Mission commune d'information Agences de notation

Réunion du 9 mai 2012 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • allemagne
  • notation
  • note
  • prévision
  • standard
  • standard & poor's

La réunion

Source

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Nous ferons un rapport fidèle de cette audition à notre présidente, Frédérique Espagnac, absente ce matin.

Vous avez demandé le huis clos, procédure assez rare dans le cadre parlementaire. Quelles raisons motivent cette demande ?

Debut de section - Permalien
Carole Sirou, Présidente de Standard & Poor's France

J'ai en effet souhaité que nous puissions échanger de manière extrêmement ouverte. J'ai toute confiance dans les membres de la mission pour ce faire. La présence de journalistes entraîne généralement des citations ou des commentaires sortis de leur contexte qui, dans les minutes qui suivent, font l'actualité. Je pense que la sérénité des échanges gagne à ce que ceux-ci aient lieu dans un esprit d'ouverture, étant donné le calendrier dans lequel nous nous trouvons.

Lorsque vous êtes venus dans nos bureaux, la presse n'était pas présente non plus. Depuis de nombreux mois, les journaux replacent tous nos propos dans un contexte qui vise à créer le buzz médiatique. Ce n'est pas notre souhait. Je ne pense pas que ce soit le vôtre...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Les membres de cette mission n'ont guère médiatisé les échanges qui ont pu avoir lieu. Nous sommes là pour nous forger une opinion. Chacun a certainement éprouvé des a priori ; le but des diverses auditions est de conduire à la plus grande objectivité possible. Cela étant, je n'occulterai rien dans le rapport que je signerai. Nous essaierons de nous conformer le plus fidèlement possible à toutes les auditions que nous avons pu avoir. Nous nous formerons une opinion à partir de ce que nous aurons pu entendre. Standard & Poor's est un acteur important qui nous permettra de réaliser une synthèse et d'établir une opinion la plus précise possible.

La parole est à M. Kraemer, qui s'exprimera en anglais. Nous recourrons donc à la traduction simultanée...

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Je vous remercie de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui au sujet de la notation souveraine de Standard & Poor's.

Je suis à la tête de l'équipe d'évaluation et de notation souveraine de Standard & Poor's, chez qui je travaille depuis douze ans maintenant. Je suis, à Francfort, à la tête d'une équipe d'analystes qui travaillent dans toute l'Europe. Nous comptons des collègues à Londres, Madrid et Paris.

Je suis heureux de pouvoir répondre à toutes vos questions sur les notations souveraines et sur le processus qui les sous-tend, en particulier celle de la France.

Je mène ce travail depuis plus d'une décennie. Je suis Docteur en économie ; avant de travailler chez Standard & Poor's, j'ai travaillé dans le domaine fiscal international. J'ai passé beaucoup de temps chez Standard & Poor's et j'ai donc pu apprécier la façon nos critères se sont développés au fil du temps. Il est très important pour nous de recruter les personnes adéquates qui présentent un mélange de compétences, de savoir-faire financier et économique. Il nous faut également des experts qui ont un sens aigu de l'analyse politique et des contraintes à prendre en compte lorsqu'on évalue un pays. C'est très clair en Europe, notamment en Grèce où la question est moins économique que politique. On choisit donc les candidats à ces postes avec beaucoup d'attention comme en témoignent les profils de notre équipe analytique. Ainsi, mon collègue, l'un des premiers analystes de la France, a travaillé très longtemps au sein de la Commission européenne. Son expérience nous est très précieuse car elle nous permet d'exécuter nos tâches du mieux possible, pour le bien du pays concerné.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Les autres agences de notation n'ont pas eu les mêmes analyses que vous. Il serait intéressant de savoir ce qui vous différencie dans cette analyse. Est-ce parce qu'il est difficile de dégrader un pays important de l'Union européenne comme la France ? S'agit-il de raisons objectives ?

On nous a dit que soixante-dix personnes travaillaient en France chez Standard & Poor's et que deux analystes avaient décidé de cette dégradation, l'un résidant en Espagne, l'autre en Allemagne. L'évaluation d'un pays tient compte de chiffres objectifs incontournables mais une évaluation peut également être teintée de subjectivité dans la mesure où il s'agit d'un cocktail d'analyses politiques, d'évolutions de ses dirigeants, de leur fidélité à des programmes ou au contraire de leur soumission à des normes internationales. Un certain nombre de paramètres sont moins incontournables que ne le sont les chiffres du déficit du commerce extérieur, de la démographie, du déficit budgétaire, etc.

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Les conclusions des différentes agences de notations ne constituent pas une faiblesse mais une force. Qu'est-ce qu'une notation ? Une notation a une ambition plutôt limitée : l'objectif est d'évaluer pour l'avenir la probabilité de défaut d'une organisation, d'un pays, etc.

C'est un événement qui ne se produira peut-être jamais. C'est tout à fait différent de ce que fait une société d'audit qui travaille sur un ensemble de règles précises et étudie les comptes reflétant le passé. Nous travaillons quant à nous sur l'avenir et ce sont des questions extrêmement complexes. Il n'est donc pas vraiment surprenant de constater que certains observateurs, dans certaines organisations, arrivent à des conclusions qui ne sont pas toujours les mêmes.

Une partie de ceci tient aux différences de critères pris en compte. Nous disposons de quelques fondamentaux, comme les statistiques, la performance politique et budgétaire, l'environnement économique, dont vous avez parlé, etc. Ces critères sont communs à toutes les autres agences de notation, mais nous les pondérons de façon différente. C'est ici qu'entre en ligne de compte l'élément qualitatif, surtout s'agissant de la notation d'un pays.

Le défaut de paiement de tel ou tel pays ne concerne pas tant la capacité à payer que la volonté de payer. Tout défaut de paiement relève d'une décision politique, alors que le pays a en principe les moyens de payer. Ce sont des dossiers différents de ceux pour lesquels nous disposons de procédures de faillite.

Je ne suis pas en mesure d'avancer d'arguments concernant l'avis émis par nos concurrents, Moody's et Fitch, au sujet de la France. Je ne connais pas leur méthode mais il n'est jamais facile de dégrader un pays. L'an dernier, nous avons dégradé les Etats-Unis, pays important s'il en est... Il faut appliquer les critères disponibles publiquement. Nous vous encourageons à les étudier car nous pensons que notre document est concis et transparent. Je pense qu'il existe des différences minimes mais les agences sont d'accord sur le fait que la France, les Etats-Unis, l'Allemagne et la Grande-Bretagne sont des pays dont le crédit est très fort. Historiquement, aucun pays souverain bénéficiant d'un triple A (AAA) n'a jamais fait défaut. Dans tous les cas, la probabilité de défaut est minime mais il peut exister des nuances.

Qui est responsable de la décision d'évaluation ? Je suis heureux de pouvoir répondre à cette question. Toute évaluation souveraine est faite par une équipe « pays » de deux personnes. Celle de la France est composée de mon collègue basé à Madrid et de moi-même. Cette équipe est responsable de la préparation des informations destinées à la réflexion du comité de crédit. La décision sur la notation n'est en effet pas prise par ces deux personnes mais par le comité de crédit, composé d'analystes d'Asie et des pays du Pacifique, d'Europe et des Etats-Unis. L'équipe présente au comité de crédit une recommandation afin de savoir s'il faut confirmer la notation, en changer la perspective ou si celle-ci peut être améliorée ou dégradée. Le comité de crédit, après délibération approfondie, suit une « check-list » précise afin d'être certain que tous les aspects ont bien été évalués et vote à la majorité. Cette instance est toujours composée d'un nombre impair de personnes. Sept seniors font partie du comité de crédit, où l'abstention est interdite. On ne peut donc se trouver face à une situation de blocage.

Cette décision est ensuite transmise au Gouvernement ou à l'entreprise concernée puis publiée après un laps de temps de douze heures. Il n'est pas vrai qu'une équipe de deux personnes décide seule de la notation de la France. La décision est celle du comité de crédit.

Ne serait-il pas préférable qu'une personne vivant en France participe à ce processus d'élaboration et de prise de décision ? Je ne pense pas que ce soit nécessaire. Nous notons 128 pays souverains : il serait donc difficile de compter sur des personnes résidant dans chaque pays. Cet exercice de notation est un exercice de comparaison relative d'un pays par rapport à un autre. Il est essentiel de comprendre les différents points de comparaison.

En Europe, nos équipes peuvent très efficacement comparer le crédit de la France par rapport à celui de l'Allemagne, du Luxembourg, etc. Il est souhaitable selon nous que les analystes en soient capables. Le lieu de résidence est pour moi secondaire...

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Combien d'heures par an passez-vous sur la notation de la France ? Quel est le coût pour Standard & Poor's de cette notation qui n'est pas sollicitée et qui, je l'imagine, représente une certaine importance ? Enfin, selon quelle périodicité remettez-vous en question cette notation ?

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Combien d'heures passons-nous à évaluer la France ? C'est une très bonne question à laquelle je ne saurais répondre ! Il faut comprendre notre façon de travailler : il n'existe pas de crédit-temps alloué à chaque pays. Toutefois, nous passons plus de temps sur le cas de la France, de l'Allemagne ou des Etats-Unis, voire de la Grèce que sur celui du Cameroun par exemple.

Cela dépend également de la situation de chaque pays. La zone euro requiert beaucoup plus de temps qu'en 2004 ou 2005, époque à laquelle on n'était pas encore dans la crise. Nous passons le temps qu'il faut afin de constituer un bon dossier pour le comité de crédit. Cela peut varier d'une année à l'autre.

Prenons le cas de la Norvège d'une part et de l'Espagne de l'autre. La Norvège bénéfice d'un triple A (AAA) et de perspectives très stables. Le crédit est bon, la situation politique aussi. C'est un pays riche, sans beaucoup de dettes. Il n'y a pas beaucoup de changements dans un sens ou un autre. Il faut plus de temps pour analyser l'Espagne, où beaucoup de changements sont en cours. Il existe là-bas une crise bancaire et fiscale. On rencontre beaucoup de fluctuations politiques, en plus de tout ce qui se passe régionalement. Si nous devons consacrer plus de temps que prévu à l'Espagne, il faut renforcer les équipes et apporter plus de ressources. C`est d'ailleurs ce que nous avons fait.

Je ne puis donc vous dire combien d'heures nous avons consacré à la notation de la France, en partie parce que nous disposons d'un certain nombre de personnes qui étudient ce sujet. Je pense que vous désirez savoir si nous avons accordé suffisamment de ressources à notre travail : la réponse est oui ! Nous ne prendrions pas de décision aussi importante en l'absence d'informations suffisantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

La note n'étant pas sollicitée par la France, je souhaite savoir à combien cela revient à Standard & Poor's. Chacun de nous comprend bien qu'il faut moins de temps pour évaluer la Norvège plutôt que l'Espagne mais je voudrais avoir une idée de la durée de l'évaluation consacrée à la France !

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Pourquoi notez-vous un pays qui ne vous a pas sollicités ?

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

La question du coût est une question de nombre d'heures, de frais fixes. Je ne saurais vous dire combien d'heures de travail ont été consacrées à la France. Je suis gestionnaire et travaille sur les analyses. Le plus important pour moi sont les frais de déplacement de mon équipe.

Vous affirmez que cette notation n'a pas été sollicitée. Aucun pays en Europe ne nous a jamais demandé de ne pas délivrer de notation. Le fait que la note n'est pas sollicitée signifie qu'il n'existe pas de relations contractuelles entre les deux...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Il est impossible de refuser une notation ! Ce serait désastreux pour notre image !

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Le cas s'est déjà produit en dehors d'Europe. Cela relève de la décision de chaque pays souverain ou de chaque entreprise. Les choses sont toutefois plus nuancées. Je ne sais si le Gouvernement préférerait ne pas avoir de notation mais, à ma connaissance, ce n'est pas le cas ! Le Gouvernement communique en effet avec nous et nous fournit des informations. Que ce soit souhaité ou non -et quel que soit le coût- est une question secondaire. En tant qu'analyste, il est de mon devoir de donner mon opinion professionnelle.

Combien de fois par an travaillons-nous sur la notation d'un pays comme la France ? Durant les années 2000, nous avons étudié la France une à deux fois par an. La situation était stable et il existait fort peu de probabilités que la situation ne change. Aujourd'hui, on étudie la France de plus près et beaucoup plus souvent. Nous n'avons pas de calendrier précis. Nous ne sommes pas une banque centrale ! On peut étudier certains pays plus fréquemment que d'autres. Aux Etats-Unis, de nombreuses réunions de comité de crédit ont eu lieu juste avant le changement de notation. Nous continuons à surveiller la situation de très près. Ces informations sont disponibles. On peut connaître les dates de réunion du comité de crédit mais on ne diffuse pas forcément de communiqué de presse après chaque réunion. Il en existe d'ailleurs beaucoup plus que vous ne le pensez...

Debut de section - Permalien
Carole Sirou, Présidente de Standard & Poor's France

Il s'agit d'un exercice comparatif. En étudiant l'Allemagne, on étudie les pays similaires et, indirectement, le Royaume-Uni, la France, etc. Le suivi est donc permanent, même si nous ne réunissons pas un comité de crédit formel sur chaque dossier tous les mois ou tous les trimestres.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Qu'est-ce qui déclenche la réunion du Comité de crédit ?

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Il existe des normes minimales : nous avons au moins une réunion de Comité de crédit par an et ce pour les 128 pays concernés. C'est un minimum qui suffit tout à fait dans des situations normales. Pour certains pays de l'eurozone, où les choses changent très rapidement, nous devons réévaluer la situation avec plus de fréquence. Ce sont des questions extrêmement complexes ; tout le monde n'est pas forcément d'accord sur les critères et c'est pourquoi nous avons des réunions.

Si la réunion est organisée plus d'une fois par an -c'est le cas pour tous les pays de la zone euro depuis douze mois- c'est en fonction de certains facteurs : on peut mener une revue de portefeuilles à des intervalles réguliers. On étudie la situation sur une base comparative, en examinant le cas d'autres pays souverains semblables afin de savoir si chacun est d'accord, si ce que l'on publie demeure valable ou si l'on doit réévaluer certains points.

Un autre facteur déclenchant peut venir du fait que l'analyste qui suit le pays estime nécessaire de convoquer une réunion au vu de certains événements. Le président du comité de crédit peut également organiser la réunion. Tout analyste senior aussi. Les référents qualité également : il s'agit de personnes qui surveillent ce que font les analystes. Il n'existe pas de calendrier fixe ; nous bénéficions de beaucoup de souplesse et de flexibilité. Si telle ou telle personne de l'agence estime que nous devons étudier à nouveau une notation, nous le faisons. Nous pensons qu'il s'agit d'une bonne initiative. Une hiérarchie trop forte laisse peu de souplesse et nous préférons avoir une base participative plus large et plus flexible. Nous estimons qu'il s'agit d'un atout qui permet de déceler un peu plus tôt tout changement.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

L'information générée par l'agence de notation joue un rôle important dans la sphère financière ; il faut donc s'assurer qu'elle est juste et précise. Or, vous nous disiez que vous travaillez sur l'avenir ; on ne peut comparer votre travail à celui d'une Cour des comptes ou d'experts-comptables qui se penchent sur des données réelles connues et qui émettent un diagnostic.

En ce qui vous concerne, vous travaillez sur l'avenir et essayez d'anticiper. On s'appuie donc sur un travail prospectif. On se pose dès lors des questions sur la fiabilité des méthodes permettant d'évaluer les choses et d'anticiper ce qui va se passer. Je pense en particulier au taux de croissance. On sait que le taux de croissance est déterminant pour l'assainissement financier d'un pays et pour générer de la ressource. Ce taux de croissance est dans certains pays de 7 ou 8 % -parfois plus- dans d'autres de 3 %, de 1,5 %, de 0,5 % voire négatif.

Par quelle méthode arrivez-vous à anticiper ce que pourrait être le taux de croissance de l'Espagne ou celui de la France dans trois à quatre ans ? C'est la condition même de la fiabilité de toute estimation des finances publiques ! Je sais que des éléments qualitatifs entrent en ligne de compte dans vos évaluations et qu'ils se fondent sur le contexte politique et social mais j'en reste à la question de la méthodologie. Comment arriver à proposer, à l'horizon de trois ou quatre ans, des estimations suffisamment fiables ? J'ai quelques interrogations sur ce processus d'élaboration de ces prévisions ? Pouvez-vous nous éclairer ?

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Vous évoquez la croissance économique. La méthodologie que nous utilisons est publique : vous verrez que le taux de croissance n'a pas autant d'impact qu'on le pense sur la valeur du crédit d'un pays. La Norvège a un taux de croissance inférieur à celui du Brésil mais le Brésil a une notation inférieure car il existe là-bas certaines caractéristiques structurelles économiques qui font que nous pensons que le pays est moins robuste que la Norvège.

En Europe, on parle beaucoup des ratios de dettes. C'est un pourcentage qui reflète le niveau de la dette par rapport à la croissance et c'est un vrai problème pour beaucoup de pays. On le dit depuis très longtemps et c'est pourquoi, au mois de janvier, nous avons modifié l'évaluation de certains pays car nous avons estimé qu'on travaillait trop sur les dettes et les déficits et qu'il était préférable de se concentrer sur les possibilités de croissance.

Dans quelle mesure nos prévisions sont-elles fiables ? Notre économiste, Jean-Michel Six, travaille sur les prévisions et nous menons le travail de tout expert en étudiant le PIB, les composantes de la demande, le niveau de consommation du secteur public et privé, les importations, les exportations, la constitution des stocks ainsi que les moteurs de la demande dans chaque pays. C'est ce qui a fait, qu'au bout du compte, nous avons été plutôt sceptiques concernant les perspectives de croissance de l'Espagne car, dès que vous enlevez de l'équation le financement par le crédit, les moteurs de croissance retombent à un niveau extrêmement modeste.

Certes, on n'arrive jamais à cibler totalement le chiffre parfait. Notre prévision peut-être de 1 % et la croissance finalement se révéler de 1,3 %. Ce sont des estimations. C'est différent du travail d'audit, dans lequel il ne s'agit pas d'estimations -bien que personne ne puisse être totalement certain des chiffres, même de ceux du PIB.

Nos prévisions sont cependant utiles, dans la mesure où elles nous ont toujours apporté une perspective réaliste concernant les économies des différents pays. Nous avons ainsi vu des positions trop optimistes et je pense qu'il est bon qu'on n'adopte pas automatiquement les estimations officielles. Nous arrivons à nos propres estimations car si on étudie le passé, on voit que les prévisions de la plupart de pays réalisées par leur propre Gouvernement sont trop optimistes.

Que la croissance soit de 1 % ou de 2 % d'ici un an à trois ans ne change pas la notation. Celle-ci devrait être stable et permettre à un pays de traverser un cycle économique. Nous ne voudrions pas dégrader la notation en temps de crise et l'améliorer en temps d'économie florissante. En ce moment, on vit un cycle économique qui constitue un vrai changement. Un cycle signifie que l'on se retrouve, à la fin de la crise, au même endroit qu'avant celle-ci. Je ne pense pas que l'on se retrouve dans un proche avenir dans la même situation qu'en 2005. Je pense que les modifications à la baisse reflètent en fait une faiblesse structurelle dans les différentes économies européennes et ailleurs.

Debut de section - PermalienPhoto de François Marc

Ce que vous venez de dire s'inscrit dans la logique habituelle de la prévision selon laquelle l'avenir est contenu dans le passé et qu'on peut donc dire ce qui devrait logiquement arriver en étudiant celui-ci. Or, le monde occidental est aujourd'hui dans une rupture où chacun se demande de quoi le modèle de croissance de demain sera fait. Comment va-t-on produire de la richesse, à partir de quel modèle ? Comment va-t-il évoluer relativement aux considérations environnementales, climatiques, technologiques ? C'est de la prospective et non plus de la prévision, plus facile à mettre en oeuvre. Ce n'est que sur une base prospective que l'on peut évaluer sur ce que fera tel ou tel pays d'ici trois à quatre ans.

C'est en cela que je m'interroge sur le modèle et la méthode que vous utilisez. Sur quoi vous fondez-vous pour obtenir cette vision experte de ce qui va se passer ? On veut augmenter l'épargne pour quatre à cinq ans -ou plus. Si on veut l'orienter, il faut pouvoir dire à l'épargnant que nous avons une vision très précise du modèle qui va émerger demain et l'inciter à placer son épargne dans telle ou telle direction ou dans tel ou tel pays. C'est sur ces méthodes que je m'interroge, que ne détiennent pas les conjoncturistes économiques. Peut-être en disposez-vous : c'est ce qu'il est intéressant de savoir...

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

L'agence ne donne pas de conseils aux épargnants mais émet une opinion sur la notation basée sur le crédit. On l'a dit, différentes agences peuvent arriver à différentes conclusions. Les investisseurs doivent donc en tenir compte pour évaluer leur propre situation. Je ne suis pas sûr de pouvoir en dire plus : nous réalisons des prévisions économiques, de la même façon que d'autres organisations. Nous étudions les fondamentaux, les moteurs de la consommation.

Les moteurs de la croissance miraculeuse de l'Espagne, depuis dix ans, reposent sur la consommation privée et l'investissement. Ce dernier concernait surtout l'immobilier et le BTP. Certaines personnes estiment qu'il existe aujourd'hui plus d'un million de logements qui ne sont pas occupés. La consommation privée était étayée par la baisse radicale du chômage, la croissance des salaires, plus rapide que l'inflation et la grande disponibilité du crédit bancaire. Tout cela n'existe plus : le chômage atteint des niveaux insupportables ; les salaires sont en baisse et le crédit n'existe quasiment plus. Quelle va être la réaction des consommateurs ? Nous en concluons qu'ils ne vont plus dépenser cette année et l'année prochaine. Les mêmes problèmes se posent en termes d'investissement. Pour ce qui est du secteur public, le Gouvernement doit réduire son déficit à moyen terme, que ce soit dans un ou deux ans. Les exportations peuvent tirer leur épingle du jeu mais la demande est en train de se contracter. C'est pourquoi nous pensons que l'économie de l'Espagne, à moyen terme, va stagner, avec un taux de croissance de 0 %, à plus ou moins 0,5 point durant trois à cinq ans. Nous ne pouvons vous en indiquer le détail. Au fur et à mesure que d'autres informations deviennent disponibles, on modifie nos analyses et on établit des prévisions mensuelles pendant un an ou deux mais imaginer l'état de l'économie dans vingt ans ou cinquante ans est quasiment impossible ! Notre horizon est de cinq ans s'agissant des notations.

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Je n'arrive pas à comprendre, dès lors que vous établissez une analyse, que vous n'en intégriez pas les conséquences. Dans une période de difficultés psychologiques, une épargne se crée naturellement : les gens ont peur et n'investissent donc pas. La croissance baisse et, automatiquement, la situation se dégrade. Quel est le bon équilibre entre le fait de donner un certain nombre d'éléments réalistes et de ne pas paralyser l'économie réelle ? C'est bien ce qui se passe aujourd'hui : notre pays est en crise, de plus en plus de personnes connaissent des difficultés pour vivre et l'épargne n'a jamais été aussi importante !

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Je suis tout à fait d'accord pour dire que l'environnement économique est extrêmement difficile. Cela atteint même la stabilité politique de certains pays. Je ne désire donc pas minimiser les défis auxquels l'Europe doit faire face.

Le rôle d'une agence de notation est d'exprimer une opinion concernant l'avenir. Celle-ci est basée sur des chiffres. Historiquement, nous avons toujours plutôt bien réussi mais vous semblez sous-entendre, si je ne me trompe, que les agences de notation sont en partie responsables de la crise...

Debut de section - PermalienPhoto de François Fortassin

Je ne le pense pas. Par contre, je crains qu'elles ne freinent la relance économique et la circulation de l'argent par leurs analyses.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Il s'agit d'une situation procyclique qui risque d'ajouter la crise à la crise -et j'aimerais introduire ici la notion de responsabilité...

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

C'est un cercle vicieux : lorsque vous dégradez un pays, vous provoquez une approche encore plus prudente de la part des investisseurs, qui entraîne par la suite une nouvelle dégradation.

A la lumière des faits, il est faux de prétendre qu'en dégradant un pays, les spreads risquent de s'élargir ou le coût de financement dudit pays d'augmenter. C'est aussi valable pour les Etats-Unis que pour la France. Les notations de Standard & Poor's pour l'Italie, la Grèce ou le Portugal ont commencé à être dégradées en 2004 : cela n'a pas eu le moindre impact sur le marché. Les investisseurs pensent que ces notations sont pertinentes et ont jusqu'ici servi à prédire les défauts. Les investisseurs ne prennent pas seulement en compte les forces et les faiblesses d'un pays souverain. Dans le cas de la France, les données concernant le marché, les spreads sur les obligations ou les assurances sur les CDS peuvent être transformés en probabilités de défaut, qui peuvent à leur tour devenir des éléments de notation. Le marché a commencé à dégrader la France il y a deux ans en termes de comportement. Les spreads ont alors commencé à devenir plus importants. Tout cela signifie que l'élément psychologique n'a pas grand-chose à voir avec ce que disent les agences de notation. Je m'exprime au nom de Standard & Poor's mais les autres agences doivent penser de même.

Nous avons toujours été extrêmement prudents pendant les cycles de croissance économique. Les marchés ont permis à tout les pays de la zone euro, à ses débuts, d'emprunter au même cours. Nos notes étaient au contraire différenciées. En ces temps de crise, nous sommes en revanche moins pessimistes. Nous pensons qu'il existe beaucoup plus de résilience en Europe que ce que croient les marchés. Dire que les notations sont procycliques n'est ni vrai, ni juste. S'il était prouvé que les marchés suivent les notations, on n'aurait pas connu l'exubérance et le désespoir auxquels on assiste aujourd'hui. Je pense qu'on aurait été face à un environnement de marché beaucoup plus stable. C'est pourquoi nous pensons que les notations sont utiles et pertinentes. Elles permettent de solidifier le comportement du marché mais en cas de véritable crise de confiance, les personnes ont un comportement moins rationnel. Ils tablent sur la peur, sont moins factuels et agissent sur la base des sentiments.

Nous avons essuyé beaucoup de critiques lorsqu'on a abaissé la notation de la Grèce. Le marché n'avait plus rien à proposer, les spreads ont augmenté, c'est vrai mais aujourd'hui, avec le recul, qui pourrait dire que nous avons pris une décision trop rapide ? La Grèce a fait défaut. Nous avons une notation triple C (CCC) qui signifie que nous pensons que la Grèce va encore une fois faire défaut. Sur la base des faits, avec le recul, on voit que nous avons eu raison alors qu'à l'époque, la décision était critiquée. Il ne faut pas sous-estimer les participants au marché et la façon dont ils réagissent. Ils ne suivent pas simplement les communiqués et les recommandations des agences de notation. Ils prennent en compte des facteurs qui ne correspondent pas en tout avec ce que nous pensons et disons. A long terme, cela fonctionne mais, à court terme, il peut y avoir beaucoup de volatilité. Quand le marché monte ou descend, c'est de façon incrémentale, petit à petit. En tant qu'observateur lambda, vous n'avez pas remarqué qu'en l'espace d'un an, le marché a dégradé la France de quatre ou cinq crans. Quand Standard & Poor's le fait, cela se fait en une seule fois et cela fait la une des journaux.

J'encourage les gens à étudier le niveau de rotation : la France, les Etats-Unis, l'Allemagne, la Grande-Bretagne ont des notations très élevées, avec fort peu de probabilité de défaut. Oui, les notations ont été abaissées mais ce n'est pas pour autant qu'il s'agit d'un cycle : il existe un véritable changement dans la structure des économies.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

J'ai été surpris de vous entendre dire que le fait que la croissance soit de 1 ou 2 % ne change rien à la capacité de rembourser des emprunts : une croissance de 2 % signifie des rentrées fiscales plus importantes et une plus grande capacité à rembourser. Cela a forcément une incidence sur le rating. Cette affirmation qui va à l'encontre du bon sens économique m'a quelque peu étonné !

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Je voulais dire par là qu'une augmentation du taux de croissance de 1 % par an changera beaucoup de choses à long terme mais ne modifiera pas la notation.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Selon vous, les agences sont moins volatiles que les marchés et indiquent des tendances lourdes. Vous êtes cependant démenti par un exemple douloureux pour l'économie mondiale, celui des subprimes qui, en quelques mois, sont passées de triple A (AAA) à « junk bonds ». C'est plus que de la volatilité : c'est de l'évaporation !

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

C'est vrai : pour certains, les dégradations de notes ont été extrêmement rapides. Ce n'est pas du tout ce qui aurait dû se passer. Je représente l'équipe de notations souveraine des pays. Je dois dire que les performances de la notation des subprimes nous ont déçus. Une des conséquences a été de remodeler les critères non seulement dans ce secteur mais aussi ceux relatifs à la finance structurée -secteurs bancaire, souverain, privé, etc.- et d'étudier attentivement la façon d'empêcher que cela ne se reproduise.

La finance structurée est différente de la notation des pays souverains. La base analytique n'est donc pas la même mais certaines suppositions de base, intégrées à l'époque dans les modèles d'analyse, n'ont été contestées ni par les politiques, ni par les régulateurs. Ces critères n'étaient finalement pas assez précis. Nous avons entrepris de grands efforts pour modeler la surveillance de ces secteurs. Cela a même touché le secteur des pays souverains. Ces changements visent à afficher plus de transparence. Je reconnais que nous devons constamment travailler sur les méthodologies et sur leur mise à jour. Nous avons été très déçus par les performances de la notation des emprunts structurés -même si c'est un secteur qui n'est pas le mien...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Vous avez utilisé le terme de « volatilité » du marché. Je pense que vous avez dû être surpris par celle-ci et que votre entreprise elle-même a été mise dans une position extrêmement gênante.

Vous avez dit que la note de la France a été dégradée en raison de l'impact des difficultés croissantes de la zone euro dans les domaines politiques, financier et monétaire. Cela ne concerne pas que la France mais également les autres pays de la zone euro. Pourquoi seule la France a-t-elle été dégradée ? Un pays comme l'Allemagne, socle de l'euro, n'a pas été touché...

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

La France n'a pas été le seul pays à être dégradé. Un nombre important de pays souverains l'ont été également. Parmi les triples A figuraient la France et l'Autriche. Vous évoquez l'Allemagne. Nous avons publié des communiqués de presse pour chaque pays expliquant les moteurs des modifications ou des absences de modifications au mois de janvier.

La France a, avec l'Allemagne, un certain nombre de points communs comme un certain niveau de prospérité et des institutions politiques fortes. Les différences qui se développent sont toutefois de plus en plus marquées. La première concerne les finances publiques ; la seconde réside dans la position externe de chacun des deux pays. L'Allemagne est un créancier externe très important, contrairement à la France et exporte beaucoup. Certes, il existe entre les deux pays des différences mais celles-ci ne sont pas si grandes : une note triple A ou AA + est encore associée à un risque de défaut minime.

Si certaines bases structurelles de l'Allemagne sont plus résistantes que celles de la France, d'autres sont plus faibles. La démographie française est par exemple plus dynamique que celle de l'Allemagne mais nous considérons cependant que l'Allemagne résiste mieux que la France ou que l'Autriche. C'est ce qui explique la différence minime de notation entre les deux pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Votre explication était globale : vous avez parlé de la « zone euro ».

Une question annexe : le fait qu'un pays soit exportateur de capitaux est-il considéré comme un critère positif ou négatif ? La France investit beaucoup à l'extérieur. Je crois que quatorze des cent plus grandes entreprises mondiales sont françaises, ce qui est considérable par rapport au poids économique du pays...

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

C'est une très bonne question ! Le fait d'exporter des capitaux signifie plusieurs choses. Il peut s'agir d'une fuite de capitaux. Les citoyens des anciens pays membres de l'Union soviétiques -Ukraine, Kazakhstan, Russie- préfèrent ainsi que leur argent soit sur un compte en banque suisse plutôt que russe ! Ce n'est pas un signe de force mais de faiblesse institutionnelle selon nos critères.

Pour en revenir à la France et à l'Allemagne, il est vrai que votre pays compte d'importantes entreprises qui investissent à l'étranger. Cela étant, chaque année, la France exporte moins qu'elle n'importe. Il faut donc emprunter. En Allemagne, c'est le contraire. Emprunter pour le compte du pays contribue à endetter le contribuable et les entreprises. Renoncer à la consommation crée des actifs à l'étranger, que vous pouvez vendre en cas de besoin. Si tel n'est pas le cas, c'est une faiblesse.

Est-ce une bonne chose pour l'Europe que l'Allemagne bénéficie d'un excédent aussi grand ? Ce n'est pas vraiment important. Si les excédents avaient été en baisse, il aurait été plus aisé de réaliser les ajustements nécessaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Vous avez dit qu'il existe un risque sur trois d'assister à une dégradation de la note française entre 2012 et 2013 si les finances dévient de la trajectoire prévue par les projets de consolidation budgétaire. Dans un rapport, vous estimez que « si la croissance économique de la France pour 2012 et 2013 se révélait inférieure aux prévisions annuelles du Gouvernement, respectivement de 1 % et 2 %, les mesures budgétaires annoncées à ce jour pourraient s'avérer insuffisantes pour atteindre les objectifs de réduction des déficits pour ces mêmes années ».

Au regard de l'actualisation des prévisions de croissance, existe-t-il une possibilité de reconsidérer la note française ?

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Nous avons déjà évoqué la surveillance de la situation de la France et d'autres pays : bien sûr, nous revoyons régulièrement nos prévisions mais votre question va plus loin. Nous pensons que les risques sont plus négatifs que positifs. Si une modification de notation devait intervenir, il s'agirait probablement d'une baisse. Ce n'est pas une certitude mais il existe plus d'une chance sur trois pour que ce soit le cas.

La notation de la France est basée sur un certain nombre de critères. Vous venez de citer une partie de notre rapport. Je voudrais aborder ici le sujet de la trajectoire de votre dette. Si la croissance est faible et que le déficit demeure élevé, le ratio de dette va le rester également et augmenter. Selon notre modèle de notation, il existe un certain seuil à ne pas dépasser, celui de 100 % du PIB. Ce n'est pas notre scénario pour l'instant et c'est pourquoi la notation n'a pas été abaissée mais on pourrait y arriver en cas de déficit de croissance important, la crise économique pouvant encore faire tache d'huile à travers le système bancaire. Ce n'est pas notre scénario de base mais le risque peut exister. Si cela se produisait, la pression sur la notation serait négative. Il s'agit de tendances à moyen terme. Nous n'entrons pas dans le débat européen sur un chiffre d'endettement de 3 % du PIB. Ce qui nous importe, c'est de savoir s'il va y avoir des modifications structurelles à long terme, ce qui permettra d'abaisser le ratio de dette. Nous devrons étudier de très près les mesures qui vont être annoncées par le nouveau Gouvernement. On parle aussi de modifications fiscales et je pense que si l'on conjugue les deux facteurs, ce sera décisif pour nous concernant les futures notations.

Nos critères sont plutôt transparents. Nous pensons que la France, pour les raisons structurelles que nous avons énoncées, court un peu plus de risques qu'un pays comme l'Allemagne.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Namy

Le changement de Gouvernement ou l'arrivée d'un nouveau Président de la République entraîne-t-il un a priori négatif ou positif de votre part ?

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Lundi, nous avons publié un bref communiqué précisant que l'élection de François Hollande à la présidence de la République française n'a pas pour nous de conséquences en termes de notation. Nous ne sommes pas pour ou contre tel ou tel candidat ou parti politique. Nous ne sommes pas là pour donner des conseils politiques. Nous allons nous concentrer, comme à l'accoutumée, sur les critères qui nous permettent d'évaluer le crédit et le risque d'impayé. Que la politique soit menée par un Gouvernement de droite ou de gauche nous importe peu. Nous ne regardons que les conséquences des politiques qui sont menées. Nous n'avons pour l'instant rien à dire en dehors de ce que nous avons déjà dit. Les élections sont légitimes et le mandat a été très clair. Dans un mois auront lieu les élections législatives ; il faudra ensuite décider ce que cela signifie pour le crédit de la France sur la base de nos propres critères. Je ne pense pas qu'il y ait grand-chose à dire de plus pour l'instant en dehors de ce que nous avons publié lundi...

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Namy

Je croyais, au sens politique du terme, vos annonces déjà faites en matière d'économie...

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Non. Je pense que l'économie est déterminée en partie seulement par le Gouvernement. Il peut décider de certaines choses mais non de tout. Une fois un programme gouvernemental établi par la France et par l'Europe -et je pense que certaines choses vont changer en Europe après l'arrivée de François Hollande- il faudra évaluer les conséquences de tous ces changements. Pour l'instant, nous devons nous baser sur les déclarations faites par les candidats pendant la campagne électorale, ce qui ne constitue pas pour nous une base très solide ou fiable.

Nous devons donc analyser les mesures, les modifications de politique qui pourraient être entreprises et en tirer les conséquences. Pour l'instant, nous n'avons pas assez d'informations. Si nous devons attendre pour prendre notre décision, nous le ferons.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Selon vous « un processus de réformes basé sur le seul pilier de l'austérité budgétaire risque d'aller à l'encontre du but recherché, à mesure que la demande intérieure diminue en écho aux inquiétudes croissantes des consommateurs en matière de sécurité de l'emploi et de pouvoir d'achat, entraînant l'érosion des recettes fiscales ». Comment cette phrase peut-elle être interprétée en termes de politique budgétaire et de politique de croissance ? Sur quelle décision la politique de croissance recherchée devrait-elle selon vous s'appuyer ?

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

Je reviens sur la question du pourcentage de dette par rapport au PIB. Ces ratios sont étudiés de très près et l'exemple de la Grèce démontre qu'un pays ne peut plus supporter de tels taux. C'est un cas extrême et je ne dis pas que c'est la situation de la France ou de l'Allemagne. Nous devons nous pencher sur les fondamentaux et sur le PIB nominal. De nombreuses réformes qui ont des conséquences positives sur le PIB ont malheureusement pour résultat secondaire de ne pas avoir d'impact immédiat. Ce sont des réformes qui requièrent plusieurs années avant de démontrer leur bénéfice. Le Gouvernement grec a fait beaucoup pour mettre en place des réformes structurelles favorisant la croissance, beaucoup plus qu'on aurait pu l'imaginer il y a quelques années mais il faut du temps. Les Italiens et les Espagnols sont en train de modifier le marché de l'emploi. Tout cela entraîne davantage de chômage à court terme. A long terme, les conséquences sont en principe positives.

Le bas taux de chômage allemand est le fruit de ce qui a été entrepris il y a six ans. Le problème est de savoir comment fournir un filet de sécurité suffisant en attendant que ces mesures aient un effet positif et évitent un défaut souverain.

Il existe beaucoup de débats sur ces points en Europe -et c'est très naturel- mais l'approche a tendance à devenir plus souple ; de plus en plus de gouvernements commencent à regarder la situation d'un oeil plus large et ne se concentrent pas simplement sur le remboursement de la dette et les économies. La consolidation de l'Espagne est un exemple. Dans le cas de la Grèce, c'est plus difficile : il faut tenir compte de beaucoup plus de facteurs, la crise bancaire minant en même temps la confiance des investisseurs.

Quelles seraient les réformes à mettre en oeuvre ? Ce n'est pas aux agences de notation de conseiller les gouvernements. J'espère que vous le comprenez. Certes, les gouvernements viennent parfois nous consulter pour savoir comment faire pour que leur notation reste saine ou s'améliore mais si l'on devait s'engager sur ce terrain, nous ne pourrions ensuite juger de façon indépendante et impartiale des politiques que nous aurions recommandées !

Nous estimons donc que la croissance est importante. Chacun en Europe ne donne pas le même sens à ces paroles. Le contenu est tout à fait différent pour les Allemands et les Français. Je pense que l'amélioration de la croissance à moyen terme serait très utile mais les mots de « moyen terme » sont des mots-clés. Il est très important de trouver des mesures complémentaires qui permettent aux pays périphériques d'atteindre l'autre rive en toute sécurité.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Vous dites qu'il faut respecter les fondamentaux et avoir une réduction importante des déficits, sans étrangler l'économie qui risquerait alors de mourir guérie ! Beau programme politique ! Vous relevez que certains pays n'ont pas sollicité votre note. Cela représente un coût important pour vous.

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

La plupart des pays ont une relation contractuelle avec Standard & Poor's. Seulement une douzaine n'en ont pas. Il s'agit surtout des membres de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Je dois réfuter votre affirmation selon laquelle nous sommes en train de devenir des politiques. Ce n'est pas vrai du tout ! Quand on parle du besoin d'une stratégie de croissance, on revient à notre évaluation de la valeur du crédit d`un pays.

Un exemple : le Mécanisme européen de stabilité (MES) va remplacer le FESF. Cette organisation va être un créancier privilégié. Le MES ne participera pas à la restructuration de la dette grecque. Cela peut paraître une bonne chose pour un ministre des finances, à Paris ou à Berlin, qui veut empêcher que ses contribuables soient davantage impliqués dans les pertes encourues. Ce n'est pas ce que nous mettons en cause. C'est une position légitime mais il est de notre devoir de dire ce que cela signifie pour que ceux qui ont acheté la dette grecque ou celle d'autres pays en difficulté. Il n'est pas bon que le cercle de créanciers du secteur privé impliqués dans la restructuration soit de plus en plus réduit. En Grèce, ils risquent même de tout perdre. Si un investisseur le sait, il demandera un taux d'intérêt plus élevé face au risque encouru. Un taux d'intérêt plus élevé signifie qu'il sera difficile, pour le Gouvernement, à Athènes ou à Lisbonne, de contrôler à nouveau les finances publiques.

Nous ne sommes pas pour ou contre le statut de créancier privilégié du MES mais nous pensons que cette décision a des conséquences négatives pour le crédit de l'Irlande, du Portugal et de la Grèce. Ce n'est pas pour autant que nous cherchons à orienter l'avis des politiques sur ce point. C'est un distinguo extrêmement important qu'il convient d'établir. Je comprends que les politiques se méfient des agences de notation, mais il faut comprendre notre travail. Nous exprimons des opinions sur la valeur du crédit d'un pays à l'autre. C'est à nous de faire notre travail, sans nous prononcer pour ou contre tel ou tel Gouvernement, mais en établissant les conséquences des décisions qui sont prises.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Ma question était posée sur le ton de l'humour ! Je vois que vous m'avez pris au sérieux : tant mieux !

Les notes que vous attribuez peuvent être lourdes de conséquences même si les Etats-Unis et la France, après leur dégradation, n'ont pas emprunté à un taux plus élevé qu'auparavant. Néanmoins, votre initiative ne comporte-t-elle pas une responsabilité -en particulier lorsque vous annoncez par erreur une dégradation -comme ce fut le cas pour la note française ?

Debut de section - Permalien
Moritz Kraemer, responsable de la notation France chez Standard & Poor's

La notation constitue une opinion sur un événement qui peut se produire ou non. Nous pouvons nous tromper mais il est difficile de dire qu'une notation est juste ou injuste car il s'agit d'une hiérarchie relative de probabilité de défaut. Un pays noté « A » a moins de probabilité de faire défaut qu'un pays noté « B ». Je pense que les pays font ce qu'il faut pour tenir compte de nos notations pour appuyer leurs décisions. Nous fournissons quant à nous des informations très précises à l'appui de statistiques pour que les investisseurs puissent prendre une décision éclairée.

Devrait-on apporter une garantie contre le défaut ? Les Crédits default swap (CDS) existent pour se prémunir contre les défauts mais on ne peut donner une opinion sur une situation pour laquelle on aura souscrit une assurance. Il y a là un conflit d'intérêt. C'est donc difficile à concevoir, voire dangereux...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Je parle des agences en général et des erreurs dramatiques qu'elles ont pu commettre -Enron, subprimes, Lehman Brothers. La responsabilité des agences n'est-elle pas aujourd'hui évidente ? Ne faut-il pas qu'elles aient une certaine solidité financière pour garantir des erreurs comme celles qui ont pu ensuite avoir une incidence sur les Etats ?

Debut de section - Permalien
Carole Sirou, Présidente de Standard & Poor's France

Vous mettez l'accent sur le fait que les agences de notation doivent, comme tout agent économique, voir leur responsabilité engagée. C'est le cas concernant les subprimes : de nombreux procès suivent leur cours. L'avenir dira ce qu'il en est...

Les deux points que Moritz Kraemer a mis en avant sont cependant extrêmement importants. Nous donnons une opinion sur des événements futurs. Ex-post, il est toujours plus facile de juger les choses. L'important est de faire en sorte que la mise en oeuvre de la responsabilité de l'agence s'exerce strictement dans ce cadre, n'induise pas de comportements inappropriés de la part des investisseurs -qui se reposent beaucoup trop sur les notations- et porte sur des manquements au devoir de diligence des agences. Nous ne lisons pas plus que quiconque dans l'avenir. Nous disposons d'un long historique, de méthodes publiques, de process. Si nous ne les mettons pas en oeuvre, on peut comprendre que certains puissent vouloir remettre notre responsabilité civile en cause. Ce sera peut-être encore davantage le cas à l'avenir mais il faut comprendre ce que nous faisons et ne pas mettre en place de système qui aurait l'effet contraire, les investisseurs ayant déjà trop tendance à se défausser sur les agences de notation. Il faut trouver le bon équilibre.

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Le fait de passer d'une note triple A à « junk bonds » ne peut être attribué à la malchance ! Cela montre qu'une très mauvaise analyse a été faite au départ. Les conséquences économiques ont été désastreuses et les répercussions mondiales...

Debut de section - Permalien
Carole Sirou, Présidente de Standard & Poor's France

En effet. Moritz Kraemer et moi-même reconnaissons que les hypothèses sur lesquelles ont été fondées les subprimes n'ont pas été performantes. Nous avons d'ailleurs entièrement revu nos méthodologies et nous ne noterions certainement pas ces produits au même niveau aujourd'hui. Pour certains, nous ne les noterions même plus ! Il faut l'assumer - et je puis vous assurer que nous préférerions ne pas avoir connu ces événements malheureux. Il existe cependant d'autres domaines dans lesquels nos notes apportent quelque chose. Il faut donc essayer de dépasser tout cela sans fuir nos responsabilités. Nous ne sommes pas loin d'être d'accord les uns avec les autres sur ce point...

Debut de section - PermalienPhoto de Aymeri de Montesquiou

Dans votre présentation liminaire, vous avez insisté sur la notation du défaut et non du pays, élément que l'on a quelque peu oublié, moi le premier. C'est tout à fait différent...

Debut de section - Permalien
Carole Sirou, Présidente de Standard & Poor's France

Nous sommes là pour donner une information aux investisseurs. Derrière les grands gestionnaires d'actifs se trouvent les épargnants. Cela signifie que si quelqu'un détient des titres grecs ou irlandais, il est devenu « junior » et n'est plus au même rang qu'une institution comme le Mécanisme européen de stabilité (MES), il est normal que nous fournissions cette information. Ce n`est pas nécessairement facile à appréhender au premier abord mais c'est là notre véritable rôle.