Merci d'avoir répondu à notre invitation. La commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Christophe Blanchard-Dignac prête serment.
On me demande souvent pourquoi la Française des jeux a une équipe cycliste et continue à soutenir un sport qui fait régulièrement l'objet de scandales. Ma première réponse, c'est que le cyclisme est un sport populaire, que nous sommes une entreprise populaire, que le Tour de France est un grand évènement qui appartient au patrimoine sportif mondial.
Le cyclisme est aussi, avec la voile, l'une des rares disciplines dans lesquelles le sponsor donne son nom à l'équipe. Enfin, c'est un sport qui mérite que l'on se batte pour lui et pour le respect des règles qui doivent y présider.
Voilà dix-sept saisons que nous avons une équipe. Alors qu'au départ du Tour de France notre premier coureur se classait 76e, il arrivait 10e l'an dernier. C'est une mesure des progrès accomplis dans la lutte contre le dopage. Les premières années, il était impossible d'espérer un podium et les autres équipes se moquaient de nos coureurs, qui appliquaient les règles au pied de la lettre.
En donnant notre nom à notre équipe, nous avons voulu d'emblée en prendre le contrôle. Le sponsor n'est pas un simple financeur, il est responsable. Notre équipe est l'une des seules qui soit propriété de son sponsor, puisque notre participation directe est de 34 % tandis que l'association l'Échappée, qui dépend aussi de la Française des jeux, possède les 66 % restants. En cas de problème, c'est nous qui serions en première ligne, autant donc s'assurer du contrôle. Notre équipe peut compter sur le commissaire aux comptes de la Française des jeux, sur nos services juridiques et comptables. Son budget est de 11,6 millions, assuré, pour 9,5 millions, par la Française des jeux, et pour 1,2 million par Lapierre, qui fournit les vélos. Le conseil d'administration de la Française des jeux est systématiquement associé à notre engagement. Il émet des résolutions, certaines assorties de conditions. Ce fut le cas s'agissant du Pro Tour, pour lequel l'UCI (union cycliste internationale) nous avait sélectionnés, et auquel le conseil ne nous a autorisés à participer que sous réserve d'un strict respect des règles éthiques. L'équipe bénéficie d'une visibilité pluriannuelle, sur quatre ans.
Nous ne nous contentons pas d'un engagement marketing, mais pesons tant sur les règles du jeu que sur l'engagement sociétal, via la Fondation Française des jeux, qui accompagne de jeunes cyclistes dans leur parcours. Il est essentiel, pour un coureur, de disposer, dans le cadre du fameux « double projet », d'un bagage scolaire solide. C'est aussi un moyen de lutter contre le dopage. Emblématique, de ce point de vue, est le parcours de Jeremy Roy, sorti major de sa promotion d'ingénieur, ce qui lui assure pour l'avenir la possibilité d'une reconversion. Nous sommes soucieux d'accompagner nos coureurs dans leur double projet. Nous avons même embauché l'un de nos anciens coureurs dans notre équipe marketing, après ses études.
Le sponsor doit être actif, engagé. C'est nous qui nommons le directeur sportif et le médecin de l'équipe. Car le choix des personnes n'est pas neutre. Notre directeur sportif, Marc Madiot, est un ancien champion cycliste, compétent, loyal, actif. Quant au docteur Guillaume, il a été embauché en 1999 pour être le fer de lance de la prévention. L'un de nos entraîneurs, qui est un chercheur, travaille sur les profils des puissances record. Il s'agit d'accompagner la performance des coureurs, qui sont à leur zénith autour de 22 ans, en mesurant leur potentiel physique, pour savoir quel est leur maximum, et s'ils sont en retrait sur leur potentiel. Quand un coureur est au maximum de ses possibilités sur certains aspects, il travaille sur les autres. Les performances en course de nos coureurs s'expliquent ainsi par le potentiel de chacun d'eux, et non par l'absorption de quelque potion magique.
Il importe, aussi, que l'environnement soit vertueux. Cela passe par le mode de rémunération de l'encadrement. Jamais notre directeur sportif, et encore moins notre médecin sportif, n'ont été intéressés aux résultats. Ce n'est pas le cas dans toutes les équipes sportives.
Les coureurs cyclistes qui respectent les règles ne doivent pas être pénalisés. Avec notre appui, la ligue cycliste, a doté les coureurs d'une convention collective, qui engage des droits et des devoirs. Si aucune équipe n'est à l'abri d'une défaillance individuelle, toute défaillance collective s'explique, en revanche, par une chaîne de complicités et un défaut de surveillance. Quand on constate année après année des cas de dopage avérés dans une équipe, on ne peut l'expliquer autrement. Une défaillance unique, un seul « no show », l'absorption ponctuelle d'une substance, cela peut arriver, mais lorsque l'on est au-delà du cas individuel, cela dénonce une organisation.
En 2000, nous étions bien seuls dans notre combat. Peu à peu, toutes les équipes françaises se sont fédérées, puis quelques équipes étrangères nous ont rejoints. À l'initiative de Roger Legeay, alors à la tête de l'association internationale des groupes cyclistes professionnels, un plafond d'hématocrite a été fixé. Son successeur, Manolo Saiz, n'avait pas le même profil... Créé en 2007, le Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC) rassemble aujourd'hui onze des dix-neuf équipes de la division mondiale. Certaines ont été admises avec une période probatoire. Amaury sport organisation (ASO), organisatrice du Tour de France, nous a donné un coup de main formidable en déclarant qu'elle privilégierait dans sa sélection les équipes membres du MPCC. Nous sommes même allés au-delà des règles des organisations mondiales, en prenant des engagements plus stricts sur les corticoïdes ou en posant la règle de l'autoexclusion en cas de dopage, après deux défaillances.
Comment améliorer la situation ? Tout d'abord, grâce à une implication beaucoup plus forte des sponsors, qui doivent s'investir, regarder de près ce que l'équipe qui porte leur nom fait de leur argent. C'est pourquoi le sponsor, je l'ai dit, doit être actionnaire. En prenant, ensuite, des sanctions dissuasives et collectives, appliquées à l'équipe et aux dirigeants, quand les dérapages se répètent. Cela suppose de s'appuyer sur des contrôles inopinés, en faisant appel aux moyens d'investigation des forces de police. Je ne suis pas, pour autant, un maniaque des sanctions. Ne parler que de cela, ce n'est pas rendre service au sport ; il faut aussi valoriser les bonnes pratiques et les sportifs qui respectent les règles. C'est pourquoi je propose, depuis plusieurs années, d'instituer une notation sportive des équipes, des fédérations et des organisateurs d'épreuves. Ceux qui sont vertueux, qui s'impliquent dans la formation, dans l'intégration par le sport, doivent être mis en valeur. Heureusement ceux-là sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux que ceux qui s'affranchissent des règles ; mettons-le en avant. L'initiative Athletes for Transparency, à laquelle a participé notre coureur Jérémy Roy qui, lors du Tour de France 2007, a rendu public, au quotidien, tous ses paramètres médicaux, va dans ce sens. Ceux qui n'ont rien à cacher n'ont pas peur de la transparence. En matière de prévention, le double projet compte aussi beaucoup.
La Française des jeux est partenaire du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), dont le président doit être aujourd'hui élu. Pensez-vous que l'ambition du Comité olympique est assez forte, qu'il en fait suffisamment en matière de lutte contre le dopage ?
Le combat contre le dopage est l'affaire de tous. Et d'abord des pouvoirs publics, car bien des moyens d'action relèvent de l'ordre public. C'est ainsi qu'ils ont agi après l'affaire Festina. Il faut des initiatives fortes, au niveau français mais aussi européen, comme la convention du Conseil de l'Europe relative au dopage dans le sport, pour donner l'impulsion. Le comité olympique et son président sont évidemment impliqués à fond pour préserver l'intégrité des rencontres sportives et nous prémunir contre le danger d'infiltration d'organisations criminelles dans certains sports. Se pose également la question des moyens, qui devraient être substantiellement augmentés.
En sanctionnant plus durement ceux qui ne respectent pas les règles. Le règlement de l'UCI prévoyait que l'amende puisse atteindre un an de salaire. L'Agence française de lutte contre le dopage pourrait bénéficier du produit des amendes. Et s'il faut faire appel aux moyens de telle entreprise publique, soit !
Sur le financement du sport, on pense plus souvent à la Française des jeux... D'ores et déjà, les équipes contribuent au passeport sanguin. La contribution de la Française des jeux s'élève à 120 000 euros par an, ce n'est pas négligeable.
Je n'ai aucun doute sur la sincérité de l'engagement du Comité olympique, mais le respect des règles doit être le combat de tous. Ainsi, les organisateurs du Tour de France, en habilitant en priorité les équipes vertueuses, incitent toutes les équipes à adhérer au MPCC. Quand en 2008, grâce au courage du président de la fédération française cycliste de l'époque, qui n'a pas craint les menaces de l'UCI, les contrôles ont été intensifiés et surtout conduits par l'AFLD. Les performances de bien des coureurs en vue ont chuté, des coureurs français peu considérés se sont retrouvés mieux classés. Cette année-là, notre premier coureur « Française des jeux » s'est classé 13e, quand nous n'apparaissions, en 2000, qu'à la 76e place.
Vous avez évoqué le Mouvement pour un cyclisme crédible, vous auriez pu parler aussi de « Changer le cyclisme maintenant », personnalisé par Greg LeMond. Mais j'observe que depuis quelques mois, alors que s'engage la campagne à la présidence de l'UCI, on n'entend plus guère parler d'éthique. Ne serait-ce pas, au contraire, le moment d'en parler plus fort ?
La Française des jeux, des années durant, au-delà de son engagement de sponsor et en faveur du sport amateur, s'est efforcée d'infléchir l'action des autorités fédérales et internationales. Mais il est vrai que ces dernières années, l'ouverture maîtrisée des jeux à la concurrence m'a beaucoup occupé.
Il faut que les autorités fédérales fassent leur travail. C'est à elles d'édicter les réglementations antidopage, de donner les règles du jeu. Nous pouvons prêter notre concours résolu à ce combat, comme nous le faisons quand nous décidons de licencier un coureur contrôlé positif sans indemnités, mais nous ne pouvons pas nous substituer à elles.
Je me suis longtemps battu dans l'indifférence. Quand j'ai proposé, en 2006, des licences à points, je n'ai eu droit qu'à quelques commentaires dans la presse, sans autre effet. Si l'on décidait de prendre des initiatives fortes, je serai le premier à les appuyer.
Y a-t-il d'autres exemples d'équipes qui auraient mis en place des procédures allant au-delà des règles que les fédérations mettent en place ?
Outre notre équipe, toutes celles qui sont membres du MPCC. Le financement du CNDS provient à 80 % d'un prélèvement sur la Française des jeux. Nous sommes aussi sponsors de certaines fédérations : lorsque nous renouvelons nos partenariats, nous faisons en sorte qu'ils aillent au-delà du seul marketing, en leur adjoignant un volet sociétal - aide à l'insertion des publics handicapés ou défavorisés, participation au Tour de France pénitentiaire, par exemple - et un volet éthique. Les partenaires du sport ne doivent pas se contenter d'acheter l'image, ils doivent aussi tout faire pour que les règles soient respectées. Notre priorité, dans ces partenariats, va à la lutte contre les atteintes à l'intégrité du sport, que ce soit dans le foot, le basket ou le handball. C'est pourquoi j'ai proposé que l'on avance sur l'idée de notation sportive, en faisant reconnaître la vraie valeur des équipes.
Il est en effet essentiel de mettre en valeur l'éthique des équipes, ce qui suppose d'être très attentif au contrôle du contrôle, car rien de plus ravageur qu'une éthique labellisée prise en faute. Quel rôle peuvent jouer les fédérations ? Peut-on concevoir une notation, et si oui, par qui ?
Idéalement, la notation, nous en avons discuté avec le Comité olympique, devrait être dès le début appliquée à au moins une fédération, un club et un évènement. La fédération d'aviron a manifesté son intérêt. L'équipe de la Française des jeux est elle aussi toute prête. Reste à trouver l'événement. Et à déterminer les critères à retenir pour apprécier la qualité d'une fédération, d'une équipe, d'un événement. Enfin, il faudra trouver qui confier la certification, comme dans toute démarche qualité.
Alors que l'on souhaite mettre en avant les événements français et les équipes françaises, une telle notation, pour peu qu'elle prenne de l'ampleur en Europe, deviendrait un atout pour nos compétitions et nos équipes. Nous sommes à la pointe dans le combat contre le dopage et les atteintes à l'intégrité du sport ; nous avons tout à gagner à reconnaître la vraie valeur de nos équipes et de nos fédérations.
Tout cela est bel et bon, mais combien de temps faudra-t-il pour passer du rêve à la réalité ? Me faudra-t-il attendre d'être titulaire de la carte vermeil pour le voir se réaliser ?
Je crains qu'il ne faille être patient. Il faut d'abord regarder, sous l'égide du Comité olympique, si cela est faisable. Puis élaborer un référentiel, qui pourrait s'inspirer des normes de responsabilité sociale d'entreprise. La Française des jeux a été notée, et l'organisme de notation nous a indiqué que nous étions au plus haut niveau. Un groupe de travail pourrait, sous l'égide du CNOSF, élaborer, puis tester ce référentiel sur le terrain, avant de le promouvoir au niveau européen.
Il faudra donc du temps, mais on finira par y arriver. Notre savoir-faire est considérable en matière d'organisation d'événements. Ce qu'il faut, c'est valoriser les retombées sociétales - insertion des jeunes, comportement du public...
J'ai tout de même le sentiment que ce sont nos petits enfants qui devront attendre d'avoir la carte vermeil pour voir cela se réaliser.
Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas, c'est parce que nous n'osons pas que les choses sont difficiles, comme disait Sénèque.
Avant tout l'infiltration d'organisations criminelles dans le sport, en particulier en Asie, mais aussi dans certaines régions d'Europe. Dans le football, mais aussi dans d'autres sports, comme on le voit en Asie, au point que sur certaines rencontres, les paris ne sont plus proposés, les opérateurs asiatiques se repliant sur des équipes européennes de deuxième ou troisième division.
Le dopage n'est pas sans lien avec tout cela. Il existe, en la matière, des organisations qui ne sont pas loin de l'organisation mafieuse. Le cyclisme a une tradition de dopage artisanale, si je puis ainsi m'exprimer, mais il existe aussi désormais un dopage industriel, qui use de médicaments qui ne sont pas même encore commercialisés, qui dispose de médecins très actifs, de moyens financiers considérables, de nombreuses complicités, ainsi que l'a révélé le rapport de l'Agence américaine antidopage, l'USADA.
Reste que la première menace, aujourd'hui, c'est bien le trucage des rencontres. Nous y sommes tous très attentifs, et au premier chef la Française des jeux, en raison de notre monopole. Nous avons d'ailleurs signalé de nombreuses affaires.
Un cas, qui s'est soldé par un licenciement sans indemnités. Nous n'avions pas à nous demander s'il a fauté « à l'insu de son plein gré », comme certains l'ont suggéré. Ce sont des sportifs professionnels : c'est la règle. Quand une équipe rencontre des problèmes récurrents, c'est que le sponsor n'a pas fait son travail.
Vous avez évoqué la convention collective. Quel est le salaire moyen d'un coureur sélectionné pour le Tour de France ?
La masse salariale de notre équipe est de 6 millions d'euros, le salaire le plus bas est à 34 000 euros annuels, le plus élevé à 360 000 euros, supérieur à la rémunération du président directeur général de la Française des jeux...
Évidemment. Je connaissais mal le cyclisme. Venant du Sud-ouest français, j'étais plus spontanément porté vers le rugby... J'ai donc observé les compétitions de près, en accompagnant notre directeur sportif sur certaines étapes du Tour. J'ai vu les coureurs arriver en haut des étapes de montagne ; les nôtres étaient livides, à ramasser à la cuillère. Mais pas celui que vous avez cité. Plus la côte était ardue, plus il donnait l'impression d'aller vite. Et il arrivait tout frais. Tout observateur normal ne peut que constater que certaines performances frisent l'inhumain. Mais il ne suffit pas d'avoir des soupçons, encore faut-il trouver des preuves. Certaines performances, je l'ai déclaré alors à un journal sportif, me paraissaient « stupéfiantes ».
Nous allons poursuivre notre engagement contre vents et marées, mais rien n'est facile. Le cyclisme est un sport très populaire, comme en témoigne son public si nombreux ou l'appétit des collectivités locales à accueillir des étapes. Mais il est assimilé au dopage. C'est un sport qui s'est mondialisé. Se maintenir, comme cela est notre cas, en division mondiale est un challenge. Il n'est pas inimaginable que dans deux ou trois ans, aucune équipe française ne soit plus automatiquement qualifiée au départ du Tour.
La France mène un combat actif pour le respect des règles et nous groupons nos forces pour que les couleurs françaises continuent de rayonner sur les routes du Tour.
Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Gérard Nicolet prête serment.
Je suis très honoré que vous ayez demandé à m'auditionner. En tant que médecin du sport, j'ai la chance d'être à la fois en cabinet, sur le terrain et au laboratoire, ce qui me donne une vision globale du sportif.
Ma formation a commencé au Bataillon de Joinville, où j'étais médecin. Je suis ensuite devenu médecin jeunesse et sport pour le Jura, avant de m'occuper de courses cyclistes, comme le Tour de l'Avenir, Paris-Nice, le Tour méditerranéen, le Tour de France, que j'ai suivi durant douze ans, contre 25 pour Paris-Nice, et 29 pour le Tour méditerranéen. Ce sont des situations où, comme sur le Tour VTT, on pouvait côtoyer et rencontrer les sportifs de façon beaucoup plus forte qu'aujourd'hui. Il y a actuellement bien plus de distance avec les médecins de courses qu'à mon époque.
J'ai également travaillé dans le ski de fond, ayant été médecin du Tour des Massifs. J'ai eu la chance d'être le médecin des arbitres de la Coupe du Monde de football en 1998. Ces quarante-cinq jours m'ont donné une certaine expérience de la lutte antidopage appliquée à ce sport.
J'ai été attaché au Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Besançon en médecine du sport. Je pilote le Centre d'évaluation de médecine du sport à Dole. Je suis médecin responsable du centre national ski nordique à Prémanon, où nous disposons d'un plateau technique et surveillons les athlètes du pôle France. On y trouve des chambres d'hypoxie, qui font débat dans le cadre de la lutte antidopage...
J'ai exercé des fonctions à la fédération française de cyclisme. Je suis toujours médecin fédéral régional, et j'ai été médecin élu au comité directeur durant douze ans. J'ai siégé à la commission de discipline de cette fédération, où j'ai succédé à Pierre Chany, du journal L'Équipe, qui était parti en expliquant qu'il en avait assez de juger les voleurs de poules, alors que les vrais bandits restaient en liberté ! Une fois élu, j'ai siégé au conseil fédéral d'appel, où arrivaient toutes les situations difficiles concernant le dopage dans le cyclisme.
Ceci m'a donné l'occasion de nombreuses rencontres avec les médias. J'ai ainsi découvert leur puissance et rencontré de grands journalistes. J'ai écrit avec l'un d'eux un petit ouvrage sur le dopage édité chez Flammarion. La collection a malheureusement été arrêtée depuis...
J'ai eu la chance de rester au contact du sportif, de demeurer omnipraticien et de continuer à évoluer dans la culture du médecin du sport.
Tous les intervenants l'ont dit, la définition du dopage est difficile à donner. Elle est d'ailleurs très restrictive : c'est le fait d'utiliser les produits dopants. Jusqu'à présent, pour le médecin, il s'agissait plutôt du mésusage des médicaments. À l'occasion de vos auditions, le professeur Audran a dit qu'il ne s'agissait plus seulement des médicaments.
Bien entendu, ce mésusage persiste. Pour s'intéresser au dopage, il faut revenir à son historique. Certains l'ont très bien fait ici même. En tant que médecin, je retiens que, depuis le début, la croyance en l'efficacité du produit n'a jamais changé, qu'il s'agisse de lait de chèvre pour mieux sauter, de viande pour aller plus vite, ou de sang pour permettre au guerrier de demeurer vaillant. Cette notion est très forte chez les sportifs, et perdure de nos jours.
Puis les produits ont changé. Le dopage commence véritablement au début du XXe siècle. Auparavant, le mot n'existait même pas. On prenait des produits sans savoir que l'on se dopait. C'est la même chose pour la toxicomanie, qui est un mot d'usage récent. À son époque, Baudelaire prenait de l'opium pour augmenter ses performances poétiques ; au début du XXe siècle, on utilisait encore l'opium, mais aussi l'alcool. Une championne de tennis s'en servait pour augmenter ses performances. On recourait également à la strychnine, ou à l'atropine, avec des dégâts parfois considérables.
Le dopage a toujours été contemporain des produits. À partir des années 1930, on assiste à la révolution biochimique, avec les anabolisants, les amphétamines, etc.
Là encore, la croyance est très forte : dans les années 1960, on pensait qu'on avait gagné la guerre contre les nazis grâce aux amphétamines, les aviateurs alliés pouvant rester plus longtemps que les autres dans leur avion. Les sportifs se sont appropriés ce message...
Vinrent alors les anabolisants, l'érythropoïétine (EPO), les hormones peptidiques. Actuellement, comme l'a indiqué le professeur Audran, on trouve des « designer drugs » et de nouveaux produits fabriqués de façon artisanale. Le président de la Française des jeux (FDJ) parlait, quant à lui, d'un dopage très organisé et d'un dopage artisanal ; ce n'est pas totalement vrai : n'importe qui peut aller sur Internet et trouvé un produit courant fabriqué de façon artisanale. Un coureur qui a fait fabriquer des perfluorocarbures (PFC), produits détonants, s'est ainsi retrouvé à l'hôpital ! Je ne peux pas en parler, du fait du secret médical, mais on peut actuellement trouver sur la toile des produits qui sont de véritables bombes, sans que ce dopage soit vraiment organisé.
Puis est venu le temps de la lutte antidopage. Je n'en parlerai pas ici, d'autres l'ayant fait mieux que moi, mais je voudrais évoquer les idées reçues et les clichés qui perdurent...
Jean-Pierre Paclet, qui est l'un de mes amis, ancien médecin de l'équipe de France de football, lors de son audition par votre commission d'enquête, a établi une distinction entre les sports d'endurance et ceux qui, comme le football, sont considérés comme techniques. C'est un discours que j'ai entendu en 1998, lors de la Coupe du Monde, qui a coïncidé avec l'affaire Festina. Que n'ai-je entendu à ce moment sur le cyclisme ! J'avais alors répliqué à ses détracteurs : « Mais que croyez-vous qu'il se passe à la Juventus de Turin ? ». On m'avait expliqué que les choses étaient différentes, le football étant un sport technique. J'ai vu l'équipe de France à la peine contre le Danemark, à Lyon ! J'étais au stade de France, le jour de la finale. Quand Emmanuel Petit est parti tout droit marquer le troisième but de l'équipe de France, je me suis tourné vers l'entraîneur, en lui disant : « J'ai compris ! Il court tout droit, mais de façon technique ! » J'ai ainsi voulu lui montrer que le football n'était pas différent...
Selon moi, aucun sport n'est épargné ! Ce n'est pas le sport qui fait que l'on décide de se doper ! Le 100 mètres a toujours fait 100 mètres mais, pour Ben Johnson, c'est l'entraînement plus intense qu'il pratiquait qui le poussait à se doper. Le sport n'est donc pas toujours à l'origine du dopage : c'est la façon dont on le pratique qui change tout !
Les sportifs ne sont pas différents d'un sport à l'autre. On a tendance à considérer que, sur le plan socioculturel, les cyclistes sont moins intelligents que les autres. Je pense que ce n'est pas vrai du tout ! Quand j'écoute les interviews des joueurs après les matchs de football, les cyclistes me paraissent aussi « cortiqués » que les footballeurs, voire davantage !
L'idée selon laquelle le cycliste vient d'un milieu modeste et a besoin de gagner n'est pas totalement vraie -même si elle n'est pas entièrement fausse. Les médecins parlent de « mosaïque de la performance ». C'est un profil, un ensemble. Michel Serres le définit comme un « manteau d'Arlequin ». Il s'agit d'un état qui regroupe la génétique, la préparation physique, la préparation mentale... Ce sont des choses sur lesquelles on devrait pouvoir s'appuyer.
Est-ce un problème de santé publique ? Serge Simon a estimé, devant vous, qu'il n'existait pas de risque sanitaire majeur. On a compté un mort dans le Tour de France de 1967, Tom Simpson. Le suivant a été Fabio Casartelli. C'est moi qui l'ai évacué en hélicoptère. Quand on est médecin, que l'on voit ce que subissent les sportifs et les drames qui peuvent se produire, cela rend un peu plus philosophe et permet de prendre quelque hauteur... Ce problème de santé publique a fait qu'on s'est précipité sur le dopage. Or, il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. Visiblement, c'est ce que l'on a fait...
En 1998-1999, c'était normal. En médecine, quand on a un traitement d'urgence à appliquer, ce n'est pas forcément le bon, mais il faut le mettre en oeuvre. Je pense qu'on l'a fait, mais il faut maintenant réfléchir autrement.
Une autre idée reçue ne me paraît pas justifiée, celle selon laquelle les médecins sont tout-puissants. Tous les « docteurs » auxquels on fait référence, à l'étranger, ne sont pas forcément médecins. J'ai été entendu par la police au sujet de l'affaire TVM. Le docteur en question n'était absolument pas médecin ! De nombreux préparateurs ne le sont pas non plus. On disait qu'en Italie, les médecins étaient préparateurs ; en France, ce sont plutôt les préparateurs qui sont devenus médecins, mais pas les médecins qui ont emprunté la voie inverse. Nous avons la chance, dans notre pays, de ne pas trop connaître ce genre de personnages...
En tant que médecin, lorsqu'on veut faire de l'information et de l'éducation en direction des jeunes, on se méfie des mots : je trouve que l'on parle beaucoup trop de conduite dopante ! Quelqu'un qui prend une vitamine ou de l'aspirine avant une épreuve adopte une conduite dopante. C'est un premier pas ! Je me suis surpris, dernièrement, à rouler un peu vite : je me suis dit que c'était une conduite dopante et que j'allais devenir un chauffard ! Il faut être réaliste, et ne pas effrayer la population en inventant des conduites dopantes à tout propos. C'est mon point de vue...
Je pense aussi que le dopage est un phénomène de société. Dans un monde où l'on veut en faire de moins en moins, on demande au sportif d'en faire plus ! Il y a là une contradiction, un piège pour lui...
J'ai dit que l'on s'était précipité en matière de lutte antidopage. C'est vrai... Certaines personnes sont apparues comme des chevaliers blancs et en ont vécu. C'est désastreux !
Un élu de la République m'a dit un jour : « Quand il existe un phénomène qu'on n'a pas bien analysé, que l'on ne comprend pas bien et que l'on veut néanmoins faire quelque chose, il existe deux façons d'agir. La première est l'effet d'annonce. On dit que l'on va agir ». En 1998, on a dit que l'on repérait l'EPO. Ce n'était pas vrai. Françoise Lasne vous l'a dit : c'est en 2000 que sa méthode a pu être validée ! On a fait de fausses annonces.
La seconde technique est celle du bouc émissaire. Cela me gêne que tout le monde se précipite en ce moment sur Armstrong, tout comme on s'était précipité sur Richard Virenque à une certaine époque. Selon le dictionnaire, « un bouc émissaire est un individu choisi par le groupe auquel il appartient pour endosser, à titre individuel, une responsabilité ou une faute collective ». Dans les deux cas, c'est tout à fait cela -même si cela ne dédouane en rien Richard Virenque, ni Lance Armstrong. La fausse information est très dangereuse...
En 1998, j'étais sur les bords du Léman, et j'ai failli devenir le médecin de la FDJ... Ce jour-là, un coureur demande à me voir. Il me confie que cela fait deux ans qu'il s'entraîne comme jamais, fait le métier, s'impose tout et, cependant, recule tous les dimanches ! Il me demande conseil : « Que dois-je faire ? » Je me suis retrouvé impuissant, comme le médecin qui ne sait que dire à un patient atteint d'une maladie incurable ! Je n'avais rien à lui proposer, et je savais que, deux mois plus tard, il ferait partie des 98 % de coureurs qui, sur le Tour de France, prenaient quelque chose ! Je me suis alors dit qu'il fallait faire quelque chose.
On a l'habitude, dans le domaine sportif, de parler de « chaîne de la performance ». Le sportif en est le dernier maillon, après les parents, les entraîneurs, les éducateurs, les journalistes, les médias, les pouvoirs publics, les élus. On définit la performance par l'interaction qui existe entre le sportif et son environnement. Ce dernier joue donc un grand rôle, et je pense qu'on l'oublie. Cette interaction suppose que l'on n'isole pas le sportif, en le rendant responsable de tout : c'est tout le système qui doit être revu !
Dans mon livre, j'ai évoqué la spirale du dopage pour le sportif et pour le médecin. Le tricheur né va utiliser un produit dès qu'il va se présenter. Celui qui a un plus d'éthique ne va pas céder tout de suite mais, voyant que cela fonctionne, va finir par faire de même. Le sportif le plus éthique, lui, va se poser la question : « Dois-je en prendre ou arrêter ? ». À ce moment, il ne peut en parler à quiconque. Il est seul, isolé, et le premier fournisseur venu va lui vendre ses produits ! C'est terrible pour le sportif...
J'ai connu cette spirale pour le médecin. Quelqu'un, au cours des auditions, a parlé de « gloriole ». Elle peut s'adresser au sportif ou à ses parents, mais également au médecin. Quelques mois avant l'affaire Festina, à l'occasion du Tour méditerranéen, je me suis entretenu durant deux heures avec le médecin de cette équipe, qui avait besoin de me parler. La scène se déroulait à l'hôtel Primotel, à Marseille. Sans me dire qu'il existait du dopage dans son équipe, il m'a parlé de sa situation. Il rêvait d'être dans ce milieu, et avait envie d'y rester. Il savait bien qu'il y existait un dopage organisé, même s'il n'en était pas l'organisateur, mais il était dans cette spirale, et n'en est pas sorti ! Il est décédé quelques mois plus tard. Lui aussi était tombé dans ce véritable piège qui se referme sur le sportif !
Cet isolement me paraît délicat et on ne s'intéresse pas assez au sportif. Je pense que l'isoler est une erreur. Ceux qui pensent qu'il suffit de le sanctionner seul commettent également une erreur.
Comment le médecin doit-il faire ? Il doit essayer de respecter l'éthique collective et individuelle. Ce n'est pas toujours facile... Le médecin du sport n'est pas un juge, mais appartient à la chaîne de la performance. Il doit, dans cet environnement, assurer le suivi du sportif, en particulier du sportif en devenir. Le travail le plus intéressant est d'essayer d'intervenir en amont.
La mission du médecin est de suivre le sportif, mais il faudrait plutôt le conduire sur les chemins de la pratique sportive, de compétition ou de loisir, dans le respect des règles éthiques, qu'il faut lui apprendre, en protégeant sa santé. Il est important que le sportif sente que la préoccupation première du médecin est celle-ci. Ce sont les risques des pratiques dopantes et les effets de ces pratiques qui doivent être au centre des préoccupations, en particulier chez le jeune sportif.
Pour cela, il existe un certain nombre de conditions. Il faut être au contact du sportif, respecter le secret médical. On ne peut imaginer que le médecin divulgue des informations sur le sportif. Les États ont inventé le secret défense, les journalistes bénéficient de la protection de leurs sources et le médecin ne pourrait jouir du secret médical ? Cela me paraît capital si l'on veut que les gens puissent se confier et que l'on puisse démonter le mécanisme. Il n'y a pas d'autre solution !
C'est pourquoi les antennes de lutte antidopage ouvertes dans les régions, où les sportifs devaient se présenter à une agence de lutte antidopage, ne pouvaient fonctionner. Personnellement, j'aurais refusé, comme le Conseil de l'Ordre nous l'avait demandé, de lever le secret médical !
En conclusion, l'avenir est sombre pour certains. Le professeur Audran s'est montré très inquiet face à l'avènement de nouveaux produits, l'efficacité des contrôles diminuant du fait de la méconnaissance des produits. Certains proposent d'augmenter les sanctions : les contrôles étant de moins en moins positifs, il s'agit encore ici d'un effet d'annonce ! On sanctionnera ce qu'on n'aura pas trouvé !
L'isolement du sportif est une erreur. Il faut recruter tous ceux qui évoluent autour de lui. Nous avions, en Franche-Comté, avec un professeur de gymnastique, essayé de créer une commission afin de former des éducateurs à la prévention du dopage, jusqu'à un certain niveau. Dès qu'on arrive à un niveau supérieur, avec l'argent et les contraintes, on est dépassé ! Il faut donc tenter de responsabiliser les membres de la chaîne de la performance. C'est pourquoi je suis heureux de pouvoir m'exprimer aujourd'hui !
Avez-vous la conviction que les joueurs de la Juventus de Turin, en 1998, prenaient des produits dopants et, si oui, lesquels ?
J'ai lu dans le compte rendu de vos auditions -et certains l'ont écrit- que des produits interdits avaient été utilisés, en particulier l'EPO, mais que l'enquête s'était arrêtée. Il suffisait, paraît-il, de regarder les photographies des joueurs de l'époque pour le comprendre. Je rappelle, qu'en 1998, avant la Coupe du Monde, la fédération internationale de football (FIFA) avait décidé de ne pas reconnaître les tests antidopage du laboratoire de Châtenay-Malabry. La polémique s'était ensuite arrangée : le chargé de communication ayant dit qu'il s'agissait d'une erreur, les tests avaient été réalisés en France.
J'étais au stade de France le jour du match d'inauguration. Le médecin qui était au ministère à l'époque, qui était franc-comtois, avait été médecin de l'équipe Toshiba. Il est ensuite devenu directeur médical de l'Agence mondiale antidopage (AMA). Il s'agit d'Alain Garnier. Nous étions sur le terrain, et il trépignait de n'avoir pu obtenir les contrôles. En Italie, l'affaire a été portée devant le juge et les choses ont été reconnues. Des cas ont existé. On n'a pas dit lesquels, mais cela a selon moi été largement documenté !
Vous avez été médecin du Tour de France de 1984 à 1995. Quelles ont été les conditions de votre recrutement et de votre départ ?
J'ai fait médecine du sport à Besançon. Je me suis retrouvé militaire au Bataillon de Joinville. J'y ai rencontré Gérard Porte, qui était médecin du Tour et qui est devenu médecin chef. À partir de 1980, j'ai intégré les courses cyclistes -championnats du monde sur piste à Besançon, Paris-Nice, Etoile des Espoirs, Tour de l'Avenir, que je fais à nouveau depuis l'an dernier, parce qu'il s'agit d'une épreuve intéressante pour voir les jeunes cyclistes arriver sur le marché. Je me suis ensuite retrouvé assez naturellement sur le Tour de France.
En 1995, on a proposé aux médecins qui ne suivaient que les épreuves mineures pour Amaury sport organisation (ASO) de permuter avec ceux chargés du Tour de France. La responsable ayant ensuite disparu, je suis resté en quelque sorte sur la touche, mais je n'ai pas choisi de partir. Il ne s'est rien passé d'anormal.
Si vous n'avez pas choisi de partir, c'est qu'on vous a incité à partir...
Non, c'est un problème de positionnement des médecins. Certains suivaient les mêmes épreuves depuis plusieurs années. On nous a demandés si l'on pouvait permuter. En 1996, j'ai fait le Tour de France VTT avec ASO, Paris-Roubaix, Paris-Tours. Je suis resté sur le Tour de France VTT jusqu'à sa disparition, durant quatre ans.
J'étais déjà à la Fédération, où je m'occupais de toutes les organisations. Je n'ai pas quitté la société. On ne m'a pas non plus incité à partir...
Aviez-vous des responsabilités en matière de lutte contre le dopage en tant que médecin du Tour de France ?
Absolument aucune ! Il y avait ceux qui traitaient et ceux qui contrôlaient -ce qui me paraît une nécessité. Nous étions médecins de course, sachant que, sur le Tour de France -et sur les autres courses- la situation a bien changé au cours du temps. En 1984-1985, nous visitions toutes les équipes. Il n'y n'avait pas de médecin dans les équipes. Le soir était le moment le plus fabuleux. Nous rencontrions les coureurs et les soignions dans leurs chambres, avant de les revoir le lendemain.
Au fil du temps, la médicalisation s'est faite dans les équipes. Maintenant, les médecins de course ne pénètrent quasiment plus dans les chambres des coureurs, sauf pour des raisons très précises. Nous n'avons plus cette présence, ni cette participation, très fortes à l'époque.
J'ai sous les yeux un extrait d'un article remontant à 2000, à propos des méthodes et les produits, portant notamment sur les risques du dopage génétique, dans lequel vous confiiez alors : « Le sport pourrait être bientôt confronté aux détournements des thérapies géniques ». Treize ans plus tard, où en est-on ?
L'EPO existe depuis 1905 ou 1906, mais a pu être fabriquée industriellement grâce au génie génétique. Au début des années 2000, les scientifiques disaient que d'autres produits arrivaient sur le marché. On commençait à faire des greffes de cartilage chez le sportif en lui inoculant, grâce à un procédé de génie génétique, un virus développant des cellules cartilagineuses. On pensait à l'époque que les choses iraient très vite dans de domaine du dopage...
Michel Audran, dont les analyses sont les plus pertinentes selon moi, nous dit maintenant que les choses ne vont pas aussi vite que prévu, et que la thérapie génique suppose, pour être exploitable, beaucoup de conditions, qui ne sont pas forcément réunies. D'autres produits ont en revanche pris la place. Ceux auxquels on ne pensait pas à l'époque sont arrivés aujourd'hui sur le marché.
Cette inquiétude n'a donc pas pris corps. Malheureusement, il existe beaucoup d'autres produits et beaucoup d'autres arrivent encore...
Il existe toujours une polémique à ce sujet. Le journal L'Équipe avait réalisé un dossier sur le dopage et interrogé un certain nombre de médecins. On m'avait demandé mon avis, mais je n'avais pas souhaité voir mon nom apparaître dans le journal... Certains médecins sérieux estimaient que l'EPO augmentait le transport d'oxygène dans le sang et qu'il était préférable pour un sportif d'avoir une bonne oxygénation. J'avais objecté que si l'on boostait une voiture de 150 chevaux pour lui donner une puissance de 200 chevaux, il se passerait assurément autre chose.
La dangerosité des produits a probablement été exagérée, et les sportifs s'en moquent un peu à présent, mais certains ayant pris de l'EPO sont morts durant la nuit, leur taux d'hématocrite dépassant 60 % ! À l'époque de l'hormone de croissance, un petit polype devenait de la taille d'un gros chou-fleur ! Les sportifs prenaient de la mâchoire et des pointures -pas tellement dans le vélo, d'ailleurs. Ces produits sont bien entendu extrêmement dangereux !
De 1998 à 2000, on administrait de l'insuline, qui stimulait les hormones peptidiques. Celles-ci bloquant le niveau central, il fallait alors les stimuler à nouveau. Ce genre de cocktails est éminemment dangereux.
L'EPO augmente également le stock de fer dans le sang. Celui-ci, ne pouvant être éliminé, provoque des hémosidéroses qui attaquent le rein, le foie, le coeur, etc. Quant aux nouveautés, on en ignore les dangers, puisqu'on ne connaît pas les produits.
Michel Audran a bien dit que l'on pouvait presque commander sur Internet un produit qui n'est pas encore dans le commerce, et qui peut être fabriqué d'après la formule qui existe sur la toile ! Cette pratique est extrêmement dangereuse : il s'agit presque là de tests de médicaments...
C'est peut-être moins au médecin du Tour de France que je souhaite poser ma question qu'au médecin lui-même...
Vous avez évoqué, en les estimant moins dangereuses, les conduites dopantes. Pourtant, on conseille aux jeunes -sportifs scolaires, juniors- de prendre des vitamines ou des boissons plus ou moins dangereuses avant une épreuve. Ce n'est peut-être pas dangereux, mais n'est-on pas en train de créer une dérive comportementale ? Si ces enfants passent un jour professionnels ou deviennent amateurs d'un certain niveau, ce ne sont plus des vitamines qu'ils vont réclamer, mais d'autres produits ! N'est-on pas en train de créer des dérives comportementales ?
Je suis d'accord avec vous ! Ce que j'ai voulu dénoncer, c'est l'excès d'utilisation du terme « conduite dopante ».
Les jeunes n'ont pas la même vision du dopage que les adultes. Pour eux, le cannabis n'est pas un dopant, c'est un produit festif. Ne parlons pas de la caféine !
Le plus terrible réside dans l'information. Où les jeunes glanent-ils autant d'informations sur le dopage ? À peu près exclusivement dans les médias ! Au cours d'une soirée sur le dopage, nous avions utilisé un article pour attirer l'attention des jeunes sportifs sur le dopage. On y décrivait tous les produits pouvant améliorer la performance ! Ils disposaient ainsi du nom de tous les produits dopants !
Lorsqu'on tente de prévenir les jeunes contre la colle à rustine, les marchands de vélos sont dévalisés le lendemain !
Les jeunes ne devraient pas être traités comme les autres. Ce ne sont pas des adultes en réduction. Ils n'ont pan le même mental, ni les mêmes conceptions. Il y a sûrement un travail extraordinaire à mener sur ce sujet, mais leur faire peur me paraît plus dangereux qu'efficace ! Les laisser s'habituer à être sans arrêt assistés est très dangereux...
Cela me rappelle le livre qui avait fait débat, il y a quelques années de cela : « Suicide, mode d'emploi » !
Quelles sont les structures qui devraient agir en faveur de l'information ? Le club, l'école ?
Je pense que l'information devrait être réalisée à tous les niveaux de la chaîne de la performance. Malheureusement, certains parents veulent que leur enfant réussisse et ait son nom dans le journal. Il est très important que l'entraîneur, qui est au contact du sportif, ait une idée éthique dans la façon de s'en occuper. Il faut que le sportif puisse s'adresser à quelqu'un et ne se sente pas seul au moment où certaines solutions illicites vont lui être proposées.
Certains sportifs -je ne vise personne en employant ces termes- prétendent que ce sont les médecins qui leur ont administré, à leur insu, des produits interdits. Ceci vous semble-t-il crédible ?
D'après ce que l'on m'a rapporté, le choix du traitement, dans une équipe, pouvait être uniquement réalisé par le médecin. En 1967, le Français qui avait la grippe prenait des amphétamines, les achetant librement à la pharmacie. À l'époque, lorsque les médecins donnaient des médicaments, le sportif ne posait aucune question. Certains médecins ont probablement abusé de cette pratique. Actuellement, l'intérêt est que le sportif se prenne en charge et connaisse les produits qu'il prend.
L'équipe AG2R, en France, va s'arrêter de courir durant huit jours, le premier de ses cyclistes ayant pris de l'EPO, et le second de l'heptaminol -du ginkor fort, pour lequel on fait de la publicité à la télévision pour les jambes des femmes. L'un a été pris en ville à 52 kilomètres à l'heure en ville et l'autre à 220 kilomètres à l'heure sur autoroute ! Cette information n'est donnée ni aux cyclistes professionnels, ni aux médecins généralistes. Les médecins sportifs, ne veulent d'ailleurs généralement plus vérifier sur la liste réactualisée le 1er janvier si le médicament qu'ils prescrivent est un produit dopant ou non ! Ils refusent même de recevoir l'information. Aucun médecin ne connaît donc vraiment bien la liste, ni les produits, et rejette toute nouvelle règle administrative contre le dopage.
Vous avez été médecin du Tour de France. Les médecins perçoivent-ils une rémunération en fonction des résultats de l'équipe ?
C'est strictement interdit. En France, le système est d'une totale transparence. On le cite souvent en exemple -et c'est justifié. On ne sait toutefois pas ce qui se passe dans les autres équipes. Le médecin est là pour prendre les sportifs en charge et perçoit une rémunération. Il est soumis à un cahier des charges très précis, sans intéressement à la performance.
Que pensez-vous des compléments alimentaires ? Représentent-ils un danger, en l'absence d'informations ?
Estimez-vous par ailleurs qu'en matière sportive, il conviendrait de confier l'encadrement médical à des spécialistes parties prenantes de l'organisation ? Est-ce possible ?
On incite tout le monde à prendre des compléments alimentaires. Les radicaux libres et les oméga-3 sont très à la mode...
Une amie qui travaille avec le médecin de l'AS Monaco, Catherine Garrel, a fait une étude sur les équipes professionnelles pour étudier l'intérêt de ces produits. C'est une élève du professeur Montagnier. Elle cherchait à savoir si ces produits avaient une efficacité sur les radicaux libres, très dommageables pour la santé. Son étude doit sortir prochainement dans une revue de médecine du sport. Elle considère que cela ne sert à rien ! Ces produits sont au pire inefficaces, mais probablement dangereux, parce qu'ils modifient l'homéostasie. Prendre des médicaments comme si l'on avait pratiqué un sport, alors que ce n'est pas le cas, n'est pas bon. Il existe un excès certain dans l'utilisation des compléments alimentaires. Les compléments sont là pour compléter. Si l'on n'en a pas besoin, il n'est pas nécessaire d'en prendre !
Un véritable travail est à réaliser sur ce sujet. Jean-Pierre Fouillot l'a fait. Certains s'intéressent aux compléments alimentaires. Ce n'est pas seulement une conduite dopante : ce peut être une façon de lutter contre l'utilisation de produits qui ne servent à rien !
Je me souviens d'un jeune cycliste suisse qui réclamait de la B 15, molécule qui n'existait pas à l'époque. Je lui ai dit qu'il ne fallait pas qu'il passe professionnel s'il en avait besoin, mais que si tel n'était pas le cas, il ne fallait pas qu'il en prenne ! Encore faut-il avoir l'information. Il y a un véritable travail à réaliser dans ce domaine, par le biais des spécialistes qui existent.
Quant à votre seconde question, j'avais proposé, en son temps, qu'un pool de médecins, en quelque sorte détachés du système, puisse intervenir dans chaque épreuve. C'est ce que l'on faisait lorsqu'il n'existait pas de médecins dans les équipes. Alain Ducardonnet, Gérard Porte et moi jouions alors un rôle qui nous mettait en contact avec les sportifs, tout en étant reconnus et neutres. Je ne me souviens plus si j'en avais parlé à Christian Prudhomme, mais l'idée est très intéressante...
Quelle est votre appréciation sur les conditions d'attribution des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT) ? Ne croyez-vous pas qu'il y ait beaucoup trop de complaisance en la matière ?
Les AUT sont délivrées par l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD). Je pense que si l'on met en question leur pertinence, on met également en cause la pertinence des experts de l'AFLD. Il existe une certaine confusion dans le domaine des AUT. Celles-ci sont délivrées par les experts en fonction de certains critères médicaux. Les médicaments qui faisaient l'objet d'une AUT, comme les bêta-2-mimétiques, destinés à lutter contre l'asthme, ou certains corticoïdes, ne sont plus soumis à ces autorisations. Si l'on délivre une AUT, cela signifie que les experts se sont intéressés au cas médical. Il faut donc se tourner vers l'AFLD, et lui demander comment elle les attribue. Selon moi, elle le fait convenablement...
Dès qu'il s'agit de dopage, on oublie quelque peu le principe de précaution : on dit que 5 à 15 % de la population française présente de petits signes d'asthme. Chez les sportifs de haut niveau, ce chiffre passe à 30, voire à 50 %. Il faut savoir qu'un cycliste, qui fournit un effort important, augmente sa ventilation, reçoit des aérocontaminants, et peut brusquement passer d'une atmosphère très froide à une atmosphère très chaude. Il risque donc de développer un asthme d'effort. Les experts qui doivent trancher de tels cas prescrivent tous un médicament pour lutter contre cette affection.
J'ai cru comprendre que le président de la fédération française de cyclisme voulait que l'on moralise les AUT. Je ne pense pas que ce soit son rôle. C'est l'AFLD qui est au centre de la problématique. Le seul problème est de savoir, dans certains cas très précis, si un sportif peut tricher en réclamant une AUT... Probablement !
Quelle appréciation portez-vous sur l'efficacité du passeport biologique ?
J'ai écouté attentivement ce que le professeur Audran, qui a établi un distinguo entre le suivi médical longitudinal et le passeport biologique. En France, le suivi longitudinal est pratiqué de façon simple et répétitive.
D'autre part, Gérard Dine a rappelé ici même qu'il le pratiquait déjà en 1985. J'ai été, quant à moi, responsable de l'équipe Toshiba avant Alain Garnier, puis je me suis arrêté pour me consacrer au Tour de France. À l'époque, nous faisions exactement la même chose que maintenant : quatre examens par an, réalisés au Centre hospitalo-universitaire (CHU) de Besançon, avec prises de sang et épreuves d'effort. Patrick Cluzaud était alors manager, et Yves Hézard entraîneur. Nous disposions également d'un psychologue...
Pour le professeur Audran, le passeport biologique va un peu plus loin, dans la mesure où il permet de rechercher des paramètres comparables. C'est cette grande novation qui permet de se faire une idée, pour un individu donné, par rapport à ses propres critères. J'ai toutefois le souvenir, lors d'un Conseil fédéral d'appel, d'un sportif venu nous dire : « Je ne suis pas dopé ! D'ailleurs, mon passeport biologique le démontre ! » Or, il ne s'agissait pas de son passeport biologique, mais de son suivi longitudinal !
Le professeur Audran a bien précisé que, s'agissant par exemple de l'EPO, de très petites doses répétitives font disparaître les variations, certains produits y échappant par ailleurs.
Je pense cependant qu'il s'agit globalement d'une bonne chose.
La véritable difficulté réside dans le fait qu'on ne sait plus où l'on se situe. Le suivi médical est destiné à protéger la santé du sportif, mais si on se contente de le suivre uniquement dans certains domaines, cela devient de la lutte antidopage. Il y a là un vrai débat. Le suivi ne peut être réalisé par tout le monde...
Ne croyez-vous pas que le moment est venu d'alléger le calendrier des compétitions ? Un calendrier lourd et contraint ne favorise-t-il pas ce type de pratiques ?
Les médecins estiment que toute pression sur le coureur cycliste est dommageable. Certains calendriers sont caricaturaux. Il faut donc les changer.
Les premiers Tours de France connaissaient des distances bien plus importantes. On a progressivement diminué la longueur des étapes. L'étape la plus rapide du Tour s'est courue un jour où je m'y trouvais. C'est Charly Mottet qui l'avait gagnée. Il s'agissait de 150 kilomètres seulement, mais courus à une vitesse folle, à plus de 50 kilomètres à l'heure. À l'arrivée d'une telle épreuve, le sportif est plus fatigué qu'au bout de 200 kilomètres à vitesse de croisière. Le calendrier est donc facteur de pression, mais la longueur et le nombre ne sont pas toujours significatifs. On ne peut cependant courir sans arrêt des marathons tout au long de l'année ! Médicalement, il y a un véritable travail à faire, qui est déjà entrepris dans certains domaines. Il faudra toutefois traiter avec ceux qui pilotent les calendriers -médias, chaînes de télévision, etc.
Avez-vous été étonné par l'affaire Armstrong ? Quels enseignements en tirez-vous ?
En 1998, on disait que 98 % du peloton prenait des produits. On estime qu'on en comptait encore la moitié en 1999, le dépistage de l'EPO n'ayant toujours pas été réalisé. Il l'a été en 2000, pour les jeux de Sydney.
J'ai toujours porté la même appréciation sur Armstrong : grand champion, mental exceptionnel, professionnalisme. En 1995, le médecin d'équipe, Massimo Testa, qui était un grand médecin, m'appelait chaque fois qu'Armstrong avait un problème traumatologique. Il n'intervenait pas sur l'appareil locomoteur, ne se chargeant que de la préparation. L'équipe s'entourait de tous les professionnels possibles et disposait déjà, en 1995, d'un cuisinier pour cuire les pâtes !
On ne peut imaginer que quelqu'un de très professionnel ne recourt pas au dopage lorsque les autres sportifs s'y adonnent. Il était à peu près évident qu'il usait de produits illicites.
Médicalement, je pense qu'Armstrong est un grand champion, qui a utilisé certains produits. Cela paraissait hautement probable. Je n'ai jamais dit qu'il se dopait, ne le sachant pas directement, mais je l'ai toujours pensé. Ce qui me gêne aujourd'hui, c'est que l'on se focalise uniquement sur le cas Armstrong : pendant ce temps, d'autres phénomènes se produisent. Cela me paraît peu pertinent en matière de lutte antidopage.
J'ai voulu apporter mon point de vue en tant que médecin. Je sais que la lutte antidopage suppose que les gens travaillent chacun leur domaine, mais s'il existe des domaines où cela fonctionne très bien -douanes, police- je trouve dommage que l'on criminalise trop le dopage. Isoler le sportif est une grave erreur. Il faut au contraire faire en sorte qu'il puisse disposer d'une écoute, et fasse entendre sa problématique avant de recourir au dopage.
Il faut aux sportifs un environnement qui leur apprenne l'éthique et à utiliser des méthodes afin de ne pas avoir besoin de se doper. Pour ce qui est des athlètes de très haut niveau, je n'ai absolument pas d'idée, en tant que médecin, sur ce qu'il convient de faire. Il faut rester modeste quant aux possibilités dont nous disposons, mais j'estime que tous les procédés ne sont pas mis en oeuvre. C'est un problème de société ; si elle ne change pas, ce sera difficile !