Commission des affaires économiques

Réunion du 13 mars 2013 : 2ème réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Au cours d'une première réunion tenue dans la matinée, la commission procède à l'audition de M. Jean-Ludovic Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP).

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Monsieur Silicani, le gouvernement a rendu public, le mois dernier, sa feuille de route sur le déploiement du très haut débit. La Mission de pilotage a été confiée à M. Antoine Darodes de Tailly, directeur de la régulation des marchés du haut et très haut débit à l'Arcep. Quelle est la position de l'Autorité ? Quelles seront les conséquences sur le cadre réglementaire ? Comment faire pour que les réseaux d'initiative publique des collectivités soient exploités ? Comment éviter les doublons avec les réseaux des opérateurs privés ? Nous avions voté à l'unanimité une proposition de loi des sénateurs Hervé Maurey et Philippe Leroy en considérant que les collectivités n'avaient pas un rôle suffisant dans la procédure.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Pour notre part, nous abordons le sujet sous l'angle de l'aménagement du territoire. Les sénateurs Yves Rome et Hervé Maurey, ainsi que Pierre Hérisson, mènent un travail approfondi et très concret. Nous devons rester très vigilants car, si nous avons apprécié qu'un récent rapport sur l'égalité des territoires distingue les territoires de leurs habitants, nous avons regretté que la question du numérique n'y soit pas abordée car elle représente pour certains territoires une dernière chance de désenclavement.

Debut de section - Permalien
Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)

Je m'exprimerai avec prudence car le projet du gouvernement n'est pas totalement finalisé. Dans la feuille de route rendue publique le 28 février, le gouvernement a fait le choix de s'appuyer sur des dynamiques existantes, en les complétant. Cette méthode pragmatique, qui intègre les travaux réalisés depuis cinq ans par les collectivités territoriales, les opérateurs et les régulateurs, est plus efficace que la tabula rasa qui aurait bloqué les investissements pendant un ou deux ans et été source d'incertitude.

Si ce plan comporte des mesures nouvelles, il s'inscrit aussi dans la continuité avec, d'abord, le maintien du cadre réglementaire édicté par l'Arcep en 2010 et 2011, en application de la loi de modernisation de l'économie de 2008 et de la loi Pintat contre la fracture numérique de 2009. Le gouvernement a fait le choix de la lutte contre la fracture numérique, à la différence des pays de l'Est, qui affichent des taux de couverture du haut débit en apparence très supérieurs alors que certains territoires roumains, bulgares ou russes sont totalement dépourvus de couverture par des réseaux fixes, ou des États-Unis, dont le modèle repose sur l'initiative privée.

Ce modèle ambitieux, choisi par notre pays, qui combine l'initiative publique et privée pour parvenir à atteindre une couverture haut débit dans des délais rapides - d'ici à 2025 auparavant, d'ici à 2022 désormais -, a pour objet de construire le réseau de communication du XXIe siècle. Il implique des investissements de l'ordre de 25 milliards d'euros. Ne nous laissons pas impressionner par les chiffres : en part de PIB, cela représente trois fois moins que les investissements consentis pour la construction du réseau de chemins de fer à la fin du XIXe siècle.

Le cadre règlementaire de l'Arcep n'interdit aucun déploiement à aucun opérateur. Nous procéderons à une analyse de marché du haut et très haut débit en juillet, qui s'appliquera pour trois ans. Nous apprécierons alors si le cadre réglementaire mérite d'être infléchi.

Autre élément de continuité, le déploiement du réseau doit s'accompagner d'actions complémentaires et cohérentes des acteurs publics et privés. Là encore, la situation est différente dans d'autres pays. Le gouvernement entend conserver les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique, rendus obligatoires par la loi Pintat et réalisés avec une célérité exceptionnelle par les départements. Il s'agit de les conforter pour éviter les investissements redondants entre collectivités ou entre les acteurs publics et privés. Ces documents constituent la cheville ouvrière de la stratégie territoriale d'aménagement numérique définie par les départements.

Les innovations de la feuille de route s'inspirent largement des réflexions parlementaires, formulées dans la proposition de loi Leroy-Maurey, dans les rapports des députées Corinne Erhel et Laure de La Raudière, ou des sénateurs Yves Rome et Pierre Hérisson, ainsi que de propositions d'associations de collectivités locales. La première inflexion tient au renforcement du pilotage par le gouvernement du programme d'investissement stratégique. Nous l'appelions de nos voeux. Il était nécessaire que l'Arcep ne soit pas seule. Une mission de pilotage a été mise en place auprès de Mme Fleur Pellerin.

La deuxième nouveauté est la volonté de généraliser les conventions passées entre opérateurs et collectivités, dans chaque plaque territoriale, dans les zones AMII, où des investissements privés sont programmés. Il importe que les opérateurs définissent précisément leurs engagements, sur le calendrier des études et des travaux, comme sur le montant des investissements programmés zone par zone. Bien que leur valeur juridique soit discutée, elles constitueront un gage de visibilité.

L'extinction du réseau cuivre a également été décidée. Ses modalités seront précisées au terme de l'expérimentation en cours à Palaiseau. L'Arcep veillera à ce que cette opération ne porte pas atteinte à l'équilibre concurrentiel, en reconstituant un monopole au profit de l'opérateur historique. Les opérateurs privés, qui ont accès au réseau cuivre grâce au dégroupage, devront avoir accès à un prix raisonnable au nouveau réseau constitué par la fibre.

Enfin l'aide de l'État au financement des réseaux a été pérennisée : l'État soutiendra le déploiement des réseaux notamment dans les territoires les moins denses, où les investissements locaux et privés sont les plus faibles. Le coût de la boucle locale est estimé à 22 milliards, hors réseaux de collecte et hors raccordement final, deux milliards ayant déjà été engagés. Reste que l'engagement public semble sous-estimé et qu'il faudra sans doute le réévaluer. Alors que, selon la feuille de route, les investissements seront financés pour un tiers par des fonds publics, et pour deux tiers par les opérateurs privés, l'Arcep estime que la part de financement public se montera à 40 %. Le financement public s'élèvera à huit milliards au cours des dix prochaines années. Les collectivités territoriales devront débourser pour le très haut débit entre 400 et 450 millions par an, soit autant que pour le haut débit depuis 2005. L'État devra trouver le même montant. Le président de la République a évoqué une hausse des redevances acquittées par les opérateurs, au titre des fréquences : la redevance variable s'établit à 200 millions par an, tandis que la partie fixe annualisée pourrait rapporter, après refarming de la bande 1800 MHz, 200 millions supplémentaires.

Il est important que la méthode retenue de concertation et de recherche du consensus, qui a présidé à la rédaction de la feuille de route se poursuive. Le consensus est nécessaire à la réalisation des objectifs ambitieux fixés : permettre à 50 % des foyers de devenir éligibles au très haut débit, soit un débit supérieur ou égal à 30 mégabits par seconde, en 2017, 100 % en 2025, au lieu de 25 % aujourd'hui, 8 % étant éligibles à la fibre optique et les autres au câble.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

La feuille de route améliore un dispositif dont les imperfections étaient connues. Je ne partage pas votre définition du très haut débit : le haut débit c'est 100 mégabits, et non 30. C'est avec ce critère que l'on mesurera la réalité des déploiements.

La mission Darodes travaille à une convention type, mais il faudra préciser les délais. Les opérateurs réclament des délais de réalisation des investissements de cinq ans. Pour une fois, je soutiens la position des autorités européennes qui souhaitent un horizon de trois ans. De plus les conventions ne sont pas assez coercitives : il ne faudrait pas que les opérateurs puissent se dégager des obligations les plus difficiles à atteindre.

Loin d'être anodine, l'extinction du réseau cuivre est un enjeu essentiel. L'action des collectivités territoriales est fondamentale et doit être soutenue. Des prêts bonifiés sont prévus. Cependant la perspective d'une amélioration du réseau en fil de cuivre constitue pour elles une épée de Damoclès. Aussi, il est indispensable de mieux préciser les modalités techniques et financières qui présideront à l'extinction du cuivre et rendront de facto obligatoire l'exploitation du réseau que les collectivités auront construit. A cette condition, nous atteindrons le même résultat, certes plus lentement, que si un opérateur unique s'était vu confié la charge de construire un réseau pour le louer aux autres opérateurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

C'était la question que suggérait le président Vall.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

La feuille de route marque une étape nouvelle dans l'organisation de la régulation. Le rapport de Mmes Erhel et de La Raudière suggère de s'engager dans une approche modernisée de la régulation, fondée sur la concertation et prenant en compte l'ensemble de la filière. Un établissement public sera créé ; un observatoire des investissements et des déploiements dans les réseaux mobiles verra le jour. Grâce à des conventions entre opérateurs et collectivités locales, ces dernières pourront prendre le relais en cas de carence sans intervention du régulateur. L'État sera ainsi chargé de missions - anticipation, évaluation, etc. - qui ne relevaient pas de la responsabilité du régulateur. Que pensez-vous de cette nouvelle vision de la régulation ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hervé Maurey

Je ne vous interrogerai pas sur la feuille de route : en tant que président d'une autorité administrative indépendante, il vous serait difficile de me répondre. Vous avez indiqué à juste titre qu'elle s'inscrivait dans la continuité : on note en effet peu de changements entre la politique de Mme Pellerin et celle de M. Besson.

On évoque le très haut débit. Les nombreux territoires qui n'ont pas accès au haut débit seront-ils oubliés jusqu'à l'arrivée de la fibre optique ?

Une question sur la téléphonie mobile : le programme de résorption des zones blanches a été suspendu. J'ai été surpris quand l'Arcep a estimé que mon département n'en comptait plus. Je vous invite à venir vous y promener.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Leroy

Notre proposition de loi concernait aussi la téléphonie mobile. C'est un sujet lié.

La feuille de route marque un progrès, mais résulte d'une action collective. Je me réjouis de cette reprise en main par l'État. Tous la souhaitaient. L'État devra exercer sa politique à la fois au niveau national, dans le cadre que préfigure la mission Darodes, et au niveau local. Or la situation reste floue sur ce plan. Certes le rôle déterminant des départements a été maintenu, mais il faudra que l'État accompagne les collectivités dans l'élaboration des schémas, qu'il conviendra en outre de rendre obligatoires - Mme Pellerin semble favorable à une loi.

L'expérience de basculement du réseau cuivre vers la fibre optique, en cours à Palaiseau, durera un an. Il ne faudrait pas que les complications éventuelles qui y seront constatées constituent un prétexte pour différer les projets. Pourquoi ne pas réaliser une expérience de basculement du réseau câblé vers la fibre optique ? De nombreux citoyens sont concernés.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Le grand soir n'est pas arrivé. Autre point positif, avec cette feuille de route, les collectivités pourront déployer les réseaux si ceux-ci ne créent pas de redondance.

En ce qui concerne la 4G, certains rapports ont critiqué l'absence de prise en compte préalable de la fracture territoriale numérique par l'État et l'Arcep. Quant au dividende numérique, je veux rendre hommage à l'Arcep qui m'a soutenu dans un bras de fer avec le ministre quand je demandais l'application de la loi Pintat dans toute sa rigueur.

Les opérateurs sont en phase de déploiement du réseau ; en 2013 l'expérimentation est terminée. Si la bande 1800 Hz fait l'objet d'un refarming, le déploiement entre dans une phase industrielle et l'Arcep doit surveiller les trajectoires d'investissements dans les zones prioritaires, soit 78 % du territoire, afin que le déploiement soit concomitant à celui de la 4G dans les zones denses.

Pensez-vous que Free, compte tenu de son plan d'investissement, sera en mesure de se passer du contrat d'itinérance conclu avec Orange en 2018 ? Partagez-vous la conception passive de la mutualisation des infrastructures énoncée par l'Autorité de la concurrence ? Celle-ci indique également que la concurrence par les infrastructures n'est pas un modèle dépassé et qu'elle doit rester le coeur de la régulation. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Sérions les sujets : je propose de consacrer une autre audition à la téléphonie mobile.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Le fixe et le mobile s'imbriquent dans le très haut débit !

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

En effet, tout est lié ! Les schémas auront beau être obligatoires, les questions liées à la collecte des fonds ou au génie civil résolues, on se heurtera toujours aux blocages de l'opérateur historique. La création d'un point de montée en débit dépend de l'existence d'un sous-répartiteur entre le noeud de raccordement et l'abonné. En son absence, il est impossible d'avancer car France Télécom freine des quatre fers. Prenez-vous des mesures pour forcer le passage ?

Debut de section - PermalienPhoto de Élisabeth Lamure

Le très haut débit concerne aussi les entreprises. Celles-ci ont accès à l'offre grand public mais sont pénalisées par les ruptures de services parfois fréquentes et longues : elles ont alors recours à des réseaux dédiés à des tarifs onéreux. Comment réguler ces offres pour favoriser la concurrence ? Une baisse des prix de moitié voire des deux tiers serait une bonne nouvelle pour la compétitivité.

Debut de section - Permalien
Jean-Ludovic Silicani

La définition du seuil du THD a donné lieu à un débat byzantin. La Commission européenne a retenu le seuil de 30 mégabits, seuil repris implicitement dans la feuille de route. Deux définitions coexistent : un seuil de 30 mégabits par les réseaux câblés opticalisés et un seuil supérieur à 100 mégabits pour les réseaux FttH. L'objectif des pouvoirs publics est, à terme, de donner à l'ensemble de la population accès à un débit de 100 mégabits grâce au FttH. Les blocages ne relèvent pas du financement, ils sont opérationnels. La main d'oeuvre qualifiée manquera à partir de 2015 ou 2016 pour installer deux millions de lignes par an. Un effort de formation est indispensable.

La rédaction d'une convention type est souhaitable pour ne pas réinventer la lune à chaque fois. Quant à la durée de réalisation des intentions, le Commissariat général à l'investissement accordait les prêts et fixait, dès lors, ses conditions. Elles dépendent d'un simple arrêté du Premier ministre. Conformément aux règles communautaires, le délai laissé à l'opérateur pour réaliser son réseau et à la collectivité pour agir en cas de carence devrait être ramené de cinq ans à trois ans.

L'extinction du réseau cuivre : faut-il ménager des étapes intermédiaires avant l'arrivée du THD ? Il sera impossible, en effet, de rendre éligibles immédiatement 35 millions de foyers. Des investissements sont nécessaires pour améliorer le réseau existant, à condition d'éviter les gaspillages et de ne pas en tirer prétexte pour différer le THD. L'Arcep, en lien avec la Mission « Très haut débit », cherche à trouver un équilibre entre une offre régulée de montée en puissance du haut débit et l'accélération du déploiement du FttH.

Monsieur Teston, l'article L. 32-1 du Code des postes et télécommunications énumère, dans un inventaire à la Prévert, pas moins de 22 objectifs communs que le ministre et l'Arcep doivent respecter, dans l'exercice de leurs compétences respectives, lesquelles sont définies pas d'autres dispositions législatives en application du cadre communautaire. Toute modification suppose une modification de ces textes. Nous n'avons jamais outrepassé nos compétences. Nous nous sommes battus avec M. Eric Besson pour que les fréquences de la 4G soient allouées en fonction d'un objectif prioritaire d'aménagement du territoire, conformément à la loi Pintat. Nous appliquons la loi. Que ceux qui ne l'aiment pas la changent !

Les rapports parlementaires proposent également de renforcer certaines missions qui relèvent du gouvernement et d'autres qui relèvent de l'Arcep. Nous entretenions avec le précédent gouvernement de bonnes relations. Il n'y a pas de raison pour que cela change.

Je suis, enfin, d'accord pour répondre aux questions sur la téléphonie mobile lors d'une audition spécifique.

Monsieur Retailleau, l'avis de l'Autorité de la concurrence s'inspire de celui que nous lui avions transmis. Il lui appartient de rappeler son attachement à la concurrence par les infrastructures ; il nous revient de rappeler que cet objectif doit être contrebalancé par d'autres objectifs fixés par la loi, comme l'aménagement du territoire ou la compétitivité des entreprises. Chacun est dans son rôle, même si notre position apparaît un peu plus équilibrée.

Pour le mobile comme pour le fixe, nous suivrons les investissements grâce à un observatoire des investissements et des déploiements dans les réseaux mobiles. Nous traitons les données fournies par les opérateurs. Nous les publierons d'ici mai. En cas d'investissements insuffisants, nous pourrons recourir à la mise en demeure anticipée.

Monsieur Leroy, une erreur a été commise lors de la réforme des télécoms en 1997 : l'Etat n'a conservé aucune compétence au niveau déconcentré en la matière, les effectifs des directions locales ayant été transférés à France Télécom. Il conviendrait de recruter un ou deux ingénieurs dans chaque région pour assister les préfets et relayer l'action des services centraux.

Madame Lamure, les offres aux entreprises constituent un chantier prioritaire de l'Arcep en 2013. Bien qu'il s'agisse d'offres régulées, davantage de concurrence serait bénéfique aux entreprises. Les offres actuelles, en dépit d'améliorations récentes, restent coûteuses.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je vous remercie et je vous confirme mon invitation pour une nouvelle audition concernant la téléphonie mobile.

La commission procède, en commun avec la commission du développement durable à l'audition, sous forme de table ronde, des représentants des opérateurs télécoms.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Mes chers collègues, nous accueillons ce matin MM. Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom, Eric Debroeck, directeur de la réglementation de France Télécom - Orange, Olivier Henrard, secrétaire général de SFR, Laurent Laganier, directeur de la réglementation et des relations avec les collectivités du Groupe ILIAD (Free), Yves Le Mouël, directeur général de la fédération française des télécoms (FFT), et enfin Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable/Completel.

Je laisse tout de suite la parole à Michel Teston sur le thème de la gouvernance du déploiement de la fibre.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Teston

Merci monsieur le président. La feuille de route annoncée par le Gouvernement prévoit, pour ce qui est du pilotage national, le retour d'un État stratège. Cela se traduira notamment par la création d'un établissement public chargé de coordonner et d'accompagner les différents acteurs. S'agissant des projets des collectivités locales, la présence de l'État sera plus forte, avec la mise à disposition de référentiels techniques et la création d'un observatoire des déploiements. Quant à son soutien financier, il sera important, avec des prêts et des subventions. S'agissant des engagements des opérateurs privés, qui ne font actuellement l'objet d'aucune sanction en cas de non réalisation du réseau, ils seront désormais encadrés par la passation de conventions avec les collectivités locales, permettant à celles-ci de prendre le relais en cas de carence. L'observatoire des déploiements devrait veiller à la bonne exécution des conventions. Il s'agit d'une logique de coordination des initiatives privées et publiques.

La principale question que nous souhaitions vous poser est de savoir si ce dispositif facilitera l'atteinte de l'objectif de couverture intégrale de la population sous dix ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Hérisson

La feuille de route prévoit la création d'une mission confiée à une personnalité reconnue afin de préciser un calendrier d'extinction du cuivre, objectif que le Gouvernement présente comme majeur. Ses conclusions sont attendues pour la fin de l'année 2014. Ce basculement est-il réellement envisageable ? Quelles seraient ses implications concrètes pour les opérateurs ? Avec quelques parlementaires ici présents, nous suivons ce dossier depuis 1995. Pour reprendre un proverbe chinois, je dirais que lorsqu'il y a deux capitaines, le bateau coule. Que n'avons-nous fait de contorsions depuis 1995 sur le sujet...

Vous m'avez confié, monsieur le président, le thème du basculement du cuivre vers la fibre. Le président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), M. Jean-Ludovic Silicani, vient de rappeler qu'un des objectifs majeurs était de veiller au respect des règles de la concurrence. Or la priorité devrait être avant tout la couverture du territoire.

Dans la loi, le règlement définitif du problème de la propriété du réseau de cuivre est assorti d'une contrepartie toujours en vigueur aujourd'hui : l'opérateur historique, qui est défini comme le propriétaire du réseau cuivre, aux côtés d'autres opérateurs qui sont propriétaires de réseaux, a une obligation de service universel, c'est-à-dire une obligation de couverture par le téléphone fixe de la totalité du territoire. Depuis plusieurs années, des réflexions ont été engagées sur l'opportunité d'un service universel de l'ADSL. Cette solution n'a finalement pas été retenue.

Néanmoins, nous nous trouvons aujourd'hui confrontés à un problème juridique réel s'agissant du basculement. Le réseau de cuivre appartient à l'opérateur historique. Le législateur l'a contraint à laisser passer les autres opérateurs sur le réseau dont il est propriétaire. Comment va-t-on faire pour imposer au propriétaire du réseau de ne plus l'utiliser et de recourir à d'autres solutions techniques pour assurer l'obligation qui lui est faite du service universel de la téléphonie fixe ? Il y a là un véritable problème sur lequel il faudra interpeller l'Arcep. Dès lors qu'on veut être réaliste, cette négociation va coûter cher en termes de rachat ou d'indemnisation du réseau cuivre. Il va falloir ajouter quelques milliards à une facture pour laquelle on n'a déjà pas le courage de faire l'addition !

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Raoul

Je vous propose de donner maintenant la parole aux opérateurs, concernant ces deux questions portant à la fois sur la faisabilité de la gouvernance prévue via les conventions et sur le problème concomitant de l'aménagement numérique du territoire et de l'extinction du cuivre.

Debut de section - Permalien
Oliver Henrard, secrétaire général de SFR

Je commencerai par quelques mots rapides sur le groupe. SFR représente 26 millions de clients aujourd'hui, dont 5,1 millions dans le fixe. L'entreprise a réalisé 1,6 milliard d'euros d'investissements en 2012 et a un objectif équivalent en 2013. Pour ce qui est de la fibre, SFR s'est positionné comme un opérateur développant sa propre infrastructure de réseau, et acquérant par ailleurs des droits d'usage sur les réseaux des autres opérateurs de manière à disposer de son indépendance financière et technologique pour l'ensemble du territoire.

Fin 2012, SFR avait investi 550 millions d'euros dans la fibre, et déployé 57 000 kilomètres de réseau. Nous poursuivrons nos efforts d'investissement en 2013, à hauteur de 140 millions d'euros. Fin 2013, nous aurons équipé 1,5 million de logements au total, à la fois dans les zones très denses définies par l'Arcep et dans les zones moins denses. Dans ces dernières, nous allons respecter le calendrier d'investissement sur lequel nous nous sommes engagés à l'occasion de l'appel à manifestation d'intention d'investissement (AMII) lancé par le Commissariat général à l'investissement (CGI). Pour mettre en oeuvre cet engagement, nous avons conclu avec Orange un accord pour déployer nos réseaux sans doublons. Aux termes de cet accord, qui couvre 9,8 millions de logements au total, SFR desservira 2,3 millions de logements et 593 communes. La couverture de l'ensemble de ces 593 communes sera initiée, pour ce qui concerne leur traitement, avant la fin de l'année 2015.

Sur la question de la gouvernance du déploiement, la préoccupation de SFR rejoint l'intérêt général, puisque notre souci est d'atteindre la meilleure complémentarité possible entre initiatives privées et avec les initiatives publiques. C'est pour cette raison que nous avions initialement souhaité une intégration la plus poussée possible au sein d'une société commune à tous les acteurs privés et publics de la fibre. A défaut d'une telle structure, nous appelons de nos voeux l'intervention de l'État, par exemple à travers la création d'un établissement public national qui permettra de garantir coordination et complémentarité. Cette structure devra également s'assurer de ce que les technologies employées évitent de prolonger inutilement la vie du cuivre, afin de ne pas perturber les stratégies d'investissement dans les nouvelles technologies.

Nous souscrivons totalement à l'idée d'offrir aux collectivités territoriales une visibilité maximale pour que celles-ci puissent programmer leurs propres investissements. C'est pour cela que nous acceptons tout à fait de conclure des conventions qui permettront d'acter les perspectives de déploiement des parties publiques et des parties privées. Nous avons déjà signé des conventions de cette nature, avec le conseil général du Loiret, avec le Grand Lyon, et bientôt avec Marseille métropole. S'agissant en revanche d'assortir ces conventions de mécanismes de sanctions unilatéraux, nous n'y sommes pas favorables. Nous investissons avec un horizon de rentabilité de 15-20 ans au minimum, quelles que soient les zones. Nous nous exposons donc à des aléas industriels et réglementaires. On ne pourrait raisonnablement mettre en place un mécanisme de sanction a priori qui fasse l'impasse sur ces aléas.

En ce qui concerne le basculement du cuivre vers la fibre, il n'y a pas d'incitation plus forte au déploiement de la fibre que la perspective de l'extinction du cuivre. Cette perspective d'extinction du cuivre est bien plus efficace que d'éventuelles sanctions qui pourraient être mises en place à destination des opérateurs. Cette extinction garantira également la rentabilité à long terme des investissements que nous nous apprêtons à engager, et attirera des investisseurs financiers aujourd'hui souvent réticents à s'associer aux projets des opérateurs.

Nous considérons que l'extinction doit être rendue possible dans toutes les zones, et pas seulement à l'initiative d'Orange. Un opérateur comme SFR doit pouvoir demander une extinction concomitante avec le déploiement de son propre réseau. Par ailleurs, cette extinction ne sera possible que si l'offre de fibre qui vient se substituer au cuivre n'impose pas de surcoût par rapport au dégroupage. Ce n'est pas le cas aujourd'hui puisque le coût mensuel de la ligne optique est de 16,47 euros, contre 8,80 euros pour la ligne de cuivre.

Enfin, à partir du moment où le cuivre est voué à l'extinction, il ne nous semble pas équitable que la tarification actuelle du cuivre par Orange lui permette de bénéficier de revenus suffisants pour assurer le renouvellement des actifs, pour reprendre les termes de l'Arcep. Il ne s'agit pas, en matière de cuivre, de renouveler des actifs qui sont voués à disparaître, mais de financer les actifs du futur, à savoir la fibre. Une partie de cette ressource perçue par Orange, cette surfacturation du cuivre, nous semble devoir être mutualisée pour être affectée au financement, public ou privé, du déploiement de la fibre.

Une tarification du cuivre différenciée en fonction des zones pourrait également être envisagée, pour inciter l'ensemble des acteurs de la zone concernée, qu'il s'agisse des opérateurs ou des abonnés, à migrer plus rapidement vers la fibre.

Ultime piste sur laquelle nous souhaitons travailler : le Gouvernement pourrait accélérer le fibrage des immeubles en modifiant la loi sur la modernisation de l'économie de 2008 afin de rendre obligatoire, non seulement l'inscription à l'ordre du jour des assemblées de copropriétaires la proposition de câblage d'un opérateur, mais aussi la désignation effective d'un opérateur pour réaliser ce câblage.

Debut de section - Permalien
Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom

Le marché du fixe en France est un marché peu fluide. La meilleure preuve en est que, malgré une stratégie agressive, avec une croissance très significative, nous n'avons pu prendre que 7 % de ce marché en cinq ans. Bouygues Telecom regroupe 2 millions de clients fixes, avec une forte croissance sur l'année passée. Nous sommes le dernier opérateur à entrer sur le marché du fixe, en 2008. Nous avons 300 000 clients très haut débit, ce qui fait de nous le deuxième opérateur sur le parc très haut débit.

Le très haut débit est une composante essentielle de notre stratégie dans le fixe. Nous mettons l'accent sur l'innovation et la valorisation des services. En tant que dernier entrant sur le marché, nous devons nous comporter en investisseur avisé et sélectif. Cela nous a conduits en particulier à ne pas déployer d'infrastructure FttH en propre. Nous avons privilégié la location avec notre partenaire Numericable ou le co-investissement avec Orange et SFR.

Nous investissons 74 millions d'euros par an pour financer les projets de très haut débit sur la zone très dense, en co-investissement avec SFR et Orange. En zone AMII, l'accord de co-investissement signé ce dernier sera activé concrètement lorsque nous disposerons d'une visibilité suffisante, à la fois sur la couverture cible, le rythme et la localisation précise des déploiements FttH. Par ailleurs, nous participons à l'opération pilote de Palaiseau et sommes également présents dans les RIP. Ces quelques remarques vous permettent de mieux situer le positionnement de Bouygues sur ce marché du très haut débit.

En ce qui concerne la gouvernance du déploiement, je ferai une triple distinction. Tout d'abord, au niveau central, Bouygues Telecom approuve les orientations de la feuille de route qui visent à renforcer les prérogatives de l'État en matière de coordination. Nous estimons qu'elles auront des effets bénéfiques en matière de structuration professionnelle et de soutien opérationnel aux projets des collectivités par la définition d'un cadre commun de financement des réseaux d'initiative publique (RIP).

Nous nous réjouissons de la proposition de mise en place de conventions de programmation et de suivi des déploiements. Toutefois, compte tenu des objectifs très ambitieux qui sont affichés, il nous semble que des dispositifs plus contraignants auraient pu être définis au cas où les opérateurs ne respectent pas leurs engagements. Je rappelle que la piste des sanctions financières a été évoquée au cours des auditions conduites par Pierre Hérisson et Yves Rome. Il est également prévu qu'une collectivité puisse se subtituer à un opérateur défaillant mais les modalités de ce dispositif mériteraient d'être précisées.

En ce qui concerne la gouvernance des RIP, nous constatons, malgré d'indéniables avancées, une excessive hétérogénéité de la taille et des types de ces derniers, ce qui peut obérer leur développement. Nous estimons donc souhaitable de favoriser l'émergence de structures de portage régional, avec des guichets uniques.

S'agissant du basculement du cuivre à la fibre optique, nous pensons tout d'abord que l'extinction du premier est nécessaire à la sécurisation des investissements dans le second. La feuille de route a souligné, à juste titre, qu'il n'était pas pertinent de maintenir les deux infrastructures mais l'exigence de pragmatisme amène à constater que l'abandon brutal du cuivre pourrait susciter des difficultés pratiques et juridiques. C'est pourquoi nous approuvons la solution qui a été proposée, de recourir à une évaluation préalable par une personnalité reconnue. L'idée qui nous semble pertinente consisterait à dissocier dans le temps l'extinction du cuivre et l'arrêt de la commercialisation du DSL.

Enfin, il nous semble hautement souhaitable d'encadrer et de cibler strictement l'usage des technologies de type VDSL qui permettent d'augmenter artificiellement le débit et la durée de vie du cuivre, sans quoi on se tire une balle dans le pied en favorisant, de manière générale, une technologie dont on prévoit par ailleurs l'extinction.

Debut de section - Permalien
Laurent Laganier, directeur de la réglementation et des relations avec les collectivités du groupe ILIAD

Je rappelle très rapidement que Free est un opérateur fixe et mobile - depuis un an - qui réalise un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros. Free est un des seuls opérateurs à verser très peu de dividendes, ce qui l'amène à réinvestir de l'ordre d'un milliard d'euros par an, soit 35 % de son chiffre d'affaires. 800 millions d'euros ont été investis dans la fibre, pour l'essentiel en zone très dense. Nous avons l'intention de poursuivre ce déploiement de notre réseau et nous avons également décidé de souscrire à offre de cofinancement lancée par Orange dans 60 départements

En matière de gouvernance, je n'ai pas de remarques particulières à formuler : la demande de visibilité des collectivités locales nous semble parfaitement légitime, de même que leur volonté de reprendre la main si le co-financement privé ne peut plus être assuré.

Sur la gouvernance des réseaux d'initiative publique, nous formulons une seule demande : nous souhaiterions pouvoir être consultés sur les offres avant qu'elles ne soient lancées ou en amont des procédures. A l'heure actuelle, nous sommes trop souvent placés devant le fait accompli, avec une offre verrouillée, fixée par le délégataire et votée par la collectivité, ce qui entraîne, par la suite, des discussions longues et parfois pénibles. Nous plaidons donc pour un renforcement des modalités de concertation

Mon principal regret sur la feuille de route - qui dans son ensemble nous semble très positive - concerne la partie des réseaux qui se situe sur des parties privatives, y compris à l'intérieur du logement. Cette dernière représente entre un quart et un tiers du coût de l'installation de la fibre optique. Je rappelle que pour les autres réseaux (eau, électricité, téléphone...) c'est le propriétaire privé qui supporte le coût d'installation dans sa partie privative. Je vois mal comment on pourrait préserver la compétitivité de l'offre de déploiement du très haut débit par fibre optique en imposant aux opérateurs un surcout de 30 à 50 % lié à la prise en charge du financement de l'installation dans les parties privatives. Nous souhaitons donc une réflexion sur ce point.

Je rejoins l'opinion du représentant de SFR sur les modalités de basculement du cuivre à la fibre. Il est au minimum nécessaire de préserver la possibilité pour nos abonnés de continuer à bénéficier de l'offre traditionnelle à laquelle ils étaient habitués et, si on leur propose de basculer du cuivre à la fibre, il faut que les conditions financières de la nouvelle offre ne s'écartent pas trop de l'existant.

A titre personnel, j'estime qu'on enterre le cuivre un peu trop vite. On sous-estime les avancées technologiques qui permettraient d'améliorer les débits de l'infrastructure en cuivre, au moins dans la partie terminale des réseaux. Il faudrait, à mon sens, laisser sa chance à cette technologie. J'ajoute qu'historiquement, les technologies nouvelles remplacent les anciennes parce qu'elles sont meilleurs et non pas parce qu'on interdit ces dernières.

Debut de section - Permalien
Eric Debroeck, directeur de la réglementation de France Telecom-Orange

Le développement de la fibre optique est un axe majeur de la stratégie de notre entreprise qui pense avoir un rôle particulier à jouer dans ce grand projet. Nous sommes entrés dans une phase de déploiement industriel de réseaux FttH. A ce jour, nous avons initié le développement de la fibre optique dans 267 communes représentant potentiellement 8,9 millions de logements répartis dans 60 départements et dans toutes les régions métropolitaines. 150 de ces communes sont en dehors des zones très denses, comme nous nous y étions engagés.

Au-delà, 1251 points de mutualisation sont déployés et 286 sont en cours de déploiement. Des consultations ont été adressées aux autres opérateurs sur près de 3 000 nouveaux points de mutualisation.

Malgré un contexte économique particulièrement difficile pour les opérateurs, nous avons décidé, pour 2013, d'amplifier nos efforts d'investissement. D'ici 2015, nous aurons ainsi déployé la fibre optique dans 220 agglomérations et 3 600 communes, ce qui correspond à près de 60 % des foyers français.

La réussite de cet objectif ambitieux passe, tout d'abord, par la stabilité du cadre réglementaire. Elle implique également la mobilisation et la coopération de tous : collectivités locales, bailleurs sociaux, la filière des installateurs ainsi que celle des équipementiers, sans oublier les personnels et les centres de formation.

Comme vous le savez, nous attachons une grande importance aux conventions conclues avec les collectivités locales et nous poursuivons un dialogue confiant avec ces dernières. Dix conventions ont d'ores et déjà été signées couvrant environ un million de logements ; six autres, qui représentent deux millions de logement, sont en attente de délibération.

S'agissant de la feuille de route, nous saluons le travail de qualité qui a été réalisé par la mission très haut débit. Elle ébauche, pour la première fois, un scénario global de déploiement du très haut débit en articulant non seulement l'investissement privé et public, mais aussi la fibre optique, avec des technologies alternatives.

Néanmoins nous attirons l'attention de chacun sur la prise en compte des difficultés financières que connaissent aujourd'hui les opérateurs, notamment dans la détermination des objectifs à court et moyen terme. Nous sommes également convaincus que l'appétence des clients pour le très haut débit ne va sans doute pas cesser de croitre mais nous estimons que les clients ne sont, en majorité, pas prêts à payer plus cher pour en bénéficier ni même à migrer massivement de la DSL vers la fibre optique à prix égal. Or, économiquement, on n'investit dans un nouveau réseau que si l'on s'attend à obtenir une rémunération supérieure. Le projet risque donc d'échouer si les services offerts sur la fibre ne sont pas supérieurs en qualité et mieux rémunérés que ceux qui sont proposés sur le cuivre. C'est un point, pour nous, capital.

Par ailleurs, un certain nombre de difficultés doivent être surmontées. Il nous semble nécessaire de ne planifier le développement des RIP de manière significative que dans la mesure où on aura permis aux opérateurs de trouver des marges de manoeuvre financières additionnelles et aux collectivités locales de disposer de suffisamment de visibilité de façon à éviter la sous-utilisation des réseaux publics. Nous considérons que la montée en débit est une facilité qui doit être utilisée de façon optimale et au maximum de ses capacités.

S'agissant de l'extinction du cuivre, je dirai d'abord un mot sur l'expérimentation de Palaiseau : elle consiste à raccorder tous les clients à la fibre optique en fermant la boucle locale cuivre dès la fin de 2014. Il s'agit de tester la faisabilité du processus. Les relations avec la commune sont excellentes mais il reste encore des difficultés à résoudre, notamment avec les grands bailleurs sociaux, pour obtenir certaines autorisations.

Nous sommes prêts à engager des négociations avec une éventuelle personnalité reconnue chargée d'examiner les modalités d'extinction du cuivre, mais ne pouvons pas accepter les orientations qui s'apparenteraient à une expropriation. Il convient de rappeler que le réseau cuivre est un actif qui conserve une grande valeur pour Orange et dont l'exploitation mobilise de nombreux salariés. L'extinction ne peut être envisagée que de façon très progressive et en définissant une contrepartie adaptée et justement évaluée. Je fais d'ailleurs observer qu'une telle évolution n'a été engagée nulle part ailleurs et ne fait l'objet d'aucune autre préconisation au niveau européen. On peut également noter que le périmètre de cette réflexion semble se limiter à la fermeture du réseau cuivre alors qu'on pourrait également se poser la question de l'extinction des réseaux câblés ou radio-hertziens.

Debut de section - Permalien
Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable

Numericable rassemble la quasi-totalité des réseaux câblés en France et couvre 10 millions de foyers. Ce réseau est un actif de grande valeur pour notre pays et il était initialement conçu pour diffuser de la télévision. La stratégie de Numericable a été de déployer la fibre optique pour y associer l'accès internet à très haut débit : un milliards d'euros d'investissement y a été consacré depuis cinq ans. A ce jour, cinq millions de prises sont alimentées en fibre optique et nous avons plus de 630 000 d'abonnés en très haut débit sur ce réseau. Nous avons l'intention de poursuivre ces efforts afin de couvrir notre périmètre global de dix millions de foyers, y compris les trois millions d'entre eux qui sont en zone peu dense. Il s'agit également d'apporter ces services au-delà de notre propre réseau - je pense avant tout aux RIP. Notre stratégie se résume ainsi à déployer la fibre optique partout sur notre territoire.

Sur la gouvernance du déploiement, je rappelle que Numericable signe des accords avec les collectivités locales pour déployer et porter des services à très haut débit. Plus d'une dizaine d'accords ont été conclus, ce qui représente un million de prises.

S'agissant du basculement du cuivre vers la fibre, j'observe que nous bénéficions de l'expérience du basculement de la télévision de l'analogique vers le numérique et je rappelle que le CSA nous avait demandé, à cette occasion, de diffuser la TNT sur notre réseau câblé. Il me semble qu'on pourrait s'inspirer de ce précédent pour réfléchir, par exemple, aux moyens techniques de prendre le relai du réseau téléphonique qui transite aujourd'hui par le cuivre.

Debut de section - Permalien
Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération française des télécoms (FFT)

J'insisterai principalement sur les points de convergence qui se sont exprimés. Je rappelle qu'il s'agit, dans les décennies qui viennent, de raccorder au très haut débit 25 à 30 millions de foyers. L'enjeu industriel sous-jacent est immense et ce basculement nécessite une certaine préparation non seulement de la part des opérateurs mais aussi, et nous les entrainons dans ce mouvement, des acteurs du numérique, des installateurs, équipementiers et câbleurs. Avec eux, nous avons commencé à travailler, dans le cadre d'une plateforme dite « objectif fibre ». Je souligne que l'un des principaux enjeux est celui de la formation continue de 15 000 personnes en charge de la réalisation concrète du déploiement de la fibre optique ; nous élaborons une étude prospective des besoins. Nous avons également agi au niveau de la formation initiale : des modules relatifs à la fibre optique ont été intégrés aux Bac pro, BEP, CAP et les jeunes diplômés seront opérationnels dès 2014. Nous avons également bien avancé dans l'élaboration de référentiels techniques nécessaires au déploiement de la fibre en câblage horizontal ou vertical, en zone pavillonnaire ou dans les ensembles anciens. La mission très haut débit va pouvoir se servir de ces références, sous forme de guides pratiques, pour garantir la cohérence et l'homogénéité des réseaux.

Nous travaillons également sur l'interopérabilité des réseaux afin de permettre une fluidité satisfaisante entre les différents maillages qui seront réalisés sur le territoire. Dans le cadre du groupe Interop, auquel la fédération apporte son appui, nous travaillons sur des sujets comme la normalisation des informations faisant l'objet d'échanges réguliers, la liste des adresses, incorporant les autorisations obtenues de la part des syndics de co-propriété, et le service après-vente, qu'il conviendra d'homogénéiser.

Je souligne que nous sommes particulièrement attachés à ce qu'on puisse identifier de la même manière, chez tous les opérateurs, les modalités d'accès à un immeuble ou à un client particulier pour garantir la fluidité de la portabilité des numéros de fibres.

Il nous parait essentiel que la mission très haut débit puisse à la fois fournir un cadrage général et, en même temps, préserver des possibilités d'adaptation au niveau local, ce qui implique une concertation susceptible de faire prendre en compte la problématique de l'opérateur le plus en amont possible du processus.

J'attire enfin votre attention sur trois aspects particuliers, qui visent également à garantir une certaine fluidité dans le déploiement de la fibre optique. Tout d'abord, en ce qui concerne les constructions neuves, il conviendrait d'envisager de façon systématique le raccordement à la fibre optique dans le pré-équipement pavillonnaire. Ensuite, il faudra résoudre les difficultés que rencontrent assez souvent les opérateurs dans l'installation des points de mutualisation extérieurs. Enfin, il faut consentir un important effort de communication dans toutes les communes concernées par le déploiement en permettant aux acteurs locaux de disposer, selon un processus standardisé, d'informations techniques très détaillées.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Nous allons à présent aborder le dernier thème de notre table ronde : le financement du déploiement du très haut débit. La feuille de route prévoit de le diviser en trois tiers : l'un pris en charge par les opérateurs dans les zones denses, l'autre en cofinancement entre opérateurs et collectivités dans les zones moyennement denses, et le dernier par les collectivités avec le soutien de l'Etat dans les zones peu denses. Un tel plan de financement est-il viable au regard des enjeux financiers, chiffrés entre 20 et 30 milliards d'euros selon les estimations ?

Debut de section - Permalien
Olivier Henrard

Ce coût est élevé, certes, mais à nuancer car d'un même ordre de grandeur que le Grand Paris express ou que le TGV Paris-Lyon-Turin.

Le plan de financement du Gouvernement pourrait être viable, dès lors que trois conditions seraient respectées : que les opérateurs puissent investir, ce qui suppose une certaine stabilité du cadre règlementaire et fiscal ; qu'il existe une véritable complémentarité entre investissements publics et privés, afin d'éviter la duplication des réseaux ; et que l'on trouve des moyens pertinents d'alimenter le fonds de soutien public pour les zones non denses. A ce titre, nous avons pris note de l'idée d'un appel à l'épargne réglementée, ainsi que de l'utilisation de redevances pour l'usage de fréquences, dont le montant devra être fixé par le Gouvernement en tenant compte de cet impératif de financement. Pourquoi ne pas étudier, par ailleurs, la piste d'une mutualisation de la sur-rémunération que reçoit l'opérateur historique pour l'entretien du réseau cuivre ?

Debut de section - Permalien
Didier Casas, secrétaire général de Bouygues Telecom

L'évaluation du coût total du déploiement réalisée par l'Arcep devrait prendre en compte le coût du raccordement final au client, de l'ordre de 400 euros par prise. L'on dépasserait alors les 35 milliards d'euros !

Les opérateurs seuls sont impuissants à financer un tel déploiement. Il est donc souhaitable que les contributions soient tripartites, comme le prévoit la feuille de route.

S'agissant du produit de la réallocation pour la 4G de la bande de fréquences des 1 800 Mhz, il nous semble étonnant de vouloir faire financer le fixe par le mobile, lorsque l'on compare leurs taux de rentabilité respectifs... Et ceux qui souhaitent que la redevance soit fixée à un niveau le plus élevé possible risquent de le regretter lorsqu'ils souhaiteront accéder à ces fréquences, une fois redevenues neutres !

Il nous faut trouver de nouvelles sources de revenus, ce qui implique d'accélérer le développement de la fibre jusqu'au domicile. Nous avons deux propositions à cet effet :

- engager une discussion avec les collectivités en vue d'accélérer le raccordement des particuliers. Cela passe par la suppression, déjà évoquée, du passage en assemblée générale de copropriétaires de la décision d'équiper verticalement un immeuble en fibre dans les zones très denses. Cela passe aussi par la mise en place de campagnes de raccordement accompagnées de subventions au raccordement décroissant dans le temps ou d'une prise en charge partielle du coût de raccordement ;

- accorder un caractère prioritaire et différencié au raccordement des bâtiments à usage professionnel et des zones d'activité. Prévoir un dispositif spécifique pour les entreprises permettrait de les inciter à se raccorder et ouvrirait un marché aujourd'hui en situation quasi monopolistique.

Debut de section - Permalien
Laurent Laganier, directeur de la réglementation et des relations avec les collectivités du groupe ILIAD

Si la feuille de route nous paraît crédible dans le volet horizontal du déploiement, tel n'est pas le cas pour la partie terminale. Il faut que la loi prescrive au propriétaire la pose de la fibre en cas de construction, de réhabilitation, de cession ou de location de logement. La piste de la subvention ou du crédit d'impôt, par l'État ou la collectivité, peut être explorée pour faciliter cette obligation. La fibre a vocation à devenir l'accessoire de la propriété et doit, en tant que telle, être financée par le propriétaire, dans un cadre fixé par la loi.

Le réseau cuivre ne nous semble pas mort, pour la partie terminale du moins : la prise qui va à la télévision ou à l'ordinateur est le plus souvent en cuivre. La difficulté est de fixer d'où elle part : du dispositif de terminaison intérieur au logement, du point de concentration, de plus haut encore ? Il faut se poser la question de la réutilisation du segment terminal du câble coaxial pour achever le réseau fibre, comme cela est fait en Suisse, ce qui permet d'obtenir des débits de plusieurs centaines de Mbit/s sans percer de trous chez le client.

Pour finir, je voudrais vous appeler à ne pas créer de nouvelle taxe sectorielle, en plus des 17 que nous avons déjà dans les télécoms !

Debut de section - Permalien
Eric Debroeck, directeur de la réglementation de France Telecom-Orange

S'agissant de la problématique du financement, il faut bien avoir en tête les difficultés économiques que traverse le secteur. Un des points positifs de la feuille de route est de faire état de chiffres précis, même si j'observe que le président de l'Arcep, dans son audition de ce matin, y a apporté des nuances. Ainsi, et en ce qui concerne le produit de la redevance pour l'utilisation de la bande des 1 800 Mhz, la feuille de route et les annonces qui l'ont suivies semblent préfigurer un montant de 200 millions d'euros quand M. Silicani parlait de 400 à 450 millions ; nous étions, pour notre part, plutôt sur ce chiffre de 200 millions d'euros.

Le raccordement est un vrai sujet ; il faut le rajouter pour obtenir une estimation globale du coût du déploiement. Il y a une difficulté de financement de cette partie terminale du réseau par les opérateurs.

Il n'y a pas, je le répète, de rente ni de surfacturation de la paire de cuivre par Orange. L'Arcep s'est prononcée sur ce point à plusieurs reprises ; la Commission européenne est en train de préparer un projet de recommandation qui va en préciser les méthodes de comptabilisation et devrait conduire à une stabilisation en termes réels de la tarification n'induisant aucune sur-rémunération.

A titre personnel, je pense qu'il faudrait mettre en place une mission d'expertise sur la partie terminale du réseau. Aux États-Unis, la fibre arrive jusqu'au pavillon mais s'y arrête et n'y rentre pas ; on réutilise ensuite le câblage cuivre ou coaxial pour le raccordement final.

Debut de section - Permalien
Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable

Je voudrais commencer par rappeler que la technologie que nous utilisons est mondiale, et qu'aux Etats-Unis, elle permet aux entreprises leaders dans ce secteur de faire passer plusieurs Gbit/s.

Pour ce qui est du financement, il faut bien avoir en tête que la rentabilité d'un réseau est un paramètre plus important que le coût. Or, le prix de la location de la boucle cuivre est aujourd'hui beaucoup trop bas, donc l'incitation à investir dans un nouveau réseau très faible. Il a très légèrement augmenté récemment, mais cette réévaluation doit être largement accrue.

Debut de section - Permalien
Yves Le Mouël, directeur général de la Fédération française des télécoms (FFT)

Ne perdons pas de vue que les opérateurs contribuent à chacun des « trois tiers » de financement évoqués par la feuille de route : ils constituent des entreprises investissant entre 6 et 7 milliards d'euros en France chaque année, soit autant que les réseaux électrique et routier. Pour qu'un réseau fonctionne, il faut qu'il soit entretenu, et le réseau fibre n'échappera pas à cette nécessité.

Deux paramètres doivent être pris en compte :

- le taux de pénétration atteint aujourd'hui par le haut débit, la France étant l'un des pays les mieux équipés à cet égard, d'où le manque d'appétence des consommateurs pour le très haut débit. Il faut inciter l'usager à s'équiper, que ce soit en développant des services innovants ou fiscalement lors de son raccordement ;

- le niveau de revenu dégagé à la prise. Les Français se sont habitués à des tarifs d'abonnement très bas : 35 à 40 euros, contre 150 dollars aux Etats-Unis ! Or, une technologie plus performante a un coût, et donc une valeur différenciée.

Il faut désormais créer un cadre favorable à l'investissement, ce qui implique d'éviter toute sur-fiscalisation du secteur et ne pas trop le règlementer.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

En matière de gouvernance, il faut un chantier coopératif entre les différents acteurs, et non une mainmise de l'État ou des territoires. Il est vrai néanmoins que les collectivités ont besoin de visibilité à un horizon plus resserré ; il leur faut disposer d'un suivi longitudinal à chacun de vos engagements de déploiement.

S'agissant du réseau cuivre, son extinction est une conséquence, et non un préalable, de la création d'un nouveau réseau. Il semble d'ailleurs paradoxal de proposer des tarifs identiques pour les deux réseaux. Et d'avoir laissé faire de la montée en débit dans les zones de déploiement de la fibre ! Il faut s'inspirer, pour l'organisation à terme du basculement, de ce qui a été fait par le groupement d'intérêt économique (GIE) France Télévision Numérique en ce qui concerne l'arrêt de la télévision analogique.

Enfin, pour faciliter le déploiement de la fibre, de petits problèmes concrets doivent être réglés. En matière de formation par exemple, nous, collectivités, sommes prêtes à intervenir ; il faut que vous nous disiez quels sont les besoins.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Rome

Je note une certaine satisfaction chez les opérateurs vis-à-vis de la feuille de route...

La standardisation est une nécessité, que nous avons rappelée dans le rapport rédigé avec mon collègue Pierre Hérisson.

Il faut un retour de l'État stratège, ainsi qu'une plus grande participation des opérateurs au financement, dans un cadre sécurisé, aux côtés des collectivités.

Le basculement, bien évidemment, ne pourra se faire que lorsque les collectivités auront déployé des réseaux là où il n'y a rien aujourd'hui ; ce sera alors une conséquence naturelle de leur implantation. L'erreur, de ce point de vue, a été de commencer par équiper les zones les plus denses.

Le rôle des collectivités est essentiel pour 80 % du territoire !

Le surplus de valeur de deux euros pour l'accès à la boucle cuivre doit être affecté au déploiement par les collectivités dans les zones peu denses.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

On a l'impression, à vous entendre, que tout va pour le mieux ! En réalité, dans les zones peu denses, qui va payer, si ce ne sont les bénéficiaires ? L'électrification s'est faite, dans ces espaces ruraux, grâce à la mutualisation : tout le monde a participé. Je souhaiterais que l'Etat régule en vue de mettre en place un tel cofinancement. Le très haut débit est une vraie priorité, dont il doit se saisir.

J'ai par ailleurs une interrogation concernant spécifiquement Numericable : vous intéressez-vous réellement aux petites collectivités ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

Pour ma part, je reste sur ma faim après vous avoir écouté. Le rapport sur l'avenir de nos campagnes, rédigé avec ma collègue Renée Nicoux, a souligné l'importance du très haut débit en milieu rural. Mais vous, opérateurs, ne semblez pas faire de la desserte des zones les moins denses une priorité.

Comment financer le coût du déploiement, lorsque l'on connaît la situation précaire à la fois de l'État, des collectivités et des opérateurs télécoms ? Qui va payer pour nos campagnes ? Faut-il en appeler à la péréquation nationale ? L'idée de faire prendre en charge le financement de la partie privative du raccordement par le propriétaire ne me choque pas.

S'agissant du manque de main d'oeuvre, je me souviens tout de même que France Télécom incitait au départ une partie du personnel situé sur mon territoire il y deux ou trois ans !

Debut de section - Permalien
Jérôme Yomtov, directeur général délégué de Numericable

Pour répondre à M. Lenoir, dans les zones peu denses, nous couvrons 3 millions de foyers et continuons de déployer. Nous sommes partenaires de toutes les collectivités, quelle que soit leur taille.

Debut de section - PermalienPhoto de Raymond Vall

Messieurs, je vous remercie au nom de tous mes collègues sénateurs d'avoir pris part à cette table ronde ; nous aurons l'occasion de nous revoir, notamment sur les problématiques liées à la téléphonie mobile.

- Présidence de M. Daniel Raoul, président -