Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Genevois prête serment.
Je préside l'Agence en vertu d'un décret du 1er octobre 2010, et j'ai pris mes fonctions après avoir prêté serment le 7 octobre 2010. L'état des lieux que je puis dresser après ces deux ans et demi d'expérience comporte des éléments réconfortants, mais appelle à réfléchir à des améliorations.
Les moyens de la puissance publique (lois, décrets, autorité publique indépendante) ont été bien mis au service de la lex sportiva, c'est-à-dire des normes que le mouvement sportif entend se fixer à lui-même sur une base contractuelle dans une perspective ambitieuse d'universalisme ; ils la dépassent même. La loi de mars 1999 a créé le Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, celle du 5 avril l'a transformé en Agence française de lutte contre le dopage, à la disposition de laquelle ont été mis les moyens conséquents : nous maîtrisons les contrôles diligentés, notre laboratoire d'analyse de Châtenay-Malabry est l'un des trente-trois laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage (AMA). Nous avons une compétence disciplinaire subsidiaire à celle des fédérations, et qui la complète : un sportif peut se voir interdit de compétition alors même qu'il est toujours en activité, ce qui rend la sanction effective. Nos moyens ne sont pas négligeables : neuf millions d'euros de budget, à comparer aux vingt-sept millions de dollars du budget de l'AMA.
Toutefois, l'AFLD ne peut pas faire cavalier seul ; elle doit agir de concert avec ses partenaires : administrations d'État, fédérations nationales et internationales, AMA... La lutte contre le dopage a un coût : si l'AMA nous demande de procéder à davantage de contrôles sanguins, la facture est plus élevée qu'avec des contrôles urinaires. Nous constatons, d'ailleurs, que l'efficacité des contrôles analytiques traditionnels diminue.
Quel écart entre la réalité et les intentions proclamées par les acteurs du sport ! S'il est impeccable de vouloir rendre universelle la lutte contre le dopage en éliminant ce qu'on pourrait comparer aux paradis fiscaux dans le domaine financier, les efforts consentis sont très variables selon les pays et les disciplines sportives. La convention de lutte contre le dopage, signée le 19 octobre 2005, est une des conventions sous l'égide de l'Unesco qui a recueilli le plus de ratifications : 173 États avant-hier. Quand il n'y a que 33 laboratoires accrédités dans le monde, dont deux en Afrique, l'un en Tunisie, l'autre en Afrique du Sud, quelle peut être la réalité des contrôles ? Cette convention prévoit la création d'un fonds : lors de la conférence des États partie à cette convention, en novembre 2011, sept États seulement y avaient contribué. Il convient de poursuivre inlassablement nos efforts, et d'inciter le mouvement sportif à être fidèle à ses idéaux.
Nous pourrions utiliser mieux les instruments existants. D'abord, en échangeant davantage d'informations entre acteurs de la lutte contre le dopage, comme le prévoit l'article L. 232-20 du code du sport. L'AFLD devrait en particulier coopérer mieux avec la police, la gendarmerie et les douanes, ce qui pourrait se faire si l'on redonnait vie aux commissions créées par un décret de juin 2003.
Le Parlement a complété le code du sport par la loi du 1er février 2012, issue d'une proposition de loi, pour autoriser des échanges entre organisations internationales antidopage. Quelques semaines après sa publication, nous avons apporté à l'USADA, l'agence américaine, tout notre concours dans l'affaire Armstrong. Nous pourrions également davantage exploiter la possibilité d'analyses rétrospectives, en conservant des échantillons pour les soumettre dans le délai légal de prescription de huit ans à des analyses nouvelles intégrant les progrès de la technique. Si le Comité international olympique a manifesté à cet égard une attitude très positive lors des Jeux Olympiques de Londres, ce n'est pas le cas du mouvement sportif dans son ensemble.
Il conviendrait aussi de mettre en oeuvre le profil biologique du sportif, dont vous avez, monsieur le Rapporteur, été le promoteur grâce à la loi du 12 mars 2012. Il n'a pas tenu à l'AFLD que l'arrêté fixant la composition du comité de préfiguration chargé de faire un rapport sur la mise en oeuvre du profil biologique n'intervienne pas plus rapidement. Puisque nous nous sommes mis au travail mi-décembre, nous pourrons déboucher sur une mise en oeuvre effective, qui demande volonté et détermination.
Enfin, les laboratoires privés, qui étudient de nouveaux médicaments ayant des effets dopants, pourraient, moyennant des garanties de confidentialité, mettre l'état de leur recherche à disposition des laboratoires antidopage accrédités. A l'instigation de l'Agence mondiale, celui de Châtenay-Malabry a fait une expérience en ce sens, que nous souhaiterions renouveler, afin que les techniques des tricheurs ne soient pas en avance sur nos modes de détection.
Comme mon prédécesseur, Pierre Bordry, je souhaite que l'AFLD dispose d'une ressource autonome. La subvention qui finance les neuf dixièmes de son budget est soumise à des aléas : j'ai eu la mauvaise surprise d'apprendre il y a un mois que les mesures de surgel budgétaire la réduiraient d'un dixième. Il faudrait étudier l'idée lancée en février 2012 par Éric Berdoati, député, d'une pénalisation éventuelle de l'usage par le sportif de produits interdits, dans le but de découvrir les complicités dont il a pu bénéficier. Il est nécessaire d'améliorer les règles applicables au contrôle des manifestations internationales. L'AFLD y est tributaire du bon vouloir des fédérations internationales. Le cycliste Jörg Jaschke nous a raconté lors du symposium de Lausanne comment le mécanisme du dopage se développait et ce qu'il en était de l'omerta. Les entourages complices sont encore dans leur quasi-totalité en fonction ! Il faut donc dégager les voies et moyens pour couvrir l'ensemble de la chaîne, et non sur le seul sportif, qui est de toute façon abondamment contrôlé.
Tout le monde est favorable à la lutte contre le dopage, qui garantit l'équité des compétitions et protège la santé des sportifs. Cependant, l'écart est très large entre les croyants et les pratiquants. J'espère que vos travaux contribueront à le réduire.
Je vous remercie d'avoir formulé des propositions. Il semble que le mouvement sportif traîne les pieds. Vous avez employé le terme d'omerta. Pourquoi ces réticences ? Quelles fédérations nationales ou internationales font ainsi obstruction, et s'opposent à cette nécessité morale ? Vous avez évoqué la réforme du code mondial antidopage, qui est envisagée pour 2015. En dehors des règles applicables lors des compétitions internationales, quelles pistes vous paraissent essentielles dans cette réactualisation ?
Vous entrez vite dans le vif du sujet ! Le problème, c'est le défaut de transparence. Lors des rencontres périodiques qu'elle organise ou des conférences des États parties à la convention de l'Unesco, l'AMA nous présente des analyses globales. Nous apprenons par exemple qu'en 2011, sur l'ensemble de la planète, le taux de contrôles positifs était de 1,81 % - le taux de l'Agence française est plus élevé. Les recherches d'EPO, qui supposent une demande spécifique et coûtent plus cher, sont trop peu nombreuses. Il s'agit d'un diagnostic très global. Le seul cas où des défaillances ont été récemment soulignées est celui de l'Union cycliste internationale (UCI). C'est insatisfaisant.
J'ai rassemblé quelques données chiffrées : l'Union européenne de football association (UEFA) a consacré en 2009-2010 1,2 million d'euros aux contrôles antidopage, soit 0,09 % de ses recettes qui s'élèvent à 1,394 milliard d'euros ; selon Denis Oswald, les fédérations olympiques d'été dépensaient en 2011 environ 35 millions d'euros par an pour la lutte contre le dopage ; Stuart Miller, qui est le responsable de la lutte contre le dopage au sein de la Fédération internationale de tennis, m'a indiqué le 14 juin 2011 que celle-ci y consacrait 1,3 million d'euros par an - or dans ce sport, les compétitions se déroulent tout au long de l'année et presque toutes sont internationales.
J'ai essayé de nouer le dialogue grâce à l'entremise de la fédération française : je n'ai pas rencontré un accueil très enthousiaste : l'on m'a offert de contrôler le tournoi de Montpellier ; j'ai demandé non Roland Garros mais Paris-Bercy ; la fédération internationale ne s'est pas manifestée. Elle ne souhaite pas que nous nous occupions de son domaine de compétence.
Nous avons obtenu de contrôler des matchs du tournoi des Six nations... pour deux joueurs par équipe pour un match ayant lieu en France. Si nous voulons faire davantage de contrôles, c'est à nous de les payer. Le code du sport reconnaît aux fédérations internationales un monopole du contrôle des compétitions, et une agence nationale ne peut intervenir qu'avec leur accord ou, en cas de désaccord, sur arbitrage favorable de l'AMA, ce qui est difficile à obtenir. Il est bien compliqué de savoir quelle est l'ampleur des contrôles réellement effectués.
Selon des informations officieuses, il y aurait eu lors de la dernière coupe du monde de football, qui a opposé 32 équipes en Afrique du Sud pendant un mois, quatre contrôles urinaires et un contrôle sanguin par équipe. C'est notoirement insuffisant. Je voudrais davantage de transparence. Il serait bon que les fédérations internationales rendent compte à l'AMA de l'effectivité des contrôles qu'elles doivent effectuer, d'un point de vue quantitatif et qualitatif. Nous manquons de données, et je pense que les contrôles sont en deçà de la réalité du phénomène.
Il serait logique qu'une législation de lutte contre le dopage s'applique sur le territoire de la République, sous réserve des conventions internationales. Pour accueillir sur notre territoire de grands événements sportifs, il a fallu trouver un compromis avec le mouvement sportif international. Pour une compétition internationale, c'est la fédération internationale qui est compétente, l'agence nationale pouvant simplement demander à pratiquer des contrôles additionnels. Cela a bien fonctionné en 2009 lors du tournoi de Paris-Bercy : la Fédération internationale de tennis ne pratiquait que des contrôles urinaires, l'AFLD a proposé de pratiquer des contrôles sanguins et a obtenu gain de cause.
Pour le Tour de France 2010 il y a eu plus de difficultés : l'AFLD a sollicité l'arbitrage de l'AMA afin d'effectuer des contrôles additionnels sur la base de renseignements qu'elle pouvait obtenir des services de police et de gendarmerie sur le fondement de l'article L. 232-20 du code du sport. L'arbitrage nous a été défavorable, mais l'AMA a dépêché sur le Tour des observateurs indépendants, dont le rapport, rendu en octobre 2010, a conclu à la nécessité d'un rapprochement entre l'AFLD et l'UCI.
Les techniques de contrôle utilisées sont-elles efficaces, ou déjà dépassées ? Comment s'établit l'équilibre entre la nécessité de savoir en permanence où se trouve un sportif pour pouvoir le soumettre à un contrôle inopiné, et la protection des libertés individuelles ? L'arsenal répressif de droit commun suffit-il pour traduire devant des juridictions compétentes tous les acteurs du dopage ?
Les techniques traditionnelles ne doivent pas être abandonnées. Travis Tygart, le président de l'Agence américaine a expliqué s'être beaucoup servi des résultats de deux contrôles : celui de Floyd Landis et celui de Tyler Hamilton. Floyd Landis a dénoncé certains coéquipiers ; les investigations ont donné lieu à vingt-six témoignages dont onze de coéquipiers. Ces contrôles ont un intérêt, pourvu qu'ils soient bien ciblés et non effectués à l'aveugle comme le prévoient certains règlements antidopage. Il est nécessaire de mettre en oeuvre de façon judicieuse toute une panoplie de moyens, de partager l'information entre agences, et de faire un bon usage des contrôles inopinés.
J'ai reçu la semaine dernière une délégation de sportifs dirigée par Serge Simon. Nous nous sommes accordés sur l'idée que le contrôle n'est pas une fin en soi ; il doit simplement dissuader certaines catégories de sportifs, ceux qui entrent dans le champ de l'article L. 232-15 du code du sport, d'avoir recours à des substances ou des pratiques interdites difficilement détectables en compétition. Par une note du 5 décembre 2011, j'ai demandé au directeur des contrôles de faire précéder d'un préalable contradictoire l'inscription d'un sportif sur la liste du groupe-cible de l'Agence: inutile de les astreindre à une obligation de localisation s'ils sont sur le point d'arrêter leur carrière ou que leur fédération internationale les a placés dans son propre groupe-cible. Le 10 octobre 2012, le Conseil d'État a estimé que cette inscription devait être effectuée non plus par le directeur des contrôles mais par le collège de l'Agence. Selon l'ordonnance du 14 avril 2010, l'inscription n'est valable qu'une année et ces formalités sont respectées en cas de renouvellement. Dans ces conditions, les contrôles ne portent pas atteinte aux libertés, et sont utiles. Je me suis opposé avec succès à ce qu'on inscrive dans le code mondial que le sportif devait être disponible pour des contrôles à tout moment - j'ai même été invité à préparer une rédaction conciliant les nécessités du contrôle et les droits fondamentaux des sportifs.
Christian Prudhomme, directeur général du Tour de France, partage la volonté de tous les responsables de cette société de lutter efficacement contre le dopage. Lors du premier entretien que j'ai eu avec lui, il m'a indiqué que la sanction de deux ans d'interdiction à la première infraction lui semblait insuffisante. Ce n'est pas faux : Jörg Jaschke nous a expliqué que le sportif, pourvu qu'il garde le silence pendant l'interdiction, était ensuite accueilli à nouveau par la communauté. C'est pourquoi nous avons maintenu la sanction de quatre années décidée par la Fédération française de cyclisme à l'encontre d'un sportif - mais l'affaire est pendante devant le Conseil d'État.
Le code incrimine, en ses articles L. 232-9 et 232-10, la détention chez le sportif, la détention et l'usage chez le non-sportif. M. Prudhomme souhaitait renforcer l'arsenal contre les entourages, mais les moyens juridiques ne font pas défaut. Le problème, dans un contexte d'omerta, est plutôt la recherche de la preuve. C'est pourquoi il pourrait être judicieux d'incriminer pénalement l'usage par le sportif, afin que les services de police disposent d'un moyen de pression pour mettre au jour les réseaux. C'est un sujet difficile, car notre législation a toujours considéré le sportif dopé comme la victime d'un système, et non comme le protagoniste. Il revient au Parlement dans sa sagesse de trouver un équilibre.
Je ne faisais que citer Jörg Jaschke...
Il s'agit plutôt d'un état d'esprit répandu dans le milieu. Je ne dispose d'aucun témoignage direct. Lors du symposium de Lausanne, le président de l'Agence américaine a expliqué que s'il avait bénéficié de l'aide des agences antidopage française, canadienne et mondiale dans le cas de Lance Armstrong, les autorités fédérales américaines avaient manifesté une neutralité totale - l'on comprend bien le message. Le représentant de l'UCI a plus tard développé un raisonnement tendant à prouver que l'UCI avait fait tout son possible, ce qui a donné lieu à une passe d'armes entre les deux hommes.
En ce qui concerne la France, il n'y a jamais eu la moindre pression exercée sur moi, et quand cela serait, elle n'aurait eu aucune chance de succès. Membre du Conseil d'État, je suis de longue date habitué à l'indépendance de la juridiction administrative. Bien sûr, les journalistes font leur métier, cherchent à se renseigner, mais je leur oppose toujours une fin de non-recevoir : en aucun cas je ne porte atteinte à la présomption d'innocence ou au principe d'impartialité. Je me borne à leur rappeler les textes, et les compétences de l'AFLD. Il m'arrive toutefois de répondre sur le calendrier d'examen d'une affaire, mais cela n'engage à rien. L'AFLD elle-même est une autorité publique indépendante, sur laquelle aucune pression ne s'est exercée depuis le 7 octobre 2010.
Notre logiciel de contrôle localise nos agents afin d'envoyer réaliser des prélèvements ceux qui sont le plus proches, de manière à réaliser des économies de fonctionnement. Nous recommandons que les contrôles soient inopinés : ils sont annoncés au dernier moment, afin de prévenir toute manoeuvre. Pour certains événements pouvant intéresser un club de très haut renom, il nous est arrivé de dépêcher des contrôleurs provenant d'une autre région, afin de ne pas placer nos agents dans des situations difficiles. Cela reste toutefois l'exception.
Faut-il accroître le nombre de contrôles inopinés, quitte à réduire celui des contrôles classiques ? Quelles sont au quotidien les relations entre les trente-trois laboratoires habilités par l'AMA et entre les agences comme la vôtre ?
Le rapport d'activité pour 2011 montre que le pourcentage des contrôles en amont des compétitions a augmenté pour atteindre environ 40 %. Cette tendance devrait se prolonger. Un de nos souhaits est de pratiquer des contrôles inopinés lors des reconnaissances du parcours par les équipes du Tour de France, qui commencent à la fin du mois d'avril ou au début du mois de mai.
L'AMA est extrêmement exigeante dans sa procédure d'accréditation des laboratoires. Elle a, par exemple, suspendu le laboratoire de Tunis pendant les événements récents, au motif qu'il ne pratiquait plus les 3 500 analyses requises par an. Je comprends bien qu'un instrument doive être utilisé pour rester fiable, mais de là à ne tenir aucun compte de situations aussi exceptionnelles... Cette intransigeance sur la quantité me surprend. Nous avons-nous-mêmes connu une alerte quelques semaines après ma prise de fonction, ce qui nous a obligés à moderniser certains matériels.
Même si le département des analyses nous est rattaché, nous respectons totalement son indépendance scientifique et technologique, conformément au code du sport. L'examen des échantillons se fait dans l'anonymat. L'AMA a souhaité que nous détachions administrativement le laboratoire de Châtenay-Malabry de l'Agence. Je m'y suis opposé, arguant que l'essentiel était le respect de l'indépendance scientifique et technologique, ainsi que de l'anonymat, et que sur le plan administratif, les économies d'échelles devaient prévaloir.
Bien qu'on nous parle surtout du cyclisme, nous n'imaginons pas une seconde qu'il soit le seul sport concerné. Pouvez-vous nous apporter des précisions à cet égard ? De quels sports s'agit-il ? Il n'y a pas que la pétanque...
Il y a 309 000 pratiquants enregistrés en France, et deux fois plus dans le monde. Le président de la Fédération mondiale de pétanque est un Français, ce qui n'est pas si fréquent...
Certes, mais ces pratiquants ne sont sans doute pas les plus grands consommateurs de produits dopants... La presse s'est fait l'écho de suspicions portant sur le rugby, le football, le judo... Mme Longo fait l'objet d'une enquête de l'AFLD, sur laquelle l'on ne nous dit plus rien. Dans quels autres sports y a-t-il des cas flagrants d'utilisation de produits dopants ?
Les statistiques secrètes qui nous ont été communiquées par l'AMA montrent que la discipline où la proportion de pratiquants qui se dopent est la plus grande est l'haltérophilie. L'AMA nous a aussi appris que le dopage est plus fréquent dans les sports d'endurance, et que, depuis la chute du mur de Berlin, il est plus répandu chez les hommes que chez les femmes. Nous avons pour notre part constaté qu'il y a deux moments de vulnérabilité particulière dans la carrière d'un sportif : lorsqu'il est amateur et souhaite devenir professionnel, et lorsqu'il a atteint son pic de performance et s'efforce de le maintenir - comme le montre une étude du professeur Toussaint, président de l'Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (IRMES).
Il existe aussi un dopage dit de récupération, lié à la cadence et à la fréquence des compétitions. Certains calendriers de fédérations dépassent les limites physiques des sportifs... Celui qui a été blessé peut aussi être soumis à des pressions pour hâter son retour à la compétition. L'Agence mondiale, s'inspirant de l'expérience américaine, nous invite, au-delà des analyses ponctuelles de sang ou d'urine, à mieux suivre le sportif, à cibler nos contrôles en tenant compte de son parcours et en étant attentifs à ses propres déclarations : les sportifs sont parfois très diserts !
Aucune discipline n'est à l'abri. Les plus contrôlées sont l'athlétisme et le cyclisme, mais nous ne négligeons aucun sport. Quant à la pétanque, on relève des cas d'utilisation de cannabis, qui peut faciliter la concentration.
Les positions divergent entre ceux qui souhaitent sortir le mouvement sportif, perçu comme à la fois juge et partie, de la lutte antidopage, et ceux qui veulent au contraire le responsabiliser et l'impliquer à tous les stades. Quelle est votre position ?
La direction du Tour de France, incarnée par Christian Prudhomme, affiche sa volonté de lutter contre le dopage. Reste que Lance Armstrong a bénéficié de tout un ensemble de protections, de sa sécurité rapprochée à l'hélicoptère mis à sa disposition pour rejoindre son hôtel à l'issue des étapes... Faut-il y voir une intention délibérée de favoriser un coureur ? Il y a bien eu un donneur d'ordres.
Le mouvement sportif est-il juge et partie ? L'intérêt du modèle français est d'armer la puissance publique dans ses rapports avec les fédérations. En avril 2012, Mme Jouanno, alors ministre des sports, a subordonné le renouvellement de la délégation accordée aux fédérations à la présentation d'un plan de prévention du dopage. C'est une excellente chose. De même, en mars 1999, la loi de Marie-George Buffet a généralisé une pratique spontanée de la fédération française de cyclisme prévoyant le suivi longitudinal des coureurs : c'est devenu la surveillance médicale réglementée. Jean-Pierre de Mondenard dit : les gendarmes sont les voleurs. Pas tout à fait ! L'État encourage les efforts du mouvement sportif. La désignation des instances disciplinaires des fédérations est entourée de garanties : l'Agence doit donner son aval. Je constate un progrès de la qualité des décisions rendues. Si le mouvement sportif était tenu à l'extérieur, une stratégie d'évitement se développerait.
Sur le plan international, j'appelle de mes voeux plus de transparence, et une révision des règles : en particulier, les agences nationales antidopage ne devraient pas avoir à solliciter une quelconque autorisation d'une fédération internationale pour mener des contrôles lors de compétitions sur le territoire national.
Vous m'interrogez sur l'affaire Armstrong. J'ai pris mes fonctions en octobre 2010 seulement. Je peux donc seulement rendre compte de ce dont j'ai été témoin ou de ce qui m'a été rapporté dans le cadre de colloques ou de symposiums. J'ai été troublé par ce qui s'est produit lors du Tour de France 1999. Si le 4 juillet 1999, lors d'un contrôle, Armstrong indique sur le procès verbal n'avoir pris aucun produit ; si le contrôle révèle la présence de glucocorticoïdes interdits ; et si le 21 juillet surgit miraculeusement une autorisation d'usage thérapeutique, il faut demander aux protagonistes des éclaircissements. Certes, une autorisation d'usage thérapeutique n'est pas nécessairement exigible avant le contrôle : selon la jurisprudence du Conseil d'État, le sportif peut apporter des justifications médicales au stade de la procédure disciplinaire, mais il faut être très exigeant : une ordonnance antidatée ne fait pas l'affaire.
Ces interrogations ont été renforcées par le récit de Luis Horta, président de l'agence portugaise de lutte contre le dopage. Expert de l'AMA sur le Tour de France 2003, il eut la surprise, en se présentant à 6 heures 30 à l'hôtel d'une équipe pour un contrôle inopiné, d'être reçu par le directeur sportif qui semblait l'attendre, et dut patienter 35 minutes avant de pouvoir effectuer un contrôle sur un coureur. On peut s'interroger sur le caractère réellement inopiné des contrôles, même si nous essayons de mieux les cibler, de les effectuer en amont des compétitions et en retardant au maximum le choix du sportif contrôlé.
M. Horta ne me l'a pas dit. Confrontées à des difficultés financières, les agences nationales s'interrogent sur le recours aux sponsors, qui risque de porter atteinte à leur indépendance. Quand l'agence néerlandaise a refusé tout concours de la Rabobank, nous avons compris pourquoi !
Le partenariat avec les fédérations ne se décrète pas, il se construit. Quelles sont vos actions en direction des fédérations ?
Nous travaillons en bonne entente avec les fédérations nationales. La difficulté vient de ce que nous n'avons pas une compétence de plein exercice pour les manifestations internationales qui se tiennent sur le territoire français : le code mondial antidopage donne une compétence de principe à la fédération internationale, qui peut nous mandater dans le cadre d'une convention. La coopération loyale - terme que j'ai emprunté au droit de l'Union européenne - suppose confiance réciproque et respect des compétences de chacun. Le code nous permet certes de solliciter un arbitrage de l'AMA, mais nous ne sommes pas assurés d'obtenir gain de cause.
Quelles actions menez-vous en direction des clubs et des jeunes pousses destinés à devenir professionnels ?
Le directeur technique national de la fédération française de tennis, M. Hagelauer - qui a souscrit à la demande de Mme Jouanno de présenter un plan de prévention du dopage - nous invite à ne pas hésiter à contrôler les championnats cadet ou junior, afin de faire peser la menace d'une sanction. C'est une bonne approche. De même, le groupe de travail du Comité national olympique et sportif français a souhaité que le profil biologique du sportif soit prioritairement mis en oeuvre pour les sportifs « Espoir ». Enfin, à la suite de renseignements inquiétants et de décès dans le rugby, notre directeur des contrôles a étendu les contrôles sur les pôles « Espoir ».
Serons-nous prêts à mettre en place le profil biologique au 1er juillet 2013, comme le prévoit la loi ? Que pensez-vous de l'idée d'un rapprochement entre votre agence et l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) ?
Le comité de préfiguration des modalités d'instauration du profil biologique s'est réuni pour la première fois en décembre dernier - vous aviez accepté que la séance inaugurale se tienne en votre absence. Le rapport sera remis avant la date du 1er juillet 2013, fixée par la loi du 12 mars 2012. Le nouvel article L. 232-12-1 entrera alors en vigueur, mais il ne pourra y avoir de sanctions avant un décret en Conseil d'État, pris après avis de la Cnil, ce qui prendra plusieurs mois. Je suis déterminé à aller jusqu'au bout et à faire appliquer la loi que vous avez votée.
Le ministre Douillet avait évoqué la possibilité d'un rapprochement entre l'AFLD et l'Arjel, idée reprise le 18 janvier 2012 par M. Lamour lors de l'examen par l'Assemblée nationale de la proposition de loi Ethique du sport et droits des sportifs, adoptée par le Sénat en mai 2011. C'est à mon sens une fausse bonne idée. Certes, les deux instances partagent un objectif commun, lutter contre les compétitions truquées, mais elles n'utilisent ni les mêmes techniques, ni les mêmes modes de répression. Entre le sportif qui cherche à améliorer ses performances et celui qui lève le pied par intérêt pécuniaire, la démarche n'est pas la même ! Les normes de référence, les partenaires au sein de la police et de la gendarmerie sont totalement différents. M. Douillet espérait des économies sur les services juridiques, mais celui de l'AFLD ne compte que trois personnes, hautement spécialisées. Je vois mal l'idée prospérer.
Nous recevons M. Michel Audran, directeur du laboratoire de biophysique et bioanalyses de la Faculté de Pharmacie de Montpellier, spécialiste reconnu du dopage sanguin.
Notre commission d'enquête sur l'efficacité de la lutte contre le dopage a été constituée à l'initiative du groupe socialiste, en particulier de M. Jean-Jacques Lozach, notre rapporteur.
Une commission d'enquête fait l'objet d'un encadrement juridique strict. Je signale au public présent que toute personne qui troublerait les débats serait exclue sur le champ. Je vous informe en outre qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 à 434-15 du code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Michel Audran prête serment.
Je travaille depuis vingt ans sur le dopage sanguin, sa détection, ses effets. Je suis membre du groupe d'experts de l'Agence mondiale antidopage (AMA) qui a mis en place du passeport hématologique, et expert auprès de l'Union cycliste internationale (UCI), l'Association internationale des fédérations d'athlétisme (IAAF), de l'agence anti-dopage suisse, qui font gérer leurs passeports sanguins par le laboratoire de Lausanne (UGPBA). Enfin, je suis auditeur technique pour le Comité français d'accréditation (Cofrac) et l'AMA.
Le dopage, c'est avant, pendant et après la compétition. Le panorama a changé en l'espace de quelques années. Encore récemment, le dopage se limitait au détournement de médicaments à usage humain ou vétérinaire. De nouveaux produits sont apparus, sans que l'on abandonne pour autant les anciens. La nouveauté, c'est l'utilisation de produits en cours d'essais cliniques, provenant des hôpitaux et surtout d'Internet : dès que la structure d'une molécule est publiée, pour peu qu'elle puisse être reproduite facilement, la substance se trouve sur Internet. On fait désormais usage de substances dont les essais cliniques ont été interrompus, ou qui ont démontré des effets ergogéniques sur l'animal seulement, comme l'Aicar, qui a fait le buzz sur Internet. Une industrie spécifique au dopage s'est installée, avec des designer drugs conçues pour échapper au contrôle et révélées par l'affaire Balco : stéroïdes, testostérone ou encore érythropoïétine (EPO) sont indétectables. L'accès à des substances médicamenteuses dangereuses sur Internet est un vrai problème de santé publique.
Parmi les produits employés pour augmenter la force et la puissance musculaire, les anabolisants, l'hormone de croissance, l'IGF-1 ne sont pas des nouveautés. Apparaissent toutefois de nouvelles formes d'IGF-1 qui n'existent pas sous forme de médicament : R3-IGF-1, Long R3-IGF-1, IGF-IEc. Conçues pour le dopage, on les retrouve dans les salles de bodybuilding, j'en ai eu la preuve il y a dix jours dans le sud de la France. L'insuline n'est pas non plus une nouveauté. Les sécrétagogues de l'hormone de croissance fonctionnent mal en thérapeutique, aucun médicament n'a été agréé. Parmi les nouveautés, les anti-myostatine, non commercialisés mais disponibles, favorisent la croissance de la masse musculaire. Je crains que les SARMs (Selective androgen receptor modulators) ne remplacent les stéroïdes anabolisants dont ils n'ont pas l'effet androgénique. On relève des cas de dopage avec ces substances, dont une a été abandonnée en essai clinique à cause de sa toxicité.
Pour augmenter l'endurance, citons d'abord le transport de l'oxygène, par les transfusions sanguines, les époétines, désormais produites dans tous les pays : on en dénombre au moins 130. Pas toujours bien vérifiés, ces produits peuvent entraîner des allergies ; l'organisme fabrique alors des anticorps contre l'EPO naturel, ce qui est dramatique. Là encore, on peut se fournir aisément sur Internet. Mal purifiés, ils sont difficiles à détecter. Avec les stabilisateurs de l'HIF-, l'organisme fabrique de l'EPO même quand il n'en a pas besoin. L'utilisation de plusieurs substances, de différentes structures chimiques, ayant le même effet rend la détection difficile. Enfin, testostérone, hormone de croissance, IGF-1 et corticoïdes ont également pour effet d'augmenter les globules rouges.
La modification du métabolisme cellulaire est également employée pour augmenter l'endurance. L'Aicar, actif sur le rat, est extrêmement toxique, or il entre même dans la composition de compléments alimentaires à usage humain. Autre type de produit : les stabilisateurs du récepteur de la ryanodine (RyR), pour favoriser la contraction musculaire. L'effet n'a été mis en évidence que chez le rat, or ces produits seraient utilisés par les sportifs pour éviter la fatigue musculaire lors d'épreuves de longue durée, sur plusieurs jours. Certains produits peuvent être administrés par voie orale ou nasale, donc à faible dose, sachant qu'une faible dose d'EPO améliore la performance mais échappe au contrôle.
Je serai bref sur le dopage génétique. Seul l'EPO fonctionne chez l'homme ; une société israélienne est spécialisée dans la thérapie génique extra-cellulaire, qui donne d'excellents résultats ; des cellules de la peau sont prélevées pour qu'on y insère le transgène de l'EPO, puis réinjectées dans l'abdomen, permettant une production de l'hormone pendant six à douze mois. Pour la croissance musculaire, l'IGF-1 n'a pas fonctionné, au contraire des anticorps anti-myostatine semble-t-il - c'est intéressant pour le traitement des cancéreux ou des porteurs du Sida dénutris. Si l'on a réussi à créer des souris marathoniennes en surexprimant certains gènes, avec les récepteurs activés par les proliférateurs de peroxysomes (PPAR-/) et la phosphoénolpyruvate carboxykinase (PEPCK-C), va-t-on pour autant voir se développer une thérapie génique ? On sait trouver des médicaments agonistes des PPAR-/ et de la PEPCK-C, qui produisent les mêmes effets. La thérapie génique est dès lors moins utile, mais elle a toutefois l'avantage d'être indétectable...
Le meilleur milieu biologique pour le dépistage reste l'urine, sauf si le médicament n'est pas sécrété par le rein, dans quel cas il faut le rechercher dans le sang. On retrouve 10 % de l'EPO dans l'urine. La demi-vie de l'EPO a été augmentée, afin de permettre aux malades d'espacer les injections : les molécules, plus grosses, restent plus longtemps dans l'organisme et passent mal au niveau rénal. L'Hématide, récemment rebaptisée, doit aussi être recherchée dans le sang. La salive n'apporte rien de plus que le sang et il en faut un certain volume. Quant aux cheveux - qui révélaient si la testostérone était endogène ou non - ils n'ont pas davantage d'intérêt depuis que les stimulants sont autorisés hors compétition.
La méthode directe de dépistage est juridiquement préférable, mais pour détecter un composé, il faut savoir qu'il est utilisé. Difficile de disposer d'un test pour chacun des 50 à 90 composés de SARMs, de structures différentes. Reste le problème des designer drugs, de la courte demi-vie de certaines substances comme les hormones peptidiques, masquées par l'insuline et les boissons sucrées, des faibles doses et de l'empilement de différentes substances, dit stacking, qui rendent la détection plus difficile.
D'où les méthodes indirectes, avec le passeport biologique, qui peut toujours être contourné mais qui a mis de l'ordre dans le peloton : depuis mi-2011, les changements sont manifestes. Je crois beaucoup à la génomique, à la transcriptomique, à la protéomique et surtout à la métabolomique : en mettant en évidence un type de substance donné, on peut discerner les animaux traités aux anabolisants. On pourrait, je pense, voir l'effet stimulant de l'érythropoïèse même sans savoir quel produit a été utilisé. Cela permettrait de concentrer l'analyse sur les échantillons suspects, ce qui serait un gain de temps pour les laboratoires. Je voudrais que ces méthodes soient un jour suffisamment spécifiques pour accuser un sportif de dopage.
Sur le passeport, en regardant le protocole, on note par exemple qu'un cycliste a reçu deux transfusions sanguines pendant le Tour de France - au moment des étapes de montagne ! Je regrette que l'on ne recherche l'EPO que dans les sports d'endurance, alors qu'elle améliore la performance dans d'autres sports dans la mesure où elle permet de s'entraîner davantage.
Nous avons compris qu'à chaque type d'effort correspond un type de produit. Pouvez-vous rappeler rapidement l'historique de l'utilisation des produits dopants, depuis les amphétamines des années cinquante aux stéroïdes d'aujourd'hui ? Avez-vous le sentiment que les sportifs de haut niveau utilisent beaucoup de substances indécelables ?
Après les années amphétamines, les années soixante-dix et quatre-vingt ont été les années stimulants. À partir des années quatre-vingt dix, on utilise de plus en plus les hormones peptidiques : l'EPO, que l'on sait détecter, et l'hormone de croissance, qui n'est pas détectable si elle est accompagnée de secretagogue. Les anciennes substances n'ont pas été abandonnées pour autant : anabolisants, présents dans 60 % des contrôles positifs, stimulants et corticoïdes, dont il n'est même pas prouvé qu'ils améliorent la performance. Restent qu'ils ont un effet euphorisant, suppriment la douleur et font reculer le seuil de la fatigue. Il suffit désormais d'une ordonnance, plus besoin d'autorisation thérapeutique.
Les substances indétectables, ce sont les médicaments utilisés pour le bodybuilding : l'ACE-031, inhibiteur de la myostatine dont les essais cliniques ont été arrêtés ; la follistatine, objet d'un essai clinique depuis 2012 en vue d'une thérapie génique ; le CJC 1295, dont la demi-vie est de plusieurs jours, toujours à l'étude clinique ; les nouvelles formes d'IGF-1. Aucun de ces produits n'est recherché lors des contrôles antidopage, le laboratoire de Cologne est le seul capable de les détecter. Quant aux SARMs, ils ont été dernièrement détectés dans le bobsleigh...
Certains produits sont interdits pendant la compétition mais autorisés pendant l'entraînement. Selon quels critères ?
Il s'agit uniquement des stimulants, qui ne sont actifs que pendant une demi-heure à une heure : on suppose donc qu'ils ne sont utilisés par les sportifs qu'au moment de la compétition, d'où une liste spécifique. Je le regrette : j'ai vu, dans des affaires judiciaires où j'intervenais comme expert, des sportifs amateurs du « pot belge » - amphétamines et caféine le plus souvent, cocaïne et héroïne étant réservées au « pot belge royal » ! - pour se motiver pour l'entraînement.
Seuls 0,6 % des contrôles inopinés se sont révélés positifs à ces substances. Selon une étude de 2011, l'utilisation de ces produits activement recherchés par les laboratoires n'a pas augmenté. L'AMA justifie son choix à partir de cette publication.
J'ai sous les yeux un article de 2009, dans lequel vous déclarez qu'aucune étude n'établit de lien entre le dopage et le cancer. Est-ce toujours vrai ?
C'est un raccourci journalistique. Certaines études établissent un lien entre l'utilisation de stéroïdes anabolisants et le cancer. Ces questions appellent la plus grande prudence. Par exemple, certains cancers hormono-dépendants qui se développent sur vingt ou trente ans verront leur évolution raccourcie à quelques mois sous l'action de la testostérone.
Un article de 2009 fait état de cinq à six cas de cancer dus à des doses de cheval de stéroïdes anabolisants. Il faut savoir que tous les sprinteurs, jusqu'en 2005, prenaient des anabolisants et de l'hormone de croissance, mais à des doses différentes de celles utilisées en haltérophilie, bodybuilding, ou dans les lancers de poids ou de marteau. En réalité, il n'y a pas de lien prouvé entre la prise d'hormone de croissance ou d'EPO et la survenance du cancer.
Longtemps associée au traitement de l'insuffisance rénale, l'EPO sert désormais à traiter l'anémie des personnes cancéreuses. Dans certains cas, elle réduit leur espérance de vie. Ces molécules ont des propriétés anti-apoptotiques, c'est-à-dire qu'elles empêchent la mort des cellules, et peuvent donc favoriser le cancer, mais non le déclencher.
Vous pensiez peut-être, en évoquant le lien entre stimulants et cancer, à Laurent Fignon : il n'y a rien dans la littérature à ce sujet.
Faut-il craindre un développement du dopage génétique ? Comment l'entraver ?
Oui, car le dopage a toujours suivi les évolutions médicales.
Ce n'est pas évident pour l'EPO : l'activation de la production d'EPO par thérapie génique est détectable car la composition en sucre de cette molécule dépend de la cellule dans laquelle vous en stimulez la production. Ce n'est toutefois pas le cas pour l'hormone de croissance. On pourrait aussi, par thérapie génique, abîmer le gène qui produit la myostatine, ou favoriser la fabrication de follistatine, qui empêche l'action de la myostatine. Mais on peut plus simplement utiliser des anticorps anti-myostatine, ou avoir recours à d'autres substances, comme le S107, qui produisent les mêmes effets. La thérapie génique est techniquement réalisable, mais sa valeur ajoutée n'est pas évidente.
Il existe des méthodes de dépistage. On peut mettre en évidence, avec quelques centaines de microlitres de sang, l'usage de vecteurs de la thérapie génique pendant une cinquantaine de jours après le traitement. L'AMA a beaucoup investi dans de telles recherches.
Il faut distinguer le suivi et le passeport biologique. Le suivi biologique s'apparente à la médecine du travail : à la demande de sa fédération, le sportif fait contrôler certains paramètres dans le laboratoire de son choix. Le passeport hématologique, pour prendre un exemple que je connais, se caractérise par une gestion beaucoup plus rigoureuse des prélèvements, de leur transport, de leur analyse, et en définitive par une fiabilité bien meilleure de ses résultats. Il permet en outre de comparer les résultats obtenus grâce aux contrôles sur un individu aux valeurs normales observées dans une population donnée. Cette mise en parallèle permet de convaincre quelqu'un de dopage de façon assez certaine.
Cela étant, les méthodes de test sont rapidement contournées. Les sportifs utilisent aujourd'hui des micro doses d'EPO, qui fournissent à long terme le même résultat en diminuant le risque de détection.
Les risques qui pèsent sur la santé des sportifs ont beaucoup diminué. On a beaucoup critiqué la décision de l'UCI d'abaisser le seuil d'hématocrite à 50 %. Or entre 1994 et 1998, les grands cyclistes, sous EPO, avaient un taux d'hématocrite compris entre 55 % et 62 %. A ce niveau, les risques de thrombose sont énormes, surtout pendant le sommeil, ce qui les obligeait à faire de l'exercice la nuit.
Le passeport hématologique a permis de faire diminuer les risques sanitaires auxquels les sportifs sont exposés.
Avez-vous des propositions à formuler pour renforcer l'efficacité de la prévention du dopage ?
Non, je suis assez dépourvu sur ce point. Pendant longtemps, on a mis les risques sanitaires au coeur des politiques de prévention. Les sportifs sont en effet soucieux de leur santé. Mais il y a en même temps un engouement pour les sports extrêmes, comme les courses de 100 kilomètres. On ne participe pas à ces événements avec de l'eau minérale : les candidats sont bourrés de paracétamol, d'aspirine, d'antivomitif, d'antidiarrhéique... Rien de tout cela n'est dopant, mais le mélange n'est sans doute pas bon pour la santé. De plus, nombreux sont ceux qui, pour finir la course, iront se procurer des substances plus ou moins pures non pas sur Internet, mais via des intermédiaires culturistes qui leur donneront le sentiment que les risques sur la santé sont négligeables.
Lorsqu'on a instauré le suivi biologique du sportif, à l'époque du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage (CPLD), j'avais demandé qu'on suive également les anciens sportifs, afin de contrôler les effets du dopage et du sport sur le long terme. Cela n'a jamais été fait.
Vous avez mentionné à plusieurs reprises les salles de bodybuilding. Sont-elles suffisamment contrôlées ?
Il y a deux façons de se fournir en produits dopants en France : sur Internet, ou par des intermédiaires, dont les culturistes. On ne va pas contrôler les gens chez eux... Mais c'est assurément un point à surveiller dans la lutte contre le dopage.