Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a entendu Mme Catherine Lucet, directeur général des éditions Nathan, présidente de l'association Savoir Livre, et Mme Pascale Gelebort, directrice de l'association.
a indiqué que l'association « Savoir Livre » regroupait les six principaux éditeurs du livre scolaire et avait pour objet de défendre la place du livre à l'école, ainsi que celle des outils pédagogiques numériques, qui constituent eux aussi un précieux instrument d'apprentissage au service des professeurs, des élèves et de leurs parents.
Elle a estimé que l'on devait considérer aujourd'hui les livres et les supports numériques comme des outils complémentaires et indissociables plutôt que rivaux.
Elle a rappelé que l'édition scolaire restait un secteur modeste, qui ne représentait, avec 226 millions d'euros, qu'un peu moins de 10 % du chiffre d'affaires global de l'édition française et 1,3 % des titres publiés.
Elle a précisé que ce secteur était largement tributaire des changements fréquents de programmes, indiquant qu'un décret avait récemment ramené de 14 à 12 mois le délai séparant leur publication de leur entrée en vigueur. Elle a déploré que ce manque de visibilité ne facilite pas, pour les éditeurs, la mise au point d'ouvrages pédagogiques de qualité.
Evoquant ensuite la fourniture des livres scolaires, elle a précisé que celle-ci relevait, pour l'enseignement primaire, de la responsabilité des communes, déplorant que cette responsabilité, qui ne se double d'aucune obligation, aboutisse à un accès inégal des élèves aux outils pédagogiques. Elle a cité des études récentes, qui montrent en effet que plus de 400.000 écoliers n'utilisent pas de manuels et qu'un million utilise des manuels qui ne sont plus conformes aux programmes, des disciplines comme l'histoire et la géographie étant les plus touchées par ce phénomène.
Elle a déploré que, cette pénurie d'ouvrages conduise d'ailleurs souvent les enseignants à renoncer à réclamer aux municipalités de nouveaux ouvrages, pour se rabattre sur l'emploi de photocopies qui tendent à se répandre dans l'enseignement primaire.
Une étude du Centre français de la copie évalue ainsi à 60 le nombre moyen de photocopies par an et par élève, 15 % des écoles allant même jusqu'à 150 photocopies par an et par élève.
Elle a regretté que, du fait de l'absence d'articulation fonctionnelle entre les communes et le ministère de l'éducation nationale, les municipalités ne soient pas tenues informées des modifications de programme.
Elle a précisé, ensuite, que le montant de la dépense consacrée au livre scolaire s'élevait à un peu moins de 15 euros par élève et par an, déplorant que la France soit, comparée à ses partenaires européens, en queue de peloton pour ce qui est de l'effort en faveur du livre scolaire, alors qu'elle se situait encore dans la moyenne quand l'achat des livres était à la charge des familles.
Evoquant la fourniture gratuite de livres scolaires instituée à partir de 2004 par de nombreuses régions, elle a indiqué que celle-ci avait, suivant ses modalités, des effets induits différents sur le secteur de la librairie : les achats directs et centralisés la pénalisaient, alors que le système des cartes à puces ou des crédits attribués aux parents pour effectuer eux-mêmes l'achat des ouvrages était en revanche neutre.
Elle a critiqué en outre un des effets indirects de la globalisation des crédits par la LOLF : la subvention versée aux départements pour l'achat des livres scolaires est dorénavant fondue au sein d'une enveloppe globale qui recouvre une grande variété d'actions. Elle a noté que, pour la première fois, en 2006, plus de 500.000 collégiens de 5e n'avaient pas de manuels conformes aux nouveaux programmes et que la moitié des élèves de 6e n'avaient pas de manuels de langue et ne disposaient pas de manuels actualisés. Elle a indiqué que cette situation était une source d'inquiétude pour les parents, qui voient dans les manuels scolaires un des paramètres de l'égalité républicaine. Cette inquiétude a été relayée par la presse et par les questions parlementaires.
a précisé que les changements de programme n'affectaient pas également les différentes disciplines : ceux-ci sont trop fréquents dans certaines matières et trop peu nombreux au contraire dans les sections technologiques ou professionnelles.
a noté que l'écart qui sépare fréquemment le niveau constaté des élèves et celui des exigences posées par les programmes officiels contribue à rendre délicate la rédaction des manuels scolaires.
Elle a précisé, en outre, qu'une enquête récente avait montré que, seuls, 10 % environ des enseignants prenaient connaissance des changements de programme dans le bulletin officiel de l'éducation nationale, contribuant à ralentir leur prise en compte effective, qui repose de ce fait largement sur les nouveaux manuels.
s'est inquiétée de la diminution de 14 % des crédits inscrite à l'action 14 de la mission « Enseignement scolaire » dans la loi de finances initiale pour 2007, alors que le montant des crédits de 2006 était déjà insuffisant. Elle s'est demandé si cette diminution de l'effort de l'Etat ne constituait pas l'amorce d'un nouveau transfert en direction des conseils généraux.
Abordant ensuite la question du développement des technologies numériques à l'école, elle a cité une récente étude, réalisée par la Commission européenne, qui témoigne du retard pris par la France en ce domaine par rapport à ses partenaires européens. Certes, la France est dans le peloton de tête en matière d'équipements logistiques et de connections. Mais elle n'est qu'au 14e rang sur 27 lorsqu'il s'agit de la connection des établissements scolaires, qui ne disposent que très inégalement du haut débit, et c'est surtout en matière d'usages pédagogiques qu'elle est à la traîne, au 21e rang, du fait notamment d'une certaine réticence du corps enseignant, un professeur sur trois déclarant ne pas voir l'intérêt de ces nouveaux outils.
a rappelé qu'une introduction réussie des nouvelles technologies dans les établissements scolaires reposait sur cinq paramètres (la présence des équipements, leur maintenance, l'existence d'espaces numériques de travail, la participation d'enseignants formés et la disponibilité d'outils pédagogiques), dont la réunion supposait un pilotage fort.
Persuadée du potentiel pédagogique présenté par ces nouveaux outils, elle a estimé que l'école ne pouvait rester plus longtemps à l'écart d'un monde où les élèves sont déjà pleinement immergés.
Elle a cependant reconnu que les outils numériques étaient encore en voie d'expérimentation et que le caractère très mouvant des technologies ne laissait pas nécessairement à ces nouveaux instruments pédagogiques la possibilité de subir l'épreuve du temps. En outre, les éditeurs ont commencé à élaborer des logiciels pédagogiques expérimentaux, sans que ceux-ci aient pour l'instant trouvé leur marché et leur modèle économique.
Même si certains enseignants commencent à y recourir par une démarche volontaire, elle a regretté que l'utilisation de ces outils dans l'enseignement primaire ne fasse pas l'objet, comme au Royaume-Uni, d'une politique volontariste.
Un débat a suivi l'exposé de Mmes Catherine Lucet et Pascale Gelebort.
a demandé quelle était l'attitude des enseignants à l'égard des nouveaux outils numériques.
a souhaité davantage de précisions sur la mise en oeuvre des changements de programme et leurs conséquences pour la réalisation des manuels scolaires. Elle a estimé, par ailleurs, que, d'un point de vue pédagogique, les photocopies ne pouvaient véritablement remplacer les manuels.
a noté que les inégalités territoriales en matière d'accès au livre scolaire étaient préoccupantes et méritaient une réflexion sur les moyens de mieux garantir l'égalité des chances.
s'est demandé si l'attitude circonspecte des enseignants à l'égard du numérique ne s'apparentait pas à l'hostilité qu'ils manifestent traditionnellement à l'égard de la télévision. Il a estimé que l'école ne pouvait se désintéresser de médias qui appartiennent au monde contemporain et dans lesquels sont immergés les élèves, même s'il a déclaré partager l'attachement des enseignants aux formes fondamentales de la pensée écrite traditionnelle. Il a particulièrement insisté sur la nécessité de ne pas ériger la technique comme une fin en soi. Enfin, il a estimé qu'il conviendrait sans doute, pour pallier les inégalités géographiques pointées par les intervenants, de transposer dans le domaine de l'école des mécanismes du type de ceux qu'a instaurés en matière de logement la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains (SRU).
a estimé que la période actuelle était une période de transition, et que la coexistence du support papier et des nouveaux outils numériques aggravait les problèmes de financement. Il a demandé si le développement du numérique avait modifié le contenu des ouvrages.
s'est demandé si, à l'image du minitel que France Telecom proposait gratuitement à ses abonnés, on ne pouvait imaginer que l'Etat apporte un petit capital pour l'équipement des enfants.
Revenant sur la globalisation des enveloppes financières consécutive à la LOLF, il a noté que cette fongibilité ne s'accompagnait pas d'une augmentation des crédits.
En réponse aux différents intervenants, Mmes Catherine Lucet et Pascale Gelebort ont apporté les informations suivantes :
- si certains enseignants commencent à expérimenter les nouveaux supports pédagogiques numériques, ils pâtissent, cependant, dans l'ensemble, d'un manque de formation à l'usage des technologies ;
- un récent décret a ramené de 14 à 12 mois le délai qui sépare la publication au Bulletin officiel d'un nouveau programme, et son entrée en vigueur ; ce délai peut être raccourci à titre exceptionnel, en cas d'urgence, à l'initiative du ministre ; toutefois, les circulaires relatives à l'enseignement primaire entrent en vigueur immédiatement, car elles n'ont pas le statut de changement de programme, alors qu'elles sont susceptibles d'imposer des aménagements non négligeables ;
- le financement des contenus numériques est fréquemment financé par la publicité, mais il est évident que cette source de financement ne serait pas adaptée à des contenus scolaires ; par ailleurs, les familles sont prêtes à consentir un effort important, comme le montre le succès des cours de soutien scolaire privés ; peut-être pourrait-on envisager, dans ces conditions, une participation des familles en fonction de leurs revenus, sans pour autant remettre en question les principes de gratuité et d'égalité ; en Grande-Bretagne, l'Etat consent un effort financier important en faveur des outils pédagogiques, et notamment des outils numériques, ce qui lui a permis, incidemment, de développer son industrie du multimédia ;
- certains manuels sont maintenant accompagnés de contenus numériques ; les enseignants, par exemple, ont ainsi, maintenant, souvent la possibilité de télécharger des livres destinés au professeur.
La commission a ensuite entendu M. Xavier Garambois, directeur général d'Amazon France.
a rappelé qu'Amazon était une société américaine créée en 1995, et qu'elle s'était imposée sur un concept simple : rendre disponible au consommateur le million de titres proposés par l'édition américaine, et qu'aucune librairie traditionnelle ne peut intégralement proposer. Au bout de dix années d'existence, Amazon couvre maintenant l'Amérique du Nord, l'Europe et l'Asie, et son chiffre d'affaires s'est élevé en 2006 à 11 milliards de dollars. Certes, elle a largement diversifié son offre à d'autres biens (compléments alimentaires, chemises...), mais le livre continue de représenter son point fort, et elle s'est taillé dans ce secteur une part de marché importante.
a ajouté qu'Amazon s'était implantée en France à partir de 2000, et représentait aujourd'hui entre 4 et 5 % de la distribution du livre en France.
Il a présenté la stratégie de la firme, estimant qu'elle reposait sur un certain nombre de constats simples, opérés en se plaçant du point de vue du lecteur : celui-ci souhaite disposer d'un large choix, et Amazon lui propose 1,5 million de références en ligne, ce qui lui permet de couvrir l'intégralité du catalogue de tous les éditeurs français.
a jugé significatif le fait que les meilleures ventes portent sur des ouvrages édités il y a plus de 18 mois, et en a conclu qu'Amazon contribuait ainsi à l'allongement du cycle économique de vie du livre, au profit de l'auteur comme du lecteur.
Il a ajouté que sa société avait en outre constitué une plate-forme pour permettre aux libraires de vendre des livres sur Amazon, et notamment des livres d'occasion.
Il a précisé qu'Amazon s'était dotée pour stocker les livres de vastes entrepôts de plus de 10.000 m2 dans la région de Lorient où elle employait 200 personnes. Il a indiqué que ses clients étaient dans l'ensemble représentatifs de la société française, avec malgré tout une concentration sur la classe d'âge 25/40 ans. Il a insisté sur le fait qu'Amazon permettait également à des clients éloignés des centres urbains de disposer d'une offre très large.
En réponse aux reproches souvent formulés par les libraires quant aux lacunes du conseil au lecteur, il a souligné qu'Amazon s'était équipée d'outils destinés à orienter le client, notamment grâce aux revues que réalisent certains lecteurs.
Enfin, il a indiqué que 9 millions de personnes consultaient le site d'Amazon chaque mois, sans que cela ne se traduise nécessairement par une réduction du chiffre d'affaires des librairies, et que la société comptait 1,5 million de clients.
Un débat a suivi l'exposé de M. Xavier Garambois.
a estimé que les libraires français n'avaient pas une vision apocalyptique de la concurrence d'Amazon, même s'ils s'inquiètent de la progression de ses parts de marché. Il a insisté sur le fait que le livre n'était pas un produit comme un autre, mais restait une oeuvre. Il a demandé des précisions sur les délais de livraison.
a jugé intéressant le fait que des libraires puissent participer au système mis en place par Amazon. Il a souhaité connaître les modalités de facturation du port.
a demandé si les technologies de vente utilisées avaient un effet sur le contenu des achats.
En réponse aux différents intervenants, M. Xavier Garambois a apporté les indications suivantes :
- les libraires éprouvent encore des réticences à l'égard du commerce électronique ; les systèmes de plates-formes numériques en ligne qu'ils envisagent peuvent se faire indépendamment ou en partenariat avec Amazon ; aucun dialogue en ce sens n'a toutefois encore été établi ;
- les techniques de vente utilisées par Amazon sont celles du marketing et reposent sur l'historique des achats d'un client ; ceux-ci permettent de cerner ses goûts, et de proposer en priorité des ouvrages qui leur correspondent ; mais de nombreux clients continuent de se promener dans les rayonnages virtuels ;
- le bouche à oreille joue également son rôle ; il est sans doute responsable du succès rencontré par le « Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens », publié en 1981, et qui reste une des meilleurs ventes ;
- la livraison des livres est gratuite pour l'acheteur ; les délais sont de 2 ou 3 jours si la référence est en stock ; de deux semaines, dans les autres cas, et de six semaines pour les ouvrages américains ;
- Amazon a les taux de retour les plus faibles de tout le secteur de la distribution.