Nous poursuivons nos travaux par l'audition de Mme Geneviève Chêne, directrice générale, et M. Sébastien Denys, directeur « Santé-environnement-travail » de Santé publique France.
L'expertise de Santé publique France dans le suivi épidémiologique des populations résidant à proximité des sols pollués est déterminante dans la prise de décision des autorités sanitaires en matière de suivi et de prise en charge des personnes exposées. Or on s'aperçoit qu'en matière de santé environnementale, nos agences sanitaires doivent composer avec beaucoup d'incertitudes scientifiques. Bien souvent, il est difficile d'établir si l'exposition est due à une pollution d'origine industrielle ou à la présence naturelle d'un agent toxique dans les sols. D'autre part, il semble difficile, dans chaque situation, d'anticiper les conséquences concrètes sur la santé d'une surexposition.
Dans ce contexte, il serait utile que vous nous indiquiez, de votre point de vue, quelle doit être l'attitude à adopter par l'État et les collectivités territoriales face à ce type de risque sanitaire : comment rassurer les populations qui ont l'impression que leurs risques sanitaires ne sont pas pris au sérieux ? Comment rétablir la confiance dans l'expertise des agences sanitaires et des ARS ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite, chacun, à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Geneviève Chêne et M. Sébastien Denys prêtent serment.
Santé publique France est l'agence sanitaire qui répond aux besoins de connaissance de l'état de santé sous l'angle de la protection et de la préservation de la santé de la population. Cette approche est populationnelle car on raisonne à l'échelon de groupes de population. Son champ d'expertise est la réalisation d'investigations épidémiologiques sur les populations, la prévention et la promotion de la santé. Elle contribue également à la gestion de situations sanitaires exceptionnelles et à la mise en oeuvre de plans de réponse nécessaires à la protection de la santé et au bien-être de la population humaine.
Nous travaillons en très grande complémentarité avec l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSéS), une autre agence sanitaire impliquée sur le sujet des sites et sols pollués et sur tous les sujets environnementaux en général. Nos positions sont très complémentaires et coopératives, l'ANSéS ayant une approche par milieu et par produit. Santé publique France dispose de trois types d'action : la surveillance d'indicateurs de santé, l'acquisition de données sur l'imprégnation de la population, notamment par des examens biologiques, et l'analyse de signaux et l'aide à la définition d'actions d'évaluation de ces signaux.
Concernant les sites et sols pollués, il existe beaucoup d'incertitudes scientifiques, en particulier, sur les risques sanitaires. Il est souvent nécessaire de pouvoir disposer d'un suivi à long terme sur les populations humaines avant de pouvoir se prononcer. Santé publique France fait des recommandations en vue de réduire les expositions aux contaminants potentiels lorsque cette exposition est documentée et de prévenir les risques par précaution. Nous disposons alors de deux leviers. Agir sur les sources d'exposition suppose des mesures de gestion qui n'entrent toutefois pas dans le périmètre de notre agence. En outre, il est également possible d'agir sur les comportements, l'objectif étant que la population puisse continuer à habiter dans la zone en limitant les expositions.
De façon plus générale, la production de connaissances scientifiques sur le risque sanitaire associé aux expositions sur les sites pollués nécessite l'accès à des données environnementales de diverses sources. Elles sont parfois agrégées et permettent de décrire certaines situations. Nous avons besoin d'apparier ce descriptif de données environnementales avec des bases de données de santé - des registres, des cohortes, des bases de données de la sécurité sociale, par exemple. Actuellement, cette procédure est faite au cas par cas. Une plateforme de données nationales de santé est en cours de mise en place par le ministère de la santé. On peut donc avoir des données qui couvrent l'ensemble de la population. Il faudrait un dispositif similaire pour les données environnementales et pouvoir relier de façon systématisée ces deux plateformes. Cela permettrait d'acquérir des données importantes qui pourraient lever les incertitudes scientifiques et produire de nouvelles connaissances sur les liens entre environnement et santé.
On a évoqué les incertitudes scientifiques qui pèsent sur l'anticipation des conséquences pour la santé de l'exposition à certains agents toxiques. Grâce à notre système de suivi épidémiologique et de biosurveillance, a-t-on justement progressé en la matière ? Santé publique France s'appuie-t-elle notamment sur le suivi épidémiologique des riverains des anciens sites miniers de Salsigne et de Saint-Félix-de-Pallières pour faire progresser la science et déterminer plus précisément les conséquences, en termes de pathologies, de l'exposition au plomb et à l'arsenic ? On se plaint de ne pas disposer de données : or la situation de ces sites justifierait justement de mettre en place des registres de suivi. Ces registres ont-ils bien été mis en place ?
Par ailleurs, il semble que votre agence se soit saisie de l'importance de la dimension psychologique pour les populations dans l'explication des mesures sanitaires prises par l'État. En effet, même lorsqu'il existe des incertitudes scientifiques, vous comprenez bien qu'il est difficile pour une famille surexposée où pratiquement tous les membres présentent des pathologies, notamment des cancers, de s'entendre dire que le lien avec la pollution ne peut être définitivement établi et que le dossier doit être refermé. Dans ce cas, quelles seraient vos préconisations pour améliorer le travail de pédagogie des autorités sanitaires ?
Enfin, pouvez-vous nous préciser s'il existe un dispositif d'urgence quand apparaît un phénomène naturel qui vient réactiver une pollution et les risques qu'elle présente pour la santé ? Dans ce cas, une enquête épidémiologique est-elle enclenchée ?
Vous parliez d'une surveillance des indicateurs de santé. Comment se fait-il qu'on décide parfois d'arrêter ce suivi dans des bassins où les populations ont été exposées ? Lors d'un évènement inattendu, pourquoi n'a-t-on pas un process d'urgence pour établir une feuille de route avec les parties prenantes du département ?
Il est vrai que l'on peut prendre des décisions, même en temps d'incertitude, dès lors que l'on a connaissance de pollutions. Nous n'attendons pas que les mesures de gestion soient prises, elles ne sont pas de notre responsabilité. Si des mesures de gestion peuvent être prises, nous recommandons qu'elles soient prises. Il n'est pas nécessaire d'attendre de longues années la preuve de l'existence du lien avec les indicateurs de santé.
Sur la question de savoir si l'on peut saisir en urgence Santé publique France pour la mise en place d'enquêtes, c'est en effet possible par tous les membres du conseil d'administration, en particulier la direction générale de la santé (DGS) et les agences régionales de santé (ARS), ces dernières pouvant être le relais de demandes citoyennes.
Nous pouvons aussi en effet nous appuyer sur des syndromes constatés au sein de populations exposées à des situations sanitaires exceptionnelles. On peut ainsi penser à la situation autour des usines de Lubrizol. Nous disposons chaque jour d'une remontée sur les syndromes observés par un réseau de médecins mobilisés dans l'urgence. Cela ne peut être fait sur l'ensemble du territoire en permanence mais sur la base d'une demande spécifique.
Au niveau régional, Santé publique France est présente sous forme de cellules régionales placées auprès des ARS, compétentes pour analyser la situation au plus proche du terrain et apprécier les situations sanitaires qui nécessitent des investigations plus poussées. Cela nous permet de recouper certaines alertes au niveau national et d'en tirer des conclusions.
Dans le cas de l'usine Lubrizol, il y a eu réactivité immédiate. Dans le cadre de cette commission d'enquête, nous parlons de sites en cessation d'activité qui sont pollués. Je pense également à Notre-Dame de Paris où immédiatement a été déclenchée une enquête sanitaire. Concernant des cas plus sournois où les sites ne sont plus exploités, où par exemple dans l'Aude il y a eu des inondations ravageuses et meurtrières qui ont fait réapparaître la pollution dans le débat. Seuls les enfants ont subi un dépistage. J'avais déjà signalé que ce sujet-là n'était pas seulement lié au site, c'est quelque chose que l'on peut retrouver sur d'autres sites d'exploitations minières ou industrielles post-activité. Et, eu égard au facteur climatique, on peut tout à fait se retrouver dans la même situation sur une autre partie du territoire. Comment peut-on vous saisir ? Et sur quoi vous basez-vous pour déclencher votre action ? La population ressent un manque d'équité face au risque. Comment gagner en clarification ?
Un rapport concernant la vallée de l'Orbiel a été rendu par Santé publique France sur les réponses aux saisines de l'ARS Occitanie depuis 1994. On a certainement fait des progrès au cours du temps. À la suite de la prise en compte et de l'analyse du risque, le rapport d'analyse a intégré douze propositions.
Les inondations, c'était il y a un an avec onze morts dans le département ! Je parle d'un passé immédiat.
Pour rappeler certaines différences dans les exemples cités, Lubrizol et la vallée de l'Orbiel, sur lesquels nous avons été saisis l'année dernière après les inondations, nous sommes sur deux contextes différents. Dans le premier cas, il s'agit d'un accident industriel où potentiellement nous avons des expositions importantes et immédiates de polluants qui ne sont pas habituellement présents dans l'environnement - l'hydrogène sulfuré (H2S) par exemple. L'évènement crée un traumatisme de la population riveraine : nous sommes dans une situation d'exposition aiguë de la population à un certain nombre de nuisances, ces manifestations aiguës nous étant remontées par notre dispositif de surveillance et les indicateurs de santé.
Dans le cas de la vallée de l'Orbiel, situation que l'on retrouve effectivement sur d'autres sites comme Saint-Félix-de-Pallières mais aussi Saint-Laurent-le-Minier, on recueille des gammes de concentration qui certes sont élevées mais sont des concentrations environnementales usuelles avec lesquelles les habitants ont l'habitude de vivre. L'évènement, qui est une inondation, va amener un surplus de contamination à l'arsenic, qui sera assez invisible, s'il n'y a pas derrière de dépistage. Dans les situations de contamination chronique, la difficulté réside dans le fait que la latence entre l'exposition et le potentiel effet sur la santé peut être extrêmement longue.
Dans le cas de Lubrizol, il y a des intoxications aiguës dues aux fumées. Mais on s'interroge aussi sur les effets chroniques d'autres contaminants notamment les dioxines, qui ont été rajoutés dans l'environnement à cause de l'incendie et qui auront un impact sur la population mais à long terme, indécelable aujourd'hui.
Il est important de comprendre qu'en termes d'expositions, dans un cas on est dans une manifestation aiguë d'un évènement qui va se traduire par des remontées sanitaires, et dans le cas des sites miniers, on a une contamination qui reste à des niveaux comparables dans l'environnement et qui ne se voit pas en termes de manifestations sanitaires et qui se verra peut-être dans plusieurs dizaines d'années.
Dans ce contexte, nous attachons une grande importance à objectiver les expositions. En termes de biosurveillance, on dispose depuis le Grenelle de l'environnement, du programme national de biosurveillance qui nous a permis d'acquérir un certain nombre de données et de prendre du recul, notamment, sur les métaux et l'arsenic. Nous connaissons aujourd'hui les déterminants de l'imprégnation de ces métaux dans la population. Dès lors qu'un déterminant qui peut avoir un impact sur la population est repéré, notre action est de faire des propositions pour intervenir sur ce déterminant dans l'objectif de prévention de santé de la population. En agissant sur le déterminant, l'idée est de réduire si ce n'est de supprimer le risque de développer les pathologies liées à ce déterminant. Cette connaissance de l'imprégnation et des déterminants de l'imprégnation est capitale. Nous poursuivons cette démarche dans le cadre des différents plans nationaux santé-environnement et que nous poursuivrons dans le cadre de la future stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens et du quatrième plan national santé-environnement, le PNSE 4 « Mon environnement, ma santé ».
Ces études sont également déclinées à l'échelle locale, par exemple au niveau des sites miniers du Gard vers le milieu des années 2010. Dès 1994, le réseau national de santé publique a diligenté une étude d'imprégnation sur le site de Salsigne. Nous avons des historiques de contamination assez homogènes. Il est difficile de connaître la part attribuable à la contamination naturelle et à la contamination anthropique. L'intérêt est donc de raisonner à l'échelle nationale. On est dans des gammes de concentration assez proches et on se rend compte que les déterminants sont identiques. Pour diminuer la contamination des enfants au plomb et à l'arsenic, il faut agir sur les poussières intérieures, nettoyer les sols avec une serpillère sèche et ne pas aspirer. Ces prescriptions de l'ARS sont simples à mettre en oeuvre et efficaces. On a des contrastes avec des populations qui appliquent ce type de mesures et celles qui ne le font pas. On voit donc l'efficacité de ces mesures. Pour les polluants volatiles, aérer son logement permet de réduire l'exposition aux polluants. Il s'agit de recommandations dirigées vers le comportement des populations.
Pour les déchets confinés, tout l'enjeu est d'assurer la pérennité du confinement afin d'éviter toute surexposition en cas d'événements extérieurs comme une inondation. Il faut donc là encore agir sur le comportement, c'est un véritable sujet de pédagogie. Il faut s'interroger sur les sources de contamination qui présentent parfois un confinement insuffisant au regard de la réalité du site.
Je souhaiterais mettre en avant le dialogue avec les élus. Nous avons eu des écoles et des stades qui ont dû être fermés à cause de la pollution due aux inondations. Les élus sont démunis pour donner des informations à la population. Ils sont victimes d'un aléa climatique et ils sont au contact de la population avec laquelle il faut à la fois de la transparence, ne pas susciter de craintes et maintenir la confiance. Santé publique France a peut-être un rôle à jouer à ce niveau dans le lien avec les élus.
Dans le prolongement de cette remarque, dans une situation de crise, on a parfois du mal à comprendre qui fait quoi dans la prise de décision, notamment s'agissant de la mesure du risque. Je voudrais réintroduire dans le schéma deux autres acteurs importants en temps de crise, que sont les ARS et les préfets. Quelle est l'articulation entre Santé publique France, les ARS et les préfets, ces derniers étant décideurs en définitive ?
Est-ce que, sur des cas terminés, vous avez mis en place des procédures d'évaluation du process de gestion de la crise ?
Il nous a été fait la remarque, peut-être à tort ou à raison, selon laquelle Santé publique France ne commandait que peu d'études de suivi épidémiologique dans le temps. Que pouvez-vous répondre à cela ?
À quelle source de données pensez-vous lorsque vous parlez du croisement des données environnementales et des données de santé ? À quels types de données pensez-vous ? S'agit-il de bases de données existantes comme Basias ou d'autres sources de données existantes ou à créer ?
Concernant l'articulation entre Santé publique France, les ARS et les préfets, Santé publique France est une agence d'expertise et nous agissons sur saisine des ARS. Nous avons environ 50 saisines par an sur des problématiques de santé-environnement dont 30 % sur les sites et sols pollués. Dans ce cadre-là, nous réalisons une expertise sanitaire qui vise à émettre des recommandations de protection de santé de la population. Ces études locales permettent d'alimenter une réflexion épidémiologique au niveau national, ces questions n'étant pas spécifiques à un seul territoire. Pour mettre en évidence des signaux probants, il faut un effectif important. Sur les sites miniers, souvent les effectifs de population sont faibles, les indicateurs de santé sont insuffisamment renseignés et la manifestation des effets répond à un délai de latence extrêmement long. Dans notre programme de travail, nous avons une action de mise en place d'un dispositif d'études multicentriques portant à la fois sur les bassins industriels afin de mesurer le lien entre les rejets et les effets sur la santé et sur les problématiques d'après-mine et d'études épidémiologiques visant à établir le lien entre les cancers pédiatriques et l'environnement scolaire. Le ministère de la transition écologique et solidaire avait financé une campagne de mesure de l'environnement d'un certain nombre d'établissements scolaires. Pour pouvoir disposer de ces études, il nous faut les données de l'environnement que l'on n'a pas de façon automatique. Puis, il nous faut ensuite retravailler ces données.
Sur l'évaluation, nous réalisons bien sûr des retours d'expérience qui visent à analyser rétrospectivement nos actions afin de nous améliorer.
Nous disposons des données environnementales et sanitaires mais j'ai l'impression que nous travaillons en silos et je ressens un souci d'efficacité. Comment améliorer le dispositif ? Qui, d'après vous, peut prendre aujourd'hui l'initiative de rendre moins étanches ces deux types de données et apporter une meilleure transversalité ?
Il existe plusieurs options. Je suis d'accord avec vous pour dire que la plateforme nationale des données de santé est un bon exemple. C'est le ministère de la santé qui a pris l'initiative, dans son périmètre, de faire en sorte que l'ensemble des données soient mises en commun. Le ministère de la transition écologique et solidaire pourrait, de la même manière, prendre une initiative semblable avec les données environnementales. Là, une deuxième étape reliant ces deux bases de données pourrait voir le jour, dans un lieu sécurisé, une sorte de nuage sécurisé ou hub. Notre souci est de disposer de données de qualité - aujourd'hui certaines données sont structurées différemment - et de respecter la réglementation sur le droit des personnes, notamment le fait que ces données ne doivent pas être ré-identifiantes et respectent le règlement général de protection des données personnelles (RGPD). Centraliser les données auprès d'un opérateur unique est également important.
Nous réalisons de nombreuses études sur la santé et l'environnement. Mais ce n'est pas dès l'apparition de polluants que l'on est pour autant capable de dire quel est le risque et quelles sont les mesures à prendre. Si Santé publique France fait les études nécessaires, il n'utilise pas l'incertitude scientifique pour ne pas faire des recommandations qui aboutissent à des mesures de gestion qui seraient utiles pour la santé des populations.
Dans le prolongement de cette discussion, j'ai un cas précis à vous soumettre. Concernant le lien entre les cancers pédiatriques et la situation environnementale des écoles, en 2012, le ministère de la transition écologique et solidaire de l'époque avait lancé un inventaire avec des diagnostics sur les établissements sensibles situés sur des sites anciennement industriels. On nous a dit lors d'une précédente audition que ces diagnostics avaient été interrompus pour des raisons budgétaires. On voit bien que la question de la donnée environnementale pose d'autres questions dont la sensibilité de la donnée et son utilisation. N'y a-t-il pas de la part des autorités une certaine réticence à disposer de l'exhaustivité de la donnée ?
Ce sujet est particulièrement important. D'une part, nous sommes régulièrement sollicités dans des situations locales, où nous avons des enfants atteints de cancers pédiatriques comme le cluster de Sainte-Pazanne. Là, Santé publique France fait des recommandations pour limiter les expositions et tend à développer des études nationales permettant d'augmenter la connaissance sur des sujets où elle manque, comme le fardeau des maladies chroniques lié à l'exploitation de la mine. Il est difficile de faire comprendre aux parents d'enfants malades que demander une nouvelle étude épidémiologique dans une situation locale va prendre dix ans et ne sera pas toujours conclusive. Nous sommes sur un positionnement scientifique. Mais nous ne nous arrêtons pas là. Ces signalements nous permettent d'alimenter des études au niveau national. Il est certes regrettable d'avoir arrêté l'étude de l'environnement des établissements scolaires d'autant plus que nous disposons d'un registre national des cancers de l'enfant, qui nous aurait permis de faire des études écologiques. Là on se heurte à l'accès aux données et à l'interruption de la campagne, ce qui ne nous permettra pas d'avoir une vision complète du sujet. Nous nous interrogeons sur la faisabilité de réaliser cette étude en utilisant les données existantes.
Avez-vous des relations avec vos homologues dans les autres pays européens, certaines problématiques se posant à l'échelle européenne ? Par ailleurs, les entreprises qui ont aujourd'hui une activité industrielle présentant des risques pour la santé vous transmettent-elles des données et comment sont-elles suivies ?
Il y a plusieurs écueils à cette corrélation entre une exposition et une pathologie. C'est tout d'abord la taille de la cohorte. Même si on a une plateforme nationale de données de santé, faut-il encore que l'on soit clair sur le contenu de ces données que l'on va introduire dans la plateforme et pour quel usage. La visée épidémiologique est tout à fait différente de la recherche d'innovation. Il faut par conséquent regarder avec la plus grande attention la nature des données qui vont être introduites dans la plateforme. Avoir une cohorte nationale fait rêver.
Le deuxième sujet concerne la nature des expositions identifiées. On ne connaît pas toutes les relations entre les pathologies et l'exposition comme pour les ondes par exemple. À ma connaissance ces données ne sont pas suivies avec une grande précision alors qu'on aurait pu lancer des études de cohorte depuis longtemps. Le risque que l'on connaît entre la pathologie et l'exposition c'est d'avoir un biais qui ne peut être objectivé qu'avec un maximum de données concernant le comportement et l'environnement de la personne. Nous avons eu par le passé des erreurs de conclusion parce que l'on était passé à côté d'un biais évident. Est-ce que vous travaillez ce sujet sur les registres de cancer, car nous avons beaucoup moins de registres sur les autres pathologies ? Les registres de cancer permettent de mettre en évidence dans un certain nombre de cas des relations entre la pathologie et l'exposition. Dispose-t-on d'un référentiel de bonnes pratiques au plan national dès que des équipes engagent u suivi systématique de certaines pathologies, la plateforme étant manifestement insuffisante en cas d'enquête très poussée ?
Arrivée il y a quatre mois à la direction de l'agence, je manque de recul sur l'expérience européenne même si je sais que nous avons des liens avec les agences européennes. Il existe une association internationale des instituts nationaux de santé publique (International Association of National Public Health Institutes - IANPHI) à laquelle nous adhérons. D'ailleurs, Santé publique France assure le secrétariat scientifique de ce forum international des agences. Ces agences sanitaires ont des fonctionnements et des positionnements très variés selon les pays. Le sujet de l'environnement est sur la table même si c'est un sujet sur lequel les agences ont sans doute insuffisamment échangé, en dépit d'une forte volonté d'échanger dans ce domaine, les problématiques et les priorités étant différentes selon les pays.
Nous échangeons effectivement avec nos partenaires européens sur les enjeux majeurs internationaux comme par exemple sur la pollution de l'air. Nous avons été pionniers dans les études européennes sur la pollution de l'air ce qui nous a permis d'avoir des outils d'estimation des impacts liés à la pollution de l'air. Sur la question des sites et sols pollués et de biosurveillance, nous réfléchissons à poursuivre un COST (coopération européenne en science et technologie), qui est un programme de mise en réseau des communautés de recherche et d'innovation en Europe. Son objectif est de renforcer la recherche scientifique et technologique par le soutien à la coopération par des activités de réseautage, ce qui permet de constater que nos voisins sont confrontés aux mêmes problématiques.
Sur la problématique de la biosurveillance, nous sommes dans un consortium européen, HBM4EU (European Human Biomonitoring Initiative), piloté par l'agence allemande pour l'environnement UBA (Umweltbundesamt) et dans lequel nous apportons l'expérience de Santé publique France en matière d'enquête de biosurveillance et d'imprégnation. Notre objectif est de poursuivre cette initiative qui doit se terminer en 2021-2022 avec une implication encore plus forte pour gérer des expositions à des contaminants sur lesquels on a des incertitudes sur les impacts à long terme. J'insiste auprès de votre commission pour signaler l'importance de ces outils.
Sur la question fondamentale du lien avec d'autres dispositifs de cohorte, nous travaillons notamment avec la recherche. Nous sommes cadrés par nos missions de surveillance, avec des observations qui auront des biais, notamment dans des zones industrielles où des populations peuvent présenter une prévalence de certains comportements comme un statut tabagique plus important. On a alors des facteurs confondants de certaines pathologies. Ces collaborations avec la recherche durent depuis longtemps, nous avons fêté il y a deux ans les vingt ans du programme Air et santé avec des équipes de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sur l'établissement des relations exposition/risque sur des problématiques de particules atmosphériques. Nous devons absolument maintenir cette complémentarité. Nous le faisons également avec le registre des cancers de l'enfant pour lequel Santé publique France finance des actions de recherche sur les nuisances environnementales et, en particulier, sur l'utilisation des pesticides.
À partir des données issues du parcours de soin, il est possible de déduire certaines pathologies. Quels types de données vont être mis dans cette plateforme ? La façon dont ces données vont être saisies et traitées va conditionner la puissance d'alerte sur l'émergence de certaines pathologies, qui sont liées à l'environnement et qui peuvent être reliées de façon géographique et territoriale. Concernant les sites et sols pollués, c'est important de pouvoir identifier des clusters de pathologie.
La première question qui se pose est de savoir quel est le lien entre la pollution et les différentes nuisances environnementales que l'on a dans une zone car souvent on a une conjonction de nuisances environnementales comme par exemple une inondation, un axe routier important et du bruit. Tout cela peut engendrer des effets sur la santé. Il est déjà très complexe de déterminer l'événement de santé que l'on peut caractériser. La première étape est d'identifier ces liens et d'identifier en amont les différentes nuisances environnementales.
Ensuite, nous sommes confrontés à la qualité des données de santé dans le Health Data Hub. Nous cherchons à travailler sur les meilleures données possibles pour pouvoir déterminer les meilleurs indicateurs possibles. Pour cela, on s'associe sur nos problématiques à des cliniciens. Nous savons qu'une partie de la qualité de la donnée ne dépend pas de nous, mais cela reste une source puissante. Concernant les registres, la source est d'autant plus puissante qu'il y a une exhaustivité et un diagnostic clinique.
À ma connaissance, ces données de recours aux soins se sont considérablement améliorées dans le temps. C'est un effort de tous ceux qui recueillent ces données. Le système national des données de santé (SNDS) est déjà accessible. L'idée du hub est de rajouter les données d'un grand nombre de registres et des cohortes financés par les investissements d'avenir. Cela permettra des croisements et des vérifications.
La plupart des registres couvrent une partie du territoire, à l'exception du registre des cancers pédiatriques. Il est toujours plus facile d'identifier un cluster, pour identifier une incidence plus importante dans une zone géographique et un temps donnés, lorsqu'un registre existe sur le territoire. Quand nous ne disposons pas d'un tel registre, les données du SNDS peuvent être utiles car elles couvrent tout le territoire et l'ensemble de la population. C'est cet ensemble de données, d'un côté très précises mais ne couvrant pas l'ensemble du territoire et de l'autre moins précises mais portant sur l'ensemble du territoire, qui peuvent être croisées et faire progresser la qualité des données.
Enfin sur les expositions, les données sont très orientées sur les événements de santé et moins sur les expositions. Il faut comprendre qu'il y a d'autres types d'expositions que les nuisances environnementales, le tabac, la consommation d'alcool, la nutrition et l'activité physique sont également des déterminants de santé qui doivent être pris en compte.
Je vous remercie pour les réponses que vous nous avez apportées et que vous apporterez à notre questionnaire écrit.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 05.