La mission d'information entend M. Pierre Boissier, chef de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas), et Mme Anne-Carole Bensadon, MM. Etienne Marie et Aquilino Morelle, inspecteurs de l'Igas, auteurs du rapport d'enquête sur le Mediator. L'un des inspecteurs auteurs du rapport de l'Igas étant médecin, je suis obligé de poser la question des liens d'intérêts, d'autant qu'il a été mis en cause par M. Seta, directeur opérationnel du groupe Servier. M. Boissier, chef de l'Igas, a répondu par lettre à cette accusation. M. Morelle souhaite-t-il ajouter quelque chose ?
M. Boissier vous a répondu du point de vue juridique. J'ai pour ma part confié cette affaire à mon avocat, et je me réserve, à titre personnel, le droit éventuel de poursuivre, car les faits de diffamation professionnelle sont constitués. Ce serait toutefois accorder beaucoup de crédit à ces accusations. Ce qui nous importe, ce sont les résultats de notre travail et les suites qui lui seront données.
Je souhaite apporter trois précisions à propos de notre travail.
En ce qui concerne nos pouvoirs : la loi du 28 mai 1996 donne à l'Igas compétence sur les organismes publics. Elle n'était donc pas habilitée à contrôler ou à auditionner les Laboratoires Servier.
Non, car il s'agit d'un organisme privé, qui ne bénéficie pas de fonds publics.
En ce qui concerne nos méthodes de travail : nous interrogeons les personnes concernées, mais tous les éléments du rapport sont adossés sur des preuves et investigations écrites, annexées au rapport. Les auditions ne donnent pas lieu à des comptes rendus signés.
Enfin, nos rapports sont élaborés en toute indépendance par les inspecteurs, sous leur responsabilité personnelle, et ne sont jamais modifiés, ni par le chef de service, ni par le ministre.
Comment réagissez-vous à l'hypothèse des Laboratoires Servier selon laquelle il y aurait un « faisceau d'indices » à l'origine de ce qu'ils considèrent comme un « acharnement médiatique » à leur encontre, qu'il faut selon eux resituer dans un contexte de concurrence internationale accrue entre les grands groupes pharmaceutiques ?
Je ne commenterai pas les déclarations des Laboratoires Servier. Quiconque a lu le rapport de l'Igas aura compris que, si la responsabilité des Laboratoires Servier apparaît, selon les termes du ministre, « première et directe », les autorités sanitaires ne sont pas pour autant dédouanées ! Il n'y a pas eu d'acharnement de la part de l'Igas : nous travaillons en toute indépendance, en nous efforçant à la plus grande objectivité. Pour le reste, cela regarde les Laboratoires Servier et la presse...
De quelles études dispose-t-on pour mesurer les propriétés anorexigènes du benfluorex ?
J'aimerais en disposer moi-même ! Quand nous avons enquêté sur le benfluorex, nous avons exhumé des études dans des publications scientifiques, dont 90 % avaient été réalisées et financées, dans les années 1960-1970, par les Laboratoires Servier. Elles établissent toutes que le benfluorex est un anorexigène parmi les plus puissants, que les Laboratoires Servier cherchaient à identifier, à une époque où le traitement du surpoids apparaissait comme un marché important aux Etats-Unis. Ils ont ainsi mis à jour 280 composés anorexigènes issus des amphétamines, dont cinquante très puissants : la fenfluramine et le benfluorex en font partie. Nulle surprise donc : ces documents, signés par des chercheurs de Servier, sont publics. Si ces papiers avaient été exhumés à l'époque où des interrogations se faisaient jour sur le benfluorex, on aurait sans doute raisonné autrement...
Comment le mésusage du médicament comme anorexigène peut-il être mesuré ? Quelles mesures auraient pu être prises pour prévenir ce mésusage ? Fallait-il modifier les indications figurant dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP), et si oui, à partir de quelle date ?
Les indications du benfluorex sont claires : adjuvant au régime dans le traitement de l'hyperlipidémie et de l'hypertriglycéridémie.
Le médicament a été progressivement dévoyé de ces deux indications pour être utilisé comme coupe-faim : à la fin des années 1990, 80 % des prescriptions correspondaient à un « mésusage », c'est-à-dire à une prescription hors autorisation de mise sur le marché (AMM).
Comment le corriger ? Ce sera, entre autre, l'objet du second rapport que nous préparons, et dont nous réservons les conclusions au ministre.
Un rapport du centre régional de pharmacovigilance de Besançon, présenté à la commission nationale de pharmacovigilance le 10 mai 1994, est consacré aux hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) sous Pondéral et Isoméride et fait apparaître dès cette date quatre cas d'hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) sous Mediator. Comment expliquez-vous n'avoir pas disposé de ce document ? Quelles conclusions en tirez-vous ?
Ce n'est pas le seul document dont nous n'avons pas disposé. Peut-être est-ce à imputer, pour une part très relative, à nos délais de travail très courts. Il reste qu'on ne nous a pas communiqué ce document en temps utile, alors que l'enquête était publique. Idem pour une note du 23 octobre 1995. Je rappelle que le délit d'entrave aux travaux de l'Igas est réprimé par la loi.
Un document du 9 mai 1995 sur l'enquête International Primary Pulmonary Hypertension Study (IPPHS), qui reprend ce document du 10 mai 1994, figure dans l'annexe du rapport. Il n'est toutefois pas complet : il y manque les pages où est mentionnée la prise de Mediator... Est-ce le fruit du hasard ?
Je ne peux l'attribuer qu'à une main invisible.
Non, c'est par la suite que nous avons constaté qu'il manquait en effet une page sur deux. Je vous rappelle les conditions très difficiles dans lesquelles nous avons travaillé.
Elles étaient très difficiles, et votre travail n'en est que plus remarquable.
Beaucoup des documents que nous avons obtenus l'ont été au prix d'une longue lutte, nos demandes ayant souvent dû être renouvelées. Devant la masse de documents à traiter, cette anomalie nous a échappé.
L'enquête IPPHS a déterminé l'imputation des fenfluramines dans les HTAP. Mais ces prises de fenfluramine étaient associées avec des coupe-faim classiques ou avec le Mediator, anorexigène fenfluraminique.
Comment expliquer que des experts aussi compétents soient passés à côté du Mediator lorsqu'ils enquêtaient sur les fenfluramines ? Le Mediator n'a jamais fait l'objet d'une alerte, alors que des malades avaient pris ce médicament... Partagez-vous notre étonnement ?
Vous avez lu notre rapport : il est émaillé d'épithètes comme « inintelligible », « incompréhensible ».... Nous n'avons aucun pouvoir de coercition. On peut s'interroger sur le cas que vous citez, comme sur dix autres ! Ainsi, l'administration française refuse de changer le nom du benfluorex, mais un an plus tard accorde une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour cette même molécule, pour deux indications qui n'ont rien à voir !
L'administration française ou l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ?
Plus précisément, le service central de la pharmacie et du médicament. Des courriers prouvent l'étonnement de l'administration et son refus d'accéder à la demande des Laboratoires Servier sur le maintien de l'appellation en dénomination commune internationale : elle a donc saisi l'OMS, qui a décidé de maintenir l'appellation. Mais un an plus tard, cette même administration, qui s'était pourtant montrée lucide, accordait l'AMM comme adjuvant aux régimes de traitement de l'hyperlipidémie et de l'hypertriglycéridémie... Il y a une incohérence dès le départ. D'où la perplexité dont nous faisons état dans le rapport !
Selon les professeurs Giuseppe Pimpinella et Renato Bertini Malgarini, experts italiens en charge du suivi du benfluorex au sein du Committee for Medicinal Products for Human use (CHMP), la France faisait partie des pays qui estimaient moins élevé le signal de pharmacovigilance, alors que la demande d'études complémentaires et de modification du résumé des caractéristiques du produit (RCP) faisait consensus parmi les experts. Comment réagissez-vous ?
Les rapports d'évaluation italiens ont fait l'objet d'échanges entre la France et l'Italie. Le premier rapport préconise une étude approfondie sur le benfluorex, et réclame une expertise au niveau européen. Les rapports suivants soulèvent des faits graves - le dernier date du 12 octobre 1999. Toutefois, il conclut simplement à l'envoi d'une liste de questions, et non plus à une demande d'arbitrage. Par ailleurs, le cas de valvulopathie, établi par le Dr. Chiche à cette date, n'est pas mentionné dans le rapport.
Etes-vous surpris que le médicament ait été retiré plus tôt du marché en Italie qu'en France, alors qu'il demeurait autorisé dans les préparations magistrales ?
Les laboratoires l'ont retiré car ils savaient que les autorités allaient le faire : c'est une technique courante.
C'est en effet une technique usuelle. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) n'a pas la capacité juridique de retirer un médicament du marché : elle émet une alerte et le laboratoire retire son produit, proprio motu.
M. de Tournemire, conseiller pour les industries de santé auprès du ministre de la santé, M. Jean-François Mattéi, a justifié l'absence de suites données aux propositions de la direction de la sécurité sociale sur la baisse du taux de remboursement, entre 2001 et 2003, par la faiblesse des enjeux financiers. Qu'en pensez-vous ?
Au cours de cette séquence temporelle, la baisse du taux de remboursement du Mediator a été proposée par la direction de la sécurité sociale, mais n'est pas intervenue, bien que le sujet ait été rappelé aux ministres successifs. Deux explications à ceci, outre celle avancée par M. de Tournemire : d'une part, l'on s'intéressait plutôt à des classes thérapeutiques ; d'autre part, on préparait le premier grand plan de déremboursement de médicaments, et il s'agissait de ne pas polluer un débat global.
A votre avis, le recul du gouvernement en 2001 est-il imputable aux pressions exercées par l'industrie pharmaceutique française, face au risque de chômage si les ventes de médicaments devaient chuter, ou plutôt à celles des associations de malades et des syndicats ?
A la suite du travail de réévaluation du service médical rendu (SMR) ayant porté sur environ 4 500 spécialités, initié par Mme Aubry et M. Kouchner, il est apparu que 25 % des médicaments avaient un service médical rendu (SMR) insuffisant. Ce fut une surprise, qui posait un vrai problème politique, vis-à-vis des patients, des professionnels et de l'industrie. L'année 2001 a par ailleurs été marquée par une flambée des dépenses de médicament ; d'où le choix de mesures financières plus rentables que le déremboursement, comme la baisse des prix.
Il résulte de nos auditions que dès 1999, lorsque la politique de réévaluation du SMR a été initiée, toute une batterie d'instruments était envisagée : déremboursement, mais aussi baisse des prix et du taux de remboursement. La surprise fut grande pour le ministre lui-même : pas moins de 835 médicaments ayant un SMR insuffisant furent identifiés. C'était le quart de la pharmacopée de l'époque !
Selon le rapport Even, il y a toujours autant de médicaments inutiles aujourd'hui - peut-être même plus !
M. de Tournemire s'est également interrogé sur l'absence du Mediator lors de la première vague de déremboursements en 2003, qui visait les médicaments n'ayant pas leur place dans la stratégie thérapeutique, alors que les services avaient consigne d'établir la liste la plus exhaustive possible. Comment l'expliquez-vous ?
Le débat juridique sur le déremboursement a été acharné, et a donné lieu à de très nombreuses contestations. Comment définir un médicament « qui n'a pas sa place dans la stratégie thérapeutique » ? Le critère juridique retenu a été la motivation de la commission de la transparence en 1999-2000. Or, sa motivation du service médical rendu insuffisant du Mediator ne retenait pas formellement l'existence d'alternative économique. Pour éviter tout risque de contentieux, c'est une interprétation stricte qui a été retenue. Le Mediator a donc fait partie de la troisième vague, et non de la première.
Comment réagissez-vous aux débats sur le nombre de victimes de Mediator, au vu notamment des observations du professeur Jean Acar ? On a l'impression d'un dialogue de sourds entre cliniciens et épidémiologistes.
Ne pourra-t-on pas un jour croiser données cliniques et épidémiologiques ?
Notre premier rapport se concluait sur le retrait du Mediator ; le temps a manqué pour mener des investigations sur le nombre de décès. Néanmoins, le sujet est évoqué. Attentifs au débat entre épidémiologistes et cardiologues, nous avons recommandé, pour compléter les premières études réalisées dans l'urgence, le lancement d'une étude de causalité. Compte tenu de la sensibilité de la question, cet exercice complexe nécessiterait la formation d'un comité scientifique qui se prononcerait sur la méthodologie utilisée.
Notre mission n'avait ni le temps ni les compétences épidémiologiques pour se prononcer sur le nombre de décès. « Quel est le nombre exact de morts imputables au Mediator ? » En tant que citoyen, je trouve cette question indécente. A partir de combien de morts faut-il commencer à s'indigner ? Tout cela est de la rhétorique au vu des faits : des centaines de Français sont gravement malades, vont mourir ou sont morts à cause de ce médicament. Ensuite, parvenir à une estimation rétrospective du nombre de décès est important, mais contingent.
Le retrait d'un médicament doit-il se fonder sur les preuves de sa dangerosité ? Selon nombre de personnes auditionnées, ce système expliquerait le maintien du Mediator durant de si longues années.
Évaluer le rapport entre le bénéfice et le risque est parfois délicat ; tout est fonction de la gravité de la maladie. S'agissant du Mediator, cette question, encore une fois, relève de la rhétorique. Le bénéfice de ce médicament était extrêmement modeste. Jamais ce médicament n'a été envisagé dans une stratégie thérapeutique, comme le rappelait encore le professeur Grimaldi la semaine dernière. Son risque était connu par parenté avec le benfluorex, interdit dans les préparations magistrales, tandis que les cas de valvulopathie cardiaque ainsi que de HTAP s'accumulaient. Dans ces circonstances, il est impossible de parler d'une difficulté tenant à une appréciation fine du rapport entre bénéfices et risques ; il s'agissait d'une erreur grossière ou, pour reprendre les termes du Conseil d'Etat, d'une erreur manifeste d'appréciation.
Les conclusions de notre rapport sont claires : le principe de précaution n'est pas appliqué au bénéfice des patients et de la santé publique.
N'ayant pas étudié ce médicament, je ne peux pas me prononcer.
La seule chose que l'on puisse dire est : ceux qui peuvent se prononcer ne le retirent pas.
L'affaire du Mediator révèle-t-elle un manque de coordination entre la commission d'AMM, la commission de la transparence et la commission nationale de pharmacovigilance ?
Le fonctionnement segmenté, cloisonné de ces institutions aboutit à une forme d'irresponsabilité collective, avons-nous écrit dans notre rapport. Quoique certains éléments soient singuliers à l'affaire du Mediator - je les ai évoqués à demi-mot -, les anomalies sont structurelles ; d'où le second rapport que nous a confié le ministre pour tenter d'y remédier.
L'information est confidentielle. Si le Parlement est libre, l'administration est ancillaire.
Dans tous les cas, l'histoire du Mediator illustre le manque de coordination entre les structures : en novembre 1999, la commission de la transparence recommande le déremboursement de ce médicament dont elle constate l'inutilité ; un an plus tard, la commission de d'AMM rétablit l'indication du médicament dans le traitement du diabète qui figurait dans le RCP bien qu'elle ait été supprimée en 1987... Cela laisse perplexe d'autant qu'il y a eu coordination entre les deux structures en 2006. Dans ce dernier cas, la commission de la transparence a refusé de statuer car la commission d'AMM procédait à la réévaluation de l'indication du médicament dans l'hypertriglycéridémie. Faut-il en conclure que l'échange d'informations est facultatif ? Ne faut-il pas le rendre obligatoire ?
L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) et la commission de la transparence se connaissent bien...
Les membres de l'Afssaps sont des anciens de la commission de la transparence et vice-versa. L'information circule donc, bien que les échanges ne soient pas formalisés.
Chacune de ces institutions défend sa spécificité : la commission d'AMM évalue le médicament en soi tandis que la commission de la transparence l'évalue par rapport aux autres produits dans une perspective de stratégie thérapeutique.
Fait incompréhensible, inexplicable : le Mediator est le seul médicament de la troisième vague de déremboursement pour lequel la commission de la transparence a reporté sa décision dans l'attente de la décision de la commission d'AMM qui, elle-même, attendait les conclusions de la contre-expertise menée par le professeur Moulin.
Pensez-vous, à l'instar du professeur Bégaud, qu'une des raisons de la crise du Mediator réside dans l'affaiblissement de la commission nationale de la pharmacovigilance ? Celle-ci a perdu beaucoup de ses prérogatives pour ne plus délivrer que des avis.
Tenons-nous-en aux faits. En mars 2007, la commission nationale de la pharmacovigilance défend, devant la commission d'AMM, à l'aide de transparents, l'idée que le rapport entre bénéfices-risques du Mediator est défavorable. Ses considérants sont étayés : ils rappellent les études européennes, la parenté avec le benfluorex, les cas de HTAP et de valvulopathies ainsi que le retrait du Mediator en Espagne et en Italie. En d'autres termes, la commission remet en question les conclusions du groupe de travail Diabétologie-Endocrinologie-Urologie-Gynécologie (Deug) sur les indications du Mediator. Elle a donc joué son rôle, mais elle n'a pas été suivie.
En 2009, elle modifie complètement sa position, malgré de nouveaux cas de malades signalés. Quel dommage ! A cette date, elle demande des études supplémentaires pour réévaluer le rapport entre bénéfices et risques.
Non, si ce n'est que son président avait changé.
Comment évaluer le coût du traitement des effets secondaires, qui n'est pas pris en compte dans le calcul des dépenses pour l'assurance maladie et les assurances complémentaires ?
Nous n'avons pas abordé ce sujet.
La sécurité sanitaire est une compétence régalienne ; on ne peut pas la déléguer, que ce soit au niveau infranational ou supranational. La meilleure preuve : en cas de crise, vers qui les Français se tournent-ils ? Vers le ministre ! Sa place est centrale, pour ne pas dire exclusive. Tant qu'il y aura une nation, une République, un Etat, la responsabilité de la sécurité sanitaire devra être assumée avec clarté et efficacité par le ministre.
Il existe pourtant une agence chargée de la sécurité sanitaire dont le directeur général est habilité à demander le retrait ou la suspension d'un médicament. Encore que ses avis soient parfois contestés par le Conseil d'Etat.
Tout dépend du contexte. J'ai le sentiment que celui-ci a changé après la crise du Mediator.
Rien ne l'empêche de le faire ! Il peut même demander aux préfets de saisir les stocks. Dès qu'il s'agit de la protection de la santé des Français, le ministre a toute liberté de prendre les mesures nécessaires. Il n'est point besoin de dispositions législatives, cette compétence du ministre découle des principes généraux de notre droit, de la Constitution. La sécurité sanitaire, je le répète, est une prérogative régalienne ; la logique est la même par rapport à l'Europe.
J'en reviens à la sécurité sanitaire. La tyrannie parfois évoquée du principe de précaution, pour aller vers une société du risque zéro, n'existe pas ; le principe de précaution est systématiquement bafoué. Il faut, hélas, une crise sanitaire pour rappeler à chaque fois toute son importance et sa robustesse.
Quel dommage que l'on n'ait pas suivi les recommandations du Sénat après la crise du Vioxx ! Sinon, pensez-vous que le financement de l'Afssaps par des taxes affectées soit source de conflit d'intérêts ?
L'Afssaps se trouve « structurellement et culturellement » dans une situation de conflit d'intérêts, avons-nous écrit dans notre rapport, non en raison de son financement, mais parce que l'industrie pharmaceutique est associée à toutes ses décisions. On a pu parler de « coproduction ».
Vous avez cité le chiffre de 80 % de mésusage du Mediator à la fin des années 1990. Quelles sont vos sources ? Les chiffres vont de 10 % d'après les Laboratoires Servier à 70 % selon l'assurance maladie.
Ce chiffre, qui m'a été confié lors d'une audition récente. Il correspond aux prescriptions hors AMM durant les derniers mois précédant la suspension du Mediator.
Le chiffre a explosé après le retrait d'une des deux indications en 2007. Auparavant, le taux de mésusage était plutôt de 25 % à 30 %. Entre parenthèses, cela montre que le retrait d'une indication peut avoir des conséquences.
D'après le centre régional de pharmacovigilance de Marseille, le mésusage du Mediator atteignait déjà 50 % en 1998.
Pour Mme Derumeaux, votre rapport « laisse planer une ambiguïté ». On y lit que les Laboratoires Servier, représentés par le professeur Ravaud et le professeur Derumeaux, proposent une modification du RCP. Je la cite : « A aucun moment je n'ai proposé une modification de RCP ! Dès que nous avons pris connaissance des résultats préliminaires, nous avons immédiatement arrêté tout traitement par Mediator dans le service du Dr Moulin à Lyon, et mis en place un contrôle d'échographie. »
Notre rapport est exact : à la suite des présentations des professeurs Derumeaux et Ravaud - des documents fort intéressants -, les Laboratoires Servier a demandé une modification du RCP.
Votre rapport comporte de volumineuses annexes. Peut-être y manque-t-il le compte rendu de la réunion de la fameuse commission de l'AMM de novembre 2000 qui a décidé de rétablir l'indication du Mediator dans le diabète après avis rendu par un groupe de travail ? Je me le suis procuré avec difficulté. Ne faut-il pas prévoir un statut pour ces groupes de travail ?
L'indication pour le diabète est contestée dès 1987, mais demeure. De fait, l'Agence n'a pas le pouvoir de modifier d'elle-même l'AMM. Elle peut seulement réagir à une proposition de la firme, un problème juridique majeur !
Dans notre rapport, nous nous sommes davantage attachés à l'année 1999. C'est à ce moment qu'est prise la décision de refuser l'extension du Mediator comme médicament antidiabétique de premier rang. En contrepartie, est validée l'ancienne indication d'adjuvant. L'année 2000 est, elle consacrée, à l'examen du recours gracieux de la firme.
La validation de l'ancienne indication ne se fonde donc pas sur des faits scientifiques ; elle est de l'ordre de la négociation.
Il y a des échanges sans ambiguïté que nous avons mentionnés dans notre rapport.
La note de Didier Tabuteau figurait-elle dans les archives de l'Afssaps ?
Elle ne nous a pas été communiquée. Quoi qu'il en soit, les deux notes précédentes montraient toute l'incohérence du système : on exclut le benfluorex des préparations magistrales, mais on autorise sa commercialisation dans les spécialités pharmaceutiques. C'est aberrant.
Vous avez qualifié l'administration d'ancillaire, puis évoqué une irresponsabilité collective. Est-ce à dire que l'administration ancillaire a fait preuve d'une irresponsabilité collective ?
Dans le rapport, nous parlons plutôt de dilution des responsabilités. Quant à l'administration, elle est ancillaire parce qu'au service de la représentation nationale. Notre second rapport apportera, je l'espère, des solutions raisonnables aux dysfonctionnements constatés.
Nous attendons de le lire avec impatience ! Pour conclure, l'affaire du Mediator représente-t-elle une nouvelle défaite de la santé publique ?
Oui, par elle-même et parce que certaines des anomalies qu'elle a révélées sont connues depuis vingt ans, notamment à la suite de l'affaire du sang contaminé.