Au cours d'une première séance tenue dans l'après-midi, la commission procède à l'audition de M. Pierre Veltz, délégué ministériel pour la mise en oeuvre de la mission de préfiguration de la création de l'Établissement public de Paris-Saclay, candidat pressenti pour la présidence du conseil d'administration de l'Établissement public de Paris-Saclay, conjointement avec la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Le projet de Paris-Saclay revêt une dimension extrêmement importante, à l'échelle nationale comme internationale, dans les domaines de l'enseignement supérieur, de la recherche appliquée, d'un développement économique durable et de la culture.
Une délégation de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication s'est rendue sur le site de Saclay au mois de juin dernier. Elle a été impressionnée par le rapprochement en cours entre grandes écoles et universités, qui devrait permettre de faire progresser nos établissements d'enseignement dans les grands classements internationaux.
Ingénieur des Ponts et chaussées, j'ai mené une double carrière de fonctionnaire et d'universitaire, alternant les postes de réflexion et d'action. J'ai ainsi dirigé l'École nationale des Ponts et chaussées et Paris Tech. Je me suis intéressé plus particulièrement au développement économique et territorial - j'ai travaillé avec la Délégation à l'aménagement du territoire (DATAR) et les collectivités territoriales -, aux transformations du monde de l'entreprise et à l'évolution de l'enseignement supérieur.
Mes nombreux voyages m'ont fait prendre conscience de la rapidité avec laquelle les pays émergents nous rattrapent. La France est aujourd'hui à la croisée des chemins ; son système d'enseignement supérieur est l'une des clefs principales de son avenir, à condition qu'elle continue de le réformer, comme elle l'a commencé en confiant davantage d'autonomie aux universités. Les grandes écoles doivent être modernisées, regroupées, ouvertes socialement et rapprochées des universités.
Le projet Paris-Saclay, qui s'étend sur 2 300 hectares, peut être décomposé en sous-périmètres :
- une frange Sud, entre le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et l'école polytechnique, qui regroupe l'essentiel des opérations du « plan campus » ;
- une frange Nord, entre Saint-Quentin en Yvelines et Versailles, rassemblant les sites de développement de Satory et La Minière ;
- des zones plus périphériques d'activité économique, telles celles de Courtaboeuf et Les Ulis au Sud, et Vélizy au Nord.
Le site de Paris-Saclay recèle un potentiel exceptionnel qu'il faut valoriser pour en faire une référence en matière de recherche et développement à l'échelle internationale, notamment auprès des jeunes chercheurs les plus prometteurs des pays émergents. On en est aujourd'hui assez loin, car cette population ne connaît pas la France, s'y sent mal accueillie et éprouve des difficultés à s'y loger. Or, il est capital de savoir l'attirer : une étude récente montre en effet que 40 % des start up américaines ont, parmi leurs membres fondateurs, une personne au moins née hors des Etats-Unis.
Le projet Paris-Saclay répond à trois enjeux majeurs :
- l'un est d'ordre universitaire et académique. Si un dixième de la recherche publique française est concentré sur le plateau, ce qui est substantiel, celle-ci est éclatée en plusieurs endroits. Le « plan campus » a toutefois déjà permis de regrouper 23 signataires au sein d'une fondation et il faut accroître cette synergie ;
- l'autre est de nature économique. Le développement en la matière est encore notoirement insuffisamment. Il faut progresser afin de passer plus rapidement de la phase de recherche aux applications. C'est justement l'objet des clusters, que de susciter un foisonnement d'entreprises auprès des universités, à l'instar de ce qui se passe en Chine et il faut encourager le potentiel d'innovation des étudiants ;
- le dernier, étroitement lié aux deux premiers, concerne l'aménagement du territoire, et plus précisément celui de la desserte du plateau de Saclay. Les réalisations déjà opérées sur le plateau ne donnent pas pleinement satisfaction, notamment en matière de transports. Les entreprises et établissements se sont excessivement étendus, ce qui oblige à se déplacer quasi systématiquement en voiture ; il faut y remédier par davantage de compacité dans le développement. L'objectif doit être de mettre en place un campus mixte et plus facilement accessible, où il fait bon vivre et travailler. Afin d'améliorer l'accessibilité du plateau sans sacrifier le long terme, les progrès devront être tant quantitatifs que qualitatifs, priorité devant être donnée à l'amélioration des transports existants. Ceci justifie la création d'une organisation subsidiaire au syndicat des transports d'Île-de-France (STIF). Par ailleurs, les espaces agricoles et naturels devront être protégés et l'étalement urbain stoppé. Les agriculteurs souhaitent en effet davantage de visibilité dans l'occupation de l'espace, afin de pouvoir planifier leurs investissements.
La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement, dite « loi Grenelle II », prévoit la généralisation des schémas de cohérence territoriale afin de mieux coordonner les différents usages de l'espace ; cet outil permettra de préserver les 2 300 hectares du site de Paris-Saclay. Il est vrai, à propos de la concurrence des pays émergents en matière d'enseignement supérieur, qu'une délégation de la commission de l'économie qui s'était rendue sur un campus indien, à Bengalore, a été très impressionnée par son remarquable niveau d'équipement.
En instaurant l'établissement public de Paris-Saclay, la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris a permis de réunir les différents acteurs du projet autour d'une même table. Une structure a-t-elle spécifiquement été prévue pour attirer les entreprises sur le site et promouvoir son développement économique ?
Quelles actions vous semblent nécessaires pour améliorer la synergie entre grandes écoles et universités ? Comment comptez-vous garantir que la recherche fondamentale ne sera pas directement soumise à l'emprise des grands groupes économiques s'installant sur le site ? De quelle façon envisagez-vous d'y intégrer la zone comprenant Courtaboeuf et Les Ulis ? Comment entendez-vous obtenir le déplacement d'universités sur le plateau de Saclay ?
En matière de développement économique, qui va devenir une priorité désormais, les efforts ont été pour l'instant concentrés sur l'aménagement et l'appui aux maîtres d'ouvrage en matière d'immobilier. Si les projets en ce domaine ne sont pas encore arrêtés, il conviendra d'éviter de doublonner l'existant, de travailler étroitement avec les pôles de compétitivité et de fédérer les projets propres au site.
Je répondrai à M. Pozzo di Borgo que notre pays souffre de l'éclatement des structures, compte tenu notamment du grand nombre des acteurs publics ; cependant, il ne ressort pas de la vocation de l'établissement public de Paris-Saclay de créer une nouvelle structure, mais plutôt de faire converger les structures existantes, au moins dans un premier temps. L'établissement public apportera des moyens, sa volonté et ses compétences.
Je précise à M. Véra que je suis un militant du rapprochement entre grandes écoles et universités, la meilleure façon d'y arriver étant d'aménager des résidences communes afin de réduire la rupture sociologique existante. Il faut donc changer de modèle et créer des campus résidentiels favorisant le développement d'une vie étudiante.
Il faut aussi développer des montages pédagogiques communs. Cependant, l'établissement public n'a pas vocation à piloter la science ni le volet académique. Tel est le rôle de la fondation, sachant néanmoins qu'il y a une gouvernance croisée entre ces deux établissements.
Aujourd'hui, 70 % de l'université est situé dans la vallée contre 30 % sur le plateau. Il faut déplacer son centre de gravité et inverser cette proportion, grâce à des projets scientifiques, ceci d'autant plus que les locaux situés dans la vallée sont dans un état très dégradé. On pourrait aussi accueillir des entreprises dans la vallée, mais celles-ci devront rester dédiées au projet de « cluster ».
Vous avez évoqué la coexistence sur un même terrain des universités et grandes écoles comme étant la pierre angulaire de la réussite ou de l'échec de l'opération. Mais la contrainte ne suffira pas ; il faut adopter une démarche syncrétique en matière de protocole de recherche et l'établissement public a un rôle important à jouer en la matière, la gouvernance croisée avec la fondation devant y aider. Au-delà de « l'effet cafétéria », il faut trouver les moyens d'une vie et d'une recherche en commun.
Je précise que la plupart des recherches conduites dans les grandes écoles le sont en réalité par des universitaires. Il faut que vous puissiez accompagner ce « ferment » jusqu'à aboutir à des protocoles de recherche.
J'ai trois questions à vous poser :
- la réalisation du Grand Paris ne risque-t-elle pas d'aggraver la désertification des campagnes ?
- l'expérience montre que les découvertes ont souvent été individuelles. Aussi la recherche en quelque sorte de masse suffit-elle et ne faut-il pas des personnalités d'exception ?
- n'a-t-on pas les moyens d'éviter que nos innovations soient copiées, y compris dans le cadre des transferts de technologie, et ne faut-il pas les protéger davantage ?
Je partage votre conviction que le logement constitue une clé absolue. Il est également nécessaire que les chercheurs étrangers puissent être hébergés. Ceci me semble largement conditionner la visibilité de nos établissements et l'émergence de talents.
Pour construire cette visibilité, je crois qu'il faut aussi davantage d'audace. Vos projets en termes de préservation des paysages et terres agricoles vont dans le bon sens mais, pour aller plus loin, une approche systémique est nécessaire. En effet, il faut partir du terrain pour se mettre en osmose avec le paysage.
Enfin, il est important d'associer les agriculteurs au projet, en leur permettant par exemple de faire bénéficier les habitants du plateau de leurs productions.
Je répondrai à M. Etienne qu'il existe déjà de nombreuses interactions entre les grandes écoles et les universités. Il faut néanmoins réduire cette « coupure sociologique » ; faire vivre ensemble tous les étudiants est essentiel pour l'innovation car l'incubation se réalise surtout en milieu étudiant et la France souffre d'une grande faiblesse dans ce domaine. Les étudiants ne sont pas assez au coeur de la réflexion sur ce projet.
Un autre défaut de ce dernier est qu'il est très orienté sur les sciences dites « dures » (physique notamment) ; il faut également développer des projets en sciences humaines et sociales, le développement de la vie étudiante devant d'ailleurs y contribuer. Mais je crois qu'il faut conserver le partage des rôles institué entre la fondation et l'établissement public.
M. Boyer, on observe aujourd'hui un changement spectaculaire s'agissant de la désertification des campagnes, même s'il reste « des zones dépressives ». Aujourd'hui, l'aménagement de tous nos territoires comme de la région parisienne est important. Paris et le réseau des grandes villes situées à 2 heures de la capitale fonctionnent de plus en plus en synergie. Un développement économique équilibré suppose que nos métropoles soient puissantes et actives.
Comme vous l'avez dit, la science avance grâce à de grandes individualités, comme l'illustre d'ailleurs l'histoire du plateau de Saclay. Ceci plaide en faveur d'une plus grande attractivité à l'égard des chercheurs et étudiants étrangers.
Enfin, je suis convaincu que le système des brevets est à bout de souffle, la seule protection réelle étant d'être plus intelligent et productif que les autres.
Comme Mme Blandin, je crois qu'il nous faut inventer une « co-évolution » et gérer une transition concernant un espace à la fois agricole, naturel et en voie d'urbanisation, afin de gérer celui-ci de façon continue pendant la transition. Je vous précise que nous associons d'ores et déjà les agriculteurs.
Quand nous élaborons un schéma de cohérence territorial (SCOT), nous avons recours à deux cabinets spécialisés, l'un en urbanisme et l'autre en environnement.
Nous sommes tous convaincus de l'importance des enjeux stratégiques, économiques et d'aménagement du territoire de l'opération du plateau de Saclay. Il nous faut aussi réussir la coopération entre universités et grandes écoles et accroître l'attractivité de nos établissements à l'égard des étudiants français comme étrangers.
- Présidence de M. Jacques Legendre, président -