Notre cycle d'auditions s'achève avec M. Jean-Luc Salagnac, Chef du projet Impact du Changement Climatique sur le Cadre Bâti (IC3B) au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment.
Le CSTB est un établissement public créé en 1947 pour être le fer de lance de la reconstruction d'après-guerre, mais il s'est adapté constamment aux innovations du bâtiment.
À l'heure du développement durable, le CSTB s'est penché sur la question de la résistance des bâtiments aux inondations et au moyen d'alléger les dommages que les crues peuvent causer aux infrastructures. Dans sa feuille de route pour la recherche à l'horizon de 2020, le CSTB a ainsi intégré à ses réflexions le sujet de la maîtrise du risque. Le CSTB participe à un groupe de travail avec le CEPRI et a ainsi élaboré un référentiel.
Je vous propose donc d'exposer le résultat de vos recherches, au besoin en étayant vos propos d'exemples.
L'une des questions que nous nous posons est « peut-on construire en zone inondable ? ». La règle est de ne pas le faire. Néanmoins, nous nous apercevons que des constructions existent en zone inondable et que, souvent, les habitants de ces zones ne souhaitent pas déménager. Un des éléments de réponse réside peut-être dans la qualité du bâtiment, de la même manière qu'il est désormais possible de construire des immeubles résistants aux secousses telluriques.
Les réponses que nous avons reçues jusqu'à maintenant sont extrêmement mitigées et nous nous demandons si les coûts inhérents aux travaux en zone inondable sont justifiés alors que la résistance et la qualité des constructions restent aléatoires.
Nous souhaiterions aborder ces questions avec vous. Plus particulièrement, que pouvez-vous nous dire de l'efficacité des méthodes de construction dont nous disposons ? Existe-t-il des voies d'amélioration que nous pouvons généraliser ? Devrions-nous imposer des restrictions ?
J'ai préparé une présentation. Au préalable, je souhaite commencer par une chronologie rapide des travaux du CSTB :
- Le guide de la remise en état des bâtiments après inondations, en 1995, constatant un certain vide de la littérature concernant cette problématique,
- Le guide d'évaluation de la vulnérabilité des bâtiments vis-à-vis du risque d'évaluation en 2003,
- Un protocole d'évaluation des performances des batardeaux en 2004,
- Le rapport « bâtiments amphibies et autres solutions pour construire en zone inondable » en 2005,
- La publication scientifique « Vulnérabilité des bâtiments à l'inondation : la qualification du comportement des matériaux » en 2006,
- Un bilan des outils de prévention réalisé en 2008,
- L'élaboration d'un référentiel de travaux de prévention du risque d'inondation dans l'habitat existant (DGALN) en 2011, dont le guide est à paraître dans le courant du mois de juillet 2012,
- La participation au projet SMARTeST dans le cadre européen du FP7, de 2009 à 2012.
Comme vous avez pu vous en rendre compte, nos travaux ont été financés pour l'essentiel par le Ministère du logement et, dans une moindre mesure, par le Ministère de l'environnement et la DPPR. Nous sommes actuellement en train de terminer le projet européen.
Je propose d'articuler mon propos autour de certaines questions:
- Un bâtiment peut-il être « étanche » ?
- Comment les règles de construction prennent-elle en compte l'inondation ?
- Que sont les matériaux peu sensibles à l'eau ?
- Comment assurer la sécurité des personnes ?
- Comment limiter les dommages aux bâtiments neufs et existants ?
- Où en est la qualification des dispositifs de protection ?
- Quelles sont les difficultés de mise en oeuvre des solutions existantes ?
Un bâtiment peut-il être « étanche » ?
Je répondrais qu'il est techniquement possible de concevoir un bâtiment étanche à condition que le maître d'ouvrage le décide et se donne les moyens de le faire. Il est possible d'ancrer un bâtiment, de poser des portes étanches et d'étanchéifier des parois, par exemple.
Ces bâtiments s'opposent au passage de l'eau et de la vapeur d'eau. Il est essentiel que la vapeur d'eau produite à l'intérieur puisse être évacuée d'un tel bâtiment. Dans un bâtiment ordinaire, cette évacuation se fait pour partie à travers les parois et pour partie via la ventilation. Un bâtiment étanche devrait permettre l'évacuation de la vapeur d'eau d'une manière alternative pour que l'atmosphère intérieure soit viable.
Les bâtiments ordinaires, le plus souvent en France, construits en maçonnerie de bloc de bétons ou de terre cuite ne sont pas étanches parce qu'il existe par construction de nombreuses voies d'eau possibles (murs, passage de canalisations, sols). Il serait quasiment impossible d'obstruer toutes ces ouvertures.
Par ailleurs, la poussée de l'eau n'est pas un facteur dimensionnant pour les murs d'un bâtiment ordinaire. La poussée du vent, surtout lorsqu'il s'agit d'immeubles hauts, ou des actions mécaniques telles que le poids de la neige ou les séismes sont des facteurs dimensionnant. Les règles de construction concernent très peu l'inondation. Par conséquent, les dimensionnements des bâtiments ordinaires n'intègrent pas la poussée de l'eau sur les murs pour définir leur résistance. Or, l'expérience montre qu'un mur ordinaire de 2,5 mètres de haut est fragilisé dès que la différence de hauteur de l'eau de part et d'autre de ses faces atteint un mètre. On peut observer des ruptures au cinquième ou au sixième rang de maçonneries pour un mur soumis à une telle sollicitation.
En outre, un autre phénomène courant, celui des chocs lors des inondations, n'est pas pris en compte dans les calculs de dimensionnement d'ouvrage. Le choc peut provenir des objets charriés par les flots ou de l'arrivée d'une vague d'eau. Les vitres peuvent alors se briser et des structures être endommagées.
Néanmoins, même si nous pouvions construire un bâtiment maçonné étanche, les joints de maçonnerie seraient soumis à une forte traction du fait de poussée d'Archimède et n'y résisteraient pas. Des voies d'eau s'ouvriraient alors.
Finalement, il n'est pas possible d'empêcher durablement l'eau de rentrer dans un bâtiment ordinaire. Ce serait du gaspillage d'essayer de le faire.
Cependant, il est tout de même possible de limiter les dégâts dus à l'inondation sur un bâtiment ordinaire, grâce à des moyens comme les batardeaux, à condition que la hauteur et la vitesse de l'eau restent modérées et que l'inondation ne dure pas plus de quelques jours.
Comment les règles de construction prennent-elle en compte l'inondation ?
Les règles de construction intègrent essentiellement la poussée d'Archimède. Ces règles résultent de considérations mécaniques comme c'est également le cas pour la prise en compte des aléas sismiques ou des effets du vent. Pour l'inondation, des dispositions diverses ont été prises, notamment au sujet des cuvelages enterrés. Elles sont décrites dans le DTU 14.1.
Une de ces dispositions consiste à construire un conduit au sous-sol qui permet de remplir le volume du cuvelage afin de lester le bâtiment dès qu'une cote de conception est atteinte en cas d'inondation.
Un autre dispositif réglementaire, l'arrêté du 30 juillet 1979, concerne les cuves d'hydrocarbures. Celles-ci peuvent se décrocher de leur support et se mettre à flotter en cas d'inondation. Les dispositions prévues sont destinées à dimensionner les berceaux de support des cuves pour éviter qu'elles ne se décrochent.
Que sont les matériaux peu sensibles à l'eau ?
Les termes « matériaux peu sensibles à l'eau » sont souvent utilisés dans les PPR. Or, ces matériaux sont ne sont pas codifiés, ce qui rend leur compréhension difficile pour les administrés.
Oui, ils existent dans l'absolu, mais les termes ne sont pas précis. Une vitre dans un aquarium par exemple est peu sensible à l'eau. À l'inverse, une plaque de plâtre disparaît dans l'eau. À Venise, des matériaux minéraux bien choisis ont vocation à braver le temps. Ils ont été initialement utilisés pour construire la base de la ville, en contact avec l'eau, tandis que les bâtiments sont en maçonnerie. Or, de nos jours, l'effet conjugué de l'enfoncement et de la montée de l'eau mettent en péril les maçonneries.
Depuis que les hommes bâtissent, ils savent que l'eau est l'ennemi principal du bâtiment, qu'il s'agisse d'infiltration, de condensation, de capillarité. Une bonne construction doit permettre d'éviter un contact prolongé des matériaux avec l'eau liquide. Les règles de construction ont dont été énoncées afin d'éviter ce contact, qu'il s'opère par remontées capillaires, condensation ou infiltration. Par exemple, les enduits sur les murs extérieurs ne devraient pas atteindre le sol pour éviter que l'eau ne monte par capillarité, la vapeur d'eau devrait être bien évacuée afin d'éviter les condensations d'eau à l'intérieur, et les couvertures de toiture devraient être étanches pour prévenir les infiltrations. Les défauts sont souvent le fruit de la conjonction d'une mauvaise conception, d'une mauvaise réalisation et d'un entretien insuffisant
Néanmoins, certaines situations imposent une exposition importante à l'eau, telles que les douches collectives, les fromageries ou tout bâtiment abritant un process de production ou les parois sont destinées à être en contact très fréquent avec l'eau liquide . Des tests permettent de caractériser les matériaux aptes à être utilisés dans ces circonstances. Mais, ces tests sont limités dans le temps, de quelques heures à quelques jours et sont effectués avec de l'eau propre, ce qui ne correspond pas à la réalité des inondations.
L'analyse des conséquences, notamment sanitaires, de l'intrusion de matériaux minéraux et organiques dans l'habitat est un champ inexploré. J'ai réalisé des photographies et des prélèvements de champignons dans des zones inondées qui ne semblent pas inoffensifs. Or, aucune étude n'est encore systématiquement réalisée.
De manière générale, les résultats des tests ne sont pas directement exploitables pour qualifier des matériaux résistant à l'inondation et la notion de matériau peu sensible à l'eau n'est pas codifiée. Finalement, seuls les aspects mécaniques cités et les destinations qui exposent le bâti à l'eau sont pris en compte.
Comment assurer la sécurité des personnes ?
La règle est de disposer d'une zone de repli en attente des secours, qu'elle soit à l'intérieur du bâtiment ou éloignée, en dehors de la zone d'inondation du bâtiment. Je vous renvoie au guide à paraître sous le timbre de la DGALN sur les travaux de prévention du risque d'inondation dans l'habitat existant pour l'illustration des zones refuges.
Dans le cas d'un refuge à l'intérieur du bâtiment, il faut en outre pouvoir disposer soit d'une fenêtre de toiture ou d'un balcon afin de faciliter l'évacuation par hélicoptère ou par bateau. Dans ce dernier cas, un anneau d'ancrage peut être utile pour amarrer l'embarcation.
Le guide préconise également un accès par l'intérieur, dégagé et idéalement matérialisé par le biais d'un éclairage de secours, accessible aux personnes handicapées même sans courant électrique. Les équipements doivent être vérifiés pour s'assurer de leur fonctionnement le moment venu. L'objectif primordial est que les personnes en détresse puissent être repérées et secourues.
Dans l'Aude, l'une des conditions d'attribution d'une aide à la remise en état suite à l'inondation de 1999 était de prévoir une zone de refuge dans les bâtiments sinistrés.
S'il est situé en dehors du bâtiment, le choix du refuge doit permettre d'avoir le temps de fuir et de se mettre à l'abri en cas d'inondation. Il dépend donc de la topographie des lieux.
Comment limiter les dommages aux bâtiments neufs
La limitation des dommages aux bâtiments neufs commence par le zonage urbain, c'est-à-dire le respect des prescriptions établies dans ces zones.
Dans les zones où la construction reste autorisée, le PPR impose le respect de certaines règles. Différentes stratégies sont alors possibles :
- L'évitement consiste à surélever les maisons afin que le plancher bas soit hors d'atteinte. Ainsi, les maisons du quartier du Gruissan près de Narbonne, situé entre la mer et les eaux douces, sont construites sur pilotis.
- La protection assure une étanchéité temporaire des ouvertures du bâti par le biais notamment de batardeaux. Il convient donc de prévoir un écopage si l'exposition à l'eau dure car ces dispositifs peuvent présenter des fuites et l'eau peut passer par de nombreuses voies comme dit en début d'exposé.
- L'option qui consiste à céder implique de laisser l'eau pénétrer et traverser le bâtiment. Elle suppose des matériaux peu sensibles à l'eau et un aménagement particulier des équipements de la maison.
Un document intitulé « Construire en zone inondable », de la DDE Moselle, publié dans les années 1990 offre de nombreuses illustrations intéressantes sur les diverses possibilités de construction en hauteur. Néanmoins, il convient de nuancer ces conseils dans le cadre d'un ensemble d'habitations car les bâtiments sont reliés entre eux par de nombreux réseaux.
Je vous renvoie également au cas célèbre de la Farnsworth House de Mies van der Rohe, construite aux Etats-Unis en zone inondable et surélevée de 1,60 mètre. En dépit des précautions de l'architecte, cette maison a été très endommagée par l'invasion de l'eau lors d'une inondation pendant laquelle l'eau est montée bien plus haut que la cote de conception. Il faut garder à l'esprit que la surélévation est certes une précaution, mais ce n'est pas la panacée.
Par ailleurs, les bâtiments amphibies peuvent aussi représenter un moyen de limiter les dommages aux bâtiments neufs. Ils sont construits sur le principe des bateaux à l'ancrage et montent ou descendent selon le niveau de l'eau. Des ducs d'Albe préviennent les dérives. Les plus fameuses illustrations de ce type de constructions sont les 25 logements amphibies construits par l'entreprise Dura Vermeer en Hollande sur des flotteurs en béton. Le promoteur français Batiflo utilise pour sa part des flotteurs en plastique pour son siège à Pau. Aux Etats-Unis, il existe des flotteurs en composite ciment verre ainsi qu'en acier.
Non, mais il s'agit de constructions qui restent toutefois confidentielles. Batiflo a également réalisé le Club House de l'hippodrome de Maisons-Laffitte ainsi que quelques maisons flottantes privées.
Néanmoins, les Hollandais ont développé un réel savoir-faire et une ingénierie qu'ils exportent désormais notamment en Asie. Il est à noter que les quartiers flottants que l'on peut voir en Hollande ou aux Etats-Unis sont des constructions à exclure en cas de courant.
Pour ce qui est de la surélévation de bâtiments, il s'agit d'une technique relativement courante aux États-Unis notamment pour des constructions en bois. En France, où la maçonnerie domine, cette technique n'est pas transposable de manière courante car les maçonneries supportent mal les inévitables mouvements induits par la surélévation, technique qui entraînerait de plus des coûts dissuasifs.
Oui, le principe est assez simple : il suffit de glisser des madriers en dessous de la maison, de soulever et d'installer des poteaux sur lesquels repose la construction. Par contre, ces constructions sont peu esthétiques.
Comment limiter les dommages aux bâtiments existants ?
Il s'agit ici uniquement des stratégies consistant à se protéger de l'eau ou à céder à l'invasion de l'eau à l'intérieur du bâtiment.
En ce qui concerne la stratégie qui consiste à céder, elle nécessite de surélever certains équipements tels que les chaudières et les autres équipements de valeur.
Par ailleurs, dans la perspective de renforcement des performances thermiques des bâtiments, j'attire votre attention sur la pertinence d'utiliser certains matériaux. Dans le rapport du CSTB relatif à la question des matériaux peu sensibles à l'inondation, je mettais en annexe une publicité pour une plaque de ciment, commercialisée sur le marché français, indiquant qu'elle résistait à l'inondation. Il est vrai qu'une plaque de ciment est plus résistante à une immersion prolongée qu'une plaque de plâtre dans l'absolu, mais cette assertion ne tient plus lorsque l'on considère une cloison entière ou un doublage. Les autres matériaux constitutifs comme l'isolant ou des éléments d'ossature en bois seraient affectés également que la plaque soit à base de ciment ou de plâtre. Il convient donc d'être vigilant.
Un guide des travaux de prévention du risque d'inondation dans l'habitat existant publié sous le timbre de la DGALN va paraître prochainement. Malgré l'existence d'une offre pléthorique de batardeaux, très peu sont vendus et, en dépit des efforts pédagogiques pour amener les populations à se protéger des inondations, la sensibilisation n'est pas réellement efficace. Le guide est conçu pour inciter les populations exposées à réaliser des aménagements afin de réduire les dommages en cas de sinistre, à l'occasion d'une rénovation ou d'une transformation de l'habitat. Ce guide prend le parti d'indiquer les mesures préconisées qui peuvent être effectuées sans surcoût significatif dans le cadre de travaux déjà prévus. Il a été conçu en partenariat avec plusieurs acteurs tels que des assureurs, des concepteurs, des entreprises et des collectivités locales. Ce guide sera disponible en ligne très prochainement.
Où en est la qualification des dispositifs de protection ?
Il existe des produits de conceptions très variées tels les barrières périphériques, les batardeaux ou barrières d'ouvertures. Il s'agit par exemple d'un mur provisoire doté d'une jambe de force, de soufflets ou de barrage-poids.
Nous avions effectué des tests de batardeaux pour le compte du Ministère de l'environnement en 2004. Nous avions alors évalué le taux de fuite en simulant le montage en applique sur une porte, la résistance aux chocs aux éléments charriés par les flots mais aussi aux barques de secours. Nous avions également testé les conditions de montage, ainsi que d'autres éléments pratiques.
Le meilleur produit que nous avions testé était britannique et coûtait environ 800 euros, ce qui représente un investissement conséquent de 4 000 à 5 000 euros pour un pavillon. Après deux ans, l'importateur de ce produit a arrêté sa commercialisation car il ne s'en est pas vendu une seule unité. Une réponse à ce coût élevé est donnée par les habitants d'un quartier de Villeneuve-Saint-Georges fréquemment inondé par les réseaux de collecte d'eau fluviale. Dans ce quartier, la plupart des habitants ont développé eux-mêmes pour un coût modique des batardeaux constitués de planches fixées temporairement aux murs pour obstruer les portes.
Il existe peu de signe de qualité hormis au Royaume-Uni et aux États-Unis. L'un d'eux est délivré par FM Global, une société d'assurance mutualiste américaine qui qualifie les produits pour ses clients sur la base d'un référentiel très complet. Ce service a un coût élevé qui en limite la diffusion.
Dans le cadre du projet européen SMARTeST, qui fédère huit pays partenaires, nous avons constitué une base de données d'environ 150 fournisseurs dont aucun ne vit exclusivement de cette activité.
Dans le cadre de ce projet européen, je souhaite vous présenter une vision conceptuelle du bassin versant et un système de gestion de l'inondation. Nous utilisons la méthode courante du Source-pathway-receptor. Ce schéma est utilisé notamment pour décrire les phénomènes de pollution et leur cheminement. Une fois transposée aux inondations, cette méthode permet de décrire le chemin que suit l'eau avant de toucher les récepteurs. Avant d'entrer dans les zones urbaines jusqu'à atteindre le quartier et le bâtiment, l'eau peut traverser d'autres zones, comme des zones d'expansion
Nous souhaitions à travers cette représentation schématique attirer l'attention sur l'importance du rôle des différentes échelles, en amont des zones urbaines, pour gérer l'inondation. En effet, il existe des actions envisageables pour les différents récepteurs :
- Il est possible de créer des espaces de stockage et d'influer sur la nature du couvert dans les zones d'expansion
- Dans la zone urbaine, l'usage du sol est important pour limiter les ruissellements. De plus, il est possible de créer des espaces de stockage souterrain, comme par exemple sous le Stade de France, même si ces équipements publics sont onéreux.
- Au niveau du quartier, le stockage est également envisageable et il est possible de réaliser des protections comme des digues ou des barrières périphériques temporaires afin que les stratégies pour limiter les dommages aux bâtiments soient optimisées, en amont de l'évènement.
Dans le bassin versant Oise-Aisne, soit une zone moyennement urbanisée, des études et des travaux ont été réalisés de telle manière que, pour une crue trentennale, il est maintenant probable que le niveau de l'eau garde un seuil modéré, permettant ainsi aux habitants des zones urbaines d'investir en confiance dans les équipements de prévention. Ce résultat demande du temps et une continuité de l'action publique locale. Finalement, il a été possible de convaincre certains habitants d'être inondés afin de servir la communauté moyennement compensation.
Pourtant, un système de compensation manque cruellement à l'heure actuelle. Il n'existe pas de compensations véritables pour les habitants en zone d'extension de crues.
Absolument, mais il semblerait que celui-ci en soit un. Je pourrais vous donner un contact pertinent pour étudier ce cas.
De l'Entente Oise-Aisne.
Cet exemple est assez exceptionnel. Néanmoins, il prouve qu'il est possible de mettre en place des solutions que nous pensions être utopiques.
Nous devons les envisager, si nous voulons réellement améliorer la situation.
Je pense que la situation topographique du terrain s'y prêtait également. Dans les zones pentues, il est plus difficile d'arrêter les eaux.
Certes, mais l'idée est que certains habitants, qui acceptent de recevoir l'eau et subissent le préjudice de l'inondation pour épargner les autres, doivent être indemnisés.
Oui, c'est ce que nous essayons de mettre en oeuvre dans le cadre du projet européen.
Pour caricaturer, je dirais que nous ne pouvons pas tout protéger. L'expérience montre que cela est très difficile. Or, nous pouvons considérer le problème différemment en priorisant les zones à protéger absolument, et en définissant d'autres zones qui pourraient être inondées au bénéfice des premières, contre compensation. Nous essayons de travailler de concert aux différentes granulométries du territoire.
Il existe un autre exemple intéressant de gestion des inondations dans la vallée de la Bièvre. La récupération, la création et une gestion hydraulique de lacs et de bassins a permis d'absorber les afflux d'eaux provenant des orages et d'éviter les crues de la Bièvre depuis 1982.
Néanmoins, ces deux exemples ne concernent pas des zones densément urbanisées, au contraire de certains quartiers du Var.
Enfin, je souhaite rappeler le rôle essentiel des prévisions météorologiques qui permettent de donner l'alerte au sujet des précipitations.
Si je vous comprends bien, il n'est pas vraiment pertinent de remplacer les matériaux de construction, étant donné le coût prohibitif des travaux à l'exception du moment de la conception ou de la transformation.
Il n'existe pas de solution qui fonctionne à 100 %.
L'un de partenaires allemands du projet SMARTeST travaille sur le bâti. Il essaie de poser des couches étanches. Or, cette solution qui permettrait de limiter les dégâts pendant quelques semaines de la durée de vie d'un bâtiment risque de créer en permanence des problèmes secondaires, tels que les moisissures.
Il existe, bien entendu, d'autres solutions temporaires telles que les jupes plastiques à poser autour du bâtiment, mais l'eau pénètrera par le sol.
Dans des zones où le risque d'inondation existe mais où les constructions restent autorisées, existe-t-il, en l'état actuel de l'avancement des techniques, une manière de construire tout en réduisant les risques et les nuisances inhérents aux inondations, voire en les éliminant complètement ?
Il existe des aménagements qui vont dans le bon sens, comme la mise ne place des commandes électriques au-dessus d'un mètre au-dessus du niveau du sol et d'un réseau électrique descendant. Ces mesures peuvent être intégrées à un projet de rénovation par exemple. Mais, rien ne protège à 100 % des inondations. Un bâtiment est très complexe et reste un ouvrage composite qui vieillit.
Quelles sont les difficultés de mise en oeuvre des solutions existantes ?
Nous ne sommes pas à court de solution pour prévenir les dégâts dus aux inondations, mais elles ne sont pas mises en oeuvre pour différentes raisons :
- L'absence de mémoire du risque,
- L'absence de connaissance et de conscience du risque,
- Le problème d'acceptation du risque et de sa propre vulnérabilité : le déni et l'incrédulité,
- Le sentiment d'être protégé,
- La déresponsabilisation des acteurs étant données les nombreuses strates administratives,
- Une coordination perfectible entre les administrations locales et nationales,
- Dans une moindre mesure, le manque de concertation avec les professionnels du bâtiment faute de solution idéale,
- Une politique nationale peu lisible localement,
- Le défaut de l'entretien de la mémoire rappelant les crues, même si des repères de crue sont encore visibles par exemple à Paris, Béziers ou Florence.
Je n'ai volontairement pas parlé de résilience parce que j'ai l'impression que ce mot est parfois utilisé en lui attribuant des vertus quasi magiques qui le rendraient vecteur de la solution idéale. Mon opinion, à titre personnel, est que la résilience des matériaux n'empêchera pas les dommages constatés à chaque inondation et qui imposent de nettoyer et remettre en état. Nous travaillons à la notion de système résilient dans le cadre du projet SMARTeST mais il faut bien constater une difficulté réelle de définition de ce qui en serait attendu.
Il existe tout de même des lieux, tels que Sommières, où les habitants vivent avec les inondations. Néanmoins, la position officielle est de ne pas construire dans les zones à risque d'inondation.
La vallée de Sommières a pourtant été aménagée, dès les Romains.
Certes, dès lors qu'un risque d'inondation existe, est-il illusoire de croire en des solutions techniques permettant de diminuer significativement l'impact des dégâts ? Si c'est le cas, pourquoi réaliser des guides de construction en zone à risque ?
Mon diagnostic ne serait pas aussi tranché. Diverses mesures permettent de limiter les dégâts des inondations modérées et il convient de les mettre en oeuvre quand c'est possible.
Néanmoins, nous sommes assez démunis dans le cas d'inondations violentes avec des ruissellements.
À ce propos, il existe un guide de construction en zone de crues torrentielles.
J'ai participé modestement à la relecture de ce guide. Il permet de réfléchir à des mesures de protection du bâtiment.
Je souhaitais, en outre, commenter les différentes étapes de l'inondation pour démontrer qu'il est possible de se préparer en amont, à des situations telles que l'inondation, par les actions suivantes :
- En amont de l'inondation, il convient d'informer, d'anticiper, de s'entraîner, de crédibiliser le risque et de sensibiliser à la culture du risque,
- Avant l'inondation, il faut se préparer dès l'alerte, mettre en oeuvre une solution adaptée au type d'inondation annoncée,
- Pendant l'inondation, la priorité est de permettre l'intervention, faciliter les secours et la gestion de crise,
- Après l'inondation, il faut nettoyer et remettre en état,
- En aval, il est important de procéder à un retour d'expérience.
Une alternative à l'interdiction pure et simple de la construction en zone inondable est-elle envisageable ?
En outre, nous déplorons la lenteur d'application des mesures visant à tout protéger et des PPRI.
Votre diagnostic au sujet des matériaux pourrait tout à fait être repris au compte des mesures de protection. Pour reprendre l'exemple de Sommières, des travaux gigantesques ont été réalisés en 1958 par le département afin de remédier durablement aux inondations. Or, la crue de 2002 a montré que les problèmes n'ont pas été tout à fait résolus.
Quelle que soit la solution mise en oeuvre, il existe une limite de la montée des eaux au-delà de laquelle cette solution n'est plus efficace. Il n'existe pas de miracle pour remédier à toutes les crues. Nous devons raisonner en termes de probabilité.
Qu'il s'agisse d'eau ou de vent, le problème est mécanique. Or, l'inondation n'a pas fait l'objet de la même attention probablement parce que la question ne relève pas essentiellement de la mécanique.
Est-il possible d'inverser cette tendance étant donnée l'ampleur du risque d'inondation en France ?
Lorsque l'on souhaite vendre sa maison, l'on est soumis à de nombreuses expertises, mais aucun ne concerne les inondations.
À Hambourg, le port a été réaménagé. Des dispositions ont été prises pour construire des bâtiments neufs plus hauts que le niveau de l'eau.
Les systèmes d'assurance ont aussi une incidence sur la perception de ce qu'il est possible de construire ou non. Si les constructions au bord de l'eau étaient réalisées aux risques et périls du propriétaire, la situation serait bien différente.
À Hambourg, des passerelles très hautes d'évacuation ont été installées dans des quartiers neufs. Certains parkings sont inondables. Or, le risque existe bel et bien.