Mes chers collègues, j'ai souhaité que nous puissions faire une synthèse sur les travaux de notre commission qui nous ont permis de préparer la mise en chantier d'un nouveau Livre blanc sur la défense. Ces travaux se sont étalés pratiquement sur un an depuis l'annonce de la revue du Livre blanc en septembre 2011, lors de nos Universités d'été de la défense.
L'esprit de ces travaux, que j'avais défini le 17 janvier dernier en lançant la constitution de nos groupes de travail, n'était pas de se substituer aux commissions de l'exécutif mais d'y apporter nos réflexions et d'être en mesure de le faire utilement en ayant approfondi les thèmes qui nous semblaient les plus pertinents dans le cadre de ce qui était à l'époque la revue du Livre blanc sur la sécurité et la défense. Cela nous permettra une pleine et utile participation à la commission qui a été nommée et que M. Jean-Marie Guéhenno a été chargé d'animer.
Ces travaux avaient du reste été précédés par trois rapports d'information portant sur les approvisionnements stratégiques de la France, sur la réforme de la fonction anticipation et sur un premier bilan de la réintégration complète de notre pays au sein de la structure intégrée de l'OTAN.
Depuis septembre dernier, nous avons publié sept rapports d'information qui couvrent très largement les débats qui vont avoir lieu :
1. le rapport sur l'évolution du contexte stratégique depuis 2008 que je vous avais présenté ;
2. le rapport de Gilbert Roger et André Dulait sur les bases de défense, une réforme à conforter ;
3. le rapport sur l'avenir des forces nucléaires françaises de Didier Boulaud et Xavier Pintat ;
4. le rapport sur les capacités industrielles militaires critiques de Daniel Reiner et Yves Pozzo di Borgo ;
5. le rapport sur la France face à la nouvelle géopolitique des océans, ce que nous avons appelé la « Maritimisation », de nos collègues Jeanny Lorgeoux et André Trillard ;
6. le rapport sur la cyberdéfense de Jean-Marie Bockel ;
7. enfin, le rapport sur le format et l'emploi des forces armées de Jean-Marc Pastor et André Dulait.
Avec les co-présidents représentant la majorité et l'opposition de notre commission, ce sont plus de trente de nos membres qui ont suivi ces travaux.
Je crois donc que nous pouvons nous féliciter du travail accompli. Pour donner la mesure de notre travail, nous avons fait 132 auditions, dont plusieurs en commission, en réunissant des panels d'experts, et fait 16 déplacements.
Nous aurons tout à l'heure à proposer au président du Sénat la désignation de nos représentants au sein de la Commission du Livre Blanc mais auparavant je souhaite faire une synthèse de nos travaux.
A - Les bases de défense
C'est un rapport de fond indispensable à une claire vision de l'ensemble de la problématique du Livre blanc. Je vous rappelle que nous avons passé une sorte de contrat moral avec les forces armées consistant à imposer une réforme considérable du format et de l'organisation contre la poursuite de la revalorisation de la condition militaire et la modernisation.
Lancée en 2011, la réforme des bases de défense, qui vise à économiser en partageant le soutien entre plusieurs unités, a mis en place une organisation particulièrement complexe. Bouleversant le quotidien de tous les agents du ministère de la Défense, cette réforme a créé une impression de désorganisation généralisée, a éloigné la défense des PME et a fait apparaître sur le territoire des déserts militaires. Son résultat, bien que peu lisible, est pourtant réel : 6,6 milliards d'euros auront été économisés de 2008 à 2015 (soit ce que rapporte en un an un point de TVA !), et ce malgré des coûts d'accompagnement élevés (social, immobilier, territorial). Estimant l'impasse budgétaire à 130 millions d'euros (le quart des crédits), le rapport indique qu'il n'y a plus d'argent dans les bases de défense à compter de septembre.
Nous sommes clairement mis en face de nos responsabilités et je sais que nos rapporteurs seront extrêmement attentifs sur ce point lors de nos débats budgétaires sur la loi de finances rectificative et sur la LFI 2013.
L'un des points importants du rapport est de rejeter pour l'avenir tout scénario de remise à plat de la réforme et de prôner une démarche résolue de poursuite du changement. Cette réforme suppose la continuité de l'action. Pour poursuivre dans de meilleures conditions, il faut faire sauter les principaux verrous de la mutualisation des moyens, c'est-à- dire simplifier des procédures, rationaliser et moderniser des systèmes informatiques et poursuivre la « civilianisation ». Enfin nous retiendrons que l'externalisation du soutien, encore très limitée, ne produira pas de miracle financier.
B - L'avenir des forces nucléaires françaises
Le Président de la République a confirmé à plusieurs reprises le maintien de la stratégie de dissuasion nucléaire. L'analyse des menaces faite dans le rapport sur le format et l'emploi des forces montre que le risque d'un conflit symétrique de type conventionnel ou nucléaire contre notre pays est extrêmement faible. Il n'est pas nul et personne n'est capable de dire ce qu'il en sera demain ou après-demain.
Cette stratégie de dissuasion nucléaire donne en outre à la France un outil politique de grande valeur pour peser sur la scène internationale et conserver son siège au Conseil de sécurité des Nations unies.
La France a toujours cherché à maintenir son arsenal au niveau le plus faible. Le principe de stricte suffisance est central dans la doctrine française.
Le coût des forces nucléaire est de l'ordre de 3,5 milliards d'euros par an (11 % du budget annuel de défense et 1,2 % du total des dépenses du budget de l'État pour 2012 et 0,125 % du PIB). Il s'agit d'une garantie solide de protection pour un coût assez modique, même s'il est évident qu'il y a, du fait de la sanctuarisation, un certain effet sur les dépenses conventionnelles.
La force de dissuasion existe. L'un des arguments les plus pertinents consiste à faire remarquer que l'abandonner puis la reconstruire serait très difficile, très long et très coûteux, voire impossible. Dès lors, sa modernisation s'impose pour maintenir, dans la durée, sa crédibilité opérationnelle et nos capacités de recherche et de développement.
Il peut-être tentant de redimensionner les forces nucléaires, mais il est indéniable que le fait de disposer de deux composantes donne au Président de la République une plus large palette d'options militaires et met nos armées à l'abri des surprises stratégiques. Qui sait si demain, un saut technologique ne pourrait réduire les capacités de l'une ou l'autre des composantes ?
Au surplus, forces stratégiques et forces conventionnelles forment un continuum étroitement imbriqué (certaines capacités des forces aériennes stratégiques peuvent se voir confier d'autres missions) et les retombées, dans le domaine civil, de la recherche et des process industriels mis en oeuvre pour la dissuasion nucléaire sont nombreuses (missile balistique M51 et fusée Ariane V reposent sur un socle industriel commun pour ne citer qu'un exemple).
Si ce n'est la modernisation de la flotte de ravitailleurs en vol qui a pris un retard très préoccupant, les programmes de renouvellement des deux composantes de la dissuasion ont été réalisés. L'effort d'investissement sur cette génération est derrière nous. Mais c'est dans le quinquennat qui s'ouvre que les décisions de lancer les programmes d'études pour la prochaine génération d'armes devront être prises ou non.
L'un des points importants de la lettre de mission de la commission du Livre blanc est de faire porter la réflexion sur la façon d'assurer une meilleure articulation entre la stratégie de dissuasion et les autres volets de la politique générale de défense. Il me semble en effet évident que la qualité de nos forces conventionnelles participe et renforce la dissuasion. C'est là où réside l'un des dangers de l'exercice puisque, selon moi, les recherches d'économies pourraient porter, au-delà de ce qu'il sera possible de faire sur le fonctionnement, sur le conventionnel. Il nous faudra être très vigilants.
C - Les capacités industrielles militaires critiques
Maintenir notre autonomie stratégique, c'est-à-dire l'autonomie d'appréciation, de décision et d'action, c'est assurer la protection des capacités industrielles sachant qu'elles dépendent très largement de la forme que l'Etat souhaite donner à son outil de défense.
Ces décisions seront en conséquence fonction de l'analyse à laquelle est conviée la commission du Livre blanc qui consiste dans un premier temps à confronter les ambitions de défense, résultat des exercices de prospective stratégique et opérationnelle, aux moyens et ressources, pour en déduire le format des armées en tenant compte des apports en termes de partage capacitaire et de partage opérationnel que peuvent nous apporter nos alliances.
La commission du Livre blanc devra esquisser ou déterminer une méthode pour dresser la liste de ces capacités. Il est important qu'outre les capacités industrielles à protéger, l'État poursuive ses efforts pour surveiller les matériaux critiques et notre capacité d'approvisionnement. Je renvoie au rapport de Jacques Blanc sur ce sujet que nous avons publié en 2011.
Nous avons obtenu - quand je dis nous je pense au ministre, à l'Etat-major et à notre commission - le respect de la séquence Livre blanc - LPM - budget. Le budget de la défense pour 2013 sera un budget d'attente. Nous veillerons à ce qu'il le soit bien. Ma préoccupation vient du fait que la programmation triennale sera néanmoins faite et votée avant le budget pour 2014. Il faudra mettre tout notre poids politique pour que cette programmation ne préempte pas de facto les orientations que nous donnerons dans le Livre blanc et qui seront transcrites dans la LPM. J'ai l'intention avec nos deux représentants au sein de la commission du Livre blanc de proposer une sorte de règle d'or du budget consacré à la défense qui, selon moi, doit être compris entre un minimum de 1,5 et un maximum de 2 % du PIB hors pensions.
Ce rapport et d'autres, notamment celui sur le format, ont souligné qu'en matière d'équipements, la hausse des prix n'est pas une fatalité. L'État ne doit pas renoncer à obtenir le meilleur prix des industriels, cela suppose de faire converger plusieurs types d'actions comme le réexamen des doctrines d'emploi pour déterminer les domaines où il est possible d'acquérir des équipements moins gourmands en technologie, l'utilisation de la concurrence et des appels d'offres pour acquérir certains équipements non critiques, la coopération au niveau européen sur la base d'une plus grande intégration pour la rendre plus économique...Cela suppose d'élaborer et de rendre publique une stratégie d'acquisition des équipements militaires, recommandation du Livre blanc de 2008 qui n'a pas été mise en oeuvre.
L'un des enjeux sera également de déterminer une stratégie industrielle de défense qui a pour but de maintenir la base industrielle et de technologie de défense. Cette stratégie est distincte de la stratégie d'acquisition des équipements, car elle englobe d'autres questions telles que l'emploi industriel, le maintien des bureaux d'étude, l'efficacité économique de la dépense de défense ou encore l'importance de l'industrie de défense dans la compétition technologique grâce à des technologies duales.
La stratégie d'acquisition et la stratégie industrielle doivent être conciliées, il est important que la commission du Livre Blanc propose des modalités d'arbitrage entre les deux visions.
L'industrie de défense est un pôle d'excellence de l'industrie française. Au moment où l'on prône la réindustrialisation de notre pays, ce secteur doit être pris en considération. Il représente des emplois, de l'ordre de 250 000, un solde positif en termes de balance commerciale de 2,7 milliards d'euros et des retombées positives pour le budget de l'État et les comptes sociaux. Son avenir passe-t-il par la constitution de monopoles nationaux qui laissent l'État acheteur en situation de faiblesse, ou ne faut-il pas favoriser la constitution de groupes européens d'une taille critique suffisante pour concurrencer leurs compétiteurs sur les marchés mondiaux (en forte expansion) et offrir aux armées européennes des équipements performants mais moins chers ?
Quelle action mener sur les règles d'acquisition pour permettre l'émergence d'un marché européen de la défense ? Comment éviter que nos concurrents américains, protégés par le « buy american act » se trouvent en situation d'égalité avec nos industriels européens ? C'est le débat que nous avions lancé sur la préférence communautaire.
Comment faire émerger des programmes de coopération européens en matière d'armement qui puissent dans une approche plus intégrée, peut-être au prix de l'abandon du principe du juste retour et de sur-spécifications, réduire les coûts grâce à l'allongement des séries ?
Jusqu'où aller en matière de partage capacitaire avec nos alliés européens ?
Comment faire évoluer notre stratégie industrielle de défense de concert avec nos alliés européens alors que les tentatives ont jusqu'à présent été décevantes ?
Cela passe d'abord par le partage sur la vision stratégique d'ensemble avec deux, trois ou plusieurs partenaires européens.
Il est très positif à cet égard que nos alliés les plus proches, l'Allemagne et la Grande-Bretagne, soient associés à la commission du Livre blanc.
D - La Cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale
Le Livre blanc de 2008 avait déjà identifié les attaques contre les systèmes d'information comme l'une des principales menaces qui pèsent sur notre défense et notre sécurité. Il avait donné une impulsion importante à la politique française de cyberdéfense. Nous nous étions d'ailleurs intéressés à ce sujet dans un rapport d'information consacré à la cyberdéfense, présenté par notre ancien collègue M. Roger Romani.
Depuis 2008, la France a commencé à combler son retard. Une agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (l'ANSSI) a été créée en 2009 et notre pays s'est doté en 2011 d'une stratégie dans ce domaine. Pourtant, en dépit de ces progrès, le sentiment qui prédomine aujourd'hui est que la menace a été largement sous-estimée et que notre dispositif connaît encore d'importantes lacunes.
Comme le note le document du SGDSN préparatoire à l'actualisation du Livre blanc, publié en février 2012, « depuis 2008, les risques et les menaces qui pèsent sur le cyberespace se sont nettement confirmés.... et la menace atteint désormais un niveau stratégique ».
Les attaques se sont multipliées. Elles portent atteinte aux données sensibles (technologiques, commerciales, scientifiques, etc.) de leurs cibles. Elles sont souvent de grande ampleur, résultant d'une longue préparation et d'un ciblage précis. Elles peuvent nécessiter, pour leur mise en oeuvre, des moyens dont seuls un Etat ou une organisation importante et déterminée sont capables de disposer. On se souvient des attaques contre Bercy, contre AREVA et même contre le Sénat ou, récemment, la présidence de la République.
L'existence qui a été révélée par la presse des virus STUXNET et FLAME, laisse présager de futures « armes informatiques » aux potentialités encore largement ignorées.
Afin de renforcer la protection et la défense des systèmes d'information et mettre un terme à la procrastination, le rapport d'information propose 50 recommandations concrètes regroupées en dix priorités.
J'en retire quelques lignes directrices fortes et, en premier lieu, que la protection et la défense des systèmes d'information doit d'abord faire l'objet d'une véritable priorité nationale, portée au plus haut niveau de l'Etat. Nos représentants au sein de la commission devront y veiller. Il y a urgence à combler les lacunes de notre dispositif, c'est une question d'intérêt national vital pour l'Etat et pour le tissu industriel français qu'il faut mieux intégrer et mobiliser. Cela passe notamment par une politique industrielle volontariste, à l'échelle nationale et européenne, pour faire émerger de véritables « champions » nationaux ou européens.
Face à une menace qui s'affranchit des frontières, le rapport plaide aussi pour la poursuite de la coopération bilatérale, notamment avec nos partenaires britanniques et allemands, au niveau de l'OTAN et de l'Union européenne, pour un dialogue avec la Russie et la Chine, ainsi que pour des mesures de confiance au niveau international.
Enfin, le rapport évoque la délicate question des « capacités offensives ». Estimant que l'on ne peut se défendre efficacement que si l'on connaît les modes d'attaque, le rapport se prononce en faveur de la poursuite du développement de « capacités offensives », dans un cadre d'emploi bien déterminé et d'un contrôle parlementaire qui devrait relever de la délégation parlementaire au renseignement. Il plaide aussi pour une réflexion sur l'élaboration d'une doctrine publique sur les « capacités offensives », qui pourrait être reprise dans le nouveau Livre blanc sur la défense et la sécurité.
E - La maritimisation
Notre conviction forte, c'est qu'une partie de l'avenir de notre pays en termes d'accès aux ressources dépendra de notre capacité à protéger et à contrôler nos zones économiques exclusives. Nous disposons du deuxième domaine maritime mondial, avec 11 millions de km2, grâce à nos territoires d'outre mer. Ce domaine regorge de ressources naturelles, il est encore peu exploré, peu exploité, ni valorisé, et parfois mal délimité. Mais nous savons d'ores et déjà qu'à partir de 2019, la Guyane devrait produire du pétrole peut être à hauteur de 200.000 barils par jour. Les premières explorations à Wallis et Futuna semblent indiquer la présence de terres rares, ces métaux stratégiques essentiels aux nouvelles technologies. Il en va de même pour les énergies marines renouvelables qui sont une filière industrielle d'avenir pour laquelle nous avons des champions nationaux.
Pour sécuriser l'espace maritime français et les voies d'approvisionnement de la métropole, pour défendre les intérêts français dans le monde et peser sur le cours des événements, la France dispose d'une marine de haute mer, à large spectre, dont les performances sont reconnues. Mais, avec un format en nette diminution depuis 2000, des renouvellements repoussés d'année en année, la marine fait aujourd'hui le grand écart et risque demain de connaître des impasses capacitaires majeures. C'est également l'analyse de notre groupe de travail sur le format. Cela est particulièrement inquiétant pour les moyens outre mer. Notre mission en Australie et Nouvelle Calédonie vient encore de le souligner.
Le prochain Livre blanc doit être l'occasion de définir les moyens nécessaires pour tirer bénéfice de la présence française sur l'ensemble des océans. Pour cela il faut donner leur juste place aux enjeux maritimes car c'est une des données majeures de l'évolution du contexte stratégique depuis dix ans. Cela doit nous conduire à faire de la stratégie maritime un des piliers de la stratégie de défense et de sécurité.
Au-delà de nos intérêts immédiats, ce qui est en jeu, c'est la préservation d'un principe fondamental : celui de la liberté de circulation en mer. Nous assistons à des stratégies d'exclusion et de déni d'accès qui sont extrêmement dangereuses. Ces stratégies s'appuient sur le développement de flottes par les émergents. Compte tenu de notre dépendance d'approvisionnement par la mer, il y a un risque à plus ou moins long terme de déclassement de la France et de l'Europe.
Avec un PIB comparable aux Etats-Unis, l'Europe aligne un porte-avions quand les Américains en possèdent onze. Plusieurs des capacités navales discriminantes, celles qui donnent l'avantage en cas de confrontation, sont, en Europe, détenues par la France et par elle seule : projection d'une aviation de chasse puissante à partir de la mer, grands bâtiments amphibies capables de mettre en oeuvre des groupes aéromobiles significatifs. D'autres ne sont partagées qu'avec un ou deux autres pays européens : sous-marins nucléaires, aviation de patrouille maritime, capacité de projection à longue distance d'une force de guerre des mines.
Les réduire ou les faire disparaître reviendra à priver l'Europe de ses capacités. La crise financière que traverse l'Europe peut être une opportunité pour avancer vers une mutualisation partielle des dépenses navales, une rationalisation des forces, voire une utilisation commune des bâtiments. Le traité franco-britannique de Londres pouvait constituer un nouveau départ vers un ensemble plus vaste. Les Britanniques et les Français possèdent, en effet, 60 % des navires de haute mer européens. La réalité de la mise en oeuvre du traité de Lancaster illustre les difficultés de l'exercice. On ne doit pas pour autant y renoncer.
Enfin nous devrons particulièrement insister sur la préservation de nos intérêts industriels et technologiques. Notre base industrielle s'affaiblit face à la concurrence, notamment asiatique, sur des segments de plus en plus innovants. C'est pourquoi cette stratégie militaire doit être accompagnée d'une stratégie industrielle de valorisation du secteur maritime. Je pense en particulier aux énergies marines renouvelables. Le groupe de travail a d'ailleurs proposé la création d'un commissariat aux énergies marines renouvelables qui puisse fédérer les acteurs publics et privés de ce secteur afin d'accélérer la mise en place de ces nouvelles technologies.
F - Le format et l'emploi des forces
Le sous titre du rapport : Peut-on encore réduire un format juste «insuffisant » en donne la tonalité.
Les menaces auxquelles nous aurons à faire face demain seront asymétriques ou bien prendront la forme d'une transformation d'un conflit dissymétrique en conflit asymétrique.
Nous ne savons naturellement pas de quoi demain sera fait et la surprise est toujours possible.
Nous dressons dans ce rapport un état des lieux de nos armées. Elles sont à la fois un outil d'une extrême qualité grâce aux hommes et aux femmes qui les composent et qui y consacrent leur vie, parfois jusqu'au sacrifice. Ils disposent de matériels et d'équipements performants mais la trajectoire de la LPM a été infléchie dès 2010 en raison de la crise économique et financière. Le format de nos armées est aujourd'hui cohérent mais fragile. Par ailleurs, à la logique de la professionnalisation, s'est ajouté le résultat de la technologisation qui augmente le coût des matériels à l'acquisition comme pour le MCO, ainsi que les coupes budgétaires qui aboutissent à la limitation des séries et à l'étalement dans le temps.
Ces trois mouvement aboutissent à un constat finalement sévère de notre commission qui se demande si nous ne connaissons pas un syndrome du paraître, un effet Potemkine qui masquerait que nos forces armées sont au bord du point de rupture.
Nous constatons que la tendance du surcoût des équipements conduit à avoir une armée « échantillonnaire » dotée de quelques capacités « polyvalentes » dans chacun des secteurs concernés mais une armée dont le RETEX des opérations en Afghanistan montre l'inadaptation partielle de nos modes d'action militaire. Nous avons une armée de poche, de haute qualité mais finalement vulnérable.
De plus, on demande tout à la défense. Or dans le cadre d'une approche globale nous ne pouvons que constater l'insuffisance de nos outils civils et l'inexistence d'un partage du fardeau au niveau interministériel.
Que faire ?
La première exigence est de définir un niveau d'ambition pour notre pays. La commission du Livre blanc va devoir en tracer le contour mais c'est bien évidemment au politique, au plus haut niveau, d'en arrêter l'expression.
Nos travaux sont partis de l'hypothèse d'un niveau d'ambition inchangé, non seulement parce que ce n'était pas de nos compétences de le déterminer mais surtout parce que nous avons la conviction qu'il est au bon niveau dans un monde qui n'est pas moins incertain et dans un contexte de désarmement européen dans un monde en réarmement accéléré.
Notre constat, c'est de dire qu'à niveau inchangé, notre format est tout juste suffisant, voire juste insuffisant.
Naturellement, si nous renonçons à certaines de nos ambitions, nous pourrons adapter nos moyens à la baisse. Mais là aussi cette décision doit être mûrement pesée en sachant notamment que :
à l'effet d'éviction de la sanctuarisation du nucléaire auquel s'ajoute la nécessité de développer les moyens de connaissance (renseignement - espace), il faut tenir compte de la rigidité du budget en raison du nombre de programmes en cours, d'ores et déjà lancés qui s'élèvent à 45 milliards d'euros d'engagement à la fin 2011 ;
l'analyse de ces engagements conduirait à rechercher des marges sur les programmes non encore engagés qui concernent principalement l'armée de terre, celle dont précisément on a besoin pour effectuer une indispensable empreinte au sol significative. C'est en particulier le sort du programme Scorpion ;
au-delà des trous capacitaires clairement identifiés (ravitailleurs, transport, drones, radars de surveillance, etc.) des abandons capacitaires pourraient être envisagés. Or il faut affirmer clairement que toute capacité abandonnée est définitivement perdue sauf à accepter des coûts exorbitants et des délais insupportables pour une remontée en puissance aléatoire ;
nos décisions devront être prises avec l'impératif de rechercher la cohérence d'ensemble de nos forces armées et leur cohérence interne arme par arme.
Notre rapport n'aurait pas été complet s'il n'avait ouvert un certain nombre de pistes que la commission du Livre blanc étudiera pour tenter de trouver des marges de manoeuvre. Certaines de ces pistes peuvent avoir un effet à moyen terme mais l'extrême rigidité de la dépense rend la recherche de solutions difficile. Cela ne doit pas empêcher la mise en place des mécanismes qui permettront à plus long terme de réelles économies, en particulier l'Europe de la défense, bilatérale ou multilatérale.
En conclusion, nous affirmons notre volonté de tout faire pour préserver un effort somme toute modeste (1,6 % du PIB mais en réalité sans doute un peu moins) pendant la période de crise et la nécessité de faire un effort supplémentaire une fois la crise passée. Notre sécurité, notre indépendance, notre place dans le concert des nations sont à ce prix.
Quelles que soient les décisions qui seront prises en 2013, elles devront être totalement transparentes et faire l'objet d'un débat ouvert devant le Parlement bien sûr, mais aussi devant l'opinion publique et l'ensemble de nos concitoyens.
Je crois qu'il y a unanimité sur le rapport de notre président qui constitue une exacte synthèse de nos travaux. La question est à présent de savoir comment nous diffusons nos réflexions afin qu'elles touchent le public le plus large.
Nos rapporteurs ont déjà fait un gros travail de communication au travers des conférences de presse qu'ils ont tenues. Du reste, les reprises de la presse témoignent de l'intérêt qu'a suscité notre travail. Il serait légitime que les co-présidents de nos groupes de travail puissent être entendus par la Commission qui se met en place.
Notre groupe est évidemment solidaire de l'ensemble du travail indispensable réalisé par la commission. Nous approuvons pleinement l'impulsion donnée. Pour défendre la défense, et en particulier l'industrie, il faudra insister sur la notion de retour au niveau économique. Je vous rappelle que quand l'Etat met 1 euro dans l'industrie de défense, il en récupère 70 ou 80 centimes.
En tout état de cause, vous aurez compris que nous ne sommes absolument pas dans une logique de renonciation et d'anticipation de réductions des moyens. Il y a un vrai débat à mener pour savoir si le budget de la défense est un budget comme les autres et si réellement il doit participer à l'effort au même titre que les autres.
Je partage tout à fait la position exprimée par notre président. Du reste, le contraire irait à l'encontre du travail fait par la commission, mais surtout cela ruinerait le positionnement de la France auquel nous sommes attachés.
Votre position est juste. Les travaux de notre commission montrent qu'avec 1,5 % du PIB consacrés à la défense nous avons un niveau « juste insuffisant ». Les caractéristiques de la France, sa présence mondiale au travers de notre outre-mer, notre siège de membre permanent du Conseil de sécurité, tout cela justifie ce seuil minimum. De plus cette position est intelligente et il faut la tenir contre les vents contraires. Finalement l'intelligence politique rejoint les analyses et les positions de fond.
N'étant pas un expert des questions de défense, je me contenterai de souligner le très grand intérêt de la coopération européenne qui est de nature, à terme, à nous permettre de dégager des marges de manoeuvre. Nous devrions travailler à démonter les synergies entre nations européennes.
Votre remarque pertinente rejoint la proposition que je viens de faire au Bureau de notre commission afin que nous travaillons à la rentrée sur ces questions difficiles. Difficiles, car pour avoir une vision commune de la défense, il faut au préalable avoir une vision commune de l'avenir de l'Europe et partager les mêmes analyses stratégiques.
Il faut en effet relancer nos contacts notamment avec les Allemands que nous avions rencontrés, avec le Président Carrère, à Berlin le 18 janvier dernier.
J'ai en effet écrit à mon homologue de la commission de la défense du Bundestag pour proposer un suivi régulier entre nos commissions. Une prochaine réunion, différée par les élections législatives, aura lieu à Paris le 18 décembre prochain conjointement avec nos collègues de l'Assemblée nationale.