Commission des affaires économiques

Réunion du 28 octobre 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous en venons à l'ordre du jour. Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui les conclusions du rapport que vous m'avez confié en janvier dernier sur le rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri. Nous avions découvert - ou redécouvert - ensemble l'entreprise de Saint-Nazaire à l'occasion de l'audition de son directeur général M. Laurent Castaing il y a bientôt un an. Les travaux que nous avons menés depuis, ainsi qu'un déplacement dans la Région Pays de la Loire, nous ont permis de mieux appréhender les enjeux spécifiques de cet actif industriel unique.

Avec ce rapport, nous avons aussi saisi l'opportunité de nous pencher sur un cas concret et contemporain de rachat d'un fleuron français. Il s'inscrit à ce titre dans la lignée des travaux menés par nos collègues M. Alain Chatillon et M. Martial Bourquin sur Alstom il y a bientôt trois ans. Mais le Sénat a pu se saisir du dossier, cette fois, avant la vente : j'espère que la voix du Parlement sera entendue, et que le Gouvernement prendra acte aussi bien des risques que des opportunités que nous avons identifiés.

Je ne m'étendrai pas en détail sur l'histoire des Chantiers : je rappelle que l'entreprise, qui avait auparavant appartenu à Alstom, a été cédée en 2006 à un groupe norvégien, lui-même racheté en 2008 par le sud-coréen STX. C'est suite à la faillite de la maison-mère - et non à une quelconque faillite des Chantiers, alors STX France - que s'est posée la question d'un nouveau repreneur. La justice coréenne a retenu le groupe italien de construction navale Fincantieri, principal concurrent des Chantiers, comme repreneur.

L'État français a ensuite dû négocier avec le groupe Fincantieri les conditions du rachat : après qu'un premier accord ait été signé, le Président de la République nouvellement élu, M. Emmanuel Macron, décidait que l'État allait en revoir les termes. Celui-ci a donc « nationalisé temporairement » les Chantiers de l'Atlantique, en achetant la part destinée à Fincantieri. Un accord définitif a finalement été trouvé en février 2018. Pourtant, bientôt trois ans plus tard, la cession n'est pas encore intervenue. Formellement, la procédure est suspendue en l'attente de la décision de la Commission européenne, qui l'examine au regard du droit de la concurrence.

Si l'État, actionnaire majoritaire des Chantiers, est parvenu à un accord avec Fincantieri, vous me demanderez pourquoi nous intéresser à ce rachat déjà quasiment bouclé : parce que les Chantiers de l'Atlantique sont un atout stratégique pour notre pays, et que la cession telle qu'elle est envisagée ne garantit pas son avenir.

Stratégique d'abord, parce que l'infrastructure unique de Saint-Nazaire est la seule à même de produire les grands navires dont la France a besoin pour sa défense. Le porte-avions de nouvelle génération y sera construit - mais qu'en sera-t-il du suivant ? Devrons-nous le sous-traiter à Fincantieri, voire à une autre puissance étrangère ? Une firme de telle dimension serait impossible à reconstruire une fois perdue, au regard des règles urbanistiques et environnementales : je mets au défi tous les maires de France de faire aboutir à notre époque un tel projet d'infrastructure industrielle... Les Chantiers sont donc un maillon indispensable de notre souveraineté militaire.

Stratégique ensuite, parce que les Chantiers de l'Atlantique sont un véritable leader industriel français, comme il n'en existe plus beaucoup. L'entreprise est l'une des trois seules au monde dépositaires du savoir-faire nécessaire à la construction de grands paquebots. Alors que le Japon, la Corée, la Chine ont conquis tous les segments de la construction navale un par un, les paquebots sont le dernier avantage compétitif de l'Europe. Ce n'est pas pour autant une « vieille » industrie : les Chantiers de l'Atlantique s'engagent résolument dans la transition énergétique du transport maritime. Ils construisent les premiers paquebots propulsés au gaz naturel liquéfié et ont développé un prototype de paquebot à voile. Ils opèrent une diversification prometteuse dans les énergies marines renouvelables : ils ont remporté trois appels d'offre pour fournir les sous-stations des parcs éoliens en mer français, et exportent déjà ces produits vers nos voisins européens. L'entreprise possède donc un véritable potentiel de développement.

Enfin, ce savoir-faire unique s'appuie sur tout un territoire industriel, un tissu économique local de fournisseurs et de sous-traitants. Près de 500 entreprises du Grand-Ouest travaillent avec les Chantiers, et d'autres encore dans toute la France. Ce sont près de 9000 emplois directs et indirects. Chiffre assez rare pour être soulevé : 60 % des achats de l'entreprise sont réalisés en France. À l'heure où l'on parle de relocalisation, de souveraineté industrielle, n'est-ce pas là un excellent exemple de filière, de savoir-faire à préserver et à soutenir ? Les Chantiers font preuve d'un véritable ancrage industriel, que l'on ne saurait laisser disparaître à l'aune d'un transfert de production en Italie ou ailleurs.

Pour toutes ces raisons, les Chantiers de l'Atlantique sont donc un atout stratégique pour notre pays. Pourtant, à l'issue de nos travaux, il nous apparaît que la cession décidée par le Gouvernement n'est pas en mesure d'assurer son avenir. Nous avons identifié quatre risques majeurs.

D'abord, le repreneur Fincantieri est lancé dans une stratégie d'expansion à la logique incertaine. Il acquiert plusieurs chantiers en Europe alors que ses capacités sont déjà excédentaires. Un risque de transfert de production vers ses sites italiens est donc identifié. Nous en avons même un exemple : moins de six ans après le rachat d'un chantier norvégien, Fincantieri annonçait la fermeture des sites, supprimant au passage près de deux cents emplois... Sans parler de l'impact sur les fournisseurs : Fincantieri a déjà ses propres sous-traitants et son écosystème local en Italie, faisant douter de la pertinence de conserver un « doublon » de filière en France.

Ensuite, nos craintes sont amplifiées par le partenariat de plus en plus approfondi que Fincantieri tisse avec le géant public chinois de la construction navale, CSSC. La Chine ambitionne aujourd'hui de pénétrer le marché de la croisière et de construire sa propre filière de paquebots - elle l'annonce même très clairement ! Or, Fincantieri consent à coproduire de grands paquebots avec CSSC, mettant en risque le leadership européen sur ce secteur. Nous craignons que le rachat des Chantiers n'accélère ce mouvement de délocalisation, de transfert de savoir-faire et de production, aux dépens du site français.

Troisièmement, nous avons assez vu au cours des dernières années que l'État peine à faire respecter les engagements pris par les acquéreurs, je pense bien sûr à Alstom et General Electric ou à Technip et FMC. Le Gouvernement a refusé de nous transmettre le document listant les engagements de Fincantieri en contrepartie du rachat, ne nous en communiquant qu'un résumé. Plusieurs « garanties » ne sont en réalité que des déclarations d'intentions. L'évaluation est laissée entièrement à la main de l'État : la volonté politique de sanctionner sera-t-elle là au vu des enjeux diplomatiques, et notamment militaires ?

Enfin, la valorisation des Chantiers nous paraît sous-estimée. L'accord prévoit une vente au prix de 2017, c'est-à-dire aux alentours de 59 millions d'euros. Or, l'entreprise dispose actuellement d'un carnet de commandes rempli - même dans la crise actuelle - et elle a beaucoup investi pour se moderniser et se diversifier. L'accord de cession n'en tient pas compte, c'est pourtant là un enjeu pour les finances publiques.

Face à ce constat, que devons-nous faire ? Continuer à nous engager tête baissée dans une opération aux contours incertains, aux risques avérés ? Ou prendre acte qu'il s'agit d'une erreur stratégique, et préparer l'avenir ? C'est la deuxième solution que notre rapport appelle de ses voeux.

D'abord, les circonstances sont propices à repenser le dossier. La cession est enlisée, Fincantieri refusant de communiquer à la Commission européenne les engagements qu'il accepterait de prendre - ce qui jette le doute sur ses intentions... L'accord de cession a déjà été prolongé trois fois, et, sauf nouvelle prolongation, il arrivera à son terme ce samedi 31 octobre. La Commission européenne elle-même ne s'est pas encore prononcée, mais pencherait pour un refus de l'opération, jugée dangereuse pour la concurrence sur le marché.

Ensuite, d'autres alternatives existent : nous l'avons vérifié. Des partenaires privés, français ou européens, seraient prêts à s'engager au capital des Chantiers. Des acteurs locaux aussi souhaiteraient s'ancrer au capital des Chantiers, mais ils n'ont pas été entendus par le ministre de l'économie. Nous pensons donc qu'il est temps de réaliser un nouveau tour de table, pour construire une alternative d'avenir concertée et plus protectrice.

Pour conclure, notre rapport dessine ce que nous considérons être les trois lignes fortes pour tout projet alternatif, afin d'en finir avec l'instabilité et la succession de reprises sans lendemain. Tant de changements d'actionnariat depuis 2006, cela s'avèrerait particulièrement éprouvant pour n'importe quelle entreprise.

D'abord, il faut compter sur un partenaire privé, qui sera porteur d'un vrai projet industriel - qui ne réponde pas seulement à une logique financière ou prédatrice. Les complémentarités doivent être là. Il doit être capable de s'engager sur le long terme et de supporter les aléas conjoncturels de l'activité de construction navale, car c'est une activité qui peine à dégager des excédents et est sujette à des variations conjoncturelles.

Ensuite, l'État doit maintenir une présence au capital, qui reflète les enjeux stratégiques du site, mais qui joue aussi un rôle de stabilisateur. Une minorité de blocage serait un bon compromis.

Enfin, les entreprises locales, mais aussi les collectivités, doivent pouvoir s'engager davantage au capital des Chantiers, dans une logique que nous pourrions appeler le « capitalisme territorial ». Elles sont prêtes à le faire ! Il pourra être nécessaire de passer par la loi pour les autoriser à prendre des participations, en prenant acte du rôle des collectivités dans le développement économique, en particulier les Régions.

Construire l'avenir des Chantiers par un nouveau projet de rachat, cela signifie d'abord reconnaître les erreurs du passé, tourner la page ; puis prendre le temps de la réflexion et de la concertation. C'est en ce sens que plaide notre rapport - et j'espère que le Gouvernement en verra tout le bon sens. Le ministre Bruno Le Maire nous disait en audition la semaine dernière que la France devait trouver de nouveaux moteurs de croissance, d'exportations, de nouveaux champions : voilà un bon exemple de notre potentiel, ne le bradons pas.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Laurent

C'est un bis repetita, puisque vous l'avez évoqué, notre commission s'était déjà penchée sur le dossier Alstom-Siemens. La France a la chance d'avoir conservé de tels fleurons industriels : il faut que nous fassions tout notre possible pour continuer à les conserver. L'État ne prend pas la mesure du risque. À l'occasion de la mission que j'évoquais, nous avions rencontré le ministre de l'économie Bruno Le Maire et lui avions demandé de nombreuses précisions sur la fusion entre Alstom-Siemens, ce qui nous avait permis de consulter, au ministère, l'accord entre les deux entreprises. Heureusement, la Commission européenne nous avait aidés, en n'autorisant pas cette union. Cela a aidé Alstom, puisqu'ils se sont depuis associés avec Bombardier, ce qui lui a permis de conforter sa position et de se spécialiser. La même chose vaut dans le cas présent. Il faut que nous soyons très réactifs, et que nous agissions pour empêcher le gouvernement de faire n'importe quoi. Ce rapport est très judicieux et je le soutiens tout particulièrement. Je suis prêt à m'investir avec vous pour défendre cette position.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

À titre personnel, je partage le constat, les enjeux et une bonne part - si ce n'est la totalité - des propositions de ce rapport. Pouvez-vous rappeler les entreprises et personnels concernés, l'enjeu en termes d'emploi et la composition exacte du capital à ce jour ? Au-delà du montage capitalistique, il y a là un enjeu majeur de compétence, à propos duquel l'un de nos collègues M. Yannick Vaugrenard, sénateur de la Loire-Atlantique, a interpellé le ministre à de nombreuses reprises.

J'aimerais également évoquer la manière dont l'Italie - comme peut-être d'autres pays européens - se positionne par rapport à la Chine, et notamment au projet chinois des « Routes de la soie ». Ne serait-il pas intéressant que l'on aborde ce sujet, qui me préoccupe ? Certaines prises de positions intra-européennes interrogent l'avenir du commerce et de l'activité industrielle au sein même de l'Europe.

Moi-même et mon groupe partageons votre analyse sur le dossier spécifique des Chantiers de l'Atlantique et de Fincantieri : le Gouvernement doit nous donner le détail des engagements qui ont été pris, et présenter une véritable analyse du risque afin que nous puissions juger de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous parlons ici une nouvelle fois de la souveraineté de notre pays dans un cadre européen. Nous ne pourrons dorénavant pas développer notre souveraineté nationale sans des coopérations européennes, mais pas à n'importe quel prix !

Je trouve en outre intéressant que la Commission Européenne prenne le temps qu'il faut pour annoncer sa position au regard du droit de la concurrence. Dans le même temps, je ne pense pas qu'il faille uniquement examiner la dimension concurrentielle dans ce dossier. Vous l'avez dit, d'autres considérations entrent en jeu, notamment en matière militaire, ou comme le maintien de compétences importantes qui sont les nôtres à travers les Chantiers de l'Atlantique et leurs salariés.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Il est difficile d'aborder ce sujet aujourd'hui, car le confinement nous a conduits à interrompre les travaux, et nous enchaînons les dossiers, qui sont nombreux en ce moment...

Je partage le fond et les orientations de ce rapport. Nous traitons ici d'une vraie question : ce type de rapprochement relève-t-il d'une logique financière, ou d'une logique industrielle et stratégique ? D'ailleurs, si Fincantieri n'entend pas donner les informations requises à la Commission Européenne, ni aux salariés, c'est qu'il y a un problème, il y a anguille sous roche ! J'étais il y a quinze jours en déplacement à Saint-Nazaire, où j'ai rencontré les personnels des ports et du dock : les salariés y sont aussi dans l'expectative. Dans le cas des Chantiers de l'Atlantique, de vraies interrogations se posent, des menaces planent sur l'emploi. L'un des risques majeurs est que Fincantieri rachète, puis rapatrie les outils et les compétences en Italie, c'est-à-dire ne conserve pas le site de Saint-Nazaire ni ses emplois.

Concernant la présence de l'État au capital, disposera-t-il d'une minorité de blocage, c'est-à-dire d'au moins 34 % ? Ce n'est pas là un petit choix stratégique. Nous sommes tous persuadés que les Chantiers relèvent de la souveraineté nationale, du point de vue civil aussi bien que militaire. La ministre de la mer s'y est déplacée il y a une dizaine de jours de cela, et a parlé de souveraineté industrielle, ce que nous partageons. D'ailleurs, les salariés sont inquiets des développements futurs, notamment pour le volet militaire de l'activité. Rester au capital ne fait pas tout, l'enjeu est la minorité de blocage. Dans le cas d'Engie, on nous a dit : « Ne vous inquiétez pas, l'État aura une golden share, même si sa participation passe en-deçà de 34 % ». Mais on l'a vu dans le dossier Suez-Veolia, même en étant actionnaire majoritaire, même avec une golden share, l'État n'a pas été capable de s'opposer aux décisions prises. Nous aurons un débat collectif au moment du budget, qui portera sur l'Agence de participations de l'État, sur les entreprises dans lesquels l'État s'engage, et la hauteur de ses participations dans un certain nombre d'entreprises industrielles, comme les Chantiers de l'Atlantique.

Notre groupe partage donc les conclusions de ce rapport, les recommandations que vous venez de faire, et le votera.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Je partage complètement les conclusions de ce rapport. À l'étape actuelle de la cession, ce qui me préoccupe est notre capacité à bloquer la démarche déjà engagée. Comme le rapport le souligne, ce projet met en danger la souveraineté industrielle, l'emploi et les savoir-faire. Au-delà du seul rapport, qui va je l'espère faire l'unanimité de notre commission, comment alerter au plus haut niveau les pouvoirs publics, pour ne pas revivre le scandale d'Alstom ? Ils évoqueront le rapport, les médias en parleront quelque temps, et ensuite tout risque de continuer, si nous ne prenons pas un acte solennel. Faut-il interpeller le chef de l'État, le Premier ministre, par l'intermédiaire du président du Sénat ? La gravité du projet et l'importance de ce secteur économique mérite que nos travaux soient valorisés, et prolongés par un tel acte solennel. Madame la Présidente, quelle stratégie envisagez-vous pour la suite ? Nous pouvons toujours demander davantage de transparence, mais en réalité, il existe bien quatre risques objectifs, tels qu'ils sont soulignés dans votre rapport. Envisageons maintenant la suite.

Des travaux similaires ont-ils été initiés à l'Assemblée Nationale ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Berthet

Nous connaissons d'autres exemples de rachat de nos entreprises visant leurs savoir-faire, dans le but final de supprimer la concurrence sur les marchés - risque que souligne le rapport. Je pense par exemple à Ferroglobe, qui a racheté FerroPem, aspiré ses excédents, et ferme à présent ses deux sites savoyards et son site isérois.

Par ailleurs, permettre la participation des collectivités territoriales au capital des Chantiers de l'Atlantique me paraît être un élément important pour sécuriser les emplois et la cession.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Salmon

Je partage entièrement les constats de ce rapport et les alarmes qu'il lance. Les risques sont avérés. Ce que j'entends de mes collègues s'appuie sur des réalités que nous voyons depuis de nombreuses années. La souveraineté nationale est capitale : je vois qu'il en est aujourd'hui beaucoup question, et c'est tant mieux. Le monde connaît une guerre commerciale, une mondialisation libérale - que certains ont appelée de leurs voeux - qui nous a souvent servis, mais qui commence à nous desservir très sérieusement. L'État doit rester à la manoeuvre sur des enjeux stratégiques comme celui-ci. La souveraineté, notamment au regard de notre défense, est l'un des enjeux.

Un autre enjeu est la diversification dans lesquelles les Chantiers de l'Atlantique sont engagés. Vous constatez comme moi que le monde de la croisière n'est pas dans la meilleure des situations aujourd'hui et qu'il risque de rester très fragile dans les années à venir. Fincantieri, spécialiste de la croisière, risque de connaître des difficultés. Ce n'est pas le moment de donner un joyau national à une entreprise dans une telle situation. La diversification doit traduire une vision, nous emmener vers l'avenir, vers la transition écologique : vous avez parlé des éoliennes et des navires à voiles. Nous ne devons pas « mettre tous les oeufs dans le même bateau » sous peine de déchanter demain.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Merci pour vos interventions. Je me félicite tout d'abord du soutien apporté par Daniel Laurent à la ligne stratégique que je vous propose. En réponse aux demandes de précisions de Franck Montaugé, le capital de cette entreprise est aujourd'hui détenu à 84,3 % par l'État, à 11,7 % par Naval Group, tandis que les salariés représentent 2,4 % des parts et les sociétés locales de sous-traitance 1,6 %. Ces dernières souhaitent renforcer leur participation au capital, même si ces PME et ETI n'ont pas les moyens de la porter à 20 ou 30 %. La valorisation de cette entreprise ainsi que le montant de la transaction prévue sont assez difficiles à établir et l'Agence des participations de l'État ne nous a pas apporté de précisions. Nous estimons que celle-ci l'estime à environ 120 millions d'euros : cela nous paraît sous-évalué bien qu'il faille tenir compte des très faibles marges dégagées par ce type d'activité - de l'ordre de 2 %. C'est une industrie très capitalistique, avec de gros outils industriels, et des paquebots de plusieurs centaines de millions d'euros qui ne sont que peu financés par des avances et sont surtout payés à la livraison. La rentabilité est donc faible, ce qui explique que la valorisation puisse vous paraître faible.

Il est prévu que Fincantieri achète 50 % du capital et que l'État lui prête 1 % du capital pendant douze ans, avec des contreparties que l'on ne connait pas : certes, cela permet de ne pas céder la majorité des parts et de préserver une possibilité d'influence ou de blocage dans le pouvoir de décision. Reste cependant la question de savoir ce qui adviendra si Fincantieri ne remplit pas ses engagements : ces 1 % devront-ils être rétrocédés, récupérés ou rachetés ? Tout cela mériterait d'être précisé.

Par ailleurs, les Chantiers de l'Atlantique se caractérisent par un remarquable modèle de sous-traitance locale et d'empreinte économique territoriale : au-delà de ses 3000 salariés, l'entreprise fait travailler 3000 sous-traitants français et 1000 sous-traitants étrangers ; elle réalise également 66 % de ses achats en France, 33 % dans les Pays de la Loire et 90 % en Europe.

Je partage les préoccupations exprimées sur les « Routes de la soie » - sujet sur lequel notre commission devra sans doute approfondir sa réflexion. Je souligne à nouveau que l'opération prévue pour les Chantiers de l'Atlantique, dont nous nous saisissons avant qu'elle n'intervienne, illustre ce que l'on redoute de voir se généraliser, avec l'emprise croissante de groupes chinois ou américains.

Je rappelle que la Commission européenne vient de proposer un mécanisme pour interdire les rachats prédateurs, notamment par des opérateurs chinois, à des prix défiant toute concurrence. Il y a là, par rapport à la « naïveté » qui a pu être autrefois dénoncée, un déclic et une volonté de préservation de notre appareil productif, avec, en complément un système de filtrage des investissements étrangers qui se resserre.

S'agissant des étapes à venir, sur lesquelles Marie-Noëlle Lienemann s'interroge, le Gouvernement ne nous a pas communiqué d'informations sur sa volonté ou pas de reconduire, pour la quatrième fois, samedi qui vient, l'accord conclu avec Fincantieri. Sans cette information, nous ne savons pas ce qu'il adviendra. L'opération est d'ailleurs suspendue à une décision positive de la Commission européenne et, faute de disposer d'indications précises, nous en sommes réduits à attendre samedi pour voir si la conclusion d'un accord sera à nouveau prorogée.

Quant à nos moyens d'actions, je vais mettre toute mon énergie à donner une visibilité à ce rapport. Peut-être proposerons-nous une initiative législative permettant aux collectivités territoriales de rentrer dans le capital des entreprises jugées stratégiques par les Régions, au-delà des possibilités existantes. Avec la promotion de cette forme de « capitalisme territorial », j'apporte ainsi un élément de réponse aux interrogations de Martine Berthet. Ce sera également l'occasion de sensibiliser nos collègues députés à ce sujet.

Dans le prolongement des propos de Fabien Gay, je confirme qu'il s'agit à la fois d'une question financière et industrielle. Il nous faut accompagner le virage vers une plus grande maîtrise de nos actifs industriels, notamment les grands chantiers à vocation souveraine - civile ou militaire - pour y garantir une influence suffisante de l'État. Je précise bien entendu, qu'il ne m'appartient pas de mettre en cause la stratégie de Fincantieri, dont le capital est très étatisé puisque son principal actionnaire est la Caisse des dépôts italienne. Nous soulignons simplement la nécessité de préserver les intérêts des Chantiers de l'Atlantique et de son écosystème sur notre territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Tissot

Si je comprends bien, le prêt effectué par l'État représente 1 % d'un montant évalué à 120 millions d'euros : c'est une somme très modeste.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Ce petit pourcentage est cependant stratégique car il permet d'empêcher que Fincantieri ne dispose d'une majorité absolue ; l'État conserve ainsi un droit de regard et un pouvoir de blocage.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Montaugé

En prenant 120 millions comme estimation, l'opération rapporterait à l'État environ 60 millions d'euros, ce qui, à l'heure actuelle, apparaît minuscule. C'est à peine croyable...

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Laurent

Pour la stratégie future, ne serait-il pas judicieux d'inviter dès la semaine prochaine le ministre en charge de l'économie à venir nous informer de la situation et de ses intentions ? Nous l'avons fait pour Siemens et cela me paraît ici aussi pertinent.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Ces interrogations peuvent aussi faire l'objet d'une question d'actualité et, si nécessaire, nous pourrons entendre le ministre sur ce sujet, de préférence après la discussion budgétaire qui nous occupera de façon assez intense. Je précise que, s'agissant de la somme qui pourrait être récupérée par l'État, il est question d'une vente pour 59 millions d'euros, tandis que l'État a décaissé au total 110 millions d'euros en 2008 pour entrer dans le capital des Chantiers de l'Atlantique ; par ailleurs cette entreprise investit à hauteur de 40 millions d'euros par an, notamment dans ses infrastructures et dans la recherche-développement. Comme je l'ai dit, la valorisation résulte de marges assez faibles sur un chiffre d'affaires annuel moyen d'environ un milliard d'euros, ce qui correspond au prix d'un grand paquebot. Notre déficit commercial étant de 59 milliards d'euros, la vente de paquebots représente tout de même un montant non négligeable.

Je signale également que lors des visites de terrain, c'est le savoir-faire des Chantiers pour gérer l'assemblage des quelques 400 000 pièces qui composent un paquebot et qui est mis en avant comme principale source de valeur ajoutée. Le jour où nos concurrents asiatiques disposeront de cette compétence, notre industrie sera en grand danger car elle devra faire face à des capacités de production bénéficiant d'un coût salarial plus bas. Tel a été le schéma dans le secteur aéronautique. La Chine parviendra, un jour ou l'autre, à acquérir ce savoir-faire, mais ce n'est pas une raison pour accélérer ce processus et leur faciliter la tâche.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Moga

En innovation et en recherche-développement, nos chantiers sont reconnus au niveau mondial : il serait vraiment dommage de ne pas préserver ces savoir-faire enviés par le monde entier.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

La France figure parmi les trois premiers constructeurs au monde.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Noëlle Lienemann

Nous pouvons nous interroger sur les raisons pour lesquelles l'État a fait ce choix, dont l'intérêt national mériterait d'être justifié. La presse a laissé entendre que d'autres critères auraient été pris en compte. Il me semble qu'avant samedi, nous devons d'une part, par une déclaration de la commission, demander officiellement au Gouvernement de ne pas reconduire l'accord, et d'autre part demander un rendez-vous au Premier ministre pour souligner la gravité de la situation.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Notre réunion sera suivie d'une conférence de presse à laquelle sont inscrits de nombreux journalistes, elle permettra à la commission de communiquer à ce sujet. Il y a effectivement eu, en parallèle, un accord entre Naval Group et Fincantieri pour la construction navale militaire. Peut-être l'avenir des Chantiers de l'Atlantique a-t-il été inclus dans un accord plus global. Nous allons saisir le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le Premier ministre sur ce sujet.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Fournier

Nous avons bien conscience que Fincantieri a passé des accords avec la Chine. La pérennité et le dynamisme des Chantiers sont évidemment adossés à l'existence d'un marché. La recherche et développement constitue un axe prioritaire à ce titre. Les Chantiers ont-ils une capacité de marché qui leur permettra de rebondir ? Ne pourrait-on pas imaginer que dans la structuration à venir, les sous-traitants aient une plus grande participation au capital des Chantiers ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Il faut noter que malgré la crise sanitaire, le carnet de commande des Chantiers est particulièrement fourni. La totalité des commandes ont pour l'instant été maintenues, car les croisiéristes croient en le développement du marché, notamment en Asie. Les entreprises locales souhaitent entrer dans l'actionnariat, même si toutes ne le peuvent pas malgré une mobilisation forte. Aujourd'hui, leur participation au capital représente 1,6 %, elle ne pourra pas probablement pas excéder 10 %. Notre travail a montré qu'il existe des solutions alternatives à Fincantieri. Toutes ne sont pas abouties, mais la volonté des acteurs est bien là : entreprises privées européennes avec des projets industriels construits, collectivités territoriales, sous-traitants. Il y a des candidats à la reprise.

Je vous propose le titre suivant pour ce rapport : « Le projet de cession des Chantiers de l'Atlantique : éviter l'erreur stratégique, construire l'avenir ».

Le rapport est adopté à l'unanimité.

La réunion est close à 10 h 30.