Monsieur le Commissaire, nous sommes très heureux que vous ayez accepté de répondre à l'invitation de nos trois commissions.
Nous avons finalement obtenu un accord, sans doute aussi bon que possible, et de très loin préférable à une absence d'accord. On le doit beaucoup à votre persévérance, à votre détermination, à votre capacité d'entraînement auprès de tous nos partenaires européens et à votre parfaite maîtrise des enjeux de cette négociation. Maintenir jusqu'au bout l'union des pays européens a été un formidable tour de force. Bien évidemment, cet accord in extremis laisse de très nombreux points sectoriels à négocier. Dans cette perspective, peut-on raisonnablement espérer que les Vingt-Sept resteront aussi unis qu'ils l'ont été jusqu'à maintenant ?
Par ailleurs, la situation restant très sensible concernant l'Irlande du Nord - on l'a vu récemment avec l'épisode récent des vaccins -, quelle est, selon vous, la solidité de l'accord sur le point critique de l'Irlande ? Du reste, il est frappant de constater la rapidité avec laquelle les problématiques liées aux vaccins ont envenimé les relations du Royaume-Uni avec l'Union européenne. Pour avoir longuement négocié avec les Britanniques, dans quelle disposition d'esprit vous paraissent-ils maintenant ? Sont-ils constructifs ou, au contraire, offensifs, voire revanchards ?
De cette question en procède une autre. D'un côté, nous comptons sur la détermination du Royaume-Uni à poursuivre la relation de défense franco-britannique, basée sur les accords de Lancaster House, dans ses trois dimensions, nucléaire, opérationnelle et capacitaire. Mais, de l'autre, nous sommes plus inquiets quant à leur volonté de rester arrimés à la défense européenne, en dehors du traditionnel cadre otanien.
Certes, le Royaume-Uni fait toujours partie de l'initiative européenne d'intervention, qui regroupe aujourd'hui treize États membres. Emmanuel Macron proposait également, l'an dernier, d'associer le Royaume-Uni au projet franco-allemand de Conseil de sécurité européen. Enfin, la coopération structurée permanente (CSP) vient d'être ouverte aux États tiers. Néanmoins, ni le comportement passé du Royaume-Uni en matière de politique de sécurité et de défense commune, ni les déclarations récentes ne semblent révéler un véritable appétit britannique en la matière. La France devra naturellement chercher, chaque fois que possible, à garder le Royaume-Uni dans le jeu. Mais jusqu'à quel point cela sera-t-il possible ? L'Union européenne devra-t-elle se résigner à conquérir son autonomie stratégique avec une seule des deux armées majeures en Europe ? Dans ce cas, y parviendra-t-elle ?
Monsieur le Commissaire, au-delà des postures, quelle perception avez-vous aujourd'hui de l'état d'esprit des Britanniques ? Seront-ils ambitieux quand viendra le moment de définir exactement la relation future ? Et quand arrivera, selon vous, l'heure de vérité ?
Monsieur le Commissaire, nous vous savons gré d'avoir su conduire ces négociations avec une diligence véritablement extraordinaire. Le délai de onze mois, dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons et avec un partenaire dont on a pu mesurer la stratégie parfois déconcertante, représente une gageure sans précédent dans l'histoire des négociations commerciales. L'accord qui, jusqu'alors, avait été conclu le plus rapidement par l'Union européenne était celui avec la Corée du Sud, en deux ans et demi. C'est dire à quel point cet accord du 24 décembre fera date.
Il fera également date parce que nos entreprises s'inquiétaient, à raison, des conséquences économiques qu'aurait pu avoir une sortie sèche du Royaume-Uni du marché intérieur. Certes, vous aviez averti que cet accord, pour meilleur qu'il soit qu'une absence d'accord, emporterait de « vrais changements, aux conséquences mécaniques inévitables ». Ces perturbations sont réelles : files d'attente à Calais, retards dans les livraisons de colis, ruptures d'approvisionnement pour certains produits. Quelles sont les principales raisons de ces blocages ? Défaut de communication auprès des entreprises, délais de mise à disposition des formulaires, manque de moyens de contrôle ? Comment peut-on faciliter l'activité des entreprises opérant des deux côtés de la Manche ?
S'agissant d'un accord négocié aussi rapidement, il est clair qu'un point de vigilance particulier sera, pour nous, le contrôle de sa bonne application par les deux parties. Comment l'Union européenne s'organise-t-elle - le cas échéant avec les autorités nationales - pour suivre l'application de l'accord et surtout faire remonter les difficultés de terrain ? Y a-t-il une Task Force pérenne au sein de l'Union européenne à cette fin ? Quelle est l'articulation avec l'échelon national et, pour ce qui nous concerne, avec la Direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) ?
Il serait extrêmement dommageable pour la compétitivité de nos entreprises que les 1 246 pages de cet accord soient respectées scrupuleusement par nous mais méconnues par l'autre partie. Dans un rapport de 2019, notre collègue de la commission des affaires économiques Laurent Duplomb constatait qu'une partie significative des produits agricoles importés ne respectait pas les normes sanitaires requises en France. Dispose-t-on de moyens suffisants pour contrôler le respect par le Royaume-Uni des normes sociales, environnementales ou du régime des aides d'État ? De quels moyens disposera le conseil de partenariat chargé de superviser l'accord ? Comment s'assurer, en somme, qu'un paradis fiscal et réglementaire, un « Singapour-sur-Tamise », ne s'installe aux portes de l'Europe ?
La question est essentielle car, en 2019, le Royaume-Uni était de très loin le premier excédent commercial de la France. Avez-vous connaissance de premières remontées sur les variations de flux commerciaux et l'impact sur le PIB de l'Union européenne et de la France depuis janvier ? Quel est le coût global de mise en oeuvre des contrôles douaniers résultant du Brexit ?
L'imbrication des chaînes de valeur entre les entreprises de nos deux pays est extrême. À ce propos, j'aimerais vous interroger sur la règle du pays d'origine : pour être exemptées de droits de douane, les marchandises exportées entre le Royaume-Uni et l'Union européenne doivent contenir un pourcentage minimum de valeur ajoutée sur le sol de l'exportateur. Avez-vous une estimation de la part des marchandises pour lesquelles ces seuils seraient difficiles à atteindre ? Surtout, pouvez-vous nous indiquer quels sont les secteurs dans lesquels ces difficultés sont communes ? Quels sont les moyens d'aider ces secteurs à les surmonter ? Pour un domaine aussi internationalisé que l'automobile, cela semble par exemple poser quelques premiers problèmes.
Enfin, comme nos collègues, nous avons, à la commission des affaires économiques, suivi avec attention les frictions entre l'Union européenne et le Royaume-Uni à propos de l'exportation des vaccins à partir de l'Irlande. Cela signe-t-il, plus généralement, l'émergence d'une stratégie plus offensive de l'Union européenne en matière commerciale ?
Je m'associe au plaisir de mes deux collègues d'accueillir au Sénat celui qui est parvenu, après quatre ans et demi de négociations compliquées par les considérations de politique intérieure britannique et par la pandémie, à conclure avec le Royaume-Uni un accord conforme au mandat qui lui avait été confié. Je suis très heureux de pouvoir aujourd'hui vous remercier et vous féliciter, monsieur le commissaire, d'avoir sauvegardé l'intégrité du marché unique dont nous mesurons mieux le prix, et d'être parvenu à préserver jusqu'au bout l'unité entre les Vingt-Sept.
Si la conclusion de cet accord à Noël nous a satisfaits, nous n'en sommes pas moins inquiets aujourd'hui. Sa mise en oeuvre est compliquée : trop de nos pêcheurs n'ont toujours pas obtenu leurs licences pour pouvoir continuer de pêcher dans la bande des six à douze milles britanniques. En attendant, nous déplorons une surpêche dans les eaux françaises. Des entreprises nous alertent sur la sévérité des contrôles vétérinaires que nous infligeons à nos importations en provenance du Royaume-Uni, car elles craignent en retour des représailles britanniques qui leur feraient perdre durablement des marchés. D'autres, encore, dénoncent la compétition entre les ports européens, dont certains espèrent attirer les flux de marchandises en se montrant plus coulants en matière de contrôles. Comment répondez-vous à ces multiples inquiétudes ? Comment accueillez-vous la demande de la commission environnement du Parlement européen de constituer un groupe de travail mixte entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, susceptible de superviser les contrôles aux principaux points d'entrée dans l'Union européenne ?
Par-dessus le marché, le climat entre Londres et Bruxelles s'est tendu depuis Noël à propos de la question irlandaise qui, bien que ne relevant pas directement de cet accord, a surgi à la faveur des tensions apparues autour des contrôles qui s'organisent désormais en mer d'Irlande. Le protocole nord-irlandais contenu dans l'accord de retrait a heureusement permis d'éviter le rétablissement d'une frontière physique entre les deux Irlande, mais est-il possible d'éviter qu'il ne ravive les divisions entre Irlandais ? La récente crispation sur les vaccins a envenimé la situation : en brandissant la clause de sauvegarde prévue à l'article 16 du protocole, la Commission européenne espérait contrôler les exportations des vaccins produits en Europe vers le Royaume-Uni. Elle a finalement donné du grain à moudre à ceux qui mettent en doute l'applicabilité du protocole. Ces tensions sur la mise en oeuvre de l'accord de retrait augurent-elles de chicanes permanentes pour la mise en oeuvre de l'accord de coopération récemment conclu ? Compliqueront-elles les négociations qui nous restent à mener sur d'autres volets importants, notamment sur les services financiers ? En somme, quelle est votre appréciation sur l'avenir de la relation eurobritannique ?
Je n'oublie pas que j'ai été membre de la Haute Assemblée durant deux ans, notamment président de la commission des affaires européennes, avant de la quitter pour la Commission européenne. Je suis donc très heureux de me trouver en face de vous.
Je suis d'un tempérament montagnard et ces quatre ans et demi de négociations ont été une sorte de longue marche demandant calme, persévérance et respect, tout en bannissant toute forme d'émotion ou de passion.
Si je puis parler de notre pays avec passion, dans cette négociation, l'objectif était de s'en tenir aux faits, aux chiffres, aux bases légales et aux intérêts de l'Union européenne. Il s'agit d'une négociation unique - j'espère qu'elle le restera - qui a montré qu'un pays ayant choisi démocratiquement de quitter l'Union européenne peut le faire. L'Union européenne n'est donc pas une prison : on peut la quitter, si l'on accepte les conséquences de cette décision. Comme tout divorce, celui-ci provoque de graves et nombreuses conséquences humaines, sociales, économiques, financières, techniques et juridiques. Il me semble que ces conséquences sont souvent sous-estimées et généralement mal expliquées.
Face à cet événement provoquant tant d'insécurité juridique, nous avons, en deux étapes, tenté de remettre de la certitude là où le Brexit a créé de l'incertitude. Après avoir traité de la sortie du Royaume-Uni, c'est-à-dire le divorce politique et institutionnel et toutes les difficultés qu'il crée, nous avons abordé, au cours d'une négociation bien plus courte, le Brexit économique, à savoir la future relation économique et commerciale. Ce traité de 1 200 pages concerne plus de quatre millions et demi de personnes - soit environ trois millions et demi d'Européens vivant au Royaume-Uni et un million et demi de Britanniques vivant sur le sol européen - pour lesquelles nous avons garanti la totalité des droits sociaux acquis jusqu'à la fin de l'année dernière. Néanmoins, le Royaume-Uni appliquera désormais, en matière d'immigration, une politique extrêmement différente.
En matière budgétaire, la clef a été que les Britanniques ont accepté de payer à vingt-huit tout ce qui avait été décidé à vingt-huit. Je vise ici la politique agricole commune (PAC), la politique des fonds structurels ou encore la recherche.
Enfin, le sujet le plus sensible et qui comportait le plus de risques et de conséquences est l'Irlande. Il concerne, en effet, bien plus que les marchandises ou le commerce, puisqu'il s'agit des hommes et des femmes ainsi que de la paix dans une île qui a connu un conflit ayant provoqué 4 000 morts. Or, aux termes du Good Friday Agreement, l'une des conditions de cette paix fragile est l'absence de frontière, tandis que le marché unique implique des contrôles fiscaux, sécuritaires, sanitaires ou vétérinaires de toutes les marchandises traversant ses frontières. Et ces contrôles sont effectivement à opérer - on le doit au marché unique ainsi qu'aux entreprises et consommateurs qui y vivent.
Après deux ans de négociations avec Theresa May et son successeur, nous sommes parvenus à l'accord prévoyant que le territoire d'Irlande du Nord fait partie du marché unique tout en étant un territoire douanier britannique. Les contrôles s'effectuent ainsi aux limites de l'île par les Britanniques et avec notre coopération. Cette situation est complexe mais opérationnelle et durable.
À ce titre, dans le contexte de la lutte anti-covid et de la vaccination, la Commission européenne a voulu établir un contrôle des exportations de vaccins en activant la clause de l'article 16 du protocole nord-irlandais annexé à l'accord de retrait qui prévoit des mesures de sauvegarde impliquant de nouveaux contrôles en Irlande alors même que je m'étais battu, cinq ans durant, pour éviter toute frontière. Fort heureusement, la présidente de la Commission a reconnu et immédiatement corrigé cette erreur. Nous voulons donc dédramatiser les contrôles que les Britanniques ont accepté de faire, notamment pour préserver les conditions de cette paix et garantir l'intégrité du marché unique. La mise en oeuvre de cet accord de retrait, tout comme du nouvel accord de commerce et de coopération, seront respectivement suivis, à partir du 1er mars prochain, par deux services de la Commission européenne. Issus de la Task force que j'ai animée pendant quatre ans, ils seront placés sous l'autorité de la présidente.
Nous avons disposé de neuf mois pour négocier le nouvel accord relatif à la future relation économique et commerciale. Jamais nous n'avons négocié un accord de libre-échange dans un délai aussi court. Cela ne fut possible que parce que nous avons proposé de ne négocier ni tarifs, ni quotas. De fait, nous avons des échanges étroits avec ce voisin immédiat : 15 % des exportations des Vingt-Sept vont au Royaume-Uni tandis que nous sommes destinataires de 47 % des siennes. On voit bien que le Royaume-Uni est dans une position unique, tant par sa proximité géographique que par le volume de ses échanges commerciaux avec l'Union européenne.
C'est bien la première fois que nous négocions un accord de libre-échange dans un contexte de divergence règlementaire et non pas de convergence. Il s'agit d'éviter que cette divergence ne devienne un outil de dumping au service des Britanniques. Ces derniers ayant naturellement l'idée de bénéficier des avantages du marché unique sans être contraints par ses règles, la négociation a été difficile. Toutefois, il n'est pas question que soit créé un Singapour-sur-Tamise. Nous avons donc imposé - et nous le ferons à l'avenir dans tous nos nouveaux accords commerciaux - des règles du jeu équitable (level playing field). Nous ne craignons pas la concurrence tant qu'elle reste loyale.
Dans cette optique, nous avons créé des outils de dissuasion et de prévention concernant deux aspects : les aides d'État et les divergences réglementaires. Sur ces deux volets, nous sommes en capacité de mettre en place des mesures compensatoires, de rétablir des tarifs, de faire des suspensions croisées, voire de remettre tout en cause. La situation de l'accord sera évaluée et mise à plat tous les quatre ans. Je ne puis dire que tout fonctionnera parfaitement. Il faudra donc être très vigilant sur l'application de l'accord ; le Sénat, en particulier, par ses commissions, devra participer à ce travail de contrôle et d'évaluation car il faut attacher autant d'importance aux « effets de suivi » qu'aux effets d'annonce. Néanmoins, nous avons mis en place des outils et les experts de la Commission européenne jugent le cadre crédible et fonctionnel.
La partie économique de l'accord s'attache en particulier aux aspects d'énergie, de transport et de pêche. La pêche a constitué, jusqu'au bout, le sujet le plus compliqué. Ayant été le ministre des pêcheurs français, j'ai un respect infini pour ce métier difficile et dangereux. Je dois dire que les 27 États membres ont été solidaires en ce qui concerne cette question, onze d'entre eux étant concernés et huit plus directement, dont la France. Sur cette question, les positions de départ différaient beaucoup : les Britanniques voulaient tout récupérer ; ils pouvaient d'ailleurs le faire en cas de désaccord. Les pêcheurs européens pêchent 650 millions d'euros par an dans les eaux britanniques tandis que les pêcheurs britanniques y pêchent 850 millions, et seulement 150 millions dans les nôtres. En quittant le marché unique, le Royaume-Uni quitte mécaniquement la politique commune de la pêche et retrouve sa souveraineté sur ses eaux. Nous avons obtenu de ne rendre que 25 % de nos opportunités de pêche, contre les 100 % initialement demandés.
Il y a une période de stabilité de cinq ans et demi, au terme de laquelle il y aura des négociations annuelles. Dans l'accord de pêche, des mesures de compensation, ou de réplique, ont été prévues pour protéger nos activités si les Britanniques prenaient des mesures très brutales de fermeture de la mer du Nord, ce qui provoquerait des difficultés très graves. Nos répliques sont à la fois internes au secteur de la pêche et croisées. J'ai ainsi introduit une mesure miroir avec le secteur de l'énergie, sur l'interconnectivité électrique, économiquement très importante pour les Britanniques : l'accord en ce domaine est également établi pour cinq ans et demi, comme pour la pêche, avec ensuite discussion annuelle. Je pense qu'ils ont compris de quoi il s'agissait.
Dans le domaine de la coopération économique, nous avons aussi les programmes européens. Nous avons proposé au Royaume-Uni, comme aux autres pays tiers, de participer, dans d'autres conditions qu'aujourd'hui, aux programmes de recherche, spatiaux et Erasmus. Les Britanniques ont refusé de continuer à participer à Erasmus parce qu'ils veulent créer un programme concurrent, mais ils participeront encore aux programmes européens de recherche.
Le troisième secteur de coopération établi dans l'accord est la sécurité intérieure. Le Royaume-Uni a accepté de respecter les grands principes de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que notre réglementation sur le contrôle des données personnelles, et nous avons trouvé des moyens opérationnels pour qu'il participe à Europol, Eurojust, aux extraditions, à la lutte contre le blanchiment d'argent, au programme Prüm sur l'échange de données ADN ainsi qu'au programme PNR (Passenger Name Record) lié à la protection des passagers.
Le quatrième chapitre concerne la gouvernance. Il y aura un accord-cadre global et à l'intérieur du paquet économique, un seul système de règlement des conflits permettant la suspension croisée, à laquelle nous tenions. Les Britanniques voulaient faire du « salami » mais nous avons tenu à un accord global.
La négociation est terminée. Maintenant, il s'agit d'appliquer cet accord. Il n'y aura pas de renégociation. En revanche, deux sujets n'ont pas été inclus. Le premier, parce que nous ne le voulions pas, concerne les services financiers. La Commission attribue des équivalences à certains services, en fonction des intérêts et de la stabilité financière de l'Union européenne. Ce sont des mesures unilatérales. Il n'y a pas de cogestion des équivalences.
Le deuxième, parce que les Britanniques ne le voulaient pas, est la politique étrangère et de sécurité commune. Nous le regrettons. Peut-être voulaient-ils que nous soyons en position de demandeurs ? Peut-être connaissaient-ils les sensibilités divergentes des États membres ? Peut-être cette dimension de la politique de l'Union européenne n'est-elle pas celle que les Britanniques privilégient ? Nous sommes ouverts à discuter à nouveau de ce volet qui était prévu dans la déclaration politique agréée par Boris Johnson il y a un an et demi. Nous sommes prêts à créer un cadre, par exemple pour la coopération politique aux Nations unies, la participation éventuelle des Britanniques à des opérations extérieures militaires de l'Union, la coopération des services, notamment sur la cybersécurité, et puis la participation du Royaume-Uni en tant que pays tiers à une coopération structurée dans le cadre du traité, ainsi qu'au Fonds européen de défense nouvellement créé.
Nous avons trois sujets de vigilance et d'exigence. Premièrement, l'Irlande. La paix y est très fragile. Deuxièmement, la bonne application du traité, avec un Conseil de partenariat notamment pour assurer le suivi des risques de dumping. Ce traité ne date que d'un mois et demi, il existe donc un besoin d'adaptation, mais dans quelques mois, il faudra distinguer l'adaptation du fonctionnement normal. Ce ne sera pas business as usual. Les Britanniques ont quitté le marché unique, l'union douanière, l'Union européenne, ce qui entraîne des conséquences mécaniques. En Allemagne, on dit qu'on ne peut pas aller danser dans deux mariages à la fois. Il y a une différence définitive entre un pays membre et un pays tiers : plus de passeport financier, ni de certification automatique, ni de reconnaissance automatique des qualifications professionnelles. Ce sont des barrières non tarifaires, qui sont nombreuses, comme avec n'importe quel pays tiers.
Troisièmement, je recommande que l'on comprenne pourquoi le Brexit s'est produit. C'est peut-être trop tard pour les Britanniques, mais pas pour nous. Il y a peut-être eu un rejet de Bruxelles en raison des conséquences de la mondialisation, de la disparition de l'industrie et de services publics. Je recommande d'écouter ce sentiment populaire - et non pas populiste - de ne plus être protégé, de le comprendre et d'y répondre. L'Union européenne commence à le faire : elle manifeste moins de naïveté dans ses échanges avec le reste du monde, et enfin la politique industrielle n'est plus un gros mot à Bruxelles. Je recommande de tirer les leçons du Brexit : c'est autre chose que de mesurer les conséquences du Brexit.
J'ai été fier et honoré de mener une équipe formidable. J'ai été très heureux de participer à ce travail collectif. Je vais encore suivre la ratification au Parlement européen. Nous avons prouvé que l'unité des Vingt-Sept était possible. C'est un travail quotidien. J'ai été désigné à l'automne 2016, lorsque la situation était extrêmement grave : Brexit, élection de M. Trump, attaques terroristes, insécurité tout autour de la Méditerranée. Cela a engendré un sentiment de responsabilité. J'ai ensuite cultivé cette volonté d'union par une méthode : la transparence. Nous avons tout dit, chaque jour, à tout le monde en même temps. Notre équipe a rendu compte en temps réel au Parlement européen et à un groupe de vingt-sept délégués Brexit des gouvernements, qui s'est réuni deux fois par semaine à Bruxelles. J'espère que cette unité pour le Brexit, événement négatif, sera utilisée pour des enjeux positifs.
Merci pour cet exposé. Je vous adresse mes félicitations pour cette mission hors norme. Il y a l'accord, puis la relation future sur les problématiques de défense, de pêche ou de ports de commerce. N'oublions pas les intérêts de la France. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les ports ? Y a-t-il une stratégie chinoise connue pour tirer les marrons du feu de ce divorce ?
Merci, monsieur le Commissaire. En vous écoutant, j'avais à l'esprit le dessin de Plantu qui illustre parfaitement la connaissance que vous êtes peut-être le seul à avoir de tous les enjeux de cette négociation. J'ai apprécié votre remarque sur les enseignements à tirer du Brexit. Nous devons nous interroger si nous voulons éviter que les populistes de toutes sortes progressent en Europe.
Quid de la coopération entre les laboratoires de recherche situés des deux côtés de la frontière ? De la mobilité des enseignants, des chercheurs et du personnel administratif ? La mobilité académique est essentielle. Plus de 45 000 articles scientifiques sont coécrits entre la France et le Royaume-Uni. Quid des contrats d'enseignement, de recherche et d'innovation entre les établissements d'enseignement supérieur ? Quelle matérialisation concrète de la convention signée entre la conférence des présidents d'université et son homologue britannique, en juin 2017, qui a réaffirmé cette volonté commune de travailler ensemble ? La crise du covid montre la nécessité de renforcer les liens entre les chercheurs de par le monde.
Enfin, de nouvelles voies maritimes s'ouvrent avec l'Irlande, relevant essentiellement de volontés bilatérales. L'Union ne serait-elle pas la mieux à même de coordonner et d'organiser ces nouvelles routes dans le cadre d'une véritable politique européenne des transports préservant l'environnement ?
Monsieur le Commissaire, vous avez dit que 4,5 millions d'Européens avaient vu leurs droits acquis grâce à l'accord. J'en fais partie et vous remercie pour vos efforts.
Il y a un besoin de clarification de l'article 20 de l'accord, sur la restriction des droits de séjour et d'entrée. Deux millions d'Européens n'ont que le pre-settled status et devront renouveler leur demande de settled status dans les cinq ans. Que se passera-t-il en cas d'omission de renouvellement de la demande ? L'article 20 ne le précise pas.
Depuis le 1er janvier, les acteurs financiers britanniques ont perdu leur passeport européen et ne peuvent plus exercer leurs activités sur notre territoire. On constate un transfert des activités financières de Londres vers Amsterdam, Francfort et Paris, dans cet ordre. C'est à la Commission qu'il revient de donner des équivalences, ce qu'elle fait pour l'instant avec parcimonie, puisqu'elle n'en a accordé que deux contre une trentaine en attente.
D'ici mars, un protocole d'accord définissant le cadre d'une coopération réglementaire en matière de services financiers devrait être signé. Où en est-on ?
Ma question porte sur le troisième point de vigilance : les leçons politiques du Brexit. Après un climat très anxiogène, on est passé au « ouf » de soulagement, avec le risque d'oublier l'échec politique que le Brexit constitue pour l'Europe. Monsieur le Commissaire, je suis heureux de vous entendre appeler à poursuivre la réflexion. Je fais partie de ceux qui ne veulent pas sortir de l'Union européenne mais qui la critiquent et ont le sentiment de ne pas être écoutés. Cela nourrit des phénomènes regrettables. Quelles grandes leçons tirez-vous de cet échec ? Un débat va se tenir dans le cadre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe : quelles sont vos pistes pour repenser l'avenir de l'Europe ?
Pascal Allizard a évoqué les intérêts français. Dès que je serai dégagé de mes responsabilités européennes, vous n'aurez pas beaucoup à attendre pour entendre mes idées sur la stratégie industrielle et les leçons du Brexit. Le sentiment populaire qui y a mené existe chez nous, beaucoup plus qu'on ne le croit. Il y a eu à Bruxelles, pendant trop d'années, une forme d'ultralibéralisme qui a consisté à déréguler, ouvrir toutes les portes et toutes les fenêtres, ce que ne faisaient pas les Américains, les Russes et les Chinois. On a baissé la garde, notamment dans le domaine de la régulation financière. La crise de 2008 a heurté de plein fouet un continent européen qui s'était désarmé. Devenu Commissaire européen aux services financiers en 2010, j'ai présenté avec mon équipe pas moins de quarante-et-une lois de régulation financière en cinq ans pour remettre de la lumière sur des gens qui ne l'aiment pas beaucoup, ainsi qu'un peu de morale et d'éthique là où elles avaient disparu. On aurait tort d'oublier le choc de la crise. Je pourrais aussi parler des excès de la bureaucratie. À l'échelle nationale, on a désindustrialisé au profit des services, au Royaume-Uni et en France. Cela n'a pas été le cas en Allemagne, en Italie ou en Suède. Dans notre monde global, on a intérêt à réarmer l'Europe. C'est pourquoi je suis très heureux du portefeuille confié à Thierry Breton et de son action sur l'industrie numérique et du Fonds européen de défense qui affectera de l'argent à ce secteur, pour la première fois dans l'histoire de l'Union.
Nous devons aussi déplorer la faiblesse du débat démocratique européen. Le général de Gaulle disait : « Il faut combattre la démagogie par la démocratie. » Nous devons être capables de mener un débat démocratique. Les peuples sont intelligents et doivent disposer des éléments pour décider.
Jean-Marc Todeschini parlait du transport. De nouvelles lignes de fret directes entre Cherbourg et l'Irlande se développent. L'Irlande est demandeuse à cet égard, dans le secteur des transports mais aussi de l'énergie. La Commission est prête à soutenir le renforcement de ces liens.
La stratégie de la Chine existe, Brexit ou pas Brexit. Mais ne soyons pas naïfs vis-à-vis de la Chine, comme des États-Unis. Il faut absolument préserver le marché unique et éviter le cherry picking. C'est principalement pour notre marché unique que les Américains et les Chinois nous respectent.
Le dessin de Plantu me faisait dire : « Si vous avez compris ce que je disais, c'est que je me suis mal exprimé. » J'espère que ce n'est pas votre sentiment aujourd'hui !
Les universités et les laboratoires continueront à coopérer parce que le Royaume-Uni a accepté de participer aux programmes de recherche. Mais ce ne sera pas le même cadre financier ni juridique qu'avant.
Peut-être que mon adjointe Clara Martinez pourra répondre à Olivier Cadic. Toutes ces problèmes sont soumises à l'agenda du comité conjoint lorsqu'elles nous sont rapportées.
C'est une problématique dont nous avons discuté avec les Britanniques. Ils ont instauré un système selon lequel les citoyens qui étaient au Royaume-Uni avant le 31 décembre de l'année dernière ont un statut de résident permanent tandis que d'autres citoyens ont droit au statut de pré-résident permanent, à renouveler. Quant aux droits prévus par l'accord de retrait, les Britanniques ne peuvent pas les remettre en cause : c'est une procédure administrative qu'ils ont mise en place, et que la Commission surveille et continuera de suivre dans les prochains mois. Chaque État membre a instauré son propre système, parfois purement déclaratoire, parfois plus procédural, pour les résidents britanniques qui étaient sur son sol avant le 31 décembre.
Je précise que c'est M. Maro efèoviè, le vice-président de la Commission européenne, qui nous représente dans le comité conjoint. Clara Martinez, qui vient de s'exprimer, était la directrice de cabinet du président Juncker. Elle est aujourd'hui, pour quinze jours encore, mon adjointe dans la négociation. Elle a été à mes côtés dans toute cette deuxième négociation.
Une procédure d'évaluation des équivalences est en cours. Une bonne vingtaine sont envisagées. Elles ne seront pas toutes données. Elles seront attribuées de manière très consciencieuse, en tenant compte de nos intérêts et des risques d'instabilité financière. Les Britanniques ont essayé, dans les négociations, de contourner cette procédure. Par exemple, ils ont insisté jusqu'au dernier moment pour inscrire dans l'accord de future relation une disposition qui ouvrirait une sorte d'équivalence automatique pour tout ce qu'on appelle la gestion de portefeuille (Portfolio Management), c'est-à-dire les fonds d'investissement. La présidente de la Commission a dit de manière claire et nette qu'il n'en était pas question, qu'on ne contournerait pas la procédure ! Pour ce secteur, c'est un vrai changement. Tout le monde n'a pas cru qu'il allait se produire, mais il s'est produit, comme une conséquence mécanique, automatique, du Brexit. Avec la commissaire Mairead McGuinness, nous travaillons au protocole, qui sera finalisé dans les délais prévus, et qui ne porte pas sur les équivalences mais sur la coopération réglementaire en matière financière, comme ceux que nous avons avec le Japon et avec les États-Unis.
Pierre Laurent a parlé de soulagement. Je n'en éprouve aucun ! J'étais heureux d'accomplir cette mission, et surtout d'aboutir à un accord pour un divorce ordonné plutôt que désordonné. Mais le Brexit reste une interpellation.
Du point de vue de notre continent, le Brexit était présenté comme un cataclysme pour le Royaume-Uni. Les Anglais avaient plus à perdre que les Européens en quittant l'Union, nous disait-on et, à en croire les projections sur l'évolution du PIB d'ici à 2050, l'Union européenne se maintiendrait au sein du G8, tandis que le Royaume-Uni en sortirait. Pourtant, lorsque l'on observe que les Britanniques ont été mieux fournis en vaccins contre le covid, cela interroge ! Cet épisode est-il anecdotique, ou illustre-t-il les angles morts qui persistent au sein de l'accord de commerce et de coopération ? Je pense notamment aux garanties relatives à la concurrence loyale. L'Union européenne a par exemple renoncé à l'alignement dynamique des normes. Quelles garanties offriront les Britanniques sur la question de l'accès aux marchés publics, très encadrée par des directives ? A-t-on vraiment trouvé le bon équilibre entre compétition et coopération ?
Vous avez évoqué tout à l'heure les leçons à tirer du Brexit. Quel levier voyez-vous pour faire rebondir la construction européenne ? Quelles évolutions institutionnelles vous semblent nécessaires ? Surtout, comment réenchanter la construction européenne, et convaincre nos concitoyens européens que l'Europe garantit, pour demain, la souveraineté économique de nos nations ? La Hongrie et, dans une moindre mesure, la Pologne, prennent de grandes libertés avec les valeurs fondatrices de l'Europe et de nos démocraties libérales. Que pensez-vous de cette évolution ? Enfin, vous avez parlé de dérégulation. L'avenir de l'entreprise publique EDF nous inquiète. Qu'en dites-vous ?
Cette négociation a été marquée par la volonté des 27 d'assurer la robustesse de ce nouvel accord de commerce pour contrer les risques de dumping environnemental et social. L'essentiel sera dans la pratique et l'usage de ce traité. Comme vous l'avez dit, les effets de suivi doivent correspondre aux effets d'annonce. Un mécanisme de vérification du respect de nos standards environnementaux et sociaux se déploiera. Quelles garanties sur sa robustesse ? Quelles seront les sanctions ou les restrictions en cas d'écart ? Que pensez-vous de la possibilité d'élargir le champ d'application de ce nouveau dispositif européen ? Peut-on l'appliquer à d'autres accords commerciaux ? D'un mal pourrait sortir un bien, si nous en profitons pour faire évoluer le modèle actuel de l'accord commercial européen, encore trop marqué par la seule volonté d'ouverture et de facilitation des circulations, c'est-à-dire par l'ultralibéralisme.
Le principal enjeu du protocole irlandais est la création d'une frontière en mer d'Irlande et les tensions qu'elle crée. Les Unionistes du DUP (Democratic Unionist Party) invoquent de plus en plus l'article 16 du protocole nord-irlandais, qui autorise le Royaume-Uni à prendre des mesures de sauvegarde appropriées, donc une possible suspension des contrôles. Le 11 février dernier, Michael Gove et Maro efèoviè ont publié un communiqué conjoint sur les prochaines étapes incluant d'éventuels ajustements. Sait-on, monsieur le Commissaire, quels pourraient être ces aménagements ? Ne risque-t-on pas de remettre en cause les fondamentaux de ce protocole ? Celui-ci fait polémique au Royaume-Uni car il met l'Irlande du Nord dans une situation de double appartenance. Sur les droits des citoyens, ne serait-il pas utile de mettre en place un comité spécifique, qui puisse contrôler la réciprocité des droits entre citoyens européens et britanniques ?
Je suppose que les négociations se sont appuyées sur une analyse des risques économiques encourus par les pays de l'Union européenne. Compte tenu de l'accord négocié, dans quels secteurs ou filières économiques anticipez-vous des conséquences négatives ? Quel plan ou quelles contre-mesures l'État français devrait-il mettre en oeuvre pour minimiser ses effets sur les entreprises françaises ? Les services financiers implantés en France ne vont-ils pas en pâtir ? Ne voyez-vous pas dans le départ des Britanniques une opportunité de création de nouveaux paradis fiscaux ? La question n'est d'ailleurs toujours pas résolue en Europe même... En matière agricole, l'accord donne l'impression que nous ne pourrons plus protéger les futures indications géographiques protégées (IGP) et appellations d'origine protégée (AOP) comme nous l'avons fait jusqu'ici. Les accords futurs résultant de l'évaluation du Brexit initial feront-ils partie de l'accord de Brexit ? Le Brexit va-t-il, selon vous, alourdir ou faciliter le projet nucléaire d'Hinkley Point que porte EDF ?
L'importance d'être ensemble réunis dans le marché unique est claire. Sans cela, en quelques décennies, seule l'Allemagne figurerait parmi les pays du G8 - alors que les 27, ensemble, continueront à être l'une des toutes premières économies mondiales. Les conséquences du Brexit avaient été évaluées à près de 3 % du PIB, sur plusieurs années, pour le Royaume-Uni, et à quelque 0,3 % ou 0,4 % pour l'Union européenne. Pour autant, il s'agit d'un évènement perdant-perdant : il n'y a pas de conséquences positives du Brexit ! Même si les services financiers français se renforcent parce que les Britanniques perdent le passeport financier, je ne suis pas sûr qu'il faille s'en réjouir. Évidemment, le Brexit a encore plus de conséquences négatives au Royaume-Uni, du fait de la structure des échanges : les Britanniques exportent à 47 % vers l'Union européenne. Désormais, il n'y aura ni taxes ni quotas, certes, mais des contrôles, donc des barrières non tarifaires.
Sur les vaccins, je ne ferai pas de commentaire, sauf pour mettre les choses en perspective. Tant mieux, au fond, si davantage de Britanniques sont vaccinés. Attendons que les vaccins soient vraiment opérationnels : il faut deux injections... Mais il est clair que les Britanniques sont seuls, qu'ils ont pu décider seuls, et que c'est plus compliqué à 27, surtout quand c'est la première fois. Notre philosophie a été de mutualiser les commandes de vaccins. Nous avons peut-être connu des difficultés administratives plus lourdes mais, au moins, nous garantissons l'équité entre les 27 : c'est aussi cela, la philosophie de l'Union européenne. Cela dit, je recommande de mettre les choses en perspective, d'éviter les polémiques et la surenchère. Tant mieux pour les Britanniques : je leur souhaite tout le meilleur. Ceux qui gouvernent nos pays devront encore affronter ensemble de nombreux et graves défis : les nouvelles pandémies, le terrorisme, le changement climatique, l'instabilité financière... Autant préserver l'esprit de coopération ! Le Brexit est derrière nous, désormais.
Que faire en Europe ? Je ne suis pas sûr qu'il faille mettre les questions institutionnelles au premier rang. Nous l'avons fait pendant dix ans - et j'y ai contribué, d'ailleurs, en participant aux négociations du traité d'Amsterdam comme ministre ou comme commissaire, ou à la préparation du traité de Nice, ou de la Constitution européenne. Nous avons mis toute notre énergie sur ces réformes institutionnelles, mais je ne suis pas sûr qu'elles intéressent beaucoup les gens. Le moteur doit fonctionner, et on doit faire les réformes s'il en faut. Mais il faut insister davantage sur ce qu'on fait ensemble, en expliquant pourquoi on est sur la même route, et quelles sont les prochaines étapes sur cette route. Sans doute devrions-nous aussi prendre le temps, au niveau européen et peut-être au niveau national, d'évaluer la valeur ajoutée de ce qu'on fait ensemble. Certains sujets ont été mutualisés il y a 20, 30 ou 40 ans. Peut-être n'y a-t-il plus la même valeur ajoutée à le faire aujourd'hui. Inversement, sur la recherche, la santé, la défense, nous avons grand besoin de mutualiser davantage. La question de la valeur ajoutée de l'Union européenne est très importante.
La Hongrie et la Pologne sont en discussion avec l'Union européenne. Quand on est membre de l'Union, on en respecte les règles, notamment sur les droits fondamentaux.
Sur EDF, je ne veux pas me prononcer, car le sujet est actuellement instruit par les services de la Commission.
Jacques Fernique a évoqué la robustesse des clauses. Les experts avec lesquels je travaille me disent que ce qu'on a fait est crédible, à la fois pour les aides d'État et pour la non-régression des normes environnementales, sociales et fiscales. En fait, nous verrons à l'usage - mais j'espère qu'on n'en aura pas l'usage, et que les mesures prévues auront un effet dissuasif ou préventif suffisant. Nous devrons rester vigilants : déjà, en trois semaines, j'ai entendu trois ministres britanniques annoncer des mesures sur l'assouplissement de la durée hebdomadaire du travail, la réintroduction de pesticides ou l'assouplissement des règles prudentielles dans les services financiers...
La présidente de la Commission a indiqué que ce que nous avons fait pour cet accord servira de base pour tous les nouveaux accords de commerce que nous signerons dans le monde en tant qu'Européens. Il ne s'agira plus seulement d'abaisser ou de supprimer des droits de douane ou des quotas, mais d'utiliser les accords de libre-échange comme un outil de gouvernance mondiale, pour créer du progrès, notamment dans la lutte contre le changement climatique. Bien sûr, ces accords ne ressembleront pas tous à celui-ci, mais ce que nous avons fait, pour la première fois, sur les règles du jeu équitables, sera réutilisé.
Il n'y a pas une frontière en mer d'Irlande, mais des contrôles, dans un espace qui est régi par les règles du marché unique, où le code douanier européen s'applique. Je ne veux pas parler de frontières, par respect pour l'intégrité territoriale et politique du Royaume-Uni. Ce protocole n'est pas renégociable. Il a fait l'objet d'un traité ratifié et il doit être respecté, dans toutes ses dimensions. Vous vous souvenez qu'il y a six mois, les Britanniques ont voulu remettre en cause plusieurs dispositions de ce protocole. Cela a suscité notre stupeur, celle de plusieurs anciens Premiers ministres britanniques, dont Mme May, inquiets pour la qualité de la signature britannique, et même une réaction du nouveau président américain, très attentif à ce qui se passe en Irlande. Du coup, les Britanniques sont revenus à davantage de raison. Je vous recommande donc d'être pragmatiques. Nous le sommes dans le comité conjoint, qui comporte déjà, d'ailleurs, un comité spécialisé sur les droits des citoyens.
J'ai été ministre de l'agriculture et suis donc très attaché aux indications géographiques. Le stock des quelque 3 000 indications géographiques existantes a été sécurisé définitivement dans l'accord de retrait. Les Britanniques ont voulu rouvrir cet accord. Nous avons refusé. Il est exact que nous n'avons pas, dans le nouvel accord, traité la question des nouvelles indications géographiques. Il y en aura très peu, et nous sommes convenus d'un rendez-vous pour en discuter avec eux. Le plus important, dans la négociation, m'a paru être de préserver le stock des 3 000 indications existantes, depuis le whisky écossais jusqu'au gorgonzola, ou au beaufort !
La clause de non-régression des niveaux de protection est censée être contraignante et exécutoire. D'après ce que vous nous en dites, elle semble solide et suffisante pour éviter les écueils d'une concurrence déloyale ou du dumping environnemental. Mais quels sont les moyens opérationnels pour assurer sa mise en oeuvre ? Le président Rapin a évoqué l'organisation d'un groupe de travail mixte entre l'Union européenne et le Royaume-Uni pour superviser les contrôles aux principaux points d'entrée de l'Union européenne. Qu'en est-il ?
Pourquoi le Brexit a-t-il eu lieu ? Vous avez posé la question. Il est effectivement essentiel que nous, parlementaires nationaux, en discutions. Mais l'administration européenne s'interroge-t-elle, elle aussi ?
Merci de votre pugnacité, qui a permis d'aboutir à cet accord. Elle vous honore, et honore notre pays. Mais l'accord n'est pas forcément bon pour tout le monde. Prenez, par exemple, la filière sucre. La France exporte 500 000 tonnes de sucre vers la Grande-Bretagne. Certes, ce volume ne sera pas diminué par des barrières tarifaires. Ce sera plus pernicieux : nous serons exclus de ce marché pour des raisons économiques, puisque les Britanniques se sont accordé un nouveau contingent sans droit de douane de sucre de canne non communautaire, de l'ordre de 260 000 tonnes, c'est-à-dire plus de la moitié de ce que nous exportons vers la Grande-Bretagne. Nous y serons donc directement en concurrence avec le sucre brésilien - c'est-à-dire qu'il nous faudra rivaliser avec les plus compétitifs des pays tiers. De plus, les contingents d'importation que la Commission a négociés en bilatéral, et non en contingent de l'OMC, restent en l'état. On pourra donc importer dans l'Union européenne à 27 ce qui avait été négocié à 28. Cela nous pénalisera davantage encore, puisque les volumes de commercialisation qui ne seront pas pris par la Grande-Bretagne seront à notre charge. Pensez-vous, monsieur le Commissaire, pouvoir pousser la DG Commerce à rouvrir ces négociations bilatérales ? La fenêtre de tir serait opportune car, avec le Green Deal, des voix se lèvent pour exiger de nos partenaires commerciaux traditionnels ce que l'on va exiger de nos propres producteurs.
L'accord de retrait fait référence au droit de l'Union et à son respect sur un certain nombre de sujets, en particulier en ce qui concerne les citoyens européens. Pourtant, à partir d'une certaine période, ce ne sera plus la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) qui pourra décider, puisqu'il y aura un tribunal d'arbitrage. Cela ne remet-il pas en cause la primauté et l'exclusivité de la CJUE en matière d'application du droit de l'Union sur ce domaine sensible?
Ce nouvel accord pourrait servir de base pour d'autres accords. Il est complexe et, pourtant, il ne sera pas ratifié par les Parlements nationaux. On peut comprendre pourquoi, compte tenu du point de départ. Toutefois, comment imaginer que des accords qui seraient moins intégrés et moins complexes, ou de même nature, ne passent pas devant les Parlements nationaux ? Ne sommes-nous pas en train de créer un précédent qui pourrait, par exemple, justifier que tous les autres accords, comme le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), ne passent plus devant les Parlements nationaux, si l'on appliquait les mêmes règles ?
Dans le fonds d'ajustement au Brexit, pourquoi est-il envisagé que la France soit aussi mal servie ? Il s'agit tout de même de plusieurs milliards d'euros... Et nos pêcheurs, entre autres, vont subir de plein fouet le Brexit. Par ailleurs, l'anglais peut-il rester la langue officielle de l'Union, dès lors qu'il n'y a plus que 1 % de ses citoyens qui le parlent ?
Ma question concerne le secteur du tourisme, et plus particulièrement les saisonniers britanniques engagés par les tour-opérateurs en France. Ces derniers génèrent chaque année une activité économique non négligeable, par exemple dans nos stations de ski. S'il semble acquis que le détachement des personnels reste autorisé, l'inquiétude des tour-opérateurs est grande quant au niveau d'acceptation des demandes de permis de travailler. Ils doivent prendre des engagements dès maintenant sur le territoire français pour préparer les saisons prochaines et ont besoin à cet effet de visibilité, et d'être rassurés quant à leur possibilité d'embauche. Ils ne prendront pas de risques... Des accords particuliers ont-ils été conclus sur le sujet des permis de travailler des saisonniers britanniques engagés dans le secteur du tourisme en Europe afin de faciliter leur traitement et ainsi de conserver l'activité économique générée ?
Vous m'interrogez sur le fonds de compensation. Notre pays devrait toucher 421 millions d'euros sur les 4,2 milliards prévus. La répartition a été faite sur des bases objectives, selon les secteurs et les régions les plus touchés. Je rappelle que nous avons un accord, grâce auquel le Brexit est ordonné. Si des tarifs et des quotas avaient été rétablis, pour le coup, cela aurait eu des conséquences extrêmement graves dans le domaine agricole, par exemple.
Parmi les secteurs les plus touchés figure clairement la pêche, puisque nous devrons rendre en cinq ans et demi 25 % - et non 100 % - de nos opportunités de pêche. Ces conséquences feront l'objet de compensations. Il faudra du temps pour évaluer les conséquences pour tous les secteurs. La Commission a proposé de donner une enveloppe nationale à chaque pays tout de suite. Ces enveloppes sont là et peuvent être utilisées immédiatement. Je recommande que vous gardiez le contact avec le ministre des affaires européennes français, et le ministre de la pêche, pour vérifier dans quelles conditions et comment cet argent est attribué.
Anne-Catherine Loisier a évoqué la non-régression. Encore une fois, je ne prétends pas que cet accord est parfait, mais il s'agit d'un compromis qu'il nous faudra juger dans la durée. À ce titre, vous aurez un rôle à jouer, notamment s'il faut que des outils de réplique ou de dissuasion soient utilisés. Cela inclut la capacité d'appeler à des mesures compensatoires quand on constatera des distorsions de concurrence, notamment dans le domaine des aides d'État.
Il n'est pas question d'instituer, comme le proposerait la commission environnement du Parlement européen, des contrôles communs avec les Britanniques à nos frontières. L'accord du Touquet est, lui, bilatéral. La France a créé environ 1 000 postes de douaniers supplémentaires, les Pays-Bas 700, la Belgique 400, pour contrôler les nouveaux flux qui ne l'étaient pas jusqu'au 31 décembre.
L'examen de conscience auquel nous appelle le Brexit s'applique aussi à l'administration européenne. À Bruxelles, pour trois périodes de cinq ans, j'ai eu la chance de travailler avec des fonctionnaires exceptionnels. Comme partout, si les bureaucrates prennent le pouvoir, c'est que les hommes politiques le leur ont laissé. Les commissaires et ministres doivent assumer leurs responsabilités et utiliser l'expertise des fonctionnaires, et non le contraire.
En ce qui concerne la filière sucre évoquée par Pierre Cuypers, ne nous faisons pas d'illusions sur le fait que les Britanniques signeront des accords commerciaux avec tous les pays du monde. Je suis convaincu qu'ils seront tentés de changer leur modèle alimentaire pour être moins dépendants de notre marché. S'il est directement touché par le Brexit, ce secteur peut tout à fait faire appel au fond d'ajustement par l'intermédiaire du gouvernement français.
Nous appliquerons rigoureusement les règles d'origine, qui permettent de protéger des centaines de milliers d'emplois chez nous. Nous avons trouvé des solutions dans certains domaines, comme pour les véhicules électriques. Mais nous ne voulons pas que le Royaume-Uni importe à bas coût des pièces du monde entier, les assemble en leur apposant la marque made in England puis devienne, à nos portes, un hub d'exportation sans tarifs ni quotas.
Il y aurait beaucoup d'inconvénients à rouvrir les négociations bilatérales parce que cela remettrait en cause tous les accords signés à 28, qui sont globalement positifs. Mais je suis conscient de ces questions.
Concernant la question de la langue anglaise, la règle est de prendre en compte l'intérêt de chaque pays, ce qui a largement contribué à l'unité. Les Vingt-Sept ont, par exemple, été solidaires de l'Espagne au sujet de Gibraltar. L'anglais constitue la langue d'au moins deux pays, l'Irlande et Malte, et restera donc l'une des langues de l'Union.
La question de Martine Berthet, qui a l'avantage d'être originaire de ma ville d'Albertville, concerne le tourisme. Pour moi, Brexit signifie Brexit et la situation sera amenée à changer pour les prestataires de services britanniques, qui ne bénéficient plus de la liberté de circulation et devront respecter les règles sociales locales, avec des permis de travail.
Merci beaucoup, monsieur le Commissaire. Nous retiendrons la qualité de la négociation que vous avez menée ainsi que la fermeté dont vous faites preuve pour appeler au contrôle strict de la mise en oeuvre de l'accord. Il n'y aura pas de Singapour-sur-Tamise, tant mieux !
(Applaudissements.)
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 15.