La réunion est ouverte à 17 heures 05.
Madame la Ministre, nous vous remercions d'avoir accepté de venir nous donner la perception du gouvernement sur le sujet de la gouvernance de l'Internet, sur lequel notre mission travaille depuis plusieurs mois : nous avons déjà procédé à une soixantaine d'auditions et effectué plusieurs déplacements à Bruxelles, à Berlin et aux États-Unis. Cette question de la gouvernance de l'Internet est très importante, et selon nous, très opportune en raison des interrogations croissantes qu'ont fait naître les révélations de M. Edward Snowden et qui amènent à questionner le rôle des enceintes de gouvernance. Les dernières annonces relatives à l'Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) conduisent à revoir son rôle avant l'échéance butoir de 2015, date à laquelle expire son engagement envers le gouvernement américain, et nous nous interrogeons sur les chances d'aboutir avant cette date.
Au-delà des affaires de gouvernance proprement dites, le déploiement de l'Internet emporte des enjeux technologiques et économiques mais aussi des enjeux en termes de sécurité et de souveraineté, qui soulèvent la question de la possibilité de contrôler les fournisseurs d'accès à l'Internet mais aussi le matériel souvent fabriqué à l'étranger.
Enfin, nous voudrions aborder avec vous les perspectives en matière de coordination et de coopération entre Européens, et notamment en ce qui concerne le projet de règlement européen relatif à la protection des données.
secrétaire d'État chargée du numérique, auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique. - Je vous remercie pour votre invitation à venir m'exprimer devant votre mission qui effectue un travail de fond, déjà très abouti, vu le nombre de personnes que vous avez entendues ou rencontrées. Il me serait très utile de disposer de votre rapport parlementaire, si possible avant le 23 juin, date à laquelle se tient une réunion importante du Comité consultatif gouvernemental de l'ICANN (Governmental Advisory Committee - GAC) à Londres. Ce sera la cinquantième session du GAC et la réforme de l'ICANN sera au programme de la réunion. Nous sommes vraiment au coeur de l'actualité puisqu'aujourd'hui même, 3 juin, est la date butoir fixée pour aboutir à un accord commercial entre les candidats au « .vin » et au « .wine » et les professionnels des secteurs viticole et vinicole. J'ai reçu moi-même ces professionnels la semaine dernière et, ce matin encore, je recevais les parlementaires les plus concernés par ce dossier. J'ai également pu m'entretenir hier, par téléphone, avec Neelie Kroes, Commissaire européen en charge de la stratégie numérique, sur ce sujet, qui sera inscrit à l'ordre du jour du Conseil Télécoms vendredi, à l'initiative de la présidence grecque. Je ne pourrai malheureusement pas y assister, retenue par les commémorations du 6 juin 1944, mais la France sera représentée par son représentant permanent à Bruxelles.
Le sujet de la gouvernance de l'Internet est souvent perçu comme obscur et technique, réservé aux experts, les citoyens s'en souciant peu, tant que l'Internet fonctionne. La préoccupation dont je reçois le plus souvent l'écho porte le plus fréquemment sur l'accès à l'Internet sur notre territoire et le débit associé. Je dois reconnaître qu'il y a eu un certain retard dans la conscience politique des enjeux de la gouvernance de l'Internet.
Cela tient sans doute au fait que la délégation des noms de domaine de premier niveau géographiques s'est passée de manière assez consensuelle, même si des voix se sont élevées en 1998 pour critiquer le rattachement de l'ICANN au département du commerce américain. Ce rattachement a été admis au motif que :
- les compétences étaient aux États-Unis,
- la supervision par un état démocratique adhérant à des principes de liberté était acceptable,
- et le système de gouvernance multi-parties prenantes était efficace.
Depuis, deux événements ont bouleversé la donne : la deuxième génération de délégation de noms de domaine génériques a des impacts quantifiables et conséquents en termes commerciaux. Ainsi le vin représente pour nous 13 milliards d'euros d'excédent commercial annuel, ce qui atteste de son importance pour notre économie mais aussi pour la cohésion de nos territoires. Il y a ensuite l'affaire Snowden qui a montré que les États-Unis pouvaient espionner les citoyens, et même les États, ce qui a fait apparaître la vulnérabilité du réseau.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une multiplication de contentieux sur les noms de domaine. Il y a eu le cas du « .patagonia » : la mobilisation de l'Amérique du sud a finalement conduit à une suspension des noms de domaine avec cette extension. Il y a également celui du « .amazon » qui préoccupe l'Amazonie, dont le cacique Raoni Metuktire était d'ailleurs présent aujourd'hui dans l'hémicycle de notre Assemblée nationale.
On peut encore citer les cas du « .hotel » ou du « .spa ». À ce sujet, on peut regretter que le conseil d'administration de l'ICANN ait choisi de prendre une décision contraire aux intérêts de la Belgique, en ne tenant aucun compte de l'accord commercial auquel étaient pourtant parvenus le gouvernement belge et la ville de Spa avec le principal candidat à la délégation.
Il est donc temps d'élaborer une nouvelle stratégie pour la gouvernance de l'Internet, aussi bien au sein de l'Union européenne qu'au niveau mondial. Je parle à dessein de gouvernance plutôt que de régulation, car il faut éviter de caricaturer le débat en le réduisant à l'opposition entre les défenseurs de la liberté - commerciale, d'information ou d'expression - d'un côté et les États souverains de l'autre. La réalité est plus complexe. La question est en fait de savoir si l'Internet est condamné à être un espace de non-droit, dans lequel seuls les acteurs commerciaux définissent les règles, ou s'il est possible d'instaurer un cadre institutionnel de nature à garantir le respect de l'intérêt public. À ce titre, les États ont un rôle essentiel à jouer, dans la mesure où ils sont seuls redevables de l'intérêt public devant le peuple. Cette notion est essentielle.
Où en est-on aujourd'hui ? À Genève en décembre 2003, puis à Tunis en novembre 2005, dans le cadre du sommet mondial sur la société de l'information, des initiatives avaient été prises pour créer un espace de dialogue. Dix ans plus tard, on constate que ces sujets sont restés l'affaire de spécialistes, liés à un modèle économique visant à la rentabilité. La question de la gouvernance mondiale de l'Internet est donc à nouveau posée. Deux voies sont possibles, celle de la tradition onusienne, avec des organisations comme l'Union internationale des télécommunications (UIT), ou bien celle d'institutions originales.
Lors du sommet de São Paulo en avril dernier, plusieurs États comme l'Iran ou la Chine ont plaidé pour une approche interétatique. À l'inverse, les États-Unis, des représentants du secteur privé et certains acteurs de la société civile promouvaient un modèle multipartite. La France, comme la majorité des pays de l'Union européenne, la Commission européenne, le Brésil et d'autres pays émergents ont quant à eux cherché à dégager une voie différente.
La France exprime au sujet de l'ICANN une position assez stable. Elle demande notamment que les gouvernements aient un rôle spécifique à jouer, déplorant que le conseil d'administration de l'ICANN ne soit pas lié par les décisions du Governmental advisory committee (GAC), qui reste une instance consultative.
Plus largement, elle appelle à une profonde réforme de cette organisation. Elle souhaite une véritable internationalisation de ses structures, qui ne se résume pas à la fin du lien contractuel avec le département du commerce américain, au recrutement d'effectifs plus internationaux ni à la simple ouverture de bureaux de représentation à travers le monde, afin de parvenir à une rupture complète avec le gouvernement américain. Le transfert du siège de l'ICANN dans un autre pays, qui pourrait être européen, serait l'un des moyens d'atteindre cet objectif, l'Europe étant à la fois une garantie pour les libertés et pour la confiance. La France souhaite aussi que les conditions de nomination des membres du conseil d'administration soient revues et que les modalités de recours - aujourd'hui opaques et insatisfaisantes - soient améliorées. Ces recours n'ont d'ailleurs pas de nature vraiment juridictionnelle et n'obéissent à aucune règle de droit. Ainsi, ils ne garantissent pas les droits procéduraux reconnus par des organisations comme le Conseil de l'Europe.
Nous demandons en particulier davantage de transparence dans la prise de décision et des délais plus longs, nécessaires pour que chaque partie intéressée puisse faire valoir ses arguments à propos des décisions revenant au conseil d'administration de l'ICANN.
S'agissant des enseignements à tirer de la réunion de São Paulo, ils sont contrastés. Des grands principes, comme la liberté d'expression, la neutralité de l'Internet, la nécessité de lutter contre la cybercriminalité, ont été réaffirmés. En revanche, le sommet s'est terminé sans qu'une feuille de route claire n'ait été adoptée. Aucun engagement précis n'a été arrêté. Le calendrier des prochaines rencontres n'a pas été déterminé, alors que l'Internet governance forum (IGF) doit se réunir cet automne à Istanbul.
Quelles évolutions possibles s'offrent à nous ? Sur la gouvernance au sens large, depuis 2005, aucune réflexion réellement inclusive, c'est-à-dire qui dépasse le seul sujet de l'ICANN, n'a été menée, qu'il s'agisse du nommage, de l'adressage, de la sécurité, du spam et de la protection de la vie privée. Une grande diversité d'instances se sont pourtant saisies de ces sujets, par exemple, l'Union internationale des télécommunications (UIT) et l'IGF, mais sans remettre en cause le rôle de l'ICANN et sans proposer de solution alternative.
La France s'intéresse également à des modèles d'organisation mis en oeuvre par des instances internationales privées qui accordent un rôle prépondérant aux États. C'est le cas du secteur de l'aviation civile et de la définition des normes dans le secteur bancaire qui articulent les acteurs privés et les États dans une approche multipartite. Un autre exemple pourrait être utilisé en s'inspirant de la régulation en matière de satellites. En tout état de cause, nous demandons une rupture rapide et confirmée du lien avec les juridictions américaines qu'entretient la gouvernance de l'Internet en général et une articulation beaucoup plus précise avec les gouvernements.
Le Président de l'ICANN m'a indiqué qu'il ne fallait pas sous-estimer la décision « .amazon ». C'est la première fois, selon lui, que le board agit en toute indépendance à l'égard du Gouvernement américain, ce qui doit nous amener à ne pas préjuger de la décision qui sera prise sur le « .vin ». J'ai attiré son attention sur ce sujet en lui signifiant que la mobilisation politique ne faiblirait pas ; au point que les élus sont prêts à demander au Gouvernement de boycotter la réunion du 23 juin en cas de décision défavorable aux viticulteurs, qu'ils soient Français, mais aussi Australiens, Chiliens, Argentins ou Américains lorsqu'ils sont dans la Napa Valley. Quelle qu'elle soit, j'ai considéré que cette décision créerait un précédent et que la question de la réforme de l'ICANN demeurerait d'actualité dans tous les cas de figure.
La France n'est pas favorable à ce que l'ICANN soit le réceptacle de débats sur les sujets périphériques, dits « orphelins », comme la cybersécurité, laquelle est par ailleurs traitée dans le cadre d'une directive européenne, la liberté d'information et l'innovation dans le domaine du big data et des objets connectés.
Je suis plutôt favorable à l'idée d'un traité international, même s'il n'existe pas encore d'instance pour l'accueillir. Le sommet de São Paulo était une première pierre posée vers cet objectif. Sur ce point, la France est proche des positions brésiliennes, tout en développant une stratégie de recherche de partenaires en Europe et hors Europe.
Le Gouvernement français est donc conscient des enjeux liés à la réforme de l'ICANN même s'il faut reconnaitre que cette prise de conscience a été tardive.
Vous évoquez le fait que nous avons fait confiance depuis trop longtemps à l'ICANN, mais aussi à d'autres organismes gestionnaires de l'Internet, dont l'Internet engineering task force (IETF) sur lequel le Gouvernement américain pèse de tout son poids pour s'assurer le contrôle des protocoles techniques.
Les questions de la transparence et de la redevabilité ont très souvent été posées au cours de nos auditions. Les autres États partagent-ils notre préoccupation quant au renforcement de la place des gouvernements au sein de l'ICANN ?
Par ailleurs, j'ai rencontré aux États-Unis des chercheurs qui ont suggéré l'idée de distinguer au sein de l'ICANN la fonction politique chargée de déterminer l'avenir de l'Internet de la fonction administrative dédiée à la délégation individuelle de noms de domaines de premier niveau. Cette orientation est-elle souhaitable ?
Notre mission s'interroge également sur le renforcement du rôle de l'IGF. En ce sens, celui-ci pourrait être transformé en assemblée dotée d'un secrétariat.
Le projet de traité international rendrait opposable un certain nombre des principes évoqués au sommet du NETmundial de São Paulo. Au-delà, ne conviendrait-il pas de réfléchir à une évolution des statuts de l'ICANN, du droit californien vers le droit suisse si son siège était transféré à Genève ? Le Gouvernement américain a repoussé cette idée mais je souhaite connaître votre position sur ce sujet.
secrétaire d'État chargée du numérique, auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique. - Sur la nécessité de rééquilibrer au sein de l'ICANN les règles de fonctionnement entre parties prenantes, le Gouvernement français va adresser un courrier à la Commission européenne pour l'alerter sur le contentieux en cours sur le « .vin ». Il ne s'agit que d'un aspect des problèmes de gouvernance que nous rencontrons au sein de l'ICANN, mais il suffit à motiver une réforme.
Au sommet du NETmundial, j'ai identifié trois États s'opposant fermement à tout rééquilibrage : les États-Unis soutenus par le Royaume-Uni et la Suède. Nous avons réalisé à quel point nos positions divergeaient sur le rôle que doivent jouer les États. Le Gouvernement français ne remet pas en cause l'essence même du système « multistakeholder », qui constitue la base d'un Internet libre et ouvert, mais souhaite que l'acquis communautaire et les législations nationales ne soient pas remis en cause.
Sur ce thème de la gouvernance de l'ICANN, j'ai rencontré le représentant polonais, parfaitement en phase avec nos positions, tout comme le représentant du Brésil. Je n'ai malheureusement pas eu le temps de rencontrer mon homologue allemand, mais devrais le voir bientôt. Ceci dans le cadre du groupe de travail commun initié par le dernier conseil des ministres franco-allemand, qui sera bien sûr sollicité pour préparer l'arrivée de la future Commission européenne. L'Espagne et l'Italie sont par ailleurs également alignées sur nos positions. Un travail pédagogique ferait prendre conscience aux autres États de l'importance des enjeux, qui les concernent au premier chef.
S'agissant de la séparation des aspects techniques et politiques au sein de l'ICANN, je m'en suis entretenue avec le président de l'ICANN, M. Fadi Chehadé, à São Paulo. Si l'idée est a priori attractive, je ne suis pas pour autant persuadée que l'ICANN doive être le lieu du débat politique. On m'explique que la décision sur le « .amazon » a créé un précédent en ayant permis un affranchissement historique des membres du conseil d'administration, qui ont écouté les représentants élus de certains États, d'organisations non gouvernementales (ONG), d'associations ... Mais quelle légitimité leur permettrait de prendre une décision politique ? Une séparation interne à l'ICANN, pourquoi pas, mais à condition d'une réforme préalable garantissant la transparence et le respect du droit et de l'intérêt général. Cela suppose une refonte d'ensemble de l'institution, qui n'apparaît pas pour l'instant dans ses décisions.
Pour ce qui est du rôle de l'IGF, a été évoqué à l'automne dernier à l'assemblée générale des Nations-Unies l'opportunité d'organiser un évènement célébrant les dix ans du SMSI, initié à Tunis en 2005. Un groupe de travail ad hoc a été créé par le secrétaire général de l'organisation, mais faute de consensus, nous n'avons pas de nouvelles de ses travaux, qui étaient attendus fin mars. À court terme, l'incapacité du forum sur la gouvernance de l'Internet à générer des décisions consensuelles et opérationnelles pose problème. D'autant qu'existe un problème de financement du secrétariat général, qui dépend d'États, mais aussi d'acteurs privés, de plus en plus réticents à mettre la main au portefeuille. Le devenir même de l'instance semble donc mis en cause. Faut-il que notre Gouvernement appuie son renforcement pour qu'elle devienne la future enceinte de concertation sur la gouvernance de l'Internet ? Cela ne correspond pas à sa stratégie, même si cette option n'est pas exclue en soi. Il sera très intéressant pour moi d'aller à Istanbul en septembre pour observer de visu l'effectivité de ce cadre institutionnel.
S'agissant de l'IETF, je ne serai pas en mesure de répondre à votre interrogation, à ce stade ; je vous ferai parvenir des éléments à ce sujet. Je tiens cependant à souligner que le nombre très important d'organisations techniques s'occupant de l'Internet pose un problème de cohérence d'ensemble. Ces structures prennent de plus en plus de recul par rapport au fonctionnement de l'ICANN, du fait de l'affaire Snowden, et concentrent leurs interventions sur les aspects techniques qui fondent leur légitimité.
La représentation de la France et de ses intérêts au sein de ces instances est un réel problème, l'impact de leurs décisions allant souvent bien au-delà de simples enjeux formels. C'est vrai, par exemple, pour ce qui est de la négociation des normes de la 5G : notre pays doit être présent, auprès de nos constructeurs et opérateurs, dès la phase amont de définition de ces normes. D'une façon plus générale, la question de leur production est en effet essentielle dans l'économie numérique, notamment dans les négociations de l'accord de partenariat transatlantique.
Les orientations prises à São Paulo sont-elles de nature à rétablir la confiance, d'après vous ? À défaut, comment pourrait-elle l'être ?
secrétaire d'État chargée du numérique, auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique. - La confiance est une notion centrale de l'Internet, comme l'illustre l'intitulé de la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN). Largement entamée depuis l'affaire Snowden, elle concerne tous les acteurs de l'Internet : l'État - susceptible d'être soumis à des cyberattaques ; j'en veux pour preuve la volonté de l'Estonie d'assurer la sauvegarde de ses données en cas d'attaque -, les entreprises - plus réticentes qu'avant à commercer avec des partenaires américains, car craignant d'être soumises à leur droit national - et les utilisateurs. Pour certains analystes, cette question de la confiance conditionne l'avenir même de l'Internet ; à défaut de disparaître, il pourrait se retrouver fragmenté. La confiance peut être restaurée par toute une série de mesures, à prendre à l'échelle européenne a minima ; le Gouvernement travaille d'ailleurs en ce moment sur la cybersécurité et la cybercriminalité.
La confiance concerne également les « géants du Net », les fameux GAFA. Parfaitement conscients d'avoir à prouver leur attachement au respect des données personnelles de leur clientèle, ils multiplient les gestes commerciaux d'affichage en ce sens. Si cela peut rassurer une partie des usagers, on peut également craindre que les règles définies par ces entreprises ne s'imposent au détriment de la loi émanant des représentants parlementaires. La confiance dans ces acteurs, qui sont indispensables à l'innovation, ne sera restaurée que lorsqu'ils respecteront les règles françaises et européennes de la concurrence, et lorsque notre législation protectrice des données personnelles pourra être appliquée sur le territoire de l'usager. Selon un sondage récent, plus de 77 % des Français voient dans l'Internet une menace pour leurs données personnelles. La restauration de la confiance sera donc longue ; pour autant, elle est essentielle car, dans un cadre mieux maîtrisé, l'Internet peut être source d'innovation, de réforme de l'État et des services publics, d'émancipation individuelle et de redéfinition d'un projet de société.
L'un des éléments de rétablissement de cette confiance sera l'élaboration de normes fiscales applicables aux grandes plateformes numériques. Des travaux en ce sens sont en cours à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et la France y prend sa part. Nous attendons les conclusions du groupe de travail sur les BEPS (base erosion and profit shifting) avec beaucoup d'intérêt. La confiance ne sera restaurée que lorsque nos concitoyens verront ces acteurs contribuer à la solidarité nationale et au paiement de l'impôt au même titre que d'autres multinationales créant de la valeur sur notre territoire. La confiance ne se décrétera pas par une loi ; elle résultera de la mise en oeuvre d'un ensemble de mesures déclinées aux niveaux national, européen et international. Je n'ai pas parlé de l'éducation numérique, mais cela aurait été justifié.
Nous avons appris il y a quelques jours la nomination de M. Henri Verdier au poste d'administrateur général des données publiques, ou chief data officer. Quelles seront exactement ses fonctions, au regard notamment de celles de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ? Sera-t-il doté de pouvoirs d'investigation ? Je reste surpris par la gestion verticale de ces enjeux ; dans d'autres pays, tels l'Allemagne, ce contrôle est confié au Parlement ou à ses commissions ... Ce choix est-il une réelle garantie pour la préservation des droits et libertés de nos concitoyens ?
secrétaire d'État chargée du numérique, auprès du ministre de l'économie, du redressement productif et du numérique. - Ce chief data officer ne remplacera ni la CNIL, ni le Parlement. Rattaché au Premier ministre, en lien certainement avec les ministères en charge de la réforme de l'État, de l'économie et du numérique, il aura pour tâche d'impulser la politique en matière de données des administrations de l'État. Ne menaçant en rien les libertés publiques, il doit sensibiliser les administrations à l'importance de l'open data et rationaliser l'action publique en ce domaine. Il nous faudra d'ailleurs transposer la directive 2003/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 novembre 2003 sur la réutilisation des informations du secteur public, ce qui devrait être fait dans le futur projet de loi numérique. L'exemple de l'ouverture par la ville de New York des données publiques sur les immeubles, afin d'identifier les facteurs de risque d'incendie, est particulièrement probant : elle a en effet permis de réduire radicalement le nombre d'incendies et d'orienter préventivement l'action des pompiers. Un autre exemple des apports de l'open data réside dans l'utilisation des données des radars pour analyser les facteurs d'accidents de la route.
L'usage des données publiques doit se faire, en tout état de cause, dans un cadre juridique extrêmement précis et sécurisé. Certains pays sont très avancés en la matière. Notre administration est assise sur un trésor encore sous-utilisé. Cette fonction d'administrateur général des données publiques, qui aura une dimension interministérielle intéressante, devra être assurée avec souplesse et réactivité, un peu comme Etalab, le service chargé de l'ouverture des données publiques au sein du secrétariat général à la modernisation de l'action publique (SGMAP).
Contrairement à ce que l'on peut penser, notre pays est à l'avant-garde de l'open data, puisqu'il se classe à la troisième place au monde pour l'ouverture de ses données. La France a rejoint récemment l'Open Government Partnership (OGP) ; elle a participé pour la première fois à son sommet, qui s'est déroulé à Dublin début mai. Notre pays devra réfléchir à la stratégie qu'il entend suivre au sein de cette organisation, qui est une association de droit privé, amenée à jouer un rôle important dans la réforme de l'État et la transparence de l'action gouvernementale autour de la notion de « redevabilité ». Je me réjouis donc que le Président de la République et le Premier ministre se montrent volontaires sur ces sujets, sans pour autant faire preuve de naïveté.
Merci Madame la Ministre d'avoir pris le temps nécessaire pour répondre à nos questions ; nous savons que vous êtes attendue par nos collègues des commissions des affaires économiques et du développement durable ...