Au cours d'une seconde séance tenue dans la matinée, la commission entend, conjointement avec la commission des finances, une communication de M. Claude Belot et Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteurs, sur les comptes de France Télévisions.
Claude Belot et moi-même travaillons à ce rapport depuis février. Il fallait laisser France Télévisions s'adapter à la nouvelle donne et mesurer les effets culturels et financiers de la suppression de la publicité après 20 heures ; le projet de loi relatif au nouveau service public de la télévision, dont j'étais co-rapporteur, a ainsi été assorti d'une « clause de revoyure ». Faute de décret, le comité de suivi prévu par la commission de la culture n'a pas vu le jour, non plus que le groupe de travail sur la redevance. D'où cette mission commune avec la commission des finances. Nous avons auditionné une soixantaine de personnes pour mesurer l'adéquation des financements de France Télévisions à ses missions et dresser un bilan d'étape de la réforme.
Le grand chantier de l'entreprise unique est en bonne voie. Face à la concurrence de la télévision numérique terrestre (TNT) et des nouveaux supports, il fallait que la stratégie de bouquet bénéficie d'une structure juridique adéquate, afin de renforcer la visibilité de la marque France Télévisions. La fusion des divers conseils d'administration facilite la prise de décision et la construction d'une stratégie lisible. Dans un souci de transparence, le nouveau conseil d'administration unifié s'est doté d'un règlement intérieur qui renforce notamment le rôle des comités spécialisés. Il faut poursuivre dans cette voie afin que les engagements financiers les plus lourds soient systématiquement approuvés par le conseil d'administration.
L'organisation en tuyaux d'orgue cède la place à une organisation transversale de grands services définis par leur fonction - marketing, gestion, fabrication, etc. -, ce qui rend les arbitrages plus nombreux et délicats et nécessite une coordination des responsabilités croisées. La direction de France Télévisions en est consciente. Un renforcement de la fonction d'audit interne serait bienvenu.
Les auditions ont montré que l'unification des programmes consolide l'identité du groupe et renforce sa capacité d'achat et de négociation. Les antennes gardent la maîtrise de la ligne éditoriale de leur grille. Elles dialoguent avec le secteur programmes pour éviter une uniformisation des programmes au détriment de la diversité culturelle. L'unité Jeunesse a ainsi construit avec « Ludo » une offre cohérente sur l'ensemble du bouquet et sur Internet, évitant les redondances et les concurrences. C'est un modèle à suivre.
La réorganisation territoriale passe par la création de quatre pôles de gouvernance chargés de la coordination éditoriale des antennes de proximité et de l'allocation des moyens, afin d'éviter les doublons, de faciliter les mutualisations et de rationaliser l'offre. Mais la mise en ordre de marche de la nouvelle organisation est délicate : les responsabilités hiérarchiques se croisent, et le nécessaire rééquilibrage entre régions se heurte au refus légitime des mobilités géographiques contraintes. Enfin, gare à la recentralisation : les acteurs de proximité doivent conserver l'initiative éditoriale.
Hier, lors de notre dernière audition, l'actuel patron de France Télévisions estimait avoir mené à bien la mutation de son entreprise, en cette période de révolution du paysage audiovisuel.
La commission des finances a longtemps plaidé pour une augmentation de la redevance, qui n'est intervenue que l'année dernière. Ce matin, le ministre du budget disait intégrer dans ses prévisions une hausse de 2 euros par an.
Après une année 2008 difficile, 2009 a réservé de bonnes surprises : audience en hausse et reprise économique, avec un surplus de recettes publicitaires par rapport à la prévision de 144,9 millions, ce qui permet au groupe de réaliser un bénéfice net de 23,6 millions. En conséquence, la dotation budgétaire a été réduite de 450 à 415 millions. La trajectoire de charges a été maîtrisée, même s'il faut poursuivre les efforts. Il faudra tenir compte de l'aléa judiciaire, sachant que la cour d'appel de Paris a refusé la fusion des conventions collectives.
France 3 représente la moitié des dépenses de personnel. On constate une grande disparité de coût selon les grilles régionales : il y a là des marges de progression.
L'exercice 2010 sera sans doute bénéficiaire. Nous sommes loin de la situation du groupe à la fin des années 1990... Les synergies devraient permettre de réaliser 200 à 350 millions d'euros d'économies, mais la réorganisation sociale risque d'être source de coûts imprévus. Le passage au média global entraînera également des coûts d'organisation et de production. France Télévisions doit se préparer activement ! Bref, en cette période de mutation, la maison est tenue. Les pistes annoncées sont crédibles, les méthodes pour y parvenir aussi. L'état des lieux est globalement rassurant.
La BBC, souvent citée en exemple, consacre 250 millions d'euros au développement du média global ; France Télévisions, 60 millions. Il lui faut réaffecter une partie des économies réalisées à ce secteur stratégique car source de recettes futures.
Maupassant, Tosca, multiplication des émissions culturelles : le virage éditorial est net. Il doit se décliner pour chaque antenne. L'identité de chaque chaîne du bouquet doit être renforcée, afin de différencier l'offre pour tous les publics. Bref, si son périmètre est adéquat, le bouquet manque encore de couleurs ! France 4 a connu une hausse d'audience de 60%, la plus forte de toutes les chaînes dédiées à la jeunesse. La différenciation réussie par rapport aux chaînes privées résulte aussi de la suppression de la publicité après 20 heures...
Le développement du média global sera un chantier majeur pour France Télévisions, qui doit être sur tous les supports : demain, la télévision sera hybride ! La France compte 18,5 millions d'internautes, qui passent autant d'heures sur la Toile que devant leur téléviseur. Il faut anticiper les mutations technologiques. Ainsi, après l'accord exclusif avec Orange, France Télévisions annonce le lancement de la plateforme de télévision de rattrapage Pluzz, dont l'offre sera distribuée sur tous les supports.
Les nouveaux pôles Marketing et Fabrication suivent les évolutions des modes de consommation des médias et les évolutions technologiques. Reste à assurer la cohérence des initiatives au sein d'une stratégie lisible. Ce sera la tâche de la coordonnatrice du média global fraîchement nommée. France Télévisions ne compte pas moins de 913 sites internet ! Il faut une porte d'entrée commune, pour une consommation efficace.
Au risque de brouiller son image, France 3 adopte une programmation proche de celle de France 2 et touche le même public. Elle n'assume pas pleinement sa vocation de chaîne des régions. On justifie les horaires des décrochages régionaux par leurs faibles audiences, alors que les horaires sont précisément la cause de cette faiblesse !
Les contours du projet de Web TV régionales sont encore incertains. Cette télévision d'hyper-proximité devrait offrir un véritable service : il suffira d'un clic pour voir, par exemple, tous les reportages sur le festival des Vieilles charrues, présents et passés ! Il faudra toutefois veiller à l'articulation des Web TV avec la chaîne premium. France Télévisions doit renforcer l'identité propre des chaînes qui la composent.
Les moyens dont bénéficie France Télévisions doivent lui permettre de réussir sa mutation. Son financement doit reposer sur des bases juridiques solides. Or la taxe sur les opérateurs de télécoms risque fort d'être mise en cause par Bruxelles... Une solution serait d'augmenter la redevance, et d'en élargir l'assiette : la France est le seul pays à exonérer les résidences secondaires !
Il n'y a pas eu de débat sur l'opportunité de supprimer la publicité avant 20 heures. Si celle-ci est effectivement complètement supprimée, il faudra des recettes de substitution. Augmenter les crédits budgétaires n'est guère dans l'air du temps... A titre personnel, j'aurais souhaité que la publicité reste un pilier du financement de France Télévisions. En tout état de cause, après 20 heures, la publicité a été remplacée par les « parrainages », essentiellement de la grande distribution, qui représentent 20% des recettes publicitaires !
Il faut un financement responsable, assis sur des recettes commerciales et une redevance adéquate. Soit l'on supprime totalement la publicité en 2012, en ce cas il faudra soumettre les terminaux informatiques et les résidences secondaires à la redevance, soit on maintient la publicité en journée. Vous avez compris quelle solution a ma préférence...
En ce qui concerne le financement de France Télévisions, nous avons dégagé plusieurs principes intangibles : la réforme ne doit pas avoir d'impact négatif sur le budget de l'État, le périmètre de France Télévisions doit rester inchangé, et les économies être consacrées à la modernisation, au média global et à la négociation sociale.
Si la suppression totale de la publicité est mise en oeuvre, la décision devra être prise avant la fin du premier trimestre 2011. Il faut six mois à France Télévisions pour organiser ses programmes et vendre sa régie publicitaire. Le Parlement ne doit pas être à nouveau pris de court ! Notre rapport consacre un chapitre aux comparaisons internationales en matière de redevance. Pour combler le manque à gagner, il faudrait en élargir l'assiette à l'ensemble des terminaux et réintégrer les résidences secondaires. Une nouvelle revalorisation paraît difficile dans le contexte actuel. Supprimer le parrainage améliorerait la lisibilité de la réforme - à condition que la taxe sur les opérateurs de télécommunication ne soit pas remise en cause.
Autre hypothèse, le maintien de la publicité en journée, avec éventuellement un élargissement de la contribution à l'ensemble des terminaux et une modulation de sa clé de répartition. Le taux de la taxe sur la publicité des chaînes de télévision devrait alors être revu à la baisse, afin d'ajuster son montant aux besoins. Il peut s'agir d'un simple moratoire, le temps que l'indexation de la contribution compense une suppression totale de la publicité.
Nos propositions sont donc les suivantes : redonner des couleurs au bouquet : assumer la vocation territoriale de France 3 ; développer une vraie stratégie du média global ; choisir l'une des deux hypothèses crédibles de financement ; renforcer les synergies ; charger un organisme indépendant, par exemple le CSA, de contrôler de façon permanente les besoins de financement ; mettre en phase le contrat d'objectifs et de moyens et le mandat du président.
Nous disposons enfin d'un état des lieux précis. Notre commission a toujours souhaité dégager le service public de l'audiovisuel de la dictature de l'audimat. Toutefois, veillons à ce que la publicité, chassée par la porte, ne rentre pas par la fenêtre sous la forme des « parrainages » : le Parlement ne se grandirait pas en tolérant une telle hypocrisie.
Je félicite nos deux rapporteurs : le débat est ouvert sur des bases claires.
Cet état des lieux était attendu. La question du financement pérenne de l'audiovisuel public est au coeur de nos débats.
France Télévisions avait retrouvé une gestion saine et équilibrée, accompagnée d'un renouveau éditorial perceptible, avant la réforme ! Les programmes de qualité se sont multipliés, même si je regrette le peu de place accordée aux émissions politiques et au documentaire...
La gauche n'est pas pour la publicité à tout va : nous voulons un service public émancipé de la tutelle étatique ou commerciale, car c'est la garantie de sa liberté de ton. Le gouvernement Jospin avait proposé une augmentation progressive de la redevance, permettant à terme de se passer de publicité. Mais à partir de 2002, son montant a été gelé.
Les recettes compensant la suppression de la publicité ne sont pas sûres : Bruxelles va vraisemblablement retoquer la taxe sur les opérateurs de télécoms. C'est 200 millions qu'il faudra rembourser !
Dans le contexte budgétaire actuel, le service public ne doit pas dépendre du budget de l'État. Supprimer aujourd'hui la publicité avant 20 heures, en se privant de 400 millions de recettes, n'est ni juste, ni tenable politiquement !
Oui à une extension de la redevance aux résidences secondaires, d'autant que la ponction serait faible. D'accord pour une hausse étalée de la redevance, avec un moratoire : il faut établir un calendrier, et des objectifs. L'idée d'une taxe sur l'ensemble les terminaux est séduisante, mais me paraît difficile à mettre en place.
Quel en est le taux ? Comment est-elle perçue ? Là encore, il faudrait un état des lieux.
Il n'y a pas lieu de baisser à nouveau la taxe sur la publicité sur les chaînes de télévision, d'autant que si la redevance couvre l'intégralité des besoins de financement, la publicité se reportera sur les chaînes privées !
Quelle est la part des économies consacrée au développement du média global ? Enfin, où en est le plan social, négocié avec les syndicats, et quid des conventions collectives ?
Je me réjouis de la situation de France Télévisions, que je souhaite voir consolidée et pérennisée. Nous ne devons pas pour autant perdre de vue celle des chaînes privées : il faut suivre les évolutions du marché de la publicité dans son ensemble.
Je ne comprends pas la perpétuelle inquiétude des personnels de France 3 en région. Où est le péril ? Par ailleurs, comment expliquer les importantes différences de coûts entre antennes régionales ?
Le conseil d'administration de France Télévisions, dont je suis membre, est fier des progrès effectués. La fin de la publicité après 20 heures accentue la différenciation avec les chaînes privées et est appréciée des téléspectateurs. Faut-il à terme supprimer complètement la publicité ? L'exemple espagnol montre un effet positif sur l'audimat. D'autres jugent la publicité utile pour des raisons économiques, et redoutent qu'une dépendance à l'égard du budget de l'État n'altère l'esprit de l'entreprise...
Reste le problème du financement : en temps de crise, on ne peut demander 450 millions supplémentaires au budget général de l'État. Une solution serait d'augmenter la redevance, d'y soumettre les résidences secondaires et de l'asseoir sur le nombre d'écrans réel. Financer France Télévisions coûte aujourd'hui seulement 20 centimes par jour au contribuable, le prix d'un texto ! Sur les 50% de contribuables qui ne payent pas la redevance, combien sont abonnés à Canal Plus ?
Combien ont rapporté les taxes sur la publicité sur les chaînes de télévision et sur les opérateurs de télécoms ? Quelles économies permettra le passage au tout numérique ? Enfin, attention au retour de la publicité via les parrainages !
Nous avons débattu de ces questions le 5 mai en commission de la culture, en séance publique le 10, puis le 20 mai, et encore le 4 juin. Nous n'avons rien appris de nouveau aujourd'hui. Le gain constaté témoigne de l'attachement des publicitaires à la télévision publique, et de la qualité du personnel de la régie publicitaire. La situation demeure fragile. Lors de la fusion, le mécanisme comptable de revalorisation des actifs a été calculé pour atteindre 100 millions ! La synergie a déjà rapporté 67 millions. Reste que le résultat positif de 50 millions est à saluer.
Google est en train de percer dans la télévision : ce sera un sacré concurrent ! Or les nécessaires investissements de France Télévisions dans le media global ne sont pas chiffrés.
Ma position sur la publicité est claire. Ma proposition de loi de 1999, élaborée avec une cinquantaine de professionnels, prônait un financement croisé, pour préserver l'indépendance de France Télévisions. Saisissons la clause de rendez-vous prévue dans la loi du 5 mars 2009 pour en rester là ! Certes, la télévision « formate » le téléspectateur, mais celui qui regarde l'image n'en est pas esclave !
La régie publicitaire doit rester dans le giron de France Télévisions, a fortiori vu les activités parallèles de l'acquéreur potentiel, M. Courbit. Il faut rétablir les résidences secondaires dans l'assiette de la redevance. Les comptes de TF1 restent florissants : il n'y a pas lieu baisser leur taxe. Je demande enfin une étude sur la redevance.
J'estime pour ma part qu'un pôle public ne devrait pas être financé par de la publicité ou le parrainage, mais par des moyens publics. La chaîne publique doit se caractériser par son mode de financement. Pourquoi les gens du voyage, par exemple, sont-ils exonérés de redevance ?
La redevance a été rebaptisée « contribution à l'audiovisuel public ». Elle fait l'objet d'une étude détaillée dans le rapport, sur la base de comparaison avec les pays voisins. Ainsi, l'Allemagne a mis en place une taxe sur les terminaux informatiques de 5,75 euros, mais envisage de l'aligner sur la redevance.
Les recettes publicitaires sont certes en hausse, mais la situation des comptes prend en en compte la surcompensation de l'État via la dotation budgétaire... La situation est certes stabilisée, mais l'équilibre structurel reste à trouver.
Le passage au tout numérique devrait dégager une économie de 80 millions d'euros, déjà réaffectés à la modernisation. Les taxes ont rapporté 214 millions au budget de l'État, loin des 450 millions à compenser. La prévision pour 2010, en année pleine, n'est que de 366 millions. Nous n'avons pas, par ailleurs, les 200 millions nécessaires pour compenser la suppression de la publicité avant 20 heures. Si nous voulons une télévision dégagée de la contrainte de l'audimat, il faut avoir le courage d'augmenter la redevance, en travaillant sur les pistes que nous proposons.
Bref, seul le financement ne fait pas consensus.
A l'issue de ce débat, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et la commission des finances donnent acte à Mme Catherine Morin-Desailly et Claude Belot, rapporteurs, de leur communication, et en autorisent la publication sous la forme d'un rapport d'information.