C'est pour cela que les parlementaires européens ont décidé de doter l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) d'un budget spécifique pour financer des études.
Depuis deux ans, l'ANSES porte l'idée de créer un programme de toxicologie au niveau européen, à l'instar du National Toxicology Program américain, qui dispose d'un budget annuel de 150 millions de dollars et qui a permis aux États-Unis de conduire des grandes études de toxicologie sur fonds publics. Ce programme est piloté par la Food and Drug Administration, par l'Agence de protection de l'environnement (EPA) et par le National Institute of health (NIH). L'ANSES a obtenu l'adhésion à son initiative de dix agences sanitaires européennes, des agences communautaires et du commissaire européen à la santé. Nous sommes en train de construire, avec nos partenaires au niveau national et européen, un grand programme qui fera partie du premier appel à projets du programme Horizon Europe. Cet appel à projets est en cours de préparation. Il devrait être lancé en janvier 2021. Nous sommes vraiment très actifs pour que la recherche puisse disposer de financements permettant de répondre et d'anticiper les questions que vous posez.
Je voudrais insister sur un point : il ne faut pas confondre danger et risque. Aucune des 11 substances actives SDHI qui sont autorisées en France n'est classée cancérigène, mutagène et reprotoxique. Il n'existe pas non plus de raison qu'elles soient perturbateurs endocriniens. Nous sommes bien dans une évaluation de risque et dans l'application du principe de précaution, qui prévoit de conduire une évaluation du risque et de prendre des mesures adaptées en cas d'incertitude sur l'impact environnemental.
Il existe des classes de molécules dont le danger est élevé. L'application du principe de précaution pourrait être étendue afin de prendre des décisions sur la base du danger et non du risque. Ce n'est le cas pour aucune des 11 substances actives SDHI qui sont autorisées en France.
Enfin, le boscalid est en cours de réévaluation. La France est co-rapporteure.
Plutôt que d'effet cocktail, je parlerai d'exposome. Nous savons qu'il est difficile de le mesurer et de le modéliser. Avez-vous la possibilité de formuler des recommandations ? Ne faudrait-il pas diriger la recherche vers cette notion d'exposome ?
Par ailleurs, vos experts ont-ils échangé avec le professeur Rustin et ses équipes depuis deux ans ? Vous êtes-vous rencontré ? Parfois, il vaut mieux se parler que s'étendre dans la presse.
L'article premier de la loi de modernisation du système de santé prévoit que la notion d'exposome doit être prise en compte dans les travaux des agences d'expertise. J'ai demandé à notre conseil scientifique de travailler sur cette question dès le début de l'année dernière. Le conseil scientifique de l'agence a mis en place un groupe qui réunit des toxicologues de renom afin d'envisager cette notion d'exposome, ou exposition tout au long de la vie, dans nos expertises sanitaires. Cette question est au coeur des enjeux en matière de toxicologie.
Nous avons eu de très nombreux échanges avec l'équipe de Pierre Rustin. Nous lui avons proposé de l'auditionner. Nous avons des processus et des comités d'experts. C'est dans ce cadre que le débat doit se construire.
La plateforme de dialogue sur les produits phytosanitaires réunit 52 parties prenantes (professionnelles, interprofessionnelles, organisations de défense de la nature, de l'environnement et des consommateurs). On y retrouve Génération Future, France Nature Environnement, Pollinis... À ce stade, l'association Nous voulons des coquelicots, dont le président m'a demandé un entretien, n'a pas souhaité participer à cette plateforme, qui est présidée par une personnalité externe à l'agence. Cette association est venue manifester à l'agence hier matin, mais elle n'a pas souhaité entrer pour participer à la plateforme de dialogue.
L'objectif de l'ANSES est de construire une expertise scientifique indépendante. J'en suis le garant. Permettez-moi de m'étonner que nous soyons soumis à des pressions de parties prenantes, comme nous le sommes depuis un an, sur la question de l'interdiction des pesticides, qui est un choix de société. Les parlementaires peuvent interdire l'usage des pesticides. Pour ma part, je ne peux m'appuyer que sur une évaluation scientifique et entrer dans le cadre réglementaire qui s'impose à moi. Nous recevons des centaines d'e-mails nous demandant d'écouter la science. Quelle science envoie des manifestants et des avocats devant une agence d'expertise scientifique ? Le débat doit avoir lieu dans les instances scientifiques plutôt que dans la presse. On ne peut pas prendre les avis de l'ANSES lorsqu'ils vont dans le sens attendu et les rejeter quand ils ne disent pas ce qu'on veut entendre.
C'est un peu le rôle de l'Office parlementaire que d'ouvrir des débats apaisés. Je voudrais donc vous remercier.
Le problème du financement de la recherche en toxicologie en France est absolument fondamental. On ne peut pas espérer avoir de la recherche de haute qualité dans les équipes académiques s'il n'y a pas suffisamment de financements. Il existe des équipes de haute qualité en France, mais elles sont trop peu nombreuses. Pour qu'il y en ait davantage, il est très important qu'il y ait un soutien financier au niveau européen. Les équipes françaises de haute qualité s'insèrent dans des programmes européens. Des recherches se font en réseau au niveau européen avec des financements importants. Il faut que les équipes françaises puissent y entrer. Pour cela, elles ont besoin de soutien institutionnel. Sinon, ce sont les industriels qui font le travail, ce qui ne manque pas de jeter de la suspicion. Il y aurait sans doute moins de controverses si les recherches pouvaient être réalisées dans les meilleures conditions dans les équipes universitaires ou dans les organismes de recherche. Il s'agit d'un point essentiel pour les scientifiques.
Je vais très brièvement vous dire ce que je retiens de cette matinée d'auditions, qui est parmi les plus complexes que nous ayons eu à accueillir au sein de l'Office parlementaire scientifique.
L'explosion des maladies neurodégénératives et l'effondrement de la biodiversité sont des réalités qu'il faut regarder en face et qui posent des problèmes majeurs.
Je dresse également le constat d'une grande incertitude vis-à-vis de nombreux mécanismes, qu'ils soient chimiques, biologiques ou médicaux. De l'extérieur, nous avons l'impression que l'incertitude augmente en matière de biologie. Tout paraît compliqué, y compris sur des questions de biologie animale. Ce qui semblait simple il y a quelques décennies apparaît maintenant d'une grande complexité.
Nous ne pouvons pas ignorer les effets cocktails. Pour autant, il est très difficile de mettre au point des procédures qui permettent de les aborder.
Il existe différentes approches : in vivo, in vitro, études épidémiologiques. In fine, l'étude épidémiologique apparaît comme la plus satisfaisante et la plus fiable, sauf qu'elle coûte beaucoup plus cher. De plus, elle est effectuée a posteriori, ce qui n'est pas satisfaisant. Nous avons besoin des trois approches car elles agissent sur des échelles de temps différentes. Nous avons l'impression qu'une partie de la confusion dans le débat public au sujet des SDHI vient de la tension entre approches in vivo ou in vitro et approche épidémiologique. Cela fait également partie des différences d'appréciation entre agences européennes et agences américaines. Tout ceci a des conséquences sur l'organisation et les moyens. Par rapport à une équipe de recherche comme celle de Pierre Rustin, l'ANSES dispose de moyens très importants. Par rapport aux besoins d'études épidémiologiques indépendantes, l'ANSES dispose de moyens très réduits par rapport aux industriels.
Il convient de distinguer les dangers et les risques.
Les procédures qui ont été mises en place insistent sur le volet toxicologie ; elles insistent moins sur les questions environnementales.
Les procédures sont à revoir. L'ANSES a pris acte sans aucune difficulté de ce que les travaux de Pierre Rustin montraient, à savoir qu'il existe des tests à prendre en compte pour la toxicologie, y compris in vitro, qui ne sont pas dans les procédures déjà établies. Quoi qu'il arrive, il y a donc matière à faire évoluer les tests in vitro par rapport aux procédures d'évaluation des risques.
Nous avons entraperçu la difficulté à voir ce qui arrive vraiment aux consommateurs. Les études sur l'alimentation totale sont complexes et coûteuses.
Le besoin de disposer de moyens pour réaliser des recherches indépendantes a été rappelé. Nous avions déjà eu l'occasion d'en parler dans le rapport relatif au fonctionnement des agences d'évaluation. Nous ne pouvons pas tout refaire de manière indépendante. En revanche, sur les débats de société importants ou les questions particulièrement sensibles, il est nécessaire que la puissance publique puisse commander des expériences indépendantes dans lesquelles les questions de conflits d'intérêts ne laissent pas planer le moindre doute. Je m'inscris dans cette conclusion de manière forte.
Sur la question de l'interdiction des pesticides, ce serait une erreur que de tout ramener aux procédures déjà en cours et à leur évaluation scientifique. Il faut savoir prendre les décisions sur la base d'arguments sociétaux et politiques chaque fois que les circonstances le suggèrent. Si nous devons réduire notre usage de pesticides de manière considérable, c'est également sur la base de choix sociétaux.
J'ai un regret : nous n'avons pas suffisamment pris en compte la question du bénéfice potentiel des SDHI. Pour des raisons commerciales, il arrive que l'impact positif potentiel d'un produit soit exagéré. N'importe quel choix de société repose sur des analyses bénéfices-risques. Nous avons beaucoup parlé de risques, et quasiment pas de bénéfices. Les bénéfices n'ont pas été démontrés aujourd'hui, peut-être parce que nous n'avons pas conçu l'audition de cette manière.
Si on regarde les choses objectivement, on constate qu'il est nécessaire de faire évoluer les procédures, de continuer à faire de la recherche et de donner davantage de moyens aux agences comme l'ANSES. Pour l'heure, nous voyons bien les risques. En revanche, les bénéfices ne sont guère démontrés.
e. - Il se trouve que le Sénat a créé une délégation à la prospective, présidée par Roger Karoutchi. Elle devrait conduire une réflexion sur le sujet. La société veut minimiser les risques. Il est normal que les scientifiques, pour avoir parfois manqué des rendez-vous par le passé, explorent avec beaucoup d'exigence et de rigueur les risques possibles. La délégation à la prospective doit être en mesure d'établir les conditions qui permettent à un grand pays comme le nôtre, et à un ensemble politique comme l'Europe, d'avoir indépendance, sécurité et qualité alimentaires. Je suis persuadé que cette délégation se nourrira de nos travaux pour dire que tout n'est pas certain.
Je suis l'élu d'un département agricole. Certes, la présentation commerciale qui a été montrée exagérait l'intérêt des fongicides SDHI. Néanmoins, les marges économiques d'un producteur sont assez faibles, et 3 à 4 % de productivité représentent la différence entre la possibilité de continuer une activité et la nécessité de l'arrêter. Laissons à la prospective sa responsabilité et n'ayons pas l'ambition de tout contrôler.
Je remercie tous les intervenants de ce matin. L'ANSES a une responsabilité extraordinairement lourde. Elle est sous le feu croisé de l'inquiétude spontanée et naturelle et du commerce de la peur, qui est profitable et à rentabilité immédiate. L'ANSES y fait face dans le cadre d'une tradition de l'État et du service public qui est établie et rassurante. Bien que je sois libéral, je suis assez content d'avoir de temps en temps face à moi un interlocuteur public, alors que l'on peut penser que parfois, la recherche d'un succès économique à court terme peut conduire un interlocuteur privé à oublier des risques ou des contraintes.
Je voudrais également remercier l'équipe de Pierre Rustin, que nous avons entendu. C'était une plongée dans le débat vrai des personnalités qui animent le monde scientifique. La présence de Joël Labbé a donné à nos travaux davantage de couleurs et une dimension humaine qui est à l'image de ce qu'est le débat sociétal dans notre pays. C'est un vrai bonheur de pouvoir discuter de questions intelligentes avec autant de liberté. Souvent, la science a été prise en otage pour des intérêts politiques partisans et excessifs. Nous avons le sentiment que les uns et les autres ont d'abord le souci de la santé de chacun. Je voulais vous en rendre hommage.
La réunion est close à 13 h 15.