Commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Réunion du 21 juin 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • excellence
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La réunion

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La commission procède à l'audition de Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur les investissements d'avenir, conjointement avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Paul Emorine

Madame la Ministre, nous sommes très heureux de vous accueillir aujourd'hui pour parler d'un sujet qui nous tient à coeur, à la commission de l'économie : la recherche appliquée. Sur les 35 milliards que la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 a ouverts pour les investissements d'avenir, la mission « recherche et enseignement supérieur » s'en est vu attribuer 21,6, soit 62,5 % du total. Aussi sommes nous très intéressés par le point que vous allez nous faire sur ce plan très ambitieux pour l'avenir de la recherche et de l'innovation dans notre pays. Quels projets, quels équipements d'excellence ont été retenus au terme de cette première tranche d'appels à projets et comment l'Agence nationale de la recherche (ANR) est-elle impliquée dans ces financements ?

Au-delà de cet aspect financier, la recherche française souffre de faiblesses structurelles, notamment d'un lien difficile entre recherche fondamentale et appliquée, d'une capacité de recherche insuffisante de nos entreprises - notamment de nos PME - et du faible attrait de la carrière de chercheur dans notre pays. Le rapport pour 2011 de la Commission européenne sur l'innovation fait état d'un écart grandissant entre l'Europe et ses concurrents, du fait du faible effort de recherche de ses entreprises. Cette situation risque-t-elle de perdurer ? Quelles réponses peut-on y apporter ? Selon vous, la mise en place des pôles de compétitivité fait-elle partie de ces réponses ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Nos deux commissions attachent à la recherche une égale importance et je remercie le président Emorine d'avoir souhaité cette audition conjointe sur un sujet sur lequel on nous interroge souvent dans nos départements ou dans nos régions.

La loi définissant l'emploi des investissements d'avenir a privilégié l'économie numérique. Pouvez-vous nous en dire plus sur les appels à projet dans ce domaine et notamment dans celui de l'e-éducation ?

L'enseignement supérieur privé associatif n'a pas bénéficié de la même manne que le public, lequel s'est vu attribuer depuis 2008 une augmentation de la dépense publique de 1 710 euros par étudiant contre seulement 210 euros au privé, malgré la contractualisation. Pouvez-vous nous dire si l'enseignement privé, au-delà de l'effort budgétaire, profitera des investissements d'avenir ?

Debut de section - Permalien
Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

En 2007, la France souffrait en effet d'une capacité d'innovation insuffisante. C'est surtout du côté du privé que le bât blessait puisque la recherche-développement (R&D) publique atteignait 1 % du PIB, conformément aux objectifs de Lisbonne. En revanche, la R&D privée était bien en deçà de l'objectif de 2 % puisque son pourcentage n'était que de 1,07. Depuis, le crédit d'impôt recherche (CIR) a permis d'améliorer le niveau de la recherche privée, si bien qu'en 2009 le pourcentage total atteignait 2,21 % du PIB, loin, cependant du score allemand de 2,8 %. L'enjeu est donc que les entreprises investissent davantage dans la R&D et que laboratoires publics et privés travaillent ensemble pour assurer l'indispensable continuum entre recherches fondamentale et appliquée. Nous sommes en effet au cinquième rang mondial pour la recherche fondamentale et les publications...

Debut de section - Permalien
Valérie Pécresse, ministre

mais seulement au douzième pour l'innovation ; et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) comme l'Union européenne nous classent dans la catégorie des « pays suiveurs ». L'autonomie des universités, le CIR et le « grand emprunt » que nous avons décidé d'investir en majeure partie dans l'enseignement supérieur et la recherche permettent de remonter le courant. Tous ces crédits permettront également de rapprocher public et privé puisque le caractère partenarial entre les deux secteurs est un critère essentiel de sélection dans les appels à projets. A côté des universités, les pôles de compétitivité ont donc un rôle essentiel à jouer dans cette entreprise.

Nous sélectionnons les projets sur trois critères : le partenariat public/privé, l'excellence scientifique, le retour sur investissement, dans sa dimension économique et sociétale. Et nous avons défini trois axes pour notre stratégie nationale de R&D : l'agriculture, l'alimentation et la santé ; l'environnement et l'énergie ; la communication et les nanotechnologies. Chaque appel à projet est mené selon un cahier des charges rigoureux, et soumis à un jury international afin d'éviter les conflits d'intérêts. Cette démarche a suscité l'engouement du monde de la recherche et a reçu un très fort soutien des élus locaux : plus de 800 projets ont été déposés.

Nous arrivons au terme de la première vague des projets d'investissements pour l'avenir : 220 projets ont été sélectionnés et plus de 10 milliards d'euros, sur les 22 prévus pour la recherche, ont été engagés. Nous attendons pour le 15 juillet le résultat des initiatives d'excellence.

Je vous rappelle les trois objectifs des investissements d'avenir. Il s'agit d'abord de sélectionner une dizaine de pôles universitaires et de recherche à visibilité mondiale - les initiatives d'excellence. Ensuite, de relever les défis technologiques essentiels pour sortir renforcés de la crise - robotique, équipements de santé ou capacités de génotypage conformes aux standards mondiaux. Enfin, de relever les défis sociétaux de l'époque : environnement, énergies renouvelables, vieillissement, obésité, cancer, numérique.

Je n'ai pas chiffré les appels à projets numériques - qui ne relèvent pas de mon ministère - mais j'ai demandé aux universités, et Luc Chatel a fait de même pour les écoles, de présenter des projets d'e-éducation. Nous en aurons donc un qui sera à partager avec le ministre en charge de l'éducation. Il sera aussi possible de redéployer quelques crédits de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur » sur des pédagogies et des diplômes d'excellence et de faire de l'e-éducation l'un des instruments de l'innovation pédagogique dans le supérieur. Ce ne sera pas le seul car il y aura aussi la possibilité de diplômes bilingues, de diplômes passerelles, de diplômes en alternance, de diplômes pluridisciplinaires - sciences, lettres, droit et gestion -, de diplômes bidisciplinaires en médecine afin que ceux qui échouent du fait du numerus clausus puissent se réorienter sans reprendre leurs études à zéro. On voit émerger dans les universités autonomes toute une série de nouveaux diplômes, surtout de premier cycle. Si on utilisait une partie du « grand emprunt » pour ces expériences pédagogiques, cela permettrait de faire émerger ces initiatives d'excellence pédagogique et de compléter la palette d'outils qui va des équipements, laboratoires et initiatives d'excellence aux instituts hospitalo-universitaires (IHU) et aux instituts de recherche technologique ou d'énergie décarbonée. Dans cette palette, manque le volet formation car il faudra aussi faire fonctionner ces nouveaux laboratoires qui ont besoin de personnels qualifiés, par exemple en informatique ou en énergies renouvelables.

Depuis 2007, nous avons augmenté de 30 % les moyens de l'enseignement supérieur privé. Mais les comparaisons entre public et privé sont difficiles à faire car la masse salariale du privé n'est pas prise en charge par l'État et ces établissements ont la possibilité de demander des droits d'inscription à leurs étudiants. Cela dit, ces établissements d'enseignement supérieur privé peuvent tout à fait poser leur candidature dans les appels à projets. Il faut toutefois reconnaître qu'ils ont très peu de laboratoires de recherche. Notre stratégie est de les intégrer dans les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES).

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je suis favorable, bien sûr, au rapprochement entre entreprises et universités. Cela dit, je ne comprends pas grand-chose à la nébuleuse des investissements d'avenir, aux « équipex », « labex », IRT et autres IHU. Prenons l'exemple de l'axe « santé, agriculture, alimentations » - de la fourche à la bouche ou du génome à l'assiette : comment tout cela constituera-t-il de véritables pôles d'enseignement supérieur, éventuellement déconnectés des pôles de compétitivité qui pourtant ont fait leur preuves ? Les cloisons entre public et privé sont tombées, ainsi que les appréhensions réciproques. Les pôles de compétitivité auront au moins eu ce résultat. Dès lors que les jurys internationaux s'attachent plutôt aux aspects académiques des projets, qu'en est-il de l'aménagement du territoire ? Comment pondérez-vous les deux critères dans la sélection ?

Nous avons été déçus par la mésaventure arrivée aux crédits pour les jeunes entreprises innovantes (JEI). C'est un sale coup pour l'innovation. Et sur le CIR, je regrette qu'un amendement adopté à l'unanimité par notre commission, et orientant ce crédit impôt en direction des petites et moyennes entreprises (PME), ait été repoussé par notre éminente commission des finances. L'augmentation du montant du CIR est spectaculaire, c'est vrai, mais le résultat en termes de R&D n'est pas en corrélation avec cette augmentation ; c'est presque le contraire. Il y a là un vrai problème d'affectation ; ce crédit d'impôt devrait davantage aller vers l'innovation. Notre commission de l'économie est unanime pour penser qu'il faut faire davantage pour les PME, trop petites et sous-capitalisées. Le CIR ne peut faire que ces petites entreprises aient la taille critique suffisante pour permettre de se lancer dans la R&D.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Houel

Le plateau de Saclay est un cluster au potentiel de recherche et de formation exceptionnel, mêlant écoles et entreprises de très haut niveau. Nous avions d'ailleurs pu en juger lors de l'examen du texte sur le « grand Paris » en nous y rendant. Il a pourtant été recalé, lors de la première vague d'appels à projets des initiatives d'excellence. Sa candidature sera réexaminée à l'automne, lors d'une deuxième vague. Comment expliquez-vous cet échec, et où en désormais est le dossier ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Plancade

Je reconnais, même si je ne l'ai pas votée, que votre réforme universitaire, la plus importante depuis trente ans, a engagé notre pays dans la voie du XXIe siècle, et je vous en félicite. Mais j'ai quelques inquiétudes. Je souhaiterais qu'on en revienne à l'ancien régime des JEI. Et pourriez-vous préciser le rôle des instituts Carnot ? Quels moyens y sont consacrés ? Comment et par qui sera évalué l'emploi des crédits d'investissement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Léonce Dupont

J'ai le plaisir de siéger au comité de surveillance de cette grande politique que sont les investissements d'avenir. Néanmoins, ceux-ci ne doivent pas faire oublier le devenir des PME. Est-il prévu de revenir sur la réforme des JEI ? Qu'en-est-il des cofinancements et des partenariats pour la numérisation du patrimoine culturel ?

Il faut se préoccuper du problème de la couverture numérique du territoire, condition de l'accès de tous à l'e-éducation.

Même si ces investissements d'avenir n'ont pas pour but d'aménager le territoire, et même s'il convient d'éviter le saupoudrage, à la lecture des premiers projets retenus, on s'aperçoit que, du fait d'une sélection opérée sur critères strictement universitaires, des zones entières seront privées de ces investissements. Il ne faudrait pas créer de nouvelles disparités géographiques.

Debut de section - Permalien
Valérie Pécresse, ministre

Oui, Daniel Raoul, c'est très complexe et j'aurais bien préféré être seule aux commandes, sans avoir à composer avec Bercy ni avec le Commissariat général à l'investissement (CGI). Mais, comme dans la construction d'une maison, chaque élément est nécessaire : ici les laboratoires d'excellence, leurs équipements, les laboratoires hospitaliers, l'institut de recherche technologique, celui de l'énergie décarbonée, les initiatives d'excellence... Au départ de leur réflexion, Alain Juppé et Michel Rocard avaient recherché ce qui, dans l'état actuel des choses, n'était pas financé : les cohortes de patients, par exemple, qu'il faut suivre pendant 20 ans alors que l'ANR ne finance que sur trois ans. Mais au total, ce n'est pas si complexe que cela et lorsque des candidats à appels à projet ont des problèmes, je leur conseille de venir au ministère où on les orientera, on ne les laissera pas seuls. Nous donnons le même conseil aux universités.

Il n'y a pas de déconnection avec les pôles de compétitivité. La différence, c'est que l'objectif des investissements d'avenir n'est pas d'abonder ces pôles mais de lever les verrous technologiques, de faire travailler ensemble chercheurs publics et privés et de faire dispenser les formations adéquates. C'est un rapprochement innovant, celui des PRES et des pôles de compétitivité ; c'est la vraie rencontre public-privé. Avec les PRES, nous avons consolidé le public ; avec les pôles de compétitivité, nous avons consolidé le privé ; maintenant, nous les amenons à travailler ensemble.

Sur l'aménagement du territoire, à présent. Je pensais au départ que l'excellence était partout sur le territoire et que tous sauraient se mobiliser. Je n'ai pas été déçue. Aujourd'hui, je constate que l'excellence est partout et que tous les territoires se sont effectivement mobilisés. Lorsque des universités n'avaient pas la taille critique en matière de recherche, les élus locaux ou les milieux économiques les ont épaulées. Dans le Nord, par exemple, où les structures de recherche n'ont pas toujours une taille suffisante, les milieux économiques leur ont permis de faire émerger un projet d'institut sur les énergies décarbonées, ainsi qu'un institut de recherche technologique sur le ferroviaire. En Lorraine, également, les acteurs se sont mobilisés pour faire émerger un pôle de recherche sur les matériaux de demain. Pour profiter de ces investissements d'avenir, Strasbourg et Mulhouse se sont réunies en réseau, de même que Metz et Nancy, Pau et Bordeaux, Aix et Marseille. Ces investissements ont donc un effet de cohésion et d'intégration territoriales qui a abouti à la formation d'une quinzaine de pôles universitaires de recherche et d'innovation à visibilité mondiale. On voit apparaître des projets innovants inattendus : en Picardie, à Compiègne par exemple, celui sur la chimie verte ; à Amiens, celui de la chirurgie réparatrice, unique au monde ; et celui du professeur Tarascon - sur les batteries - que l'on a ainsi dissuadé de partir à Santa Barbara. L'université de Caen a damé le pion à Lyon avec sa proposition de nouvelles thérapies contre le cancer.

L'intervention de jurys internationaux a aussi changé la donne : ce n'est pas un cabinet ministériel, Matignon ou l'Élysée qui décident. Par exemple la Guyane a récupéré un laboratoire d'excellence sur la biodiversité ; ses 250 chercheurs d'élite désespéraient de l'obtenir mais le jury international les a repérés, eux et les six brevets qu'ils avaient déjà déposés. De même pour la céramique à Limoges et la vulcanologie en Auvergne. Il se dessine ainsi la carte d'une France réindustrialisée par les investissements d'avenir et où, au total, peu de territoires sont restés vides. Contrairement à ce qu'on a prétendu, l'Ouest n'est pas oublié. Brest a un projet sur les énergies marines, Rennes le pôle de télécommunication, Nantes a gagné - contre Bordeaux, à qui Matignon et l'Élysée le destinaient - un institut de recherche technologique sur les matériaux. Chaque région se mobilise, même si certaines ont des handicaps. Le PRES normand a eu du mal à se constituer du fait de la séparation entre Haute et Basse-Normandie.

En outre, nous allons avoir une seconde phase d'appels à projet et j'ai pris l'engagement que tout bon projet non retenu serait repris par le ministère dans le cadre des contrats pluriannuels avec les universités.

Je regrette moi aussi que les contraintes budgétaires aient imposé de diminuer l'ampleur du programme des JEI, lequel a quand même un effet pervers : l'effet de seuil de sortie de ce dispositif. Le CIR est un instrument plus puissant, plus pertinent. On pourrait peut-être, en effet, l'orienter davantage vers les PME mais je suis plutôt favorable à ce qu'on rapproche CIR et JEI. Aujourd'hui, avec Oséo, nous cherchons les solutions pour qu'aucune entreprise innovante ne soit lésée. Cependant, un instrument unique est bien préférable.

Le CIR a eu trois effets. Il a empêché la délocalisation des équipes de chercheurs à l'étranger, sachant que la délocalisation de la recherche appliquée entraîne souvent celle de la production qui en résulte. Il a modifié le comportement des entreprises privées qui veulent désormais investir en France, attirées par son environnement fiscal. Enfin, il a eu un effet bénéfique sur les PME : le montant de ce crédit d'impôt en faveur de cette catégorie d'entreprises a doublé depuis 2008 et elles ont été incitées à faire de la recherche ou à la déclarer. Il faut continuer dans cette voie.

D'une façon générale, je plaide et plaiderai lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012 en faveur de la stabilité fiscale, et j'inviterai la créativité parlementaire à faire une pause pendant au moins un an. Les entreprises qui ont des projets de R&D portant sur dix années ne peuvent supporter que la règle du jeu change à chaque loi de finances. En 2012, la stabilité fiscale présentera bien plus d'avantages que toute amélioration fiscale.

Pourquoi le plateau de Saclay a-t-il été recalé ? A cause du manque de cohérence de son projet ! Les 21 acteurs devaient se mettre d'accord. Dans un tel cas de figure, chacun doit faire passer ce qu'il croit être son intérêt propre après l'intérêt collectif. C'est la condition sine qua non pour que Saclay devienne un vrai cluster de niveau international. C'est compliqué mais nécessaire et le jury international sera sans indulgence face à ce qui lui apparaît comme une somme de laboratoires, incapables de s'intégrer dans une dynamique commune. A cet égard, il faut saluer l'évolution et la fusion de pôles universitaires que tout séparait : Aix et Marseille par exemple. De même, il faut saluer la fusion, à Lyon, des écoles normales et des universités, ou encore celles opérées à Paris. Saclay doit faire de même.

Les instituts Carnot, ces instituts de recherche partenariale associant le public et le privé, lancés dans le cadre du pacte pour la recherche, ont atteint leur objectif : leurs revenus issus de contrats de recherche partenariaux ont augmenté de 32 % depuis 2006. Nous avons lancé un nouvel appel à projet dans le cadre des investissements d'avenir : 34 instituts ont été labellisés pour la période 2011-2016, dont dix nouveaux. Ce renouvellement permet de mieux cibler certaines thématiques - logiciels, sciences de la vie... - et de rééquilibrer la couverture territoriale. Pas moins de 25 000 chercheurs travaillent dans ces instituts, pour un budget de 2 milliards d'euros, provenant à 40 % de partenariats avec des entreprises. Les investissements d'avenir ont prévu un fonds de soutien de 500 millions d'euros non consommables, dont les intérêts - 17 millions par an - s'ajoutent aux 61 millions du budget de l'ANR.

Les investissements d'avenir feront bien l'objet d'une évaluation : les conventions, conclues en général pour dix ans, prévoient toutes une évaluation à mi-parcours ; des crédits représentant 0,5 % du total y sont consacrés, ce qui permettra de réunir de bons jurys. Les critères seront les suivants : les résultats scientifiques, le retour sur investissement en termes de croissance, d'emploi et de dynamique territoriale, et l'impact sur le paysage universitaire. Ainsi, les contrats conclus avec le ministère tiendront compte des apports des investissements d'avenir et de ce qui reste à financer. Le Parlement sera évidemment tenu informé de ces évaluations.

Jean-Léonce Dupont, vous ne trouverez pas meilleure avocate de la couverture numérique que moi : c'est une condition sine qua non du développement territorial. Mais ce dossier ne dépend pas de moi.

Quant au partenariat public-privé pour la numérisation du patrimoine culturel, c'est le ministère de la culture qui en est chargé. Je puis vous dire, en revanche, que dans le cadre des investissements d'avenir, les laboratoires de recherche patrimoniale - qui s'occupent de conservation, de rénovation, de muséographie, etc. - ont su tirer leur épingle du jeu. Un laboratoire français spécialiste des « lieux de mémoire », financé au titre des investissements d'avenir, doit participer au projet de Ground zero à Manhattan, en lien avec le Mémorial de Caen et New York University. A l'École française de Rome il y a quelques semaines, j'ai eu des discussions sur un éventuel programme de recherche européen consacré au patrimoine, qui aurait d'évidentes retombées touristiques. Tous les pays européens pourraient y être associés.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Pierre Signé

J'aimerais me joindre au concert des louanges, mais les grévistes de 2007 avaient sans doute quelques raisons de se plaindre... Je redoute les effets de l'autonomie des universités, autorisées à rechercher des financements privés. Certes, la loi Edgar Faure de 1968 leur donnait déjà ce droit, mais elles n'en ont guère tiré parti ; d'ailleurs, les fonds privés ne pouvaient dépasser 25 % du budget total. Vous avez relancé ces financements privés en les défiscalisant. Faut-il y voir un pas vers la privatisation ?

Malgré les regroupements et les fusions, je crains que l'autonomie ne favorise la concurrence plus que la coopération. Quoi que vous en disiez, l'université ne va pas bien : les inscriptions sont en baisse ; les étudiants les moins riches, qui doivent travailler pour financer leurs études, abandonnent souvent en cours de route ; les entreprises rechignent à recruter des stagiaires ; et les bons élèves s'orientent vers les grandes écoles.

Les pôles de compétitivité sont centrés sur l'industrie au sens large, y compris les services à caractère industriel. Ils ne contribuent guère à l'aménagement du territoire - qui ne relève certes pas des attributions de votre ministère. Bien loin de réduire les inégalités, ils en créent de nouvelles : tout est piloté depuis Paris, et 80 % des subventions sont distribuées à 20 % des pôles, tous situés en région parisienne. (Mme la Ministre le conteste). Je l'ai lu ! A ce que m'a dit François Patriat, il n'y a aucun pôle de compétitivité en Bourgogne.

Debut de section - PermalienPhoto de René-Pierre Signé

Toujours est-il que certaines régions restent dépourvues, sous prétexte qu'elles ne disposeraient pas de centres de recherche de niveau européen. On assiste à la concentration des gros projets et à l'émiettement des petits.

Le financement est brouillon. Il existait jusqu'à récemment des projets de R&D collaboratifs, financés en 2005 et 2008. A présent, on dit que le financeur sera Oséo, lui-même abondé par le fonds unique interministériel. Malgré les dépenses déjà consenties - deux fois 1,5 milliard -, 17 pôles réclament une rallonge de 900 millions d'euros.

Je vous sais attachée à certaines régions du centre de la France. Eh bien, elles souffrent de n'être pas aussi bien dotées que Paris.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Bécot

Je sais bien que les banques et assurances sont à la pointe de l'innovation, mais j'aimerais que vous nous confirmiez, Madame la Ministre, que le CIR est prioritairement destiné aux PME et TPE.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Léonard

La création de la première année commune aux études de santé a eu pour effet l'arrivée de promotions de 2 000 ou 2 500 étudiants dans les facultés. Ne faudrait-il pas remettre sur la table le projet, un temps envisagé par la conférence des doyens, d'instituer une présélection à l'entrée, comme pour les brevets de technicien supérieur (BTS) et dans les instituts universitaires de technologie (IUT) ? Les étudiants admis au baccalauréat avec mention sont ceux qui réussissent le mieux.

Debut de section - Permalien
Valérie Pécresse, ministre

René-Pierre Signé craint une privatisation des universités : nous en sommes bien loin. Les 39 fondations universitaires ont permis de récolter 70 millions d'euros : ce n'est pas négligeable, mais c'est une goutte d'eau dans le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche - 24 milliards d'euros, dont 14 pour les universités. J'ai appris que l'hôpital universitaire de Columbia University avait reçu 1 milliard d'euros de la part de patients reconnaissants, alors même que les frais d'hospitalisation sont bien plus élevés qu'en France : il nous reste bien du chemin à faire...

J'ai parlé d'une goutte d'eau, mais je préfère dire que c'est « du beurre dans les épinards ». L'université de Clermont-Ferrand dispose ainsi de 2 millions d'euros pour financer des bourses, des équipements, des initiatives pédagogiques, etc. Mais encore une fois, l'État assure plus de 95 % du financement des universités, et si l'on y ajoute les régions, cette proportion doit se monter à 99 %.

Concurrence ou coopération ? L'autonomie stimule à coup sûr l'émulation entre les universités. Mais il est faux de dire qu'avant 2007, toutes les universités aient été sur un pied d'égalité : toutes avaient leurs spécificités, leur logique territoriale, etc. Croyez-vous que l'université de La Rochelle ait fonctionné jusque là comme celles de Jussieu ou d'Assas ? Bien loin d'avoir pénalisé les petites universités, la réforme de 2007 a favorisé celles qui ont fait résolument le choix de l'autonomie : alors que beaucoup de Rochellois partaient jusque là faire leurs études à Poitiers ou à Paris, l'université de La Rochelle, parce qu'elle paraît particulièrement dynamique et pionnière, attire aujourd'hui davantage d'étudiants.

Nous avons augmenté d'environ 13 % le volume des bourses depuis quatre ans, et relevé le plafond de ressources jusqu'à 2,7 fois le Smic pour un foyer, au lieu de 2 fois. Par suite, le nombre de boursiers a augmenté de 100 000, soit 20 %. En contrepartie, a été institué un contrôle d'assiduité : les étudiants qui ne se présentent pas aux examens du premier semestre perdent leur bourse. Cela a fait chuter de 50 000 le nombre de boursiers : certains ne s'inscrivaient sans doute que pour recevoir de l'argent.

L'objectif n'est pas d'accroître le nombre d'inscriptions, mais de faire en sorte que les bacheliers soient orientés vers les formations qui leur conviennent : c'est le principe de l'orientation active. Ceux de la filière professionnelle, par exemple, n'ont pas intérêt à s'inscrire en filière générale à l'université, à moins d'être excellents et très motivés, car ils n'ont que 5 % de chances d'y réussir, au lieu de 50 % en BTS - mais même là, ils doivent être accompagnés. Les IUT sont le débouché naturel des bacheliers technologiques : j'ai d'ailleurs accordé des crédits spécifiques aux instituts pour qu'ils les accueillent. Il faut aussi réformer le diplôme de licence, pour le rendre plus attractif et faire en sorte qu'il prépare à l'insertion professionnelle à bac + 3. La distinction entre formation académique et professionnelle est dépassée : chaque diplôme doit sanctionner la transmission de savoirs et de compétences. Depuis deux ans qu'a été mis en place le portail national de préinscription, 16 % de bacheliers de plus formulent pour premier choix de s'inscrire à l'université : c'est la preuve que le plan « Réussir en licence » est un succès, et que le bouche à oreille est positif. Je dois rencontrer demain les syndicats sur le projet de nouvelle licence.

Encore une fois, les réformes récentes renforcent la coopération entre universités plutôt qu'elles ne les rendent concurrentes. Les universités spécialisées en sciences humaines et sociales, traditionnellement sous-dotées, se trouvent ainsi réunies au sein des PRES avec celles de « sciences dures », mieux loties. De même, les facultés de droit et de santé, qui ont fait face récemment à un afflux considérable d'étudiants, sont heureuses de pouvoir coopérer avec d'autres. Les grandes écoles travaillent aussi avec les universités. Tout le monde est gagnant, car les moyens augmentent, et chaque initiative trouve son financement.

Sur le taux d'échec des étudiants les moins favorisés, le récent rapport de M. Christian Demuynck a produit des chiffres rassurants. Certes, 50 % des étudiants échouent en première année, mais seuls 20 % quittent l'enseignement supérieur sans aucun diplôme : c'est le taux le plus bas de l'OCDE ! J'y vois la preuve que la France se mobilise pour faire réussir ses jeunes, et qu'il existe des filières de rattrapage, même si des efforts restent à faire sur l'orientation et l'accompagnement en première année.

Les bons élèves s'orientent vers les classes préparatoires aux grandes écoles, dites-vous ? Il faut donc que les universités créent des diplômes qui les attirent. Ce sera l'un des objets de la nouvelle licence. Le double diplôme d'histoire et de sciences économiques de l'université Paris-I fait concurrence aux classes préparatoires ; de même, le parcours « droit, économie, gestion » de l'université de Toulouse a pour objectif de concurrencer HEC.

Vous m'avez aussi interrogée sur la répartition territoriale des projets. Vous m'accorderez que je ne pouvais pas financer des universités qui n'existaient pas... Égletons en Corrèze est sans doute un pôle très important du bâtiment - travaux publics (BTP), et l'on y a créé un laboratoire et un master professionnel. Mais Égletons n'est pas Saclay : il faut compter avec l'héritage de l'histoire. Toutefois, nous nous attachons à mettre en réseau les forces universitaires de ce pays. Le très beau projet élaboré par Dijon et Besançon au titre des initiatives d'excellence n'a pas pu être retenu, faute de masse critique, mais il doit pouvoir être financé grâce aux investissements d'avenir. Hormis cela, on compte en Bourgogne deux laboratoires d'excellence, deux infrastructures nationales dans les domaines de la biologie et de la santé - infrastructures de biobanque, de recherche clinique et d'imagerie préclinique - et une plateforme d'innovation « forêt, bois, fibres, biomasse du futur ». Toutes ces structures travaillent en réseau national, et le pôle dijonnais est particulièrement dynamique.

Pour répondre à M. Bécot, 2 % seulement du CIR bénéficie aux banques et assurances. Une erreur dans le rapport de la mission d'information de l'Assemblée nationale a fait croire que cette proportion s'élevait à 29 %, parce que l'on avait classé toutes les holdings dans le secteur financier, ce qui revenait à considérer Renault et Thales comme des entreprises financières.

Quant à la première année d'études de santé, monsieur Léonard, la réforme vient seulement d'être introduite. Rassembler toutes les études de santé au sein d'une première année commune me paraît une très bonne idée : cela permettra notamment de créer de solides diplômes de premier cycle « santé et sciences, « santé et droit » ou « santé et gestion ».

Debut de section - Permalien
Valérie Pécresse, ministre

De quoi s'agit-il ?

Debut de section - Permalien
Valérie Pécresse, ministre

Il est vrai que certaines facultés de médecine ont eu du mal à gérer l'afflux des étudiants en pharmacie. J'ai envoyé un questionnaire à toutes les universités concernées pour savoir concrètement quels problèmes elles avaient rencontrés, et nous réorganiserons les choses pour qu'il n'y ait plus de groupes surdimensionnés et que les heures d'enseignement nécessaires soient assurées. La réforme prévoyait aussi que les universités pourraient réorienter à la fin du premier semestre les étudiants ayant eu des notes inférieures à un certain seuil, mais pour cela il faut créer des passerelles. Je souhaite en outre que tous les concours paramédicaux soient ouverts aux étudiants en fin de première année, pour leur offrir davantage de débouchés, y compris les concours d'entrée aux écoles d'infirmières ; mais cela relève de la décision autonome de chaque université. Sans doute les formations sanitaires devraient-elles être mieux intégrées aux universités, mais elles ont été décentralisées, et je ne veux pas passer pour excessivement jacobine...

Debut de section - PermalienPhoto de Jacques Legendre

Madame la ministre, nous vous envions d'appartenir à une génération qui ignore ce qu'est le PCB ! Nous apprécions votre volonté de changer les choses à l'université, et saluons vos succès. Nous veillons naturellement à ce que les sommes importantes allouées aux projets d'excellence soient utilisées à bon escient, et c'est pourquoi nos deux commissions ont voulu vous entendre conjointement. Chacun ici en est convaincu : ce n'est qu'en développant sa recherche que notre pays pourra faire face à un monde en mutation.