Mission commune d'information sur le Mediator

Réunion du 19 mai 2011 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • laboratoire
  • médecin
  • visite

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous poursuivons nos auditions, ce matin, avec M. Philippe Foucras, médecin généraliste et président du Formindep, une association pour la formation et l'information indépendantes des médecins. Nous entendrons aussi Mme Anne Chailleu, membre de cette association. Cette audition est ouverte à la presse et fera l'objet d'une diffusion sur le site Internet du Sénat et, éventuellement, sur la chaîne Public Sénat. Je dois vous demander si vous avez des liens d'intérêts, même si vous avez déclaré, hier soir sur France Inter, que vous n'en aviez « toujours pas » alors que le grand professeur, placé en face de vous, en était « perclus » jusqu'au 1er janvier.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Je n'ai toujours pas de liens d'intérêts avec des entreprises commercialisant des produits de santé.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Chacun votre tour, je vous propose de procéder à une déclaration liminaire avant que Mme le rapporteur vous pose les questions qu'elle souhaite.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Je suis médecin généraliste en exercice et préside le Formindep, pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui des patients. Je préciserai en quelques minutes cette notion de conflit d'intérêts dont nous sentons bien qu'elle se trouve au coeur du problème dans l'affaire du Mediator. Notre association travaille sur cette question depuis sept ans qu'elle existe, en se fondant sur les données de la littérature internationale, très riche en la matière, depuis vingt à vingt-cinq ans. En 2009, l'Institute of Medicine aux Etats-Unis a publié un rapport de plus de 300 pages sur les conflits d'intérêts en médecine et sur la façon de les traiter. Cette problématique importante répond aujourd'hui à des définitions relativement claires, que je souhaiterais rappeler pour écarter toute dimension morale présente dans le discours commun. Le conflit d'intérêts n'est pas une question de bien ou de mal, d'honnêteté ou de malhonnêteté mais une question d'influence. Tout être humain peut être influencé. La définition publiée en 1993 dans le New England Journal of Medicine indique qu'un conflit d'intérêts intervient quand le jugement d'un professionnel sur un sujet d'intérêt principal - l'intérêt du patient pour un professionnel de santé - est influencé et altéré par un intérêt secondaire (gain financier, rivalités de personnes, carrière, convictions philosophiques ou religieuses, croyances, passions intellectuelles, etc.). Ces conflits modifient les jugements voire les résultats des travaux de recherche. Quand ils sont financés par l'industrie pharmaceutique, les résultats des travaux de recherche sont cinq fois plus fréquemment positifs que les résultats de travaux financés par le secteur public, comme le montre une étude récente. Il en est de même des documents scientifiques visant à informer et former les médecins.

C'est l'une des raisons pour lesquelles nous avons introduit un recours devant le Conseil d'Etat en vue du retrait de recommandations élaborées en contradiction avec les règles internes de la Haute Autorité de santé (HAS) en termes de conflit d'intérêts. Le Conseil d'Etat nous a d'ailleurs donné raison pour la première recommandation. Des conflits d'intérêts mal gérés ou omniprésents influencent de façon négative ou biaisent le travail des experts et représentent un facteur de risque sanitaire, comme le sont la vitesse pour les accidents de voiture, le tabac pour les cancers ou l'alcool pour les cirrhoses. Un conflit d'intérêts, lorsqu'il influence négativement, ne rend pas obligatoirement caduque la décision mais la soumet à ces risques clairement identifiés en termes, à la fois, de qualité des soins mais aussi de surcoût.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous avez indiqué qu'un essai financé par l'industrie pharmaceutique avait cinq fois plus de chances d'être positif. Quelles sont vos sources ? J'ai sous les yeux un article publié dans la Tribune Santé par Monsieur Benkimoun. Une analyse de plus de 1 500 études dans le domaine du cancer parue en 2006 dans les revues de haut niveau montre que celles dans lesquelles les auteurs ont déclaré des intérêts obtiennent deux fois plus de résultats favorables au médicament que celles où aucun conflit d'intérêts n'est déclaré. Le volume avancé se trouve donc nettement inférieur. Pourrez-vous nous communiquer votre source ultérieurement ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

La différence tient probablement au fait que votre étude évoque les auteurs qui ont déclaré un intérêt. J'ai plutôt cerné les études qui ont bénéficié d'un financement privé. Je vous communiquerai la référence.

Il importe de sortir de la notion morale du conflit d'intérêts pour l'appréhender comme un facteur de risque pouvant influencer de façon néfaste les décisions et recommandations et les soins qui en découlent.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Je souhaiterais aborder la question des conflits d'intérêts pour les fonctionnaires et les experts permanents des agences, souvent passée sous silence. On pourrait s'attendre en effet que les experts des agences soient libérés de tout lien d'intérêts. Les agences, comme l'Agence française pour la sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), ou la HAS ne publient d'ailleurs pas les déclarations de leurs permanents dès lors qu'ils sont fonctionnaires et embauchés par l'Agence.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Ceci me paraît très important. Vous semblez dire que les experts internes ne sont pas contraints de publier leurs liens d'intérêts.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Apparemment. Rien n'est publié. L'expert, dès lors qu'il est embauché par l'Agence, disparaît des listes diffusées par celle-ci.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

On pourrait penser qu'un fonctionnaire est a priori libéré de tout lien d'intérêts puisque sa situation est légalement plus encadrée, un dispositif permettant même de le condamner pénalement en cas de prise illégale d'intérêts. Il existe cependant des processus plus subtils qui permettent d'établir de tels liens avec des fonctionnaires. J'en détiens quelques illustrations qui démontrent la possibilité d'influencer très nettement un fonctionnaire et de lui faire prendre des positions en faveur de l'industrie.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Il ne s'agit pas de cibler une personne mais de pointer un problème de système, qui correspond à la théorie de la capture décrite par le prix Nobel d'économie George Stigler. Ce dernier a formalisé le processus par lequel un secteur économique réglementé par l'Etat va peu à peu capturer les agents chargés de son contrôle. Cela repose sur des mécanismes spectaculaires comme le pantouflage. Ce mécanisme fonctionne notamment lorsqu'une personne quitte une agence de réglementation pour aller dans le privé. Il en est ainsi de Philippe Lamoureux, passant de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) à la direction des entreprises du médicament (Leem).

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il n'est pas passé de l'administration à une entreprise mais à un syndicat, ce qui apparemment change tout.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Faire échapper les associations à but non lucratif à tout contrôle constitue une faille du système. Il en est également ainsi, très récemment, du directeur général de l'Agence européenne du médicament Thomas Lönngren qui, au lendemain de la fin de son mandat, le 31 décembre 2010, exerçait auprès de cinq entreprises privées, dont celle qu'il avait fondée. L'absence de contrôle sur ce type de mouvement suscite l'étonnement. Un code de conduite a été institué dans le cadre de l'Agence européenne du médicament (EMA), précisant les démarches à suivre pour le passage d'un poste au sein de l'EMA à un emploi dans une entreprise pharmaceutique. Durant deux ans, l'ancien agent ne peut ainsi exercer des activités pouvant entrer dans le périmètre de contrôle de l'Agence. Une procédure est prévue avec un contrôle a priori et l'accord d'une commission paritaire interne puis du conseil d'administration de l'Agence. Pour Thomas Lönngren, un simple échange de mails avec Patrick O'Mahony, le président du conseil d'administration, a suffi, en contradiction avec toutes les procédures. L'expression anglaise de revolving door illustre davantage le phénomène, en prenant en compte les deux dimensions de cet échange de personnel, qui peut se produire dans un sens comme dans l'autre puisque des personnes issues de l'industrie pharmaceutique accèdent à de hauts niveaux de décision. En France, l'exemple le plus frappant reste le docteur Eric Abadie, recruté à l'Afssaps après avoir représenté, durant huit ans, le syndicat national de l'industrie pharmaceutique dans toutes les commissions de cette Agence.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Ce dernier a reçu une distinction de l'industrie pharmaceutique pour services exceptionnels rendus !

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

J'ai noté dans les auditions précédentes que vous portiez une attention toute particulière à la Drug Information Association (DIA). La DIA est une association fondée dans les années 1960 par les professionnels de l'industrie pharmaceutique. Aujourd'hui, elle compte 18 000 membres dans le monde entier auxquels s'y ajoutent les membres des agences de réglementation. Dans son audition, le docteur Abadie a commis une erreur. Il ne s'agit pas d'une association paritaire puisque, selon mes vérifications, sur les treize directeurs qui composent le management board, une seule personne ne fait pas partie de l'industrie mais représente le College ter Beoordeling van Geneesmiddelen (acronyme anglais : MEB), l'agence néerlandaise du médicament. Cette association n'a jamais eu la prétention d'être une organisation paritaire mais elle a reçu de l'EMA le monopole de la formation sur les systèmes d'eudravigilance, qui permettent la déclaration des effets secondaires des médicaments. Ceci pose des problèmes, la DIA étant uniquement financée par les cotisations de ses membres, tous issus de l'industrie. Les membres des agences de réglementation ne sont qu'invités et, lorsqu'ils participent à des forums, leurs travaux sont toujours accompagnés d'une étude contradictoire réalisée par l'industrie afin de « ne pas manipuler l'auditoire ».

Figure aussi parmi les exemples de pantouflage retour le cas de la directrice de l'Institut de veille sanitaire (InVS), Mme Françoise Weber, qui a travaillé au sein de l'industrie pharmaceutique. Sans préjuger de la qualité des personnes et de leur engagement au sein de l'Agence, une telle démarche contrevient aux règles fixées par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Le pantouflage constitue en effet l'une des premières sources de la corruption. Actuellement, force est de constater que la fonction publique française se prémunit très mal contre ce type de transfert. Peut-être faudrait-il renforcer les contrôles en les confiant à un service indépendant, comme le service central de prévention de la corruption, qui détient les outils juridiques pour émettre des avis indépendants.

La théorie de la capture comprend, outre le pantouflage, un processus d'acculturation des fonctionnaires qui, à force de contacts informels ou amicaux avec les entités qu'ils sont censés contrôler, finissent par intégrer les idées et défendre les intérêts de l'industrie pharmaceutique. Ce phénomène apparaît dans tous les secteurs de contrôle. Il constitue même, pour les entreprises, un investissement rentable. Ainsi, le recrutement de Thomas Lönngren par CBio, bien qu'à un poste quasi-honorifique, a fait grimper de 27,6 % le cours de l'action de ce laboratoire australien.

En matière d'acculturation, je citerai l'exemple d'une tribune parue dans le New England Journal of Medicine le 2 avril 2009 intitulée « Des médicaments sûrs et le coût des bonnes intentions ». Cette tribune comporte des idées qui font froid dans le dos. En voici quelques extraits : « Certains observateurs ont conclu que le système réglementaire dans son entier devait être revu car les régulateurs avaient échoué à appliquer un contrepoids suffisant aux compagnies. » S'ensuit une démonstration tendant à prouver que l'on en fait trop en matière de pharmacovigilance. Le développement des outils informatiques va augmenter les possibilités de réaliser des études de pharmaco-épidémiologie. Les quatre signataires listent plusieurs craintes : « Le nombre de faux signaux va augmenter ; un tel scénario va entraîner la perte de la confiance du public et va même endommager la santé publique en obérant l'utilisation de médicaments et vaccins qui sauvent potentiellement des vies. Si les décisions réglementaires sont prises sur la base de signaux douteux, nous finirions par refuser à des patients atteints de maladies mortelles l'accès à des soins même si le rapport bénéfices-risques restait favorable. (...) La couverture médiatique peut, de façon disproportionnée, augmenter la visibilité publique des effets secondaires et induire des jugements biaisés. » En conclusion, les auteurs indiquent que « nous pourrions assister à une spirale de la connaissance du risque dans laquelle de meilleurs outils de pharmacovigilance détecteront plus de signaux de sécurité qui attireront plus l'attention sur les mauvais côtés des médicaments, lesquels, en retour, vont créer une pression sur les autorités réglementaires pour plus de sécurité et plus d'outils de pharmacovigilance et ainsi de suite ». La conclusion me paraît claire « L'opposé du bien est la bonne intention. »

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Et nous savons que l'enfer est pavé de bonnes intentions !

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

« Bien que des appels à assurer la sécurité des médicaments soient probablement dus à de bonnes intentions, ils pourraient faire plus de mal que de bien. » Le plus inquiétant vient du fait que cette tribune a été signée non par des représentants de l'industrie pharmaceutique, mais par quatre fonctionnaires de l'Agence européenne du médicament ou d'agences nationales. Ces craintes semblent constituer de purs fantasmes. A-t-on jamais connu de retrait prématuré d'un médicament ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Tel n'est pas le cas de l'Actos. Je crois savoir que le docteur Abadie était présent à cette séance et n'a pas poussé au retrait de ce médicament, bien au contraire, pour des raisons qui, à mon sens, ne sont pas liées à la sécurité.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Pour moi, cela illustre le risque de voir des hauts fonctionnaires adopter le point de vue des entités qu'ils sont censés contrôler.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Par quels moyens pouvons-nous remédier à une telle situation ?

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Il convient d'abord de s'assurer de l'existence de règles internes. Cela ne suffit cependant pas car l'EMA dispose d'un code de conduite très précis, qui interdit notamment à un fonctionnaire de l'Agence de participer à un événement si le but de celui-ci est d'établir un contact pour, in fine, influer sur les décisions publiques.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

En principe les agents ne devraient donc pas participer aux réunions de la DIA.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Non. Il est également prévu dans le règlement qu'un fonctionnaire ne doit pas recevoir une distinction, titre honorifique et cadeau.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Le Formindep a demandé à l'EMA, via la directive 1049 de 2001, l'accès aux documents par lesquels Thomas Lönngren aurait obtenu l'autorisation préalable de recevoir les deux distinctions de la DIA.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il est rare d'être distingué deux fois. Pourrez-vous nous communiquer la liste des récipiendaires ? Tous les directeurs de l'évaluation de l'Afssaps ont obtenu cette distinction.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Tous les signataires de la tribune que je viens de vous citer y figurent. Il n'existe sans doute pas de lien de causalité immédiat. Etre distingué par la DIA représente un signe que l'industrie vous considère comme une personne influente, qui peut être utile à l'industrie et réceptive aux positions de celle-ci. Si vous acceptez cet honneur, vous confirmez que vous l'êtes. Il me semble qu'accepter la participation aux activités de la DIA constitue une erreur pour un fonctionnaire car elle représente un préalable à des contacts de plus en plus étroits. Des forums encore plus inquiétants sont en place, faisant participer les représentants de la HAS, du Comité économique des produits de santé (Ceps), de l'Afssaps ou de l'EMA.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Pouvez-vous nous en dire plus sur ceux-ci ? S'agit-il bien de think tanks financés par l'industrie auxquels participent des hauts fonctionnaires de l'administration française ?

Pierre Bordry, président de la CPPAP

Tout à fait.

Photo de François Autain

Pourtant rien n'interdit leur participation.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Il existe clairement une faille. La moindre des choses serait d'informer les agences de telles activités. La HAS et le Ceps ne communiquent pas sur la participation de leurs membres à ces réseaux. Le Tapestry network est une société qui organise des réunions informelles public-privé sur des sujets qui intéressent les financeurs. Cette société a passé contrat avec trois laboratoires, AstraZeneca, Johnson&Johnson et GlaxoSmithKline, pour mettre en place le réseau européen des leaders pour l'innovation en santé. Ce réseau balaie une série de sujets qui viennent profondément modifier le marché du médicament en Europe dans les années à venir, abordant notamment les questions de la médecine stratifiée ou personnalisée, le remboursement des outils de diagnostic, notamment les outils à validité scientifique douteuse comme ceux de la maladie d'Alzheimer. Ce forum prétend par exemple obtenir le remboursement de tests qui prédiraient la maladie d'Alzheimer trente ans avant qu'elle se produise alors qu'elle ne peut être diagnostiquée que post-mortem.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Estimez-vous que la théorie de la capture peut fonctionner lorsqu'un mois et demi, trois semaines, puis une semaine avant le vote d'une loi, des publications médiatiques paraissent pour ouvrir, d'un certain point de vue, les yeux du législateur ? Je pense à ce que nous avons vécu voilà un mois et demi s'agissant du projet de loi sur la bioéthique. Ce mouvement a été conforté par un colloque mis en place par les entreprises du médicament (Leem) à l'Assemblée nationale sur un type de cellules souches. J'ai interrogé le Leem sur l'objectivité d'un tel sujet, porté six mois auparavant aux Etats-Unis par la société Gerton, qui avait vu sa cotation en bourse augmenter suite à cette « information ». Pouvons-nous considérer que la théorie de la capture fonctionne aussi en ce sens, vis-à-vis de fonctionnaires hospitaliers et d'universitaires ?

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

La théorie de la capture s'applique à tous les contrôles de l'Etat qui pourraient influencer d'un point de vue économique l'activité d'un secteur donné. Elle se superpose en grande partie aux activités de lobbying qui opèrent à 360 degrés. Des rencontres informelles permettent d'influencer directement les fonctionnaires mais le relai médiatique, en mettant à la « une » des thèmes de société ou en publiant des sondages, fait naître aussi une pression sur le législateur.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Il s'agit donc bien du phénomène d'acculturation que vous évoquiez.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Tout à fait. L'ouverture de l'Agence européenne du médicament à la société civile, par l'intégration d'associations de patients et de soignants, constitue un échec total en termes de respect de l'indépendance de la décision publique. En effet, suivant la règle des « 3P » du lobbying - placer les bonnes personnes, aux bonnes positions, selon les bonnes procédures -, les associations de patients nommées au management board de l'EMA sont financées à plus de 99 % par l'industrie. Ainsi en est-il de la Fédération européenne des associations neurologiques (EFNA), proposée par la Commission pour participer au management board de l'EMA, de même que l'European patients' forum, créé à la demande de la commission pour pallier l'absence d'interlocuteur fédérant les patients au niveau européen, qui n'est financé que par l'industrie.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Au cours de nos auditions, nous avons pointé le fait que lors de la mise sur le marché d'un médicament, la balance bénéfices-risques n'était pas forcément bien fondée. La théorie que vous énoncez fournit des exemples de messages, véhiculés par la presse qui, à partir d'un certain nombre de publications sur des pathologies chroniques, mettant en cause la personne elle-même mais aussi son entourage, engendrent une confusion entre espoir et thérapie.

Je souhaiterais vous interroger sur la théorie de la capture face à un essai clinique. Une personne se trouve confrontée à un cancer très difficile. Après un traitement de chirurgie et de chimiothérapie, il lui est proposé une nouvelle molécule. Le patient accepte d'entrer dans le protocole et signe une décharge puisqu'il peut lui être administré soit la molécule, soit le placebo. Ce système dans lequel le patient entre, et sur lequel il n'a aucune maîtrise, ne s'apparente-t-il pas à la théorie de la capture ?

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Peut-être le docteur Foucras serait-il plus à même de répondre à cette question précise car je ne suis pas une professionnelle de santé.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Cette question correspond davantage à la problématique du consentement éclairé. Il importe avant tout de déterminer les éléments factuels précis, eu égard à la gravité de la maladie et aux possibilités thérapeutiques, qui ont été fournis à un patient se trouvant, par ailleurs, dans un état de faiblesse. Même si la loi a mis en place des protocoles formalisés, la question du consentement éclairé dans ce type de situation reste, de mon point de vue, posée. Le patient doit avoir compris qu'il entre dans un protocole d'étude et qu'il peut recevoir un placebo ou le produit testé, de façon aléatoire. Il doit également être établi que ce patient ne subira pas de perte de chance. J'ignore néanmoins si cela entre dans le processus d'acculturation décrit par Mme Chailleu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Il me semble surréaliste, dans le cadre d'une pathologie évolutive, d'administrer la molécule ou le placebo au patient. Il faut bien que quelqu'un interfère pour interdire l'utilisation d'un placebo dans un tel cas.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

La question du consentement éclairé ne doit pas, à mon sens, concerner des pathologies aussi évoluées que celle décrite dans l'exemple.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Néanmoins, l'Agence européenne du médicament a fait paraître une consultation dans laquelle elle propose d'étendre les essais contre placebo alors que la tendance actuelle s'oriente davantage vers les essais comparatifs contre principe actif. Cette proposition, problématique d'un point de vue éthique, est directement issue d'un think tank, l'Athenium group.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Nous avons reçu M. Edouard Couty, rapporteur des Assises du médicament. Pourquoi avez-vous quitté cette instance ? L'avez-vous prévenu ? Avez-vous conservé une possibilité de dialogue ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le rapporteur regrette énormément que vous ne soyez plus là car votre absence déséquilibre ces Assises.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Nous n'avons eu aucun contact avec M. Edouard Couty. Il n'a, semble-t-il, pas réussi à nous joindre ! L'affaire du Mediator, comme toutes les affaires de santé publique, mérite d'être traitée avec sérieux, rigueur et compétence, compte tenu du risque sanitaire que cela entraîne. Or, les conditions d'élaboration des conclusions restent pour l'instant floues. J'ai reçu un coup de fil, une semaine avant la tenue des Assises, du cabinet du ministre pour y être invité. Nous nous sommes répartis dans des groupes qui devaient, soi-disant, respecter un cahier des charges du ministre, cahier que je n'ai jamais trouvé. Les groupes ont été constitués et se sont étoffés de façon importante sans que l'on sache comment, le nombre de participants passant de 150 à 300. L'enregistrement des débats nous a été refusé, faute de moyens. J'ai débloqué 100 euros du budget du Formindep pour acheter une caméra mais, lorsque j'ai filmé, on m'a menacé. Aujourd'hui les débats sont filmés dans des conditions décrites comme médiocres par l'Agence de presse médicale (APM). Les déclarations d'intérêts ne sont pas toutes mises à jour. Lorsque je me suis enquis de leur contrôle, il m'a été demandé de faire confiance au sens des responsabilités de chacun. Or, dans le contexte du Mediator, ce type de questions se doit d'être posé. Le mode de fonctionnement de ces Assises reste très flou. J'ai trouvé un courrier du ministre du 17 février, rappelant à M. Edouard Couty la nécessité de contrôler la présence des firmes. J'estime que la gravité de la question mérite un traitement de meilleure qualité. Les rapports Even-Debré ou de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) sont intervenus, des missions d'information ont été mises en place au Sénat et à l'Assemblée nationale. L'affaire du Mediator pose les questions du fonctionnement démocratique et de la transparence de l'information. Il me semble que les instances existantes permettent de faire un travail de qualité, en fonctionnant selon des règles claires et transparentes. Je continue de penser que les Assises du médicament ne permettront pas d'en faire de même et resteront surabondantes par rapport au travail déjà engagé par les instances parlementaires et l'Igas. Ces Assises donnent l'impression d'avoir été instituées pour « embrouiller » le système plus que pour l'éclaircir, avec la présence incontrôlée ou difficilement contrôlée des firmes, qui s'inscrit dans ce processus de capture et d'acculturation que nous avons décrit.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Lors de son audition, M. Couty s'est ému de la surreprésentation des firmes.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

La journaliste Stéphane Horel, qui a écrit Les Médicamenteurs, s'était inscrite. Elle a reçu un coup de fil de M. Couty, l'enjoignant de ne pas venir. La Fondation science citoyenne n'a pas été retenue. Le communiqué de l'Agence de presse médicale (APM) a montré que des représentants de firmes venaient sans être invités. Ils se sont auto-inscrits. Ce n'est pas ainsi, selon nous, qu'il convient d'aborder la question.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Les Assises n'ont donc pas apporté d'évolution par rapport à la situation qui régnait au sein de l'Afssaps avant l'affaire du Mediator, les industriels continuant d'agir à leur guise, sans qu'aucune autorité ne vienne réglementer leur participation.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Le fonctionnement des Assises ne montre assurément pas, à nos yeux, la volonté de procéder à une modification des pratiques et des comportements. Ce sont les raisons qui ont présidé à notre retrait. Nous regrettons de ne pas avoir été suivis.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Auriez-vous préféré que les conclusions de la mission parlementaire et des rapports de l'Igas interviennent avant l'institution des Assises du médicament, pour mettre en pratique les recommandations ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Pourquoi court-circuiter, par cette « foire aux médicaments », des travaux parlementaires sereins, bénéficiant d'une légitimité d'élus ? Il est possible ensuite de se saisir de vos travaux et de les affiner pour en tirer des propositions mais il me semble que les Assises constituent un mauvais outil.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Nous tentons d'élaborer des propositions. Quelles seraient vos recommandations pour améliorer la formation initiale et continue des médecins et professionnels de santé en pharmacovigilance et thérapeutique ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Notre postulat de départ repose sur le fait qu'il n'incombe pas aux fabricants de médicaments d'apprendre aux médecins leur métier. Ils doivent être présents pour fournir de bons produits et aider à les prescrire mais ils n'ont pas à intervenir dans notre métier. Chacun doit rester fidèle à l'intérêt de son métier. Il faut donc trouver les moyens de mettre en place, à l'université et en formation continue, les outils de l'indépendance de cette formation. L'indépendance n'est pas qu'un concept. Une culture de l'indépendance doit être fixée. Toute cette connaissance se révèle fondamentale pour arriver à prendre conscience de la réalité des influences et apprendre à s'en défendre. Un apprentissage à la pensée critique devrait être dispensé dès les premières années d'étude de médecine et tout au long de la formation médicale continue. L'Université de Stanford aux Etats-Unis fut l'une des premières, en 2006, à mettre en place une politique drastique de formation des étudiants en médecine aux conflits d'intérêts et à la gestion des relations avec les industries. L'Université a analysé les pratiques de formation et de bourses de recherche et l'ensemble de son fonctionnement à la lecture des conflits d'intérêts en santé sur plusieurs années. De cette analyse ont été déduits des éléments pragmatiques d'enseignement à destination des étudiants, chercheurs et universitaires pour se prémunir de ces problématiques. Il s'agit d'un travail très intéressant qui se généralise aux Etats-Unis.

En France, sauf situation extrêmement ponctuelle, cela n'existe pas. Tous les éléments de pharmacovigilance sont aujourd'hui insuffisamment pris en compte dans la formation. Notre première attente tient dans la formation à l'esprit critique, qui vise à apprendre à gérer les relations avec les entreprises privées. Il faut aussi mettre en place, en pratique, les outils de l'indépendance, tant dans la formation initiale que dans la formation continue, avec le critère clair d'un financement libéré de toute influence. Ces objectifs me paraissent véritablement incontournables, compte tenu du facteur de risque sanitaire que représentent ces influences.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Je suis séduit par ces concepts d'esprit critique qui peuvent permettre, au cours de la formation initiale comme continue, d'armer le praticien afin qu'il puisse prescrire dans de meilleures conditions. Je ferai cependant deux observations. La pharmacologie évolue de façon exponentielle. Un praticien armé à un moment donné, le sera beaucoup moins dix ans plus tard, malgré toute la pertinence de la formation continue. Il faut donc instituer un référent en interface pour que, en cas de question, une réponse puisse être formulée qui permette au praticien d'adopter la bonne position. Outre la relation avec le laboratoire, la relation entre le praticien et le malade influe de plus en plus. Le malade n'est plus aujourd'hui dans le même état d'esprit qu'il était voilà vingt ans, souvent « pollué » par des informations et des affaires comme le Mediator.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

J'en suis tout à fait d'accord.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je souscris pleinement à ce commentaire. Nous évoquons l'information et la formation des médecins. Je souhaiterais maintenant aborder la question de la visite médicale. A l'heure actuelle, les laboratoires ont tendance à considérer que la visite médicale ne constitue pas la meilleure façon de distribuer leurs produits. Le nombre de visiteurs médicaux tend d'ailleurs à diminuer. Nous avons envisagé, à plusieurs reprises, de créer un corps de visiteurs médicaux qui ne dépendraient plus de l'assurance maladie mais qui seraient pris en charge par une autorité indépendante comme la Haute Autorité de santé. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

La visite médicale existe parce qu'elle représente l'un des outils marketing les plus efficaces pour convaincre les praticiens de prescrire un produit. Le jour où cet outil n'emportera plus aucun retour sur investissement, les firmes en changeront. Les firmes ont ainsi constaté une perte de son efficacité, surtout chez les généralistes. Elle garde cependant toute sa pertinence dans les établissements hospitaliers et sur les leaders d'opinion. Le rapport de l'Igas de 2007 sur la formation des généralistes appelait à un désarmement de la formation. L'industrie ne désarme pas mais réduit le nombre de visiteurs médicaux pour les redéployer là où ils se révéleront plus efficaces et plus pertinents. Ils sont aujourd'hui dirigés davantage vers les leaders d'opinion des hôpitaux universitaires qui, par leur autorité et leur expérience, sont à même d'influencer, à plus ou moins grande échelle, le marché. La visite médicale représente un outil très efficace qui procède d'un dialogue de pair à pair, entre deux personnes de même niveau scientifique, très performant pour convaincre. La visite médicale s'inscrit aussi dans un environnement et dépasse le cadre strict de la rencontre professionnelle. S'y ajoutent les outils et cadeaux, les formations, les congrès, les campagnes d'information, soit tout un ensemble accompagnant la visite médicale, et qui constitue un environnement marketing extrêmement performant. Je ne suis pas sûr qu'un visiteur médical « officiel » soit plus performant car la visite n'a d'efficacité qu'entourée de cet environnement marketing. Il faut d'abord s'assurer de son indépendance totale. Or la HAS n'est pas, en la matière, exempte de défauts. Elle fait néanmoins des efforts. Elle a ainsi décidé de réexaminer toutes ses recommandations. La visite médicale officielle ne sera pertinente que si les recommandations qu'elle propose s'avèrent elles-mêmes exemptes de biais et d'influences. Il importe donc que celles-ci soient élaborées sans conflits d'intérêts au sein de la HAS. Un article du 3 mai, publié dans le British Medical Journal, précise que le National Institute of Health (NIH), aux Etats-Unis, ne gère pas les conflits d'intérêts car il a mis en place les moyens nécessaires pour disposer d'un panel d'experts totalement indépendants. Les visites médicales officielles ne conviendront que si les documents qu'elles fournissent sont « nettoyés » des risques de biais. A défaut, cela pourrait constituer une catastrophe. Des verrous importants doivent être posés sur la pertinence et l'efficacité de cette visite.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Quelles solutions pourraient être retenues pour réduire leur influence dans la prescription médicale ? La Charte de la visite médicale a-t-elle eu les effets escomptés ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

La charte de la visite médicale n'a eu aucun effet. Elle constitue un outil marketing et de crédibilisation du discours. La HAS l'a reconnu elle-même malgré la bonne intention de départ. La visite médicale doit rester ce qu'elle est, c'est-à-dire un outil marketing, mais doit être identifiée par les professionnels comme telle. Les tentatives pour la crédibiliser ne vont pas dans ce sens-là. Il faut pouvoir en revanche inciter les professionnels à recevoir une information par des outils autres que marketing. La visite médicale ou les outils marketing ne devraient pas être autorisés dans un développement professionnel continu qui comporterait des critères d'accréditation. Si un professionnel veut recevoir un visiteur, il le peut mais cette rencontre ne doit pas être perçue comme un outil de formation.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Que pensez-vous de la proposition de M. Hirsch, lors de son audition, de supprimer purement et simplement la visite médicale des laboratoires pharmaceutiques ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Dans une économie de marché, les firmes ont besoin de vendre et promouvoir leurs produits. Si les visites leur sont interdites, elles trouveront d'autres moyens, notamment en agissant auprès des leaders d'opinion, dont le retour sur investissement se révèle deux fois supérieur en termes de prescriptions que celui d'un visiteur médical. Il est possible d'interdire les outils les plus évidents mais les firmes utiliseront sans doute des outils plus insidieux et encore plus difficiles à appréhender. Laissons vivre les visiteurs médicaux mais formons les professionnels de santé et les autorités pour leur faire comprendre l'objectif de ces visites.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Cette problématique est aussi liée au nombre de spécialités mises à disposition sur le marché. L'augmentation du nombre de spécialités implique-t-elle l'inflation des visites médicales des laboratoires ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

La liste des médicaments essentiels de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) regroupe environ trois cents médicaments, dont certains ne sont pas efficaces. Un médecin généraliste n'a pas besoin d'un volume important de médicaments pour faire face à la plupart des situations. Moi-même j'utilise des médicaments plus anciens car, selon les données fiables, les nouveaux médicaments n'apportent pas de service supplémentaire. Quelques centaines de molécules seulement constituent le « panier » qui sert à soigner la plupart des pathologies que nous rencontrons. Le reste est constitué de copies, de produits commercialisés sous deux marques différentes, de génériques, dont la place augmente sur le marché, etc. Sur l'hypertension, par exemple, j'utilise quatre à cinq molécules.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Dire que la visite médicale sert à « justifier » les médicaments se trouvant en dehors du panier n'est donc pas loin de la vérité.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

On n'en est pas loin en effet.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Etes-vous favorables à la création d'un corps de visiteurs médicaux dépendant de la HAS, dès lors que ceux-ci délivreraient une information objective et délivrée de tout conflit d'intérêts ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Il est possible d'avoir accès à une formation fiable et de qualité sans ce corps.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il existe aujourd'hui les délégués de l'assurance maladie (Dam).

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Les Dam revêtent quand même une dimension économique. Lorsque je les reçois, ils ressortent souvent avec plus d'informations qu'ils ne m'en ont fournies ! Je pense qu'il est possible d'avoir aujourd'hui accès à une formation de qualité, pertinente, pour effectuer des soins avec le moins d'influence possible. Si ce corps peut apporter une amélioration, j'y suis favorable mais à la condition que les moyens d'assurer leur efficacité soient mis en place. Les firmes consacrent 25 000 euros par médecin pour la visite médicale, selon un rapport de l'Igas de 2007. Les pouvoirs publics pourraient-ils consacrer ne serait-ce qu'un milliard d'euros par an pour disposer d'un outil aussi pertinent ?

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Si les pouvoirs publics estiment que les dépenses des autorités sanitaires consacrées à l'information sur les produits doivent être équivalentes aux dépenses de l'industrie pharmaceutique pour la promotion de ses produits, il serait possible d'imaginer une taxe d'un tel montant, qui revêtirait, en outre, un caractère vertueux.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Cela me paraît effectivement vertueux. Le prix du médicament remboursé par le budget public comprend en partie le budget marketing. Restituer cet argent public pour le redistribuer à une formation médicale indépendante, finançant des organismes dont les formateurs comme le contenu des formations sont indépendants, ne viendrait pas imputer les comptes des firmes, qui auraient moins de dépenses de marketing à assumer. Des études ont été réalisées sur le surcoût. L'UFC-Que choisir a ainsi estimé que, sur quatre classes de médicaments, 650 millions d'euros d'économie étaient possibles. Une étude du Journal of the American Medical Association (JAMA), en 2004, estimaient que, aux Etats-Unis, si les prescriptions pour l'hypertension, se gardant de toute influence, suivaient les critères scientifiques, 1,2 milliard d'euros pourrait être économisés par an. Imaginez les bénéfices en termes de coûts de cette redistribution d'une partie du budget marketing sur une formation indépendante. Cela constituerait un cercle vertueux.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous partons quand même de très loin. Au-delà de la problématique des visiteurs médicaux, l'information dont disposent les médecins se révèle tout sauf indépendante. Le Vidal papier représente un document publicitaire mais il existe un Vidal payant qui, semble-t-il, se révèle beaucoup plus élaboré et comporte plus de recommandations fiables. Le problème actuel provient de l'absence de bases de données critiques des médicaments dont pourraient disposer les médecins. Les seuls logiciels d'aide à la prescription qu'utilisent les médecins sont financés directement ou indirectement par l'industrie pharmaceutique. Le seul logiciel agréé par la HAS n'est pas du tout utilisé par les praticiens. La personne en charge de ce dossier à la HAS se trouve impuissante face à cette réalité, dépassée par la création de cette base de données. Au-delà d'un problème de moyens, se pose aussi un problème de volonté politique et de professionnel, cet exercice se révélant particulièrement complexe.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Le Vidal est à la fois de la publicité et autre chose que de la publicité, puisqu'il comprend les seuls résumés des caractéristiques des produits pour lesquels les firmes paient. C'est pour cela que les médecins le reçoivent gratuitement. La question de la base de données revient à une solution une fois le problème passé. Il est effectivement nécessaire de gérer les quatre mille ou cinq mille spécialités. Si les prescriptions se limitent, en revanche, aux deux cents ou trois cents produits réellement efficaces, la base de données s'avère moins complexe à réaliser. Quand les patients se présentent à mon cabinet avec des médicaments que je ne connais pas, je consulte la bibliothèque électronique de Prescrire et le Vidal. Ces deux outils m'apportent une information relativement fiable. Il s'agit donc d'identifier l'outil à fournir au professionnel pour qu'il dispose d'une information officielle et d'une lecture critique sur le médicament en fonction du service médical fourni. Cette base n'existe pas mais elle s'avère peu complexe à mettre en place si la volonté existe et si les moyens sont institués. Toutes les briques existent. Il reste à les agréger pour en faire un outil pertinent. En revanche, cet outil ne doit pas venir nous apprendre à utiliser des médicaments que l'on ne peut gérer, sous peine d'un nouveau risque d'influence.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous attendez donc la mise en place d'un répertoire critique qui ne porterait pas sur tous les médicaments ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Si, car tout médecin se trouve confronté à un médicament qu'il ne connaît pas. Le répertoire se doit d'être exhaustif mais il doit surtout aider à bien prescrire, pour réduire le champ de la prescription à ce qui est vraiment utile.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Jacques Mirassou

Nous sommes au coeur du problème. Force est de constater l'actuelle inflation des prescriptions. Il me semble qu'il doit exister une marge de manoeuvre entre le Vidal et le Quotidien du médecin. Je serais favorable à l'établissement d'une base de données critique incontestable et incontestée.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Il s'agirait de mettre en place une base des données médicamenteuses permettant de disposer d'un avis critique pour savoir si l'on peut prescrire un médicament ou s'en passer.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Pourrions-nous imaginer une alternative au Vidal, qui, adressée chaque année aux praticiens, émanerait de la HAS, comme cela existe en Belgique, où un petit document, adressé aux médecins, est édité par le service national de la pharmacie ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Il importe que la HAS puisse se protéger des influences pour établir de tels documents.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il existe aujourd'hui trois bases de données : Thériaque, la Banque Claude Bernard et Thesorimed. Or les médecins généralistes ne les utilisent pas, sans doute du fait de leur inadaptation, privilégiant de plus en plus des logiciels d'aide à la prescription.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

C'est tout à fait cela. L'intégration de pages de publicité dans ces logiciels représente d'ailleurs un enjeu majeur pour les firmes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

La HAS se contente pour l'heure de certifier des logiciels utilisés.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Elle pourrait fournir des outils, à condition de prendre des mesures drastiques pour fournir des données critiques et fiables.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Sa mission devrait donc, selon vous, aller au-delà de la certification.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Peut-être. La HAS est une haute autorité qui doit, par définition, venir rassurer les professionnels. Aujourd'hui nous nous battons pour que la HAS devienne digne de confiance. Elle fait des efforts qui sont cependant loin d'être suffisants. Le jour où ils le seront, les outils qu'elle mettra à disposition se révéleront pertinents.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Hier, nous avons auditionné l'Afssaps, dans le cadre de la mission d'information sur les toxicomanies. Celle-ci évoquait 270 décès par overdose par an dont 53 % pouvant être attribués à des drogues illicites et 47 % à des drogues licites. Nous parlons actuellement du Mediator ou du Vioxx mais comment prendre également en compte les phénomènes d'addiction à un médicament de substitution, comme la morphine, qui peut à la fois soulager et devenir une drogue dans certains cas ? Cela ne participe-t-il pas de la théorie de la capture ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

J'ignorais ces chiffres. Je les rapporte aux dix mille décès par iatrogénie par an.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

On va même au-delà puisque le professeur Abenhaïm évoquait 18 000 morts par an.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

La proportion se révèle beaucoup plus importante. Pour la population marginalisée des toxicomanes, qui éprouve des difficultés plus grandes à se soigner, créer des dépendances aux médicaments constitue un risque. Il n'existe pas cependant un tel risque de dépendance pour la morphine. Sans nier cette réalité, dans le contexte de l'iatrogénie médicamenteuse, ce phénomène ne me paraît pas essentiel. Les produits de substitution aident à passer d'une dépendance illégale à une dépendance légale et contrôlée. Il me semble évident que cette population, très difficile à soigner, ne présente pas un taux de réussite à 100 %. Ce risque lié aux médicaments de substitution ne me paraît donc pas contrebalancer le rapport bénéfices-risques en santé publique

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

La France est le second producteur licite d'opiacés, via la production d'une filiale de Sanofi-Aventis, placée sous le contrôle de l'Afssaps.

Quelle autorité vous semblerait la mieux adaptée pour contrôler la fiabilité des déclarations d'intérêts des experts ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Je formulerai deux remarques préliminaires. Nous sommes dans un autre paradigme. Dans les pays anglo-saxons, ces déclarations sont effectuées sur la base de la confiance ou dans le cadre d'un contrôle citoyen, sans autorité de contrôle. En France, la mise en place d'un outil de contrôle me semble utile car nous fonctionnons de manière différente. Cet outil doit néanmoins être totalement indépendant. Peut-être doit-il relever d'une structure supplémentaire ? L'outil citoyen qu'opère notamment le Formindep, me paraît aussi intéressant, dès lors qu'il a accès aux données. Cette transparence doit être favorisée pour permettre un contrôle citoyen plus efficace et réactif que celui d'une institution. Enfin, l'idéal serait qu'aucun contrôle ne soit nécessaire dans les structures décisives, telles l'Afssaps ou la HAS, leurs agents ne devant présenter aucun lien d'intérêts, cette absence étant contrôlée, en amont, dans le choix des professionnels.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je souhaiterais vous interroger sur les conditions dans lesquelles est ou n'est pas appliquée la disposition de la loi de 2002 sur le droit des malades concernant l'obligation des professionnels de santé d'indiquer leurs liens d'intérêts lorsqu'ils s'expriment publiquement. Avant-hier, dans Les Echos, est parue une tribune signée par trois grands professeurs, défendant l'industrie pharmaceutique. Je pense que leurs arguments auraient plus de poids s'ils faisaient suivre leur nom de la mention d'une absence de liens avec l'industrie. Force est de constater que cette réglementation n'est pas respectée.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Nous connaissons bien cette législation dont nous avons obtenu les décrets d'application lors d'un premier recours auprès du Conseil d'Etat en 2006-2007. Nous avons constaté avec la revue Que choisir que cette disposition n'était pas appliquée. La revue a donc porté plainte auprès des ordres professionnels chargés de la faire appliquer. Des citoyens peuvent écrire à l'ordre des médecins pour quérir des renseignements sur les liens d'intérêts et, à défaut de déclaration, porter plainte. Une loi qui n'est pas sanctionnée est une loi qui n'est pas appliquée. J'ai suggéré hier sur France Inter de nous montrer pionniers en la matière. Les décrets sont parus depuis maintenant trois ou quatre ans. Des journaux ont commencé à procéder à ces déclarations. Nous devons continuer le combat en faveur de son application.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Des sanctions peuvent être décidées par les ordres, mais elles s'avèrent peu dissuasives.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Les ordres ont-ils pris des sanctions suite à vos actions ?

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Non. Un entretien de conciliation a été organisé durant lequel les professionnels ont pris des engagements. Je pense que si l'ordre ne fait pas respecter cette législation, c'est qu'il n'en saisit pas l'importance.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Comment mettre en place un politique d'essais cliniques qui ne soit pas financée par un laboratoire ? Nous ne pouvons pas instituer un système totalement binaire.

Debut de section - Permalien
Philippe Foucras, médecin généraliste, président du Formindep

Les professionnels peuvent tout à fait travailler avec des firmes dans le cadre de recherches mais ils ne doivent pas, dans ce cas, être mis en situation de décider de la mise sur le marché du médicament qu'ils ont testé.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Madame Chailleu, souhaitez-vous ajouter quelque chose ?

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

J'insisterai, pour conclure, sur la nécessité d'éviter les conflits institutionnalisés. Des agences se sont vu confier des missions contradictoires. Ainsi, l'Agence européenne du médicament, à partir de 2004, a été chargée du conseil scientifique aux entreprises sur la conduite des essais alors qu'elle doit par ailleurs juger de la pertinence et des résultats de ces essais, dans le cadre de la mise sur le marché de la molécule. Ces deux missions qui devraient être confiées à deux institutions différentes créent donc un conflit d'intérêts.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Tout à fait. D'ailleurs le soutien à l'innovation représente la première mission mentionnée sur le portail de l'Agence alors qu'elle n'est pas explicitée dans les textes.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Il nous a été affirmé que cette mission n'est pas rémunérée par les laboratoires.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Je l'ignore mais elle fait partie du contrat de performance que l'Afssaps signe avec l'Etat. Cette mission est en revanche rémunérée dans le cadre de l'Agence européenne du médicament, à des montants quasiment comparables à ceux d'un AMM. L'Agence fournit près de quatre cents conseils scientifiques par an. Or ceci constitue structurellement un conflit d'intérêts, qui risque de se développer encore davantage puisqu'il est prévu de mettre en place, via un think tank, une étude pilote entre la HAS et deux laboratoires sur l'étude très en amont de molécules contre le diabète de type 2. L'objectif, exposé en juin 2010 par Thomas Lönngren, consiste à ce que les organismes d'évaluation de la qualité des prestations thérapeutiques doublonnent et disparaissent au profit de l'Agence européenne du médicament, dont les dysfonctionnements sont patents, comme le démontre largement le récent rapport parlementaire. Or la HAS garde le plus grand silence sur cette étude pilote.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

La commission de contrôle budgétaire a voté contre la décharge pour le budget 2009.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

En particulier à cause des problèmes de conflits d'intérêts.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Ainsi que de problèmes de passation de marchés en dehors de toutes règles. Je conclurai enfin sur la nécessité de disposer d'outils citoyens, dès lors que les agences sont dans l'incapacité de se contrôler elles-mêmes. Nous utilisons beaucoup la directive 1049 de 2001 qui nous donne accès aux documents administratifs. Elle nous a ainsi permis d'obtenir les documents sur le pantouflage de Thomas Lönngren. Or, en France, la transposition qui en a été faite se révèle très restrictive. Il serait bien d'élargir le droit d'accès aux documents administratifs, notamment les déclarations des dons des laboratoires aux sociétés savantes, des déclarations obligatoires qui ne sont pas aisément accessibles au public.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Aujourd'hui, les laboratoires déclarent les sommes qu'ils versent aux associations.

Debut de section - Permalien
Anne Chailleu, membre du Formindep

Cette obligation porte sur les dons versés aux associations de patients mais pas aux sociétés savantes. Nous avons introduit un recours auprès de la commission d'accès aux documents administratifs (Cada) pour obtenir ces déclarations, qui nous sont parvenues expurgées des noms des laboratoires.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous poursuivons nos auditions avec M. Pierre Bordry, président de la commission paritaire des publications et agences de presse et Mme Axelle Hovine, secrétaire générale. Cette audition est ouverte à la presse et sera retransmise sur le site du Sénat. Elle pourra éventuellement être diffusée sur la chaîne Public Sénat. Peut-être souhaitez-vous procéder à une intervention liminaire avant que Mme le rapporteur vous pose ses questions ?

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Je peux vous rappeler, en préambule, la fonction de cette commission paritaire. La collectivité publique contribue à la liberté d'expression en accordant un régime économique spécifique à la presse écrite. Pour prétendre aux dispositifs d'allègements fiscaux ou aux tarifs préférentiels pour l'acheminement postal des publications, les journaux, écrits périodiques, voire la presse en ligne, doivent remplir des conditions légales et réglementaires et être inscrits à ce titre sur les registres de la commission paritaire des publications et agences de presse. Aujourd'hui, dix mille publications bénéficient d'un numéro de commission paritaire. Cette commission est chargée d'émettre un avis sur l'application aux journaux et écrits périodiques des textes législatifs et réglementaires qui prévoient ces allègements de taxe fiscale, notamment définis par les articles 72 et 73 de l'annexe III du code général des impôts et les articles D. 18 et suivants du code des postes et des communications électroniques. Pour la presse écrite, la décision de la commission devient une obligation pour l'Etat et peut faire l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat. Pour les agences de presse - 250 d'entre elles sont reconnues par la CPPAP - la commission émet un avis au Gouvernement mais l'administration n'est pas tenue de le respecter. Le secrétariat de la commission est dirigé par la secrétaire générale, qui dépend de la direction du ministère de la culture chargée des questions d'information. La commission paritaire a été classée par le Conseil d'Etat comme une autorité « quasi-indépendante » car son président dispose d'un double vote pour départager ses vingt-deux membres, choisissant de se prononcer en faveur de la presse ou de l'Etat. L'avis favorable de la commission paritaire donne lieu à la délivrance d'un certificat valable pour seulement cinq ans depuis 1997, opposable à l'Etat et à la Poste pour les avantages fiscaux et postaux.

Les principales conditions d'admission sont les suivantes :

- la publication doit satisfaire aux obligations de la loi du 29 juillet 1881 et ses modifications sur la liberté de la presse, en particulier s'agissant des mentions légales, du dépôt et de la responsabilité du directeur de la publication ;

- la publication doit présenter un lien direct avec l'actualité et un rapport éditorial significatif ;

- la publication doit présenter un caractère d'intérêt général quant à la diffusion de la pensée et contribuer de ce fait à l'instruction, l'éducation, l'information ou la récréation du public ;

- la surface consacrée à la publicité et aux assurances classées ne doit pas être supérieure aux deux tiers de la surface totale de la publication ;

- la publication ne doit pas relever d'un genre éditorial listé par la CPPAP (guide, catalogue, publication de modèles, instrument de communication simple, instrument de publicité ou toute publication apparaissant comme l'instrument d'une entreprise pour des fins commerciales) ;

- la publication doit obéir à une périodicité régulière, au moins trimestrielle ;

- la publication doit faire l'objet d'une vente effective au public, au numéro ou par abonnement, à un prix présentant un lien réel avec le coût de fabrication de cette publication. Le nombre d'exemplaires effectivement vendus doit représenter au moins 50 % du tirage total de la publication, total auquel sont retirées les publications détruites. Sont admis au titre des ventes les abonnements collectés, c'est-à-dire souscrits par une société extérieure, à condition qu'ils soient adressés à des abonnés individuels. Sont en revanche assimilés à des prestations gratuites des abonnements achetés en nombre par une seule structure pour les offrir à des personnes physiques. Exception est faite dans le secteur médical pour les sociétés savantes.

A titre d'exemple, le laboratoire pharmaceutique qui achèterait à des conditions préférentielles la moitié du tirage d'une publication de presse dont il serait l'un des principaux annonceurs, pour distribuer ces exemplaires gracieusement lors des rendez-vous accordés par les praticiens à ses visiteurs médicaux se verrait refuser le qualificatif d'abonnement collectif.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Ceci constitue une situation tout à fait hypothétique.

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Absolument.

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Pour l'instant, non.

Debut de section - Permalien
Axelle Hovine

Si nous la trouvons, nous l'excluons de la vente.

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

La presse médicale bénéficiant d'un numéro de commission paritaire est composée pour l'essentiel de titres de presse professionnelle se déclinant par spécialités médicales. Nous comptons environ 335 titres majoritairement édités par de grands groupes, souvent étrangers (Kluwer, Springer, Elsevier, etc.). Ces titres sont réservés à des publics professionnels à des fins d'information, de formation et de recherche et participent ainsi à l'obligation de publication des chercheurs. Ces publications appartiennent au syndicat de la presse médicale, qui fait lui-même partie de la Fédération de la presse spécialisée. L'enjeu du bénéfice du régime économique de la presse se révèle important pour ces titres diffusés exclusivement par voie d'abonnement. A ces titres s'ajoutent cent à deux cents titres de presse « grand public », publications de vulgarisation scientifique ou plus spécifiquement dédiées aux sciences parallèles ou occultes.

Il existe deux principaux motifs de refus à l'accès au régime économique de la presse, tenant, en premier lieu, à une part inférieure à 50 % des ventes effectives compte tenu du nombre d'exemplaires distribués gratuitement auprès des médecins. Les publications médicales ont fait en particulier l'objet d'un réexamen catégoriel entre 2001 et 2002 qui a conduit à refuser 25 % d'entre elles.

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

En 2001-2002, lors de ce réexamen de la presse médicale, nous comptions 540 publications médicales. Elles sont environ 300 aujourd'hui. Nous en avons exclu alors 25 %, considérant qu'elles n'étaient pas vendues. Le Conseil d'Etat a confirmé cette radiation de la liste de la commission paritaire par une décision Réalité clinique du 3 décembre 2003. Le second critère d'intérêt général est aussi examiné avec attention et peut amener la commission à se prononcer défavorablement, notamment lorsque la publication peut présenter un danger pour la santé. Aujourd'hui, si la commission paritaire éprouve des doutes sur l'intérêt général d'une publication qu'elle doit examiner, elle requiert l'avis de la direction générale de la santé (DGS). L'avis de celle-ci s'avère souvent très laconique, indiquant, par exemple, que le contenu rédactionnel de la publication ne correspond pas aux préconisations thérapeutiques en vigueur. La commission paritaire peut en tenir compte ou non, si la publication apporte un correctif.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

La commission paritaire compte-t-elle des médecins en son sein ?

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Non. Nous ne procédons à aucune vérification de la qualité du fond éditorial sauf à demander son avis à la direction générale de la santé. La Haute Autorité de santé - HAS - a également institué récemment un service d'analyse de la presse médicale. Mon intention est donc, à l'avenir, de saisir la HAS pour obtenir un avis plus précis que celui de la DGS car il est arrivé que les avis de cette dernière, que nous avions suivis, soient considérés par le Conseil d'Etat comme insuffisamment motivés. Ceci est d'autant plus important que nous avons aujourd'hui compétence sur les publications en ligne.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Quel contrôle exercez-vous sur la presse médicale en ligne ?

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Le dossier est instruit par les services de la commission paritaire selon les mêmes critères que pour la presse écrite. La DGS peut, s'il y a lieu, être sollicitée pour avis. Les publications en ligne sont soumises à l'examen de tous les membres de la CPPAP. Des garanties doivent être fournies sur l'actualité, le renouvellement du site, sa périodicité. La publicité fait l'objet d'une analyse attentive, de même que le caractère éditorial et la présence de journalistes dans la publication. Même pour la presse en ligne, nous étudions le caractère d'intérêt général. Nous avons refusé certains sites comme lanutrition.fr, sur la DHEA et les compléments alimentaires, estimant notamment qu'il ne contenait pas suffisamment de précautions d'usage ni d'informations du lecteur sur les risques encourus du fait de la prise de ces produits. Pour l'instant, le nombre de publications médicales en ligne se révèle limité à une dizaine.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Votre mission recoupe finalement l'une des missions de la HAS, qui examine aussi les publications ?

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Elle effectue aussi une analyse mais seule la Commission paritaire peut décider d'accorder un certificat à une publication.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous pouvez cependant porter des jugements très proches de ceux de la HAS alors que vous ne disposez pas des moyens de le faire.

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Nous examinons l'intérêt général et le caractère éditorial de la publication. Le Parlement s'intéresse beaucoup à la publicité des laboratoires sur la presse médicale et lorsqu'un laboratoire veut diffuser une publicité ou un communiqué sur un médicament, la loi, conformément aux dispositions du code de la sécurité sociale, offre à ce laboratoire des réductions de taxe, renforçant logiquement la publicité sur ces publications.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Vous avez répondu à mes trois questions sur les agréments et les refus. Quel contrôle exercez-vous sur le respect du nombre de revues distribuées gratuitement pour bénéficier des exonérations ?

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Notre contrôle, très précis, peut s'opérer sur place au besoin. Il se fonde sur une déclaration du directeur de la publication mais des organismes de distribution comme la Poste, extérieurs à la publication, peuvent nous confirmer la réalité de la vente.

Debut de section - Permalien
Axelle Hovine

Nous demandons des chiffres certifiés par des experts-comptables et, le cas échéant, des bordereaux d'abonnement ou des copies de chèques. Nos contrôles peuvent donc se révéler très poussés.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

M. Eric Giacometti indiquait que les éléments sur les effets indésirables des médicaments n'étaient pas toujours publiés dans la presse médicale. Serait-il possible de demander voire d'imposer à cette presse de produire des articles réguliers sur cette question ?

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

La Commission paritaire est issue d'un dispositif ancien, fondé sur l'ordonnance de 1944 dont l'objectif visait à permettre au citoyen d'avoir accès à la publication de son choix dans le respect du pluralisme. Nous sommes donc très attentifs à ne pas porter de jugement sur le contenu éditorial d'un journal. Il n'entre pas dans le rôle de la commission paritaire d'évaluer le caractère éditorial d'une publication car, outre l'absence de compétence, nous ne souhaitons pas et ne devons pas être une commission de censure, d'autant que la décision de la commission paritaire de ne pas retenir une publication entraîne souvent la mort de celle-ci. Il convient que l'Etat en débatte avec la profession car ceci offre un certain nombre de garanties et constitue l'esprit de la législation et de la réglementation de la presse depuis 1944.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Pensez-vous que la presse médicale se soit suffisamment emparée du débat scientifique sur le Mediator ? Réalisez-vous des lectures a posteriori pour vérifier que les publications présentent bien un caractère d'intérêt général ?

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Je ne suis pas qualifié pour répondre à la question sur le Mediator. Je peux rappeler une publication et la réexaminer s'il apparaît qu'elle ne présente pas un caractère d'intérêt général. Je le fais régulièrement, en mon pouvoir de président.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

S'agissant des articles sur les effets indésirables, il s'agit donc selon vous d'une négociation entre l'Etat et la presse médicale ?

Debut de section - Permalien
Pierre Bordry, président de la CPPAP

Je n'ai rien dit de tel. Si cette question se posait devant la commission paritaire, nous demanderions au préalable l'avis de la DGS et de la HAS pour y répondre de manière qualifiée.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous poursuivons nos auditions avec M. Paul Benkimoun, médecin et journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde. Avez-vous des liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Je n'ai aucun lien et ne reçois aucune subvention de quelque nature que ce soit de la part d'un industriel de la pharmacie. J'ai dû procéder à une déclaration de même nature pour la revue britannique British Medical Journal à laquelle je collabore périodiquement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Vous n'êtes pas sans savoir qu'il existe une loi de 2002 qui oblige les professionnels de santé qui s'expriment dans la presse ou participent à un colloque à indiquer, au préalable, leurs liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Or, force est de reconnaître que cette législation est mal, sinon pas, appliquée. Quelle en est la raison selon vous ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Je répondrai d'autant plus volontiers que nous avons, en interne, réfléchi à cette question, constatant que nous figurions parmi les premiers à déplorer les manquements à ce type d'obligations légales alors que nous-mêmes ne l'appliquions pas, citant un expert médical sans faire état, comme nous le devrions, de ses liens ou de l'absence de liens d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique. Il existe une contrainte à procéder à cette mention de manière systématique, surtout si ces experts ont des liens d'intérêts multiples. Nos réflexions actuelles nous conduisent à envisager aujourd'hui d'inviter le lecteur à se référer à notre site Internet pour trouver des informations plus complètes, en mentionnant simplement que l'expert déclare ou pas des liens d'intérêts. A cela s'ajoute le fait que les experts ne nous déclarent pas spontanément leurs liens d'intérêts. Or nous ne pouvons nous référer à aucune instance. Aux Etats-Unis, des initiatives ont émergé pour rassembler les données existant en la matière, les experts comme les industriels étant légalement tenus de déclarer les sommes perçues ou versées.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Aux Etats-Unis, le dispositif n'est pas encore en application.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Les institutions ne l'ont effectivement pas mis en place mais certains sites Internet ont commencé à mettre en ligne des données de ce type. Des efforts doivent, à mon sens, être accomplis pour trouver des solutions « praticables » qui offrent au public la possibilité d'être informé des liens d'intérêts éventuels.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

L'intérêt serait de savoir si l'expert détient ou non des liens d'intérêts. Cette mention n'exige pas beaucoup d'espace. L'inapplication du texte actuel ne provient donc pas d'une méconnaissance de celui-ci mais d'une difficulté technique d'application.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Je le pense, d'autant que certains médias seraient plutôt enclins à faire preuve d'une plus grande transparence, en s'appuyant sur la loi. Sans doute les rédactions doivent réfléchir à une solution intelligente pour appliquer cette disposition légale.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Le texte actuel, s'il était amélioré, pourrait-il être mieux appliqué ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

J'ignore s'il faut modifier le texte de loi ou, par décret, venir préciser les options permettant de satisfaire cette obligation légale. Peut-être faut-il seulement que certains médias se lancent, incitant les autres à faire de même.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Aucune décision n'a été prise. J'avais entrepris cette discussion avec l'ancienne direction de la rédaction. Je dois l'engager aujourd'hui avec la nouvelle direction.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Si, avant la deuxième lecture de la loi de bioéthique, apparaît une nouvelle découverte médicale, publierez-vous les liens d'intérêts ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

J'y suis favorable. Il convient de se montrer binaire et d'appliquer la loi ou ne pas l'appliquer. Il ne s'agit pas d'en faire application au gré des affinités et opportunités. Le même régime doit être appliqué à tous les experts.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Nous avons vécu trois phénomènes consécutifs assez étonnants !

Debut de section - PermalienPhoto de Janine Rozier

Comme vous le savez, je m'intéresse depuis longtemps aux établissements Servier, qui représentent un fleuron de mon département depuis cinquante ans et emploient de nombreux administrés. Vous avez fait paraître dans Le Monde du 17 novembre 2010 un article intitulé « Mediator responsable d'au moins 500 décès », dans lequel vous indiquez avoir sollicité, le 15 novembre, les établissements Servier qui vous ont précisé qu'ils n'étaient pas informés de l'annonce de l'Afssaps. Vous-mêmes étiez informés de cette annonce. Comment l'avez-vous su ? A quelle date ? Qui a rendu publique cette information ? Quels sont, dans ce cas, les liens d'intérêts ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Le Figaro avait publié une information sur une étude réalisée par la Cnam, à la demande de l'Afssaps, estimant la mortalité attribuable au Mediator à cinq cents personnes. S'en est suivie une période très confuse. La Cnam a publié un communiqué annonçant la mise en ligne d'une étude. Or celle-ci portait sur les hospitalisations attribuables à la prise du Mediator et non sur la mortalité. Mes consoeurs du Figaro m'ont confirmé l'existence d'une étude sur la mortalité, existence niée dans un premier temps par la Cnam avant d'être confirmée par son médecin conseil national, le professeur Hubert Allemand. Nous avons « rebondi » après la publication par Le Figaro d'informations qui se sont avérées exactes, s'appuyant sur l'étude de Mahmoud Zureik et l'analyse qu'en avait tirée Catherine Hill. J'ignore comment Le Figaro a obtenu cette information et je n'interroge jamais mes collègues sur leurs sources. Ces informations étaient tout à fait conformes à ce que j'ai pu constater une fois l'étude accessible au grand public. Je ne sais si la « fuite » provenait d'une personne qui avait un intérêt matériel ou moral et, selon moi, cela importe moins que le fait que, dans un premier temps et peut-être de bonne foi, le laboratoire ait indiqué ne détenir aucune information en la matière. Le laboratoire a ensuite réagi par des communiqués relativement perturbants, répondant uniquement à l'étude sur les hospitalisations et omettant totalement l'étude sur la mortalité.

Debut de section - PermalienPhoto de Janine Rozier

Je suis surprise que vous ayez été informés de l'existence de cette étude avant même le principal intéressé.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

C'est la réponse que m'a faite le laboratoire. Elle ne prouve en rien qu'il était ou n'était pas informé.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Lors d'une récente audition, nous avons identifié une pensée binaire, sans relais, entre l'outil statistique et une approche épidémiologique populationnelle, comme l'a souligné le professeur Acar, un spécialiste incontesté en la matière. J'ai été frappée, lors de cette audition, de l'impossible rencontre entre deux formes de pensée, les statisticiens éprouvant des difficultés à prendre en compte un certain nombre d'éléments cliniques.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Cette réflexion sur les éléments cliniques, que l'on oublie souvent aujourd'hui dans la pratique médicale, ne tend-elle pas à se généraliser ? Quelles sont les spécificités de cette crise sanitaire par rapport à toutes celles que vous avez pu suivre ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Il existe une difficulté permanente autour des questions de l'épidémiologie et, plus généralement, de l'utilisation des données chiffrées dans l'espace public. Tous les médecins ont reçu un enseignement de statistiques médicales, qui ne met pas en avant toutefois l'intérêt de pouvoir lire des résultats, analyser une étude et faire la distinction entre ce que l'on veut décrire, les limites de ce que l'on peut conclure à partir de cette description et la correspondance ou non avec l'observation clinique. Cette affaire donne l'impression de se trouver face à des parallèles qui ne se rencontrent pas puisque le travail des épidémiologistes a consisté à dire que, compte tenu des données sur la consommation du produit et sur la pathologie, telles qu'elles sont reflétées par l'activité hospitalière, il est possible d'effectuer une estimation et de fournir un élément mathématique permettant d'apprécier la précision. Ainsi, lors de la crise de la vache folle et l'émergence de cette nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-Jakob chez l'homme, les épidémiologistes britanniques ont avancé une donnée sur le nombre de victimes humaines de cette variante, leur fourchette étant comprise entre 63 000 et 132 000 victimes. Cette fourchette peut paraître vague mais les épidémiologistes se sont montrés rigoureux, ne cherchant pas à affiner leur résultat pour le rendre médiatiquement attractif. Telles sont les limites de l'exercice, qui constitue parfois le seul outil disponible.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Absolument. Le rapport du professeur Acar, de son côté, cherche à déterminer si, dans le cas précis d'un individu et en se référant à son expérience, l'on se trouve en présence d'une valvulopathie pouvant être expliquée par la prise de Mediator ou par d'autres causes. Ce positionnement ne converge pas avec celui des statisticiens. Nous devons nous montrer humble et reconnaître que les appréciations ne portent pas sur le même sujet et ne jugent pas selon la même logique.

Quant à la spécificité de cette crise, celle-ci a montré ses effets avec un certain retard. Le retrait du Mediator en novembre 2009 est en effet passé totalement inaperçu. Ce n'est qu'avec l'enchaînement, les mois suivants, de la publication du livre d'Irène Frachon et du procès en référé intenté par les Laboratoires Servier pour en empêcher la parution, que cette affaire s'est déclenchée, soit seulement au deuxième semestre de l'année 2010, voire à la fin de l'année. Cet effet retard diffère de la crise immédiate que nous avons pu connaître sur le retrait d'autres produits ou lors de la canicule. Par ailleurs, la présence d'aspects relevant subjectivement du scandale ne suffit pas. Il faut une certaine conjonction de phénomènes. Je ne crois pas que, dans le milieu médical, les Laboratoires Servier soient perçus comme un laboratoire comme un autre. Il s'agit en effet d'un laboratoire français, non coté en bourse comme beaucoup d'autres et incarné par son président fondateur, avec une personnalité forte.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Ce laboratoire présente quand même un profil particulier. Par ailleurs, en 1999, a été publiée dans la presse l'existence d'une « police » interne enquêtant sur les candidats au-delà des standards des ressources humaines, en particulier sur les opinions religieuses ou les orientations sexuelles. J'ai rencontré à l'époque un salarié, ancien militaire, ayant travaillé dans ce service et attestant de ces pratiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Janine Rozier

Je connais de nombreux salariés qui travaillent chez Servier, de toute catégorie et de toute opinion. Je n'ai jamais entendu parler de l'existence d'une enquête de moralité.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

J'ai conduit une enquête à l'époque. Une crise comme celle d'aujourd'hui a incité certains à s'exprimer alors qu'ils ne l'avaient pas fait jusque-là. Ces éléments sont présents dans les esprits et la réputation de ce laboratoire ne fait pas l'objet d'une appréciation très positive, d'autant qu'il mène une communication très serrée, élaborée en interne, donnant l'impression d'une maison qui fait corps pour se défendre d'attaques venues de l'extérieur ou, comme Jean-Philippe Seta l'avait évoqué devant vous, de multinationales malintentionnées.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Tout à fait. Celui-ci avait évoqué l'idée d'un complot venant de l'étranger.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Dans l'entretien réalisé par Marie-Pierre Subtil et Yves Mamou, Jacques Servier indiquait d'ailleurs que cette affaire constituait une fabrication totalement invraisemblable. Il me semble que la manière de communiquer sur le mode « tout est faux » prête davantage à une exacerbation de la crise. Ce rejet de toute responsabilité, outre qu'il ne montrait pas une compassion extrême pour les victimes potentielles, donnait une impression de « bunker ». Je pense que cet élément marque une différence avec les autres crises sanitaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Quelle serait votre position si Servier demandait un droit de réponse sur votre article du 13 mai relatif à la filiale britannique du groupe ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Le droit de réponse est prévu par la loi. S'il est réalisé dans les formes prescrites, nous nous conformerons à la loi.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Pas à ce jour.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Quels sont les liens entre la presse d'information générale et la presse médicale ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Il existe, d'abord, des liens humains puisque j'ai travaillé dix ans dans la presse médicale avant de rejoindre la rédaction du Monde en 1999. De tels parcours existent.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Il existe peu de médecins journalistes. Sandrine Cabut, journaliste au Figaro, est médecin et a travaillé dans le même groupe médical que moi.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

J'ignore cependant si elle avait travaillé dans la presse médicale avant de rejoindre la rédaction du Figaro.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Cela se révèle en effet peu fréquent. Des contacts professionnels existent aussi puisque nos activités professionnelles nous amènent à nous fréquenter. Je connais un certain nombre de personnes travaillant dans la presse médicale aujourd'hui. Or elles ont éprouvé une certaine difficulté à traiter de l'affaire avant la publication du rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). Le Panorama du médecin et son site Egora.fr ont évoqué l'affaire au préalable mais d'autres journaux se sont montrés plus timides.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Cela ne me paraît pas étonnant. Si, dans la presse générale, les recettes publicitaires se révèlent diversifiées, elles proviennent uniquement, dans la presse médicale, de l'industrie pharmaceutique. Le quotidien Impact Médecin Hebdo avait ainsi été sanctionné par le laboratoire Synthélabo après avoir publié une manchette sur le retrait du marché d'un produit psychotrope.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je crois que ce quotidien l'a compris puisqu'il envoie désormais son article, avant de le publier, au laboratoire.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Il existe également un lien avec les politiques mises en place. Hier, dans le cadre de notre mission d'information sur la toxicomanie, nous avons auditionné M. Maraninchi, qui nous a indiqué que l'on pouvait estimer à 270 cas par an le nombre de décès par overdose dont 57 % étaient attribués à des drogues illicites, le reste provenant de l'utilisation de médicaments licites, soutenus par une politique de substitution et sur lesquels le silence est gardé. N'existe-t-il pas un lien ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Je n'en ai pas la conviction. Je me rappelle avoir évoqué les détournements d'usage, notamment du Subutex, car les acteurs de lutte contre la toxicomanie, associatifs ou institutionnels, s'en préoccupaient et avaient pris une position commune visant à rechercher, avec l'industriel, comment rendre insolubles ces comprimés afin qu'ils ne servent pas en injection. La toxicomanie représente un secteur aujourd'hui plutôt en déshérence sur le plan médiatique et je crains que vous ne trouviez moins d'articles consacrés aux questions de toxicomanie qu'il y a cinq ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Pensez-vous que vos articles peuvent influencer les autorités sanitaires ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Il faut se garder à la fois d'être présomptueux et de renoncer, pensant que cela ne sert à rien. Il faut être conscient que nous avons un devoir d'information, à mener avec la plus grande intégrité possible. A défaut, mieux vaut s'arrêter. Pour autant, nous ne faisons/défaisons pas les politiques et il ne suffit pas d'un article pour causer la mort d'une entreprise. Personne n'est cependant indifférent à un article. L'effet « Dracula », utilisé pour une directive européenne portée à la connaissance du public par des opposants au texte, me semble illustrer ce phénomène. Exposé en pleine lumière, le texte a montré les difficultés qu'il entraînait et a été abrogé. Ce n'est pas pour rien que les lois sur la transparence, aux Etats-Unis, sont appelées Sunshine Act. La presse contribue, à côté des institutions elles-mêmes, à exposer des faits.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Je souhaiterais vous interroger sur un article que vous avez publié dans la Tribune de la santé, à l'automne 2010, où vous recensez de manière exhaustive les effets pervers que peut avoir la logique commerciale sur la qualité de la recherche clinique. Vous mettez en contradiction la logique d'un système qui recherche le retour sur investissement et la logique qui met en avant l'intérêt du patient et la santé publique, deux logiques qui ne coïncident pas toujours, comme le démontre notamment l'affaire du Mediator. Vous citez en particulier un professeur mexicain, le directeur de l'Institut national de neurologie et neurochirurgie de Mexico, qui propose davantage d'indépendance en matière de recherche clinique sur les médicaments. Pourriez-vous exposer ces recommandations, dont nous pourrions tirer profit ?

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Il s'agit d'une préoccupation de plus en plus présente dans la presse médicale anglo-saxonne. Ainsi, récemment, dans le British Medical Journal, des chercheurs ont évoqué la difficulté d'obtenir des données auprès de l'Agence européenne du médicament, qui se montre extrêmement réticente. Aux Etats-Unis, la Food and Drug Administration se fait communiquer les données brutes très en amont, puisqu'un médicament qui va faire l'objet d'essais cliniques doit obtenir un statut particulier auprès de l'Agence, un statut qui implique que le protocole des essais cliniques lui soit présenté.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

La législation a évolué en 2007, venant renforcer le système, probablement suite au « raté » sur le Vioxx.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

Le Sénat regrette que son rapport de 2006 et les propositions qu'il contenait n'aient pas été suivis d'effet au niveau institutionnel.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

L'agence américaine présente des avancées par rapport aux agences européennes mais elle ne constitue pas un système parfait. Les acteurs et la transparence jouent dans le désamorçage de tels dérapages. Outre les difficultés d'accès aux données brutes, la loi américaine, notamment, prévoit seulement que le médicament doit être efficace et sûr. Les études contre placebo suffisent et point n'est besoin de démontrer qu'il apporte plus que le médicament existant. Des revues publient de plus en plus d'articles en faveur des études d'efficacité comparée par rapport à un traitement de référence. Le rôle des revues a par ailleurs fait l'objet de réserves. Une étude qui n'a pas fait l'objet de publications, en effet, n'existe pas. Je citais dans mon article des analyses démontrant que le bénéfice de financements privés constitue un facteur influant statistiquement sur les chances d'être publié, de même que le fait de produire des résultats favorables au produit. J'évoquais enfin les préoccupations concernant la délocalisation des essais cliniques, citant la proportion croissante d'essais impliquant des centres situés en dehors des grands pays industrialisés.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous connaissons les raisons de ce phénomène : les essais s'y révèlent beaucoup plus faciles.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

Certains pourront dire qu'il s'agit d'un procès d'intention mais l'on peut quand même s'interroger sur la rigueur avec laquelle le consentement éclairé est obtenu et sur le respect des règles éthiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Thérèse Hermange

J'ai en tête l'exemple d'un médicament en cancérologie refusé aux Etats-Unis mais utilisé en France, qui représente une véritable bombe atomique. Les Etats-Unis demandent aussi à un certain nombre de pays industrialisés de pratiquer des essais cliniques pour étendre ou non l'utilisation du produit.

Debut de section - Permalien
Paul Benkimoun, journaliste en charge des questions de santé et de médecine au quotidien Le Monde

D'autant que les mêmes produits appliqués à des populations différentes n'ont pas forcément les mêmes effets. Des exemples démontrent les effets différents entre les populations d'Europe du Nord et d'Europe du Sud. Les essais délocalisés ont pris une place prépondérante pour des questions plus économiques que de prise en compte de populations plus larges. De ce point de vue, l'administration américaine a reconnu la difficulté à pouvoir contrôler ce qu'il se passait dans ces centres, ignorant même parfois les centres participants. Des propositions ont été formulées par la rédactrice en chef et le médecin mexicain en vue de mettre en place une instance distincte, indépendante de l'essai lui-même et de l'agence, c'est-à-dire distincte du processus de l'essai et du contrôle de celui-ci. Ceci pose d'emblée, cependant, la problématique de la disponibilité des experts compétents et entièrement indépendants en ce domaine. Il ne faut pas penser qu'il existe une solution miracle en termes de structures. L'on peut trouver des procédures qui vont renforcer la clarté et éviter certains biais mais les décisions humaines entrent aussi en jeu.

Debut de section - PermalienPhoto de François Autain

Nous vous remercions pour cette audition, dont nous tirerons le meilleur profit.