Au cours d'une deuxième séance tenue dans l'après-midi, la commission a entendu une communication de M. Adrien Gouteyron, rapporteur spécial, sur la simplification de la gestion des ambassades.
Procédant à l'aide d'une vidéo-projection, M. Adrien Gouteyron a indiqué que, la LOLF étant entrée en vigueur le 1er janvier 2006, il avait souhaité, comme tous les membres de la commission des finances, vivre les premiers moments de la mise en oeuvre de la nouvelle « Constitution financière », en organisant, en ce qui concernait la mission « Action extérieure de l'Etat », les auditions et les déplacements nécessaires. Il a précisé avoir voulu vérifier si la LOLF était de nature à produire la modernisation de l'administration à laquelle beaucoup aspiraient, en demandant à ses interlocuteurs, au cours de ses déplacements à l'étranger, si la mise en place de la LOLF dans le réseau français à l'étranger avait permis d'en simplifier et d'en moderniser la gestion.
Il a regretté que, s'agissant du réseau français à l'étranger, tel ne soit pas le cas, et a indiqué que sa communication visait à en expliquer les raisons, et à montrer dans quelles conditions la LOLF pourrait avoir des effets positifs sur la gestion des services déconcentrés à l'étranger.
Il a souhaité évoquer tout d'abord plusieurs points positifs, constatés lors de ses missions à l'étranger, à Londres, à Madrid et en Afrique du Sud (à Johannesburg et au Cap) en soulignant qu'en début d'année, les crédits avaient été délégués aux ambassades de manière rapide, dans des conditions globalement satisfaisantes. Il a observé que les changements de nomenclature comptable paraissaient maîtrisés par les agents, grâce aux efforts de formation du ministère des affaires étrangères. Il s'est, par ailleurs, félicité de l'implication personnelle des trois ambassadeurs rencontrés à Londres, Madrid et Pretoria, dans la mise en oeuvre de la LOLF.
Il a néanmoins cité deux points négatifs, ainsi qu'un oubli majeur, dans la mise en place de la LOLF, expliquant tout d'abord que l'application informatique développée pour la gestion des crédits à l'étranger, intitulée COREGE, se révélait, à l'usage, d'un abord complexe, la LOLF étant parfois assimilée à des « cauchemars informatiques ». Il a, par ailleurs, regretté une absence complète de sensibilisation à la performance de la part des personnels en poste à l'étranger, alors que la performance était au coeur de la démarche de la LOLF, constatant que, manifestement, le Quai d'Orsay n'avait pas encore souhaité décliner ses indicateurs de performance et de gestion sur le plan local.
Il a ensuite évoqué l'oubli majeur, dans l'application de la LOLF au sein du réseau français à l'étranger, celui de la modernisation de la gestion, via l'application du principe de fongibilité des crédits et la possibilité d'arbitrer dans les crédits de fonctionnement. Il a rappelé que la fongibilité des crédits était pourtant considérée comme un des points les plus novateurs de la LOLF, celui qui permettait aux gestionnaires de dégager des gains de productivité et de les récompenser en permettant d'affecter une partie de ces gains à l'amélioration du fonctionnement de leur service.
Il a fait remarquer que l'absence de la fongibilité au niveau local tenait au fait que les budgets opérationnels de programme (BOP) du ministère des affaires étrangères avaient tous été « positionnés » au niveau central, ce qui expliquait que le principe de fongibilité des crédits ne pouvait s'appliquer au niveau déconcentré. Il a jugé que l'explication devait être approfondie, montrant que, si les budgets opérationnels de programme avaient tous été confiés à des gestionnaires de l'administration centrale, il en était ainsi parce que, sur le terrain, dans le réseau français à l'étranger, la gestion des crédits était extraordinairement émiettée et cloisonnée entre une multiplicité de programmes, rendant toute fongibilité illusoire.
Il s'est demandé d'où venait, sur le terrain, l'émiettement dans la gestion des crédits, rappelant, tout d'abord, que de nombreux ministères étaient présents à l'étranger. On dénombrait ainsi 785 implantations de ministères à l'étranger, dont « seulement » 156 ambassades et 98 consulats. Il a souligné que les missions économiques, au nombre de 169, étaient plus nombreuses que les ambassades, indiquant qu'il n'était donc pas étonnant que le ministère des affaires étrangères ne gère que 50 % des crédits destinés à l'action extérieure de la France.
Il a noté que le document de politique transversale (DPT) « Action extérieure de l'Etat », qui regroupait l'ensemble des missions et programmes dédiés à cette politique, ne recensait pas moins de 18 missions, sur un total de 34, et 31 programmes, sur un total de 133, expliquant en outre que ces chiffres ne tenaient pas compte des programmes qui concouraient à l'aide publique au développement.
Il a répondu positivement à la question de savoir si la multiplicité des programmes et des structures présentes à l'étranger entraînait une multiplicité des gestionnaires, soulignant que la France avait 589 ordonnateurs à l'étranger, et donc autant de gestionnaires, pour 161 pays couverts par le réseau de l'action extérieure, soit une moyenne de 3,7 par pays. Il a souligné que, dans les postes les plus importants, on comptait un nombre de gestionnaires significatif : 13 à Berlin, 12 à Londres, 10 à Madrid. Il a, en effet, indiqué que chacune des personnes détachées par un ministère, conseiller financier, attaché douanier, conseiller pour les affaires sociales, magistrat de liaison, gérait elle-même ses crédits.
Il s'est interrogé sur la pertinence de cette situation, observant que les crédits gérés étaient souvent d'un montant limité, le conseiller pour l'équipement et les transports disposant, ainsi, à Madrid d'un budget de 23.000 euros par an, que ces crédits étaient exclusivement des crédits de fonctionnement, puisqu'il s'agissait de payer des fournitures, de faire face à des frais de déplacement, de représentation, de louer des locaux. Il a enfin fait valoir que les « gestionnaires », qui bien souvent, n'avaient pas de compétence particulière pour gérer des crédits, car ce n'était pas leur métier, se trouvaient obligés, faute de gestion centralisée par la chancellerie, de saisir eux-mêmes leurs écritures comptables dans l'application informatique « COREGE », pourtant considérée comme complexe par les spécialistes.
Il a expliqué que « l'absurde avait heureusement quelques limites », notant que lorsque les différents services de l'Etat partageaient leurs locaux, ce qui n'était pas toujours le cas, il existait systématiquement des conventions de répartition des charges de téléphone, d'eau et d'électricité, afin que chacun ne gère pas uniquement son propre abonnement.
Pour le reste, il lui a semblé que deux termes s'appliquaient à la gestion concrète des crédits dans le réseau français à l'étranger : cloisonnement et indépendance, ces deux termes masquant parfois de forts égoïsmes administratifs, liés à des antagonismes historiques entre ambassades et missions économiques, par exemple. Il a indiqué avoir noté, au cours de ses déplacements, une absence de cohérence des règles de gestion des recrutés locaux, observant qu'il n'y avait pas nécessairement de « pools » de voitures, pas d'obligation de mener une politique immobilière commune. Il a fait remarquer qu'un rapport de l'Inspection générale des finances de juin 2005 avait noté qu'à Washington, les fournitures de bureau, les prestations d'entretien ou les leçons d'anglais faisaient l'objet de plus de 10 commandes séparées. Il a expliqué qu'à Madrid, au contraire, un seul marché, pour l'ensemble des services, avait été passé s'agissant des fournitures de bureau, mais que cela était le fruit d'initiatives individuelles, et non d'une politique de gestion interministérielle.
Il a expliqué que, sur le plan informatique, par voie de conséquence, on remarquait le même cloisonnement, et que l'on ne comptait ainsi pas moins de trois applications de gestion à l'étranger : COREGE, pour le Quai d'Orsay, CIRCEE, pour les missions économiques, et ASTREE/NDL pour le réseau comptable. Il a regretté que ces trois applications aient été développées de manière indépendante, mais pourtant quasi simultanément, notant de plus, qu'au 1er janvier, il n'existait aucune interface entre les trois applications, ce qui obligeait certains agents à des ressaisies fastidieuses. Il a jugé que, plus que jamais, la préconisation du rapport d'information de M. Jean Arthuis sur l'informatisation de l'Etat, visant à mettre en place un pilotage des projets informatiques, était d'actualité.
a considéré que, l'émiettement dans la gestion des crédits à l'étranger entraînait des « absurdités » et des surcoûts, citant, au titre des « absurdités », la solitude des petits services face aux problèmes de gestion complexes (contentieux du droit du travail, immobilier...), l'absence de taille critique des fonctions administratives à l'étranger, qui ne permettait pas l'emploi de compétences de bon niveau, et, enfin, selon le rapport précité de l'Inspection générale des finances, le sous-emploi de certains personnels de chancellerie affectés aux tâches administratives et financières. Au titre des surcoûts, il a énuméré ceux liés à des achats dispersés, à l'absence de mutualisation du parc automobile, et surtout les doublons dans les fonctions « supports », notamment entre les missions économiques et le Quai d'Orsay. Dans la continuité du travail de l'Inspection générale des finances, il a indiqué avoir calculé le pourcentage des effectifs de l'Etat affectés aux fonctions « supports » à l'étranger, précisant que, pour l'Afrique du Sud, ce pourcentage atteignait 11,8 %, et, qu'en moyenne, le pourcentage des effectifs consacrés aux tâches administratives à l'étranger était de l'ordre de 10 %, alors que pour les entreprises françaises, le pourcentage des effectifs affectés aux fonctions « support » à l'étranger était plutôt de 5 à 6 %. Il a jugé qu'il semblait possible, s'agissant de l'Etat, de réduire les pourcentages de 2 points, à condition de mener une réforme ambitieuse. Il a, en effet, fait remarquer que la LOLF ne changerait rien dans le réseau français à l'étranger tant que les fonctions « support » n'auraient pas été réformées, regrettant que la réforme budgétaire et comptable ait précédé la réforme des administrations. Il a précisé que l'équation financière du Quai d'Orsay dans une période de nécessaire discipline budgétaire était simple : compte tenu du poids croissant des crédits affectés aux actions multilatérales, toute insuffisance ou retard dans la modernisation de la gestion se traduisait par des coupes dans le coeur de métier du Quai d'Orsay, les implantations diplomatiques et les emplois de diplomates.
Il a tenu à souligner que des progrès récents avaient certes été accomplis par le Quai d'Orsay dans la rationalisation de la gestion administrative et financière à l'étranger, expliquant que l'ambassadeur gérait désormais, en ce qui concernait la mission « Action extérieure de l'Etat », un budget pays, que la condition d'ordonnateur secondaire délégué avait été supprimée pour les consuls généraux, tous ces éléments permettant un certain regroupement des crédits de fonctionnement. Il a indiqué, par ailleurs, qu'une circulaire du 18 juillet 2005 avait mis en place des services administratifs et financiers uniques (SAFU) à l'étranger, que des expérimentations avaient été menées dans cinq postes, dont Londres. Dans la mesure où ces services administratifs et financiers uniques ne concernaient que le Quai d'Orsay, un audit de modernisation avait été lancé afin d'envisager une éventuelle extension aux autres ministères. Il a évalué à une fourchette entre 100 et 150 le nombre d'emplois pouvant ainsi être économisés dans le réseau français à l'étranger.
a cependant exprimé des craintes, soulignant une très vive résistance des missions économiques sur le sujet, alors que celles-ci étaient en train de créer leurs propres « services administratifs et financiers uniques » (SAFU) pour les crédits du pôle économique à l'étranger (missions économiques, conseillers financiers, attachés douaniers). Il a considéré l'éventualité d'avoir, dans quelques mois, à l'étranger, la coexistence de deux SAFU. Il a indiqué, en outre, avoir remarqué à Pretoria, qu'existaient encore, même au sein du Quai d'Orsay, des responsables administratifs concurrents de celui de la chancellerie, le service culturel disposant ainsi de son propre secrétaire général. Enfin, il a montré que, même là où existaient des secrétaires généraux de chancellerie, qui étaient des chefs de services administratifs et financiers aux responsabilités significatives, ceux-ci n'avaient pas compétence pour les questions transversales importantes. Il a ainsi précisé qu'à Londres, il n'incombait pas au secrétaire général de gérer le dossier de la rationalisation de l'immobilier du Quai d'Orsay, mais au premier conseiller.
Compte tenu de cette réalité, il a préconisé plusieurs mesures :
- au niveau local, la création de structures de gestion réellement uniques, des SAFU interministériels, pour l'ensemble des crédits de fonctionnement à l'étranger, pilotées par un « secrétaire général », doté d'attributions larges (gestion administrative des expatriés et des recrutés locaux, protocole, biens immobiliers et mobiliers, achats, conseil juridique....) ;
- au niveau global, la conception d'un programme « support », regroupant la plupart des crédits de fonctionnement des services de l'Etat présents à l'étranger, figurant au sein de la mission « Action extérieure de l'Etat », géré par le Quai d'Orsay et décliné en budgets opérationnels de programme au niveau déconcentré, afin de tirer parti du principe de fongibilité des crédits. Il a fait valoir que le corollaire de ce nouveau programme paraissait être la création d'une mission « Action extérieure de l'Etat » devenue interministérielle, incluant un programme « missions économiques ».
Il a appelé à prendre certaines précautions pour que ces réformes puissent réussir, appelant ainsi à :
- un pilotage de la réforme depuis Paris, avec une personne spécialement en charge de mission auprès du directeur général de l'administration du Quai d'Orsay ;
- une clarification, dans les ambassades, des rôles entre le futur secrétaire général et le premier conseiller, qui était normalement chargé de la gestion de l'ambassade ;
- un recours aux compétences, pour la fonction de secrétaire général, là où elles étaient, en faisant appel, le cas échéant, à des personnels provenant du pôle économique (missions économiques, trésorerie) ;
- une résolution de quelques points techniques, comme, par exemple, les conditions dans lesquelles s'appliquait la distinction « ordonnateur - comptable (régisseur) » dans ces nouvelles structures de gestion.
Il a enfin appelé à veiller à ce que la création du secrétariat général se fasse à effectifs quasi constants, afin d'éviter les ouvertures de postes qui ne manqueraient pas d'être demandées par les postes à l'étranger.
Un débat s'est ensuite engagé.
a félicité le rapporteur spécial pour la grande qualité de son travail, qui montrait, selon lui, qu'il ne suffisait pas de mettre en oeuvre « administrativement » la nouvelle « Constitution financière » pour que celle-ci produise une amélioration de la gestion, et que l'inadaptation des outils informatiques, comme le cloisonnement des crédits, pouvaient neutraliser les bienfaits de la LOLF. Il a donc souhaité que M. Adrien Gouteyron puisse faire la même présentation devant la commission des affaires étrangères du Sénat, si celle-ci le souhaitait.
En réponse à M. Maurice Blin, M. Adrien Gouteyron a indiqué qu'il avait mené son travail de contrôle en application de l'article 57 de la LOLF, parallèlement à la mission d'audit lancée par M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, et menée par une équipe mixte composée de représentants de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires étrangères. Il avait été, par ailleurs, amené à rencontrer, à Londres, des responsables du « Foreign Office », qui lui avaient fait part de leurs difficultés à mesurer la performance de leur administration. Ils avaient cependant montré une certaine avance sur la France dans la rémunération au mérite. Il a jugé, enfin, que les mesures d'économies qui s'imposaient au Quai d'Orsay ne pouvaient se résumer, de manière trop simple, par des fermetures de postes diplomatiques ou consulaires, même si certaines implantations consulaires en Europe pouvaient, le cas échéant, être remises en cause. Il fallait davantage chercher des gains de productivité dans la modernisation de la gestion, par l'application du principe de fongibilité des crédits.
En réponse à M. Paul Girod, M. Adrien Gouteyron a fait valoir que les gains pouvant résulter de ses préconisations étaient liés, d'une part, à une réduction de 100 à 150 emplois, et d'autre part, à des économies résultant de la mutualisation des achats et de certaines fonctions au niveau déconcentré.
Il s'est enfin montré d'accord avec M. Jean-Jacques Jégou pour considérer que la LOLF était utilisée comme un « bouc émissaire » facile pour la rigueur budgétaire ou les difficultés informatiques que vivaient certaines administrations, regrettant que si la formation à la LOLF avait bien pris en compte les aspects comptables, il n'en était pas de même pour la philosophie de la gestion qui devait en résulter.
La commission a enfin, à l'unanimité, donné acte à M. Adrien Gouteyron de sa communication et en a autorisé la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Présidence conjointe de M. Jean Arthuis, président, et de M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. -.