Nous examinons le rapport de Vincent Delahaye sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'avenant à la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République argentine du 4 avril 1979, en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion fiscale en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune.
La convention fiscale, qui a été conclue en 1979, témoigne de l'ancienneté de nos relations économiques et diplomatiques avec l'Argentine. La présence française demeure aujourd'hui significative, puisque 15 000 de nos ressortissants y sont établis, dont près de 1 000 étudiants. Par ailleurs, la France figure au huitième rang des investisseurs étrangers en Argentine : de grands groupes français y sont implantés et près de 250 entreprises françaises y exercent une partie de leur activité.
Les échanges commerciaux demeurent cependant très asymétriques. La France est le dixième fournisseur de l'Argentine, tandis que l'Argentine n'est que le soixante-dixième fournisseur de la France.
Depuis la signature d'un avenant en 2001, la convention franco-argentine privilégie la méthode de l'imputation pour éliminer les doubles impositions.
En pratique, les intérêts, dividendes et redevances sont en principe imposables dans l'État de résidence du bénéficiaire. Néanmoins, les articles 10, 11 et 12 de la Convention autorisent également l'État d'où proviennent ces revenus à taxer ces derniers, dans la limite d'un plafond fixé à 15 % pour les dividendes, 20 % pour les intérêts et 18 % pour les redevances. Ainsi, les dividendes versés par une société située en Argentine à un bénéficiaire français sont en principe imposables en France, mais peuvent faire l'objet d'une retenue à la source de 15 % de leur montant brut en Argentine, laquelle ouvre ensuite droit, en France, à un crédit d'impôt équivalent, mais qui ne peut excéder l'impôt dû en France au titre de ces dividendes.
Les gains en capital font l'objet d'un traitement différent puisqu'ils sont exclusivement imposables dans l'État source, sans que cet impôt soit plafonné.
À l'aune de ces éléments, notamment des taux élevés de retenue à la source, il apparaît que la convention franco-argentine se rapproche davantage du modèle de convention de l'Organisation des Nations Unies (ONU) - il vise à octroyer aux pays en développement plus de droits d'imposition sur les revenus générés par les investissements étrangers qui y sont réalisés - que de celui de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Cette situation n'est pas problématique en tant que telle. Cependant, dans la mesure où la France est essentiellement État de résidence dans ses relations avec l'Argentine, ces taux élevés sont doublement préjudiciables pour notre pays, en renchérissant le coût des investissements pour les entreprises françaises et en diminuant les recettes fiscales pour le Trésor public.
Je souligne également que rien ne justifie le maintien de ces taux, puisque l'Argentine a conclu ces dernières années plusieurs conventions fiscales nettement plus avantageuses, prévoyant des plafonds de retenue à la source inférieurs.
C'est donc essentiellement pour obtenir une réduction de ces taux que la France a souhaité renégocier cette convention. Les discussions ont eu lieu en mai 2019 à Buenos Aires, et ont abouti à la signature d'un avenant le 6 décembre 2019, après un seul tour de négociation.
Notre pays a obtenu une diminution significative des taux de retenue à la source sur les dividendes, intérêts et redevances, et sera à l'avenir traité aussi bien, et dans certains cas mieux, que ses partenaires européens de ce point de vue. Nos négociateurs ont également obtenu l'insertion de plusieurs clauses du modèle France au sein de la convention, ce qui nous permet de continuer à appliquer notre législation interne dans un certain nombre de cas. En contrepartie, la France a dû accepter la reconnaissance d'un établissement stable de services, ce qui n'est pas anodin, comme je l'exposerai ultérieurement.
Toutefois, en dépit de cette concession, l'équilibre global de l'avenant demeure favorable à notre pays.
Trois avancées significatives ont été obtenues par la France : la réduction des taux de retenue à la source, l'insertion de clauses du modèle France et la conclusion d'une clause de la nation la plus favorisée.
L'article 2 prévoit une diminution du taux de retenue à la source sur les dividendes de 15 % à 10 % en cas de participation substantielle du bénéficiaire dans la société qui paie les dividendes tout au long d'une période de 365 jours. Il s'agit là d'un alignement sur les taux les plus avantageux octroyés par l'Argentine, puisque seules l'Italie et l'Allemagne bénéficient à ce jour de taux inférieurs. Pour rappel, l'OCDE préconise de fixer le plafond à 5 % et non 10 %.
L'article 3 ramène le taux de retenue à la source sur les intérêts de 20 % à 12 %, soit un niveau plus conforme au modèle de convention de l'OCDE, qui le fixe à 10 %. Notre pays a également obtenu une extension du champ des intérêts exonérés de retenue à la source. Ainsi, à l'avenir les intérêts payés en lien avec la vente d'un équipement industriel, commercial ou scientifique, de même que les intérêts payés au titre d'un prêt accordé à des conditions préférentielles par un établissement de crédit pour une période de plus de trois ans, ne seront imposables que dans l'État de résidence du bénéficiaire et ne pourront faire l'objet d'aucune retenue à la source.
Enfin, l'article 4 diminue les taux de retenue à la source en matière de redevances, tout en opérant une différenciation des plafonds applicables en fonction des catégories de revenus. Le taux de retenue à la source passe donc de 18 %, toutes catégories de redevances confondues, à 3 % s'agissant des redevances versées pour l'usage ou la concession de l'usage d'informations internationales, 5 % pour les redevances versées pour l'usage ou la concession de l'usage d'un droit d'auteur sur des oeuvres littéraires, artistiques ou scientifiques et 10 % dans tous les autres cas.
Notre pays a également négocié une clarification du champ des revenus compris dans les redevances : l'article 6 exclut ainsi explicitement des redevances les rémunérations de services « normalisés », c'est-à-dire ceux qui ne font appel qu'à un savoir-faire usuel de la profession du prestataire. Cette stipulation est loin d'être anodine, puisqu'elle acte la renonciation de l'Argentine à taxer les services rendus par une entreprise sans recours à un établissement stable sur le territoire argentin.
J'en viens enfin aux stipulations relatives aux gains en capital. À la demande de la partie française, l'article 5 plafonne l'imposition dans l'État source sur les gains réalisés lors de la cession du capital d'une société : lorsque le cédant détient une participation supérieure à 25 %, le taux maximum de retenue à la source est fixé à 10 %, tandis qu'il s'élève à 15 % dans les autres cas.
De manière générale, la réduction de ces différents plafonds devrait bénéficier aux entreprises françaises procédant à des investissements en Argentine, qui verront leur charge fiscale locale diminuée et plafonnée.
Certes, la diminution des taux de retenue à la source n'aura pas d'impact sur la charge fiscale totale des entreprises, puisque le cumul du prélèvement à la source argentin et du reliquat d'impôt français a vocation à égaler le montant de l'impôt que le contribuable aurait payé en France. Néanmoins, quand les entreprises dégagent un résultat global déficitaire, seul le prélèvement argentin subsiste. La diminution des plafonds de retenue aura alors un impact direct sur le niveau d'imposition des entreprises.
J'en viens maintenant à l'insertion de plusieurs clauses du modèle France au sein de la convention franco-argentine.
Sans entrer dans le détail de chaque dispositif, je tiens néanmoins à souligner que ces différentes stipulations permettent de sécuriser le cadre juridique applicable aux relations fiscales franco-argentines, de garantir l'application du droit interne français, et de rendre conforme la convention de 1979 au modèle de convention de l'OCDE.
Le troisième type de concession obtenu par la France concerne l'insertion, au sein du protocole de la convention, d'une clause de la nation la plus favorisée à portée relativement large.
Notre pays disposait déjà d'une clause de la nation la plus favorisée, mais celle-ci se limitait au régime des paiements effectués pour les travaux d'étude ou de recherche de nature scientifique ou technique. La nouvelle clause prévoit que la France bénéficiera automatiquement du traitement plus favorable que l'Argentine serait susceptible d'accorder, à compter de la signature de l'avenant, à un autre État, en matière de revenus passifs, de gains en capital, mais aussi de revenus de professions indépendantes ou d'établissement stable.
Vous le voyez, cette clause a donc une portée nettement plus vaste que la précédente. À cet égard, permettez-moi de vous signaler que si la France avait bénéficié d'une telle clause dès 1979, nous n'aurions pas dû négocier cet avenant, puisque les taux de retenue à la source pratiqués par l'Argentine auraient été revus progressivement à la baisse, à mesure que l'État argentin signait des conventions en ce sens avec ses partenaires. Je précise également que l'Argentine a conclu ce type de clauses avec de nombreux pays, ce qui a pu limiter nos marges de négociation : en effet, toute concession à l'égard de la France aurait dû automatiquement être accordée à d'autres partenaires.
Après vous avoir présenté les principales avancées obtenues par la France, permettez-moi maintenant de vous exposer leur contrepartie, à savoir l'insertion d'une clause permettant la reconnaissance d'un établissement stable de services.
L'Argentine souhaitait initialement pouvoir taxer l'ensemble des services rendus par des entreprises françaises sur son territoire sur une base brute et sans condition de durée. Je ne vous cache pas que cette clause aurait été très préjudiciable aux entreprises françaises, et, pour cette raison, les négociateurs français ont refusé son insertion.
Pour rappel, en principe, le siège français d'une entreprise qui n'a pas de filiale en Argentine dispose du droit exclusif de taxer les bénéfices, sauf si un établissement stable est caractérisé sur place. La clause négociée dans l'avenant reconnaît l'existence d'un établissement stable en l'absence de toute installation matérielle en Argentine dès lors qu'une entreprise rend des services pour une ou des périodes représentant plus de 183 jours au cours d'une année. Cette mesure risque de se traduire par un alourdissement des contraintes réglementaires et administratives pesant sur nos entreprises dans la mesure où elles devront tenir compte du temps passé par leur personnel dans chaque pays.
Cela étant dit, l'impact fiscal de cette disposition devrait rester limité, puisqu'elle ne concernerait qu'une trentaine d'entreprises sur les 250 qui exercent une partie de leur activité en Argentine. J'ajoute que les prestataires français qui interviennent plus de 183 jours par an sur un territoire finissent de toute façon par y constituer une installation fixe.
Enfin, d'un point de vue budgétaire, l'administration fiscale m'a indiqué que la perte de recettes fiscales devrait rester très limitée.
Pour conclure, le nouvel équilibre conventionnel résultant de la signature de cet avenant est globalement avantageux pour notre pays : étant donné l'asymétrie de nos échanges économiques avec l'Argentine, la réduction des taux de retenue à la source sera très favorable au Trésor public, tout en améliorant la position concurrentielle de nos entreprises sur le territoire argentin.
En parallèle, la reconnaissance d'un établissement stable de services ne devrait pas entraîner de préjudice fiscal de grande ampleur.
Enfin, il convient de saluer la clarification opérée dans un certain nombre de cas, qui permet de sécuriser l'application de dispositifs de droit interne.
C'est pourquoi je vous propose d'adopter ce projet de loi.
Cette convention devrait permettre aux entreprises françaises d'augmenter leurs investissements en Argentine.
Je remercie Vincent Delahaye de sa présentation claire et précise, soulignant les avancées obtenues et l'équilibre des dispositions qui font l'objet de cette convention. Le toilettage d'une convention doit en effet se faire dans le cadre d'un partenariat équilibré.
Vous parlez d'une perte de recettes fiscales limitée et, dans le même temps, vous indiquez que cette convention serait favorable au Trésor public. Connaît-on le montant de ces pertes fiscales ?
Je vous remercie pour cette présentation synthétique, mais précise. Vous avez souligné que l'Italie et l'Allemagne étaient les seuls pays qui bénéficiaient d'une clause plus favorable que la France. J'y vois quelques raisons historiques pour l'Italie, mais quid de l'Allemagne. En connaissez-vous la raison ?
Je m'associe aux remerciements adressés au rapporteur pour sa présentation claire et précise. Cette convention, qui découle des travaux de l'OCDE, vise à réduire les failles fiscales ainsi que les déséquilibres en matière d'imposition, en vue de procéder à un meilleur échange d'informations entre les administrations fiscales, de renforcer l'évitement de la double imposition et de participer à la lutte contre l'évasion et la fraude fiscales. La création de la clause de la nation la plus favorisée contribuera à améliorer les relations financières. Globalement, ce texte est avantageux pour notre pays. Il n'y a donc pas de raison de s'y opposer.
Il n'est pas facile d'évaluer les pertes fiscales, mais l'administration considère qu'elles seront limitées, car, comme je l'ai dit, seule une trentaine d'entreprises françaises serait concernée sur les 250 qui exercent une partie de leur activité en Argentine. Parallèlement, la réduction des taux sur les intérêts, les dividendes et les redevances devrait permettre de dégager des recettes supplémentaires pour le Trésor public. Cette hausse des recettes compenserait très largement l'impact de la reconnaissance de l'établissement stable.
La raison pour laquelle l'Italie et l'Allemagne ont une clause plus favorable est historique. Peut-être la France arrivera-t-elle progressivement au même niveau. Pour l'heure, l'avancée est significative.
En tant que vice-président du Sénat, j'ai eu l'occasion de me rendre en Argentine. Ce pays est très francophile. La situation y est très compliquée depuis des années, mais j'ai constaté une demande du renforcement de nos échanges.
Buenos Aires était effectivement surnommée le Paris de l'Amérique latine au début du XXème siècle. J'ai oublié de dire que les volontaires internationaux - une quarantaine de personnes - seront exonérés d'impôt sur le revenu.
Effectivement, le pays rencontre des difficultés, qu'il s'agisse d'évasion fiscale, de manque de stabilité de sa monnaie ou de taux d'inflation élevés. En dépit de cela, il existe une demande d'approfondissement de nos relations et cette convention est de nature à renforcer les échanges entre la France et l'Argentine, ce qui est une bonne chose.
EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE