Notre mission commune d'information, créée à l'initiative du groupe UDI-UC après le scandale de la viande de cheval s'intéresse à tous les maillons de la filière viande, et tout particulièrement à la distribution, que vous représentez.
Dans une tribune intitulée « viande de boeuf ou de cheval : grosses arnaques et pratiques mafieuses », Michel-Edouard Leclerc a récemment déclaré qu'il n'y avait pas de problème de traçabilité : « En quelques heures, les pouvoirs publics ont été capables de retracer l'itinéraire de la viande en question et de lister les nombreux intermédiaires impliqués. On n'aurait jamais pu faire cela il y a une quinzaine d'années. C'est donc que l'ensemble de la chaîne agro-alimentaire a tiré les leçons des crises plus anciennes et qu'elle s'est (de ce point de vue au moins) complètement réorganisée. Tant mieux pour le consommateur. Le problème, j'insiste, n'est donc pas un problème de traçabilité. Il s'agit d'une arnaque commerciale de grande ampleur. Le vrai problème est le traitement de la fraude et donc la vérification des allégations de marchandises entre professionnels. Ce n'est pas moins grave ». Il dénonce ensuite les traders, les insuffisances de l'Etat en matière de contrôle, et fait une demande d'étiquetage plus précis sur l'origine des viandes composant les produits transformés. La Scamark développe les produits de marque de distributeur : que pensez-vous de ces déclarations ? Y a-t-il des dérives dans l'industrie agroalimentaire ? Les contrôles ont-ils atteint leurs limites ? Peut-on simplifier les étiquetages, ou faut-il au contraire les rendre plus complets ?
Je pense tout d'abord que les marques de distributeur ne fournissent pas exclusivement des produits d'entrée de gamme.
Au demeurant, chez Leclerc, la « marque repère » n'est pas une entrée de gamme.
Michel-Édouard Leclerc a parfaitement raison. L'enseigne Leclerc a été marquée par deux crises successives : celles des rillettes et celle du steak haché en 2005. Il y a eu un avant et un après steak haché. Le fondateur de l'enseigne, Édouard Leclerc, a toujours privilégié la dimension humaine, les réponses aux questions de société, et donné la priorité aux consommateurs : il n'aurait jamais vendu de produits présentant un risque quelconque. Depuis la crise de 2005, nous ne travaillons plus qu'avec un seul fournisseur de viande, dont nous connaissons les engagements en matière de qualité. Au-delà de la traçabilité, l'histoire du secteur témoigne que, de toute manière, les acteurs les moins bons ne peuvent que disparaître. Le scandale de la vache folle, qui a considérablement modifié les habitudes des professionnels, l'a bien montré.
Dans le cas du horsegate, il ne s'agit que d'un problème de fraude. C'est comme si l'on avait arrêté un conducteur sans permis.
Il faut donc accroître la vigilance à l'égard des conducteurs sans permis...
Certes, mais du fait des écarts de prix entre produits, il y aura toujours des tentations de fraude, malgré toutes les exigences de traçabilité et tous les contrôles.
L'enseigne Leclerc est peu intégrée, à l'exception de l'eau, à laquelle Edouard Leclerc attachait beaucoup d'importance, et des abattoirs, car le groupe avait racheté pour des raisons de circonstances les abattoirs Gilles, qui ont grandi et sont devenus Kermené. Chaque bête y est tracée avec précision. La technique du contrôle ADN y est utilisée. On ne recherchait pas spécialement à détecter la viande de cheval, car celle-ci était historiquement plus chère... Notez sur ce point qu'on effraie les consommateurs pour rien, comme l'a fait l'émission Capital récemment : des traces d'ADN d'un animal peuvent être déposées sur un autre par le couteau qui aura servi à les découper successivement. En Belgique, des retraits ont été ordonnés pour cette raison ! La technique n'est pas entièrement fiable, à plus forte raison sur les produits transformés. Une autre technique, celle des puces électroniques, permet d'identifier sept types de viande, mais elle reste marginale.
Les tests ADN ne sont effectués qu'en un seul point sur des palettes d'un mètre cube.
Lorsque vous faites un sondage, vous n'interrogez pas tous les Français ! Les procédures de test sont élaborées par les statisticiens de nos laboratoires. Les échantillons sont systématiquement conservés.
Vous appliquez la méthode HACCP (Hazard analysis critical control point) ?
En effet. Mais ceux qui veulent tricher trouveront toujours des moyens de le faire.
Les autocontrôles par les opérateurs sont-ils suffisants pour assurer la santé sanitaire ?
Chacun ses responsabilités. Cela vaut dans tous les secteurs : Air France ne va pas chez Airbus pratiquer ses propres contrôles sur les avions. Nous exigeons de nos fournisseurs le respect d'un cahier des charges strict ; et ils appliquent la réglementation européenne. Ils nous transmettent à première demande tous les documents que nous leur réclamons, mais il n'est pas question de se substituer à eux dans la chaîne de responsabilités. Si la réglementation évolue, à eux de prendre leurs responsabilités. Nous pratiquons tout de même des contrôles aléatoires, pour lesquels nous dépensons 8 millions d'euros par an.
Il n'y a pas seulement les autocontrôles. Il y a aussi les trois services de l'Etat : les services vétérinaires, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), et les douanes. C'est un système astucieux, qui distingue différents niveaux de contrôle - sanitaire, microéconomique, réglementaire - et qui fonctionne. Le niveau de contrôle exercé dans les autres pays européens m'inquiète bien davantage. Les services français ne sont d'ailleurs nullement en cause dans le scandale de la viande de cheval. On sait bien que dans certains pays, les activités véreuses s'épanouissent. Rn l'occurrence la viande provenait de Roumanie, et cela ne m'étonne pas ; mais elle avait transité par les Pays-Bas - c'est plus inquiétant !
Vétérinaire à Cuiseaux pendant de nombreuses années, je sais comment fonctionnent les contrôles. Je peux vous dire qu'ils sont très sérieux. Les grandes enseignes comme Bigard sont très suivies, les analyses auxquelles elles se soumettent sont nombreuses. Elles le sont d'autant plus que les consommateurs veulent désormais des steaks hachés à 10 % ou 0 % de matière grasse, ce qui demande des manipulations. A dire vrai, en France les contrôles sont presque trop nombreux, car les trois services de l'Etat sont en concurrence entre eux ! Le problème est davantage européen.
Toutes les professions sont éclaboussées par les scandales qui éclatent en leur sein.
Faut-il renforcer les autocontrôles et les contrôles des services officiels ?
Entendons-nous sur la notion d'autocontrôle. Les contrôles a posteriori que nous réalisons sont de l'ordre de la surveillance. Lorsqu'un problème est détecté, c'est que le produit a été consommé. Les numéros verts que nous avons mis en place, destinés à recueillir directement l'avis des consommateurs, rentrent dans cette catégorie.
Le contrôle qualité dépend essentiellement du système de management de la qualité pratiqué dans les usines : la méthode HACCP, le contrôle des matières premières, la qualification des personnels, les machines, en sont des composantes parmi d'autres. Notre rôle est d'abord de ne pas nuire à la santé du consommateur, de ne pas le tromper, mais aussi de lui procurer du plaisir à la dégustation. Pour cela, nous nous sommes soumis à des normes strictes élaborées conjointement avec les professionnels allemands et adoptées depuis par les professionnels italiens : la norme IFS (International featured standards).
Nous exigeons leur respect par toute entreprise qui souhaite travailler avec nous. Les plus petites peuvent bénéficier d'un délai d'adaptation.
Les sanctions sont-elles suffisantes ? Ne faut-il pas les renforcer, pour dissuader les professionnels de frauder ?
Les sanctions sont terribles et immédiates. Voyez Spanghero, qui n'existe quasiment plus ! D'autres entreprises de la même chaîne de production sont menacées.
Il ne s'agit pas de sanctions au sens juridique, les médias ont joué un rôle !
Jusqu'où faut-il aller dans l'étiquetage ? Michel-Edouard Leclerc demande que le pays d'origine soit mentionné sur les étiquettes des produits transformés.
Les transformations sont parfois complexes : la provenance des composants d'un plat cuisiné peut varier chaque jour.
Vous pourriez modifier les étiquettes tous les jours. Il y a dans mon département une entreprise dont c'est le coeur de métier.
Les étiquettes seraient illisibles ! Une anecdote : dans la brasserie où j'ai pris un café ce matin, les viandes étaient étiquetées « origine France et Union européenne ».
Origine France, cela veut dire quelque chose ! Ce n'est pas le cas de la mention « origine communautaire » : qui me dit que la viande en provenance de Roumanie n'a pas subi les pires transformations ?
En Europe, la réglementation est supposée respectée par tous, ou par personne.
Non : nous sommes les seuls, en France, à appliquer la réglementation européenne tout de suite et tout le temps. Nous ne sommes pas comparables avec la Roumanie ou la Bulgarie.
Notre cahier des charges couvre l'Europe des quinze ou seize.
Mais certains pays sont sans doute moins sûrs. Qu'en est-il de la Pologne par exemple ?
Il y a des fournisseurs de très bonne qualité en Pologne. En outre nous avons des magasins dans ce pays et il serait malvenu d'exclure les professionnels polonais.
Notre viande est à 90 % d'origine française.
Le boeuf vient également d'Allemagne et d'Italie.
Il est donc possible d'indiquer ces origines sur l'étiquette. Ce n'est pas insurmontable.
La mention d'origine est déjà obligatoire pour le boeuf. Elle devrait être étendue à toutes les viandes fraîches d'ici à la fin de l'année. Il s'agit d'indiquer le lieu de naissance, le lieu d'élevage, et le lieu d'abattage de la bête. La mention « Origine France » signalerait par exemple la viande des bêtes nées, élevées et abattues en France. A l'exception du porc, qui circule parfois dans différents pays du nord de l'Europe, l'étiquetage des autres viandes que le boeuf ne pose pas de problème car les animaux vivent peu de temps.
Le règlement européen sur l'information des consommateurs, dit « Inco », prévoit aussi l'indication d'origine des produits transformés. Prenez l'exemple d'une saucisse de Strasbourg, composée de gras et de maigre de boeuf et de porc en provenance de France, d'Allemagne et d'Italie, mais dont les fournisseurs respectifs peuvent changer chaque jour. S'il faut préciser tous les lieux de naissance, d'élevage et d'abattage des bêtes, vous imaginez la complexité de l'étiquette...
L'interprofession bovine plaide évidemment pour ces nouvelles contraintes, car celles-ci favoriserait la viande française, plus simple à étiqueter !
Nous avons des alliances avec des entreprises belges, allemandes, italiennes, suisses : lors du scandale de la viande de cheval, toutes se sont repliées sur leur production nationale dans un réflexe chauvin.
Les professionnels allemands travaillent dans de meilleures conditions, car ils ont des charges de main-d'oeuvre inférieures. Il n'y a pas de smic...
Faisons alors l'Europe fiscale et sociale !
Quelles marges réalisez-vous sur les produits carnés ? Fournissez-vous plusieurs filières de consommation, en dehors de Leclerc ? Les produits sont-ils tous de même qualité ?
Quelles propositions de modification de la loi de modernisation de l'économie (LME) feriez-vous pour mieux répercuter sur le prix final les variations des coûts de production ?
Nous ne produisons en marque de distributeur que pour Leclerc. La gamme est large. Le premier prix respecte normes et cahiers des charges applicables aux autres productions, mais il est certain que le plaisir gustatif est moindre. Un camembert premier prix est sain mais moins savoureux qu'un camembert au lait cru.
Les emballages également sont moins beaux, donc moins chers.
Une même usine peut par exemple fabriquer le même type de crème dessert pour différentes marques, mais en respectant la recette et le cahier des charges de chacune.
S'agissant des marges, je vous renvoie au rapport de l'observatoire des prix et des marges. Les rayons boucherie dégagent une marge négative de 1,9 %. D'ailleurs je vous le prédis : ils vont disparaître, car nous ne trouvons plus de bouchers qualifiés.
Ce n'est pas même une question de salaire, car les bouchers touchent le deuxième salaire le plus élevé de nos magasins, après le directeur.
Il ne restera bientôt plus que la viande en libre service.
La grande distribution gagne plus d'argent dans le textile, les produits frais, l'épicerie...
Tout rapporte davantage que la viande, dont la marge est négative ! Les produits laitiers demandent moins de manipulations.
Nous avons besoin de lisibilité, c'est pourquoi j'ai une part de réticence à ce que l'on modifie une fois de plus la loi. L'indexation pose problème. La spéculation a contribué à la fluctuation des prix des matières premières. Or, si l'on garantit aux spéculateurs que les prix seront indexés, il n'existe plus de freins. Ma crainte, c'est qu'au final le consommateur paye la facture. Lorsque l'on a abrogé la loi Galland, il en a été le premier bénéficiaire, car le système des marges arrière lui coûtait cher ! Mais le lobby des consommateurs étant le moins puissant, des alliances se forment entre les deux autres acteurs. Il faut répartir plus équitablement les charges. Enfin, n'oublions pas que la concurrence continue à s'exercer sur les marchés. L'indexation pose un deuxième problème : si les prix augmentent trop, nous nous fournirons ailleurs. L'indexation est une fausse bonne idée.
Organisons des filières, engageons nous dans la contractualisation. Il faut résoudre le problème là où il se trouve. Dans les charges ? Le secteur agricole ? Les successions ? Les regroupements ?
En France, la distribution est toujours mise au banc des accusés. Pourtant, elle est moins concentrée qu'en Allemagne ou dans d'autres pays d'Europe - en Finlande deux opérateurs se partagent 80 % du marché. Les problèmes de l'entreprise Doux ne sont pas imputables à la distribution française mais à des investissements hasardeux au Brésil. Ne demandons pas à la distribution de régler des problèmes qui ne sont pas de son ressort.
L'accord sur le lait est symptomatique : la production de lait française va pour moitié à l'industrie de transformation, l'autre moitié étant commercialisée par la distribution. Nous étions d'accord, pour notre part, pour signer un chèque directement aux éleveurs. Le médiateur en a décidé autrement en prévoyant 2 centimes de hausse au litre pour les produits transformés et 3 centimes sur le lait de consommation. Ce système, qui s'appliquera en « pied de facture », à partir du 3 juin, est cependant compliqué à surveiller : comment savoir combien de litres de lait entrent dans la fabrication de tel ou tel fromage ? En outre, les industriels on tendance à s'abriter derrière les origines du lait : ils affirment s'approvisionner beaucoup à l'étranger, ce qui est pratique pour ne pas contribuer à hauteur de 3 centimes le litre... Bref, l'intention est bonne au départ mais les résultats risquent d'être bien décevants tandis que la production de lait continue à diminuer en France.
Bientôt il n'y aura plus de production de lait en France ! Ce sera une perte énorme. Les producteurs de lait ne gagnent plus correctement leur vie et leurs contraintes professionnelles sont très lourdes. Un éleveur de Charolais dans la Somme, en comparaison, est bien mieux loti : il fait chaque jour un tour des écuries l'hiver, des prés l'été, pour voir si tout va bien et tire de sa production une rentabilité très correcte.
Pour le lait, nous traitons avec les grands groupes comme Danone ou Lactalis, pas avec les producteurs.
Michel-Edouard Leclerc a déclaré que l'industrie de la viande doit réviser ses pratiques. Vous défendez le statut quo ?
Le secteur de la viande est en train de s'assainir. Sur les trois entreprises françaises dont les pratiques laissaient gravement à désirer, une a disparu, une autre va suivre. Il en reste une...
J'en termine en évoquant le « programme national nutrition santé » (PNNS). Nous nous sommes engagés dans ce cadre à diminuer la quantité de gras, de sucre et de sel dans nos produits. Nous l'indiquions sur les emballages, bien sûr. Nous avons ainsi réduit le sucre dans certains de nos yaourts, jusqu'à 28 % : le goût était différent, mais le consommateur savait pourquoi et faisait son choix. Et voilà que le Parlement européen décide que seule une réduction d'au moins 30 % pourrait ouvrir droit à une mention sur les étiquettes. Nous risquions de fortes amendes. Nous avons arrêté la distribution de ces produits. Les décideurs européens n'ont pas compris qu'acclimater les consommateurs à de nouvelles saveurs ne se fait pas brutalement.
La Confédération paysanne a présenté plusieurs propositions pour la filière viande, notamment en matière d'abattage, de distribution et de contractualisation. Pouvez-vous nous les expliquer dans le détail ?
Vous préconisez des prélèvements de tissu sur les animaux avant l'abattage pour conserver les empreintes ADN. La traçabilité est-elle encore insuffisante ?
La crise de la vache folle a conduit à renforcer considérablement les contrôles et les exigences de traçabilité, jusqu'à l'excès, pour rassurer les consommateurs. Or dans le scandale de la viande de cheval, ce ne sont nullement les producteurs, mais les industriels de la transformation, qui sont en cause. Ce sont pourtant les producteurs qui sont pénalisés car le volume de consommation et les prix de la viande baissent. Les producteurs sont soumis à la conditionnalité des aides de la PAC tandis que les industriels peuvent faire de l'autocontrôle, ce que nous dénonçons. Nous demandons plus de contrôles par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), hélas victime ces dernières années de la révision générale des politiques publiques (RGPP).
Il y a une quarantaine d'années, l'époque était marquée par le règne du productivisme. On ne se souciait ni du consommateur ni de l'environnement. On se contentait de produire le plus possible. Aujourd'hui tout le monde est d'accord pour plus de transparence et de traçabilité. Mais il faut aussi mettre un terme à l'inflation des normes : les éleveurs n'en peuvent plus, ils passent beaucoup de temps à remplir des papiers. Trop de normes tuent l'élevage.
Dans les entreprises, des services qualité sont mis en place. Ils n'auraient pas de sens dans les fermes où seulement une ou deux personnes s'occupent de tout. Les exploitants qui se sont lancé dans la vente directe à la ferme ne comprennent pas d'avoir à respecter autant de normes que les gros industriels : ils n'ont pas les mêmes risques de fraude ! Or ils perdent des jours entiers à s'occuper de paperasses.
Le scandale de la viande de cheval est celui de l'industrialisation et de l'autocontrôle. Pour notre part, nous défendons la relocalisation de la production, au plus près du consommateur. Il est incompréhensible que les règles soient les mêmes pour les industriels et pour la transformation fermière relocalisée. Les consommateurs veulent savoir ce qu'ils mangent et ils se défient du modèle industriel. Les circuits courts sont un réel enjeu.
Nous avons élaboré un plan pour sauver l'élevage français. Fin 2012, les chiffres qui ont été publiés montrent de forts écarts de revenus entre les producteurs de viande et de lait et les céréaliers, le revenu allant de 14 000 euros par an pour les premiers à près de 80 000 euros pour les seconds. De plus, la flambée des prix des matières premières a eu une incidence sur les coûts de production et donc sur les revenus des exploitants. Il a fallu du temps pour en prendre conscience.
Avec la dérégulation à outrance, les éleveurs n'ont plus de vision à moyen et long terme. Comment assurer le renouvellement des générations, alors que 55 % des producteurs de viande bovine ont plus de 50 ans ?
Dans le secteur de la viande bovine, il n'est même pas possible de se projeter à trois mois, du fait de l'absence d'indexation des prix de vente sur le coût des matières premières. Ce système très archaïque décourage les jeunes d'aller vers l'élevage, d'autant que le revenu annuel ne dépasse pas 20 000 euros...les très bonnes années. Ils préfèrent se tourner vers la production céréalière, bien moins contraignante.
Il y en a trop. Voulons-nous une France totalement végétalisée ? Dans mon canton, situé au sud de Nantes, une ferme par commune est passée de l'élevage aux céréales. Les statistiques nationales iront sans doute dans le même sens.
L'écart des investissements entre les céréales et l'élevage va de un à trois : un pour les céréales, deux pour le lait et trois pour la viande. Quand un jeune exploitant va voir son banquier, il lui accorde un prêt à condition qu'il s'oriente vers la production végétale.
Voulons d'une France d'élevage ou de grande culture ? Notre pays s'approvisionnera-t-il à l'avenir sur le marché mondial pour sa consommation de viande ? Si l'on veut éviter cela, il convient de réagir vite en prévoyant l'indexation des prix de vente de la viande sur le coût de l'alimentation animale. Il est faux de croire qu'avec moins d'exploitants, notre pays produira plus.
Depuis longtemps, je me revendique citoyen du monde. L'Europe est une belle idée, mais pour l'instant, elle est libérale et libre échangiste alors que les Etats-Unis et la Chine ont décidé de protéger leurs marchés. La confédération paysanne prône la préférence communautaire. Les prix payés en Europe, et donc en France, sont fixés à partir de ceux pratiqués dans les échanges mondiaux. Pour le lait, seule 4 % de la production mondiale fait l'objet de transactions internationales. Et c'est en fonction de ces échanges que l'on fixe le prix du lait en France !
Les coûts de production des ovins en Nouvelle-Zélande ne sont pas du tout les mêmes qu'en France. Si l'on fixe les prix en fonction de ceux de ce pays, autant arrêter tout de suite l'élevage de moutons chez nous. Faut-il vraiment retenir le plus petit dénominateur commun pour fixer les prix ? En poursuivant sa politique de libéralisation à outrance, l'Europe risque de détruire l'élevage.
Pour l'alimentation mondiale, il est dramatique de s'aligner sur le moins disant : voyez les conséquences d'une telle politique sur les productions vivrières en Afrique. Nos ailes de poulet qui sont vendues sur les marchés africains provoquent l'effondrement des productions locales. Est-ce cela que l'on veut ?
Il faudrait des incitations à la production locale. Pourquoi ne pas demander aux collectivités de consommer local ?
Comment comprendre que de la viande de cheval arrive dans nos assiettes alors que nous vendons des taurillons sur le fragile marché turc, taurillons qui pourraient parfaitement être transformés dans nos plats cuisinés ?
En l'occurrence, il s'agit d'une fraude : la viande de cheval était beaucoup moins chère.
Les contrôles devraient être renforcés en cas d'approvisionnement sur le marché mondial.
Il y a trois ans, les prix étaient au plus bas et nous avons été bien contents de pouvoir exporter nos taurillons en Turquie, ce qui a d'ailleurs permis de faire remonter les prix en France. A contrario, nous importons de la viande de moins bonne qualité organoleptique - et donc moins chère que les taurillons - pour l'incorporer dans nos plats cuisinés. Utiliser des taurillons pour des lasagnes, ce serait du gaspillage !
L'Allemagne vend des machines-outils et des voitures de qualité. En France, nous savons faire de très bons produits alimentaires : développons donc ce créneau qui est porteur plutôt que de courir après des productions de masse à moindre coût, au risque de tuer notre agriculture.
La qualité des produits n'entraîne pas de surcoûts pour le consommateur. Mieux vaut acheter de bons aliments plutôt que des plats cuisinés, plus chers et de mauvaise qualité.
La France restera-t-elle la première destination touristique mondiale si elle n'est plus qu'une grande plaine céréalière ?
La diversité de nos paysages est un atout indéniable. Tous ceux qui vivent dans des zones escarpées n'auront effectivement pas le choix, mais ils devront se contenter de vivoter.
Dans le Cher, il n'y a plus beaucoup d'éleveurs : heureusement que je ne m'y suis pas installé en tant que vétérinaire !
La Nouvelle-Zélande est faite pour élever des moutons et la France ne pourra conserver ses ovins que s'ils sont d'excellente qualité, ce qui lui permettra de les vendre plus chers.
Je déplore que notre production de lait soit en train de disparaître. Enfin, je suis tout à fait partisan de la vente à la ferme, mais cela implique des investissements assez lourds.
Une politique incitative est indispensable pour permettre de développer ces niches, et maintenir un élevage de proximité, qui crée de l'emploi, pas des élevages industriels de 1 000 vaches.
Je crains que nous n'en prenions pas le chemin : les abattoirs de proximité sont en train de disparaître.
Nous n'allons pas enrayer la mondialisation : la seule solution consiste à jouer sur nos atouts. Et pourquoi ne pas réorienter les aides de la politique agricole commune (PAC) vers les productions fragilisées, comme la viande ou les fruits et légumes ? Pour moi, la proposition de prime aux 50 premiers hectares de Stéphane Le Foll va dans le bon sens, même si elle ne peut constituer qu'un début de mesures en faveur de l'emploi et d'exploitations à taille humaine. Je sais que nos adversaires n'y sont pas favorables, mais au vu des chiffres, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi : ceux qui travaillent 800 heures reçoivent cinq fois plus que ceux qui travaillent 3 000 heures...
Le Sénat a adopté sur ce point une résolution européenne sur la PAC qui va dans notre sens.
Le couplage des aides est primordial si nous ne voulons pas voir disparaître l'élevage. L'exemple de l'Irlande qui a mis fin au couplage est à cet égard frappant.
Notre proposition d'aller le plus loin possible dans le couplage des aides directes a été adoptée à l'unanimité.
Votre éclairage sur le bien-être animal nous sera utile, particulièrement dans le domaine de l'abattage.
La confédération nationale des sociétés protectrices des animaux (CNSPA) représente 274 associations réparties dans 93 départements. Son sujet de prédilection n'est pas la viande, mais une dizaine d'associations orientent leurs activités vers les grands animaux (ânes, chevaux...) et le bétail. Les associations regroupées dans la confédération représentent environ 360 000 adhérents
Lors de notre dernière campagne sur la protection des animaux, la question du bien être des animaux de vente et de consommation a été largement abordée. L'abattage est évidemment une question essentielle. L'expression d'abattage rituel n'est pas la plus pertinente. Je préfère parler d'abattage sans étourdissement, ce qui pose le problème de la souffrance animale. Mais l'absence d'étourdissement pose aussi un problème sanitaire, qui a été soulevé par certains scientifiques.
La CNSPA est membre d'Eurogroup for animals, qui travaille aux côtés des institutions européennes pour définir des règles de transport et d'abattage des animaux. Nous avons aussi des contacts fréquents avec le ministère de l'agriculture et ses services déconcentrés. Nous participons régulièrement aux réunions des Conseils départementaux de la santé et de la protection animales (CDSPA). Une réforme est en cours ; elle doit rendre les régions compétentes sur la question et instituer, dans chacune d'entre elles, un fonctionnaire chargé de suivre la problématique du bien-être des animaux.
Nous avons également un rôle d'alerte, comme dans l'affaire du jeune homme décédé après un repas dans un restaurant Quick. Y a-t-il eu un problème sanitaire lors de l'abattage ? D'après le professeur Mouthon, de l'école vétérinaire de Maisons-Alfort, la bactérie e-coli peut se transmettre par l'oesophage. D'autres spécialistes contestent cette affirmation. Si les steacks hachés en question provenaient de bêtes abattues sans étourdissement, il se peut que la bactérie leur ait été transmise. C'est à ce titre que nous réclamons, à défaut de l'étourdissement de tous les animaux, un étiquetage clair du mode d'abattage.
Il existe peu d'incidents lors de l'étourdissement ; encore faut-il que le matador soit bien utilisé. En revanche, de nombreux incidents ont lieu avec les pinces d'électronarcose.
Pour les ovins principalement. En outre, il y a beaucoup plus d'abattages sans étourdissement aujourd'hui qu'il y a vingt ans. En Ile de France, les abattoirs ne sont plus équipés pour étourdir.
Pour des raisons économiques par rapport à l'abattage avec étourdissement : cela permet de gagner du temps. En outre, pour toute la production en abattage sans étourdissement, cela évite de mettre en place deux chaînes d'abattage, ce qui accroît la rentabilité.
Si un bovin ou un ovin mettent 14 minutes à mourir, cela signifie donc qu'ils sont découpés vivants ?
En effet. Moins de 10 % de la viande abattue est destiné au marché halal ou cascher, alors qu'un animal sur deux est abattu sans étourdissement.
Pourtant, on pourrait envisager un abattage rituel avec étourdissement ?
Effectivement. Il y a quatre ans, nous avons rencontré des responsables religieux ; étourdir un animal ne semblait pas poser de problème pour l'islam. Mais peut-être le discours s'est-il depuis radicalisé... Quelques associations essayent aussi de mettre bon ordre dans l'abattage clandestin, qui s'est énormément développé.
Un abattage sans étourdissement n'est pas nécessairement rituel. D'autres règles sont à respecter pour un abattage rituel : présence d'un sacrificateur, orientation de la tête de l'animal...
La souffrance animale est difficile à mesurer. Les défenseurs de la tauromachie prétendent que l'animal ne souffre pas, tant est grand son taux d'adrénaline. Pour autant, il est indéniable que l'animal souffre.
Un rapport du Conseil général de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) établit clairement que l'égorgement est un moment de souffrance.
Accepterions-nous de nous faire arracher une dent sans anesthésie ?
Portez-vous plainte contre les exploitants d'abattoirs lorsque vous constatez des manquements à la réglementation de l'abattage ?
M. Hervé Bélardi. - Systématiquement.
Cette souffrance animale imposée de façon non justifiée peut avoir un impact négatif sur la consommation. C'est le constat fait par le rapport de la DGAL : la souffrance animale cohabite mal avec l'éthique des consommateurs. Cela risque d'avoir à terme un impact sur les producteurs.
Effectivement. La majorité des producteurs travaillent dans des conditions difficiles : il faut les protéger. Le discours sur le bien vivre et le bien mourir animal prend de l'ampleur ; je me suis rendu en mars 2012 à une réunion à Nîmes sur la protection animale. Dans le bus, cinq ou six personnes sur 45 déclaraient ne jamais manger de produits carnés. Cela n'était pas pensable il y a vingt ans.
Il faut rassurer le consommateur dans tous les domaines : qualité de la viande, origine, souffrance de l'animal...
L'étiquetage constitue un bon moyen de garantir la sécurité des consommateurs. Si un animal sur deux est abattu sans étourdissement, c'est un argument pour demander l'étiquetage. On a connu un problème analogue avec les oeufs de poulet en batterie.
Notre mission sur la filière viande va « de la fourche à la fourchette ». Or, le consommateur s'intéresse de plus en plus à ce qu'il mange et aux conditions d'élevage ou d'abattage. Avant d'en venir à ces questions, pouvez-vous présenter votre association ?
Fondée en 1994 et reconnue d'utilité publique, notre association pour la protection mondiale des animaux de ferme (PMAF) remplit plusieurs missions. Nous conseillons d'abord tous ceux qui sont chargés de mettre en oeuvre la réglementation qui protège les animaux d'élevage. Nous surveillons particulièrement l'application des normes pour le transport des animaux et avons publié un guide pratique sur ce sujet ; en complément, nous intervenons régulièrement à l'école de formation des gendarmes située à Fontainebleau. Nous travaillons ensuite avec l'industrie agro-alimentaire, la grande distribution et les éleveurs pour accompagner les initiatives favorisant le bien être animal (BEA). L'association gère également un département éducation, qui intervient de l'école primaire à l'enseignement supérieur agricole, ainsi qu'une ferme d'animation de 44 hectares dans la Meuse qui recueille en priorité des animaux d'élevage au passé difficile.
Sur le fond, nous pensons, en premier lieu, que le BEA est perçu, à tort, comme antagoniste avec les impératifs de rentabilité économique, les éleveurs y voyant trop souvent une source de surcoûts et de distorsion de concurrence. Plus généralement, en France, le BEA ne fait pas suffisamment partie de notre culture, à la différence des pays du nord de l'Europe. Notre association estime au contraire que le BEA est un atout pour inciter les consommateurs et les importateurs à choisir des produits français.
Historiquement, c'est le modèle de la petite exploitation de polyculture-élevage qui a dominé dans notre pays jusqu'en 1945. Puis il a quasiment disparu par la suite avec la volonté d'intensifier la production, ce qui a eu des conséquences néfastes pour le BEA. Fort heureusement, à partir des années 1960, les labels se sont développés avec le succès particulièrement notable des poulets de chair élevés en plein air. Cette politique de labellisation a eu de nombreux effets bénéfiques et nous apparait comme un véritable rempart contre la délocalisation de nos élevages : on peut délocaliser la production de poulets standards mais pas des animaux élevés selon un cahier des charges impliquant une localisation géographique précise. La France a également des atouts considérables pour favoriser le BEA et les élevages de qualité avec des conditions climatiques et de vastes herbages qui facilitent l'élevage des animaux en plein air, bien plus que dans les pays du Nord. Ces derniers sont néanmoins sensibles au BEA et c'est la raison pour laquelle ils importent 4 % de la production de poulets élevés en plein air. Les producteurs français sont néanmoins de plus en plus concurrencés par les labels BEA des pays du Nord : les SPA allemande, hollandaise et britannique en ont créé et je fais observer que le label « Freedom food » correspond à des exigences moins strictes que l'élevage en plein air, avec un abattage des animaux à l'âge de 55 jours contre 81 pour nos poulets fermiers.
A mon sens, l'insuffisance de la communication sur nos savoir-faire dans le domaine du BEA nous fait perdre des parts de marché ou manquer des opportunités de développement.
Notre association n'est pas favorable à la création d'un label BEA spécifique qui s'additionnerait à l'existant et risquerait d'introduire une confusion dans l'esprit des consommateurs. Nous préférons faire évoluer les labels existants pour qu'ils intègrent les exigences de BEA et communiquent mieux sur ce point. Tel est le cas, en particulier, des labels AOP fromagers qui pourraient mettre en relief l'accès garanti des animaux aux pâturages pendant au moins six mois. Nous avions réalisé dès 1997 une étude sur les cahiers des charges du label rouge au regard du BEA qui montraient ces atouts. Au demeurant, en France, contrairement aux pays du Nord, on associe la qualité du produit au BEA et au respect de l'environnement. Il serait donc inadapté de multiplier les labels, qu'il convient simplement de perfectionner.
Nous estimons également nécessaire de développer des systèmes d'élevage innovants économiquement viables et avec une meilleure prise en compte du BEA. Par exemple, nous travaillons depuis 2008 avec le groupe Carrefour, qui de façon générale s'efforce de proposer une alternative aux aliments issus de l'élevage intensif. En ce qui concerne les lapins, nous nous sommes heurtés à une difficulté puisque seuls des animaux élevés en cage sont proposés. Carrefour vient donc de lancer un appel d'offre pour la production de lapins élevés en parc et sans antibiotiques. Pour l'instant, aucune réponse ne s'est manifestée. C'est regrettable puisque cette forme d'élevage répond à une véritable attente.
La coopérative Terrena a répondu, mais sans aller assez loin dans le respect du cahier des charges. Par ailleurs, seuls 1 à 3 % des porcs sont aujourd'hui élevés en plein air : l'idéal serait de développer cette forme d'élevage mais nous sommes bien conscients des divers obstacles qui s'y opposent. La quasi totalité des porcs sont élevés sur caillebotis et environ 5 % sur paille. Nous souhaitons promouvoir cette dernière modalité et avons lancé depuis plusieurs années diverses actions : des campagnes d'information destinées aux éleveurs et l'élaboration d'une brochure technique qui sera publiée en juin prochain. La PMAF mène également une action conjointe avec le groupement de producteurs Cooperl ainsi que le groupe Carrefour pour l'élevage de porcs non castrés, afin d'éviter des souffrances à ces animaux.
Il existe un risque que le porc soit ladre et donc impropre à la consommation !
Le risque de l'odeur désagréable de la chair existe mais Carrefour a pris des mesures pour limiter cet inconvénient en éliminant certaines carcasses. Dans les pays du Nord, la viande de porc provient d'animaux non castrés. Nous avons lancé des études pour tenter de savoir si une signalétique « élevage de porc sur paille » serait efficace pour le consommateur. D'après les premiers résultats, il est plutôt souhaitable d'associer ce terme à celui de « plein air » car les consommateurs sont beaucoup plus réceptifs à cette image. Il convient donc de prendre en compte simultanément les points de vue et les efforts conjoints des éleveurs, des distributeurs et des consommateurs car, à l'heure actuelle, la difficulté consiste surtout à réunir les bonnes volontés. Je rappelle également que 80 % des chèvres - sur environ un million de chèvres et chevreaux en France - n'ont pas accès au pâturage.
En ce qui concerne les bovins, nous sommes particulièrement préoccupés par le projet de ferme à « zéro pâturage » en Picardie. Cette intensification de la production ne nous parait pas opportune. S'agissant des vaches laitières, nous soulignons également que, physiologiquement, une vache qui produit dix mille litres de lait par an est nécessairement surmenée. C'est pourquoi il est souhaitable de promouvoir les labels pour échapper à ce modèle de production intensive.
La PMAF fait plusieurs propositions. Tout d'abord, dans le cadre du second pilier de la Politique agricole commune (PAC) consacré au développement rural, les régions pourront soutenir des mesures spécifiques en faveur du BEA. Ensuite, il est envisageable de faire entrer le BEA dans les actions comme la formation professionnelle, la modernisation des installations agricoles ou les incitations agro-environnementales. Nous préconisons également un étiquetage sur les modes de production ainsi que l'intégration dans les marchés publics de critères de BEA. Enfin, nous proposons d'intégrer cette préoccupation dans l'enseignement agricole.
Si je comprends bien votre exposé, le BEA est un atout pour nos filières agricoles alors qu'il est souvent assimilé à un handicap.
Alors que la PMAF conduit plutôt des actions de terrain, la société nationale de défense des animaux (SNDA), qui a quarante ans d'existence, a plutôt un rôle au niveau de la réflexion institutionnelle.
Nous assurons une mission de veille de la réglementation existante sur la protection de l'ensemble des animaux, proposons d'éventuelles modifications à cette dernière et informons les citoyens sur ce thème.
Les actions de la SNDA s'appuient sur des enquêtes réalisées par les directions départementales de la protection de la population (DDPP), les forces de l'ordre, d'autres associations ainsi que par des journalistes. Lorsque des anomalies nous sont rapportées, nos propres enquêteurs vont sur le terrain et les signalent aux administrations compétentes. Je précise que nous n'avons pas accès aux abattoirs.
L'association déplore un certain laxisme dans l'application des normes relatives au BEA et les sanctions prononcées ne sont pas suffisamment dissuasives par rapport aux bénéfices réalisés par ceux qui y contreviennent. Par ailleurs, l'Etat ne nous semble pas contribuer suffisamment à la valorisation des modes de production respectueux du BEA et porteurs d'avenir.
Il serait souhaitable que les DDPP publient chaque année un rapport sur le suivi de l'application des normes relatives au BEA, car les investigations conduites restent à l'heure actuelle recensées dans des documents internes. On pourrait alors distinguer les infractions accidentelles des dysfonctionnements qui résultent d'une inadaptation normative. Il s'agit pour nous d'une demande forte pour disposer d'instruments de pilotage et pour crédibiliser les actions conduites.
Nous tenons à attirer l'attention sur les méthodes barbares d'élimination de plusieurs millions de poussins et lapereaux surnuméraires au moyen de broyeurs, de rouleaux compresseurs, lorsque les animaux ne sont pas jetés à la poubelle. Nous préconisons une nouvelle réglementation permettant l'euthanasie de ces quelques cinquante millions d'animaux par an. Nous soulignons par ailleurs le recours excessif aux antibiotiques et l'insuffisance de la formation des personnels techniques des abattoirs
En ce qui concerne l'étourdissement avec l'usage du matador, nous avons eu connaissance d'un certain nombre d'incidents qui s'expliquent par un manque de qualification des opérateurs, la vétusté des outils ou encore des cadences trop rapides. Nous constatons aussi des incidents avec la technique de l'électronarcose. Par exemple, certains animaux sont mal assommés à la première tentative ou bien on laisse à l'animal assommé le temps de reprendre conscience : on les tue alors sans les insensibiliser.
D'après les témoignages que nous avons recueillis, il n'y a pas de formation obligatoire.
Une nouvelle réglementation européenne relative aux abattoirs, entrée en vigueur en 2013, impose la présence d'un référent qui devra être formé au BEA dans chaque abattoir. La filière viande est en train d'élaborer un guide pratique à l'intention des opérateurs qui prévoit des formations d'accompagnement au BEA.
Si on désigne un responsable sur ce thème, il est fondamental non seulement de le former mais aussi de garantir son indépendance par rapport à sa hiérarchie.
En ce qui concerne les modalités d'abattage nous pouvons témoigner de la diversité et de l'inadaptation des pratiques existantes. L'abattage rituel varie selon les espèces. Dans le cas des bovins, l'animal est conduit dans le box rotatif puis il y est compressé par des volets ; sa tête est maintenue par une mentonnière mécanique et le box effectue une rotation pour positionner l'animal sur le dos ; l'animal est alors égorgé en pleine conscience. Les étapes qui précèdent l'égorgement provoquent un stress considérable chez l'animal. Pour leur part, les volailles sont suspendues par les pattes puis égorgées les unes à la suite des autres.
Fondamentalement, nous demandons que les animaux soient assommés ou étourdis avant d'être égorgés de façon rituelle. A défaut, nous souhaitons que l'étiquetage des viandes soit plus précis sur le mode d'abattage. Je signale que nos adhérents souhaitent savoir de quels abattoirs proviennent l'animal qu'ils consomment.
Notre refus éthique de la souffrance animale sous-tend notre position. Or aujourd'hui, non seulement l'abattage rituel est toléré mais encore, pour des raisons de rentabilité économique, les quartiers de viande issus d'abattage rituel sont recyclés dans le commerce non rituel. Au total, nous mangeons à notre insu des animaux abattus dans la douleur tout en étant contraints de financer l'extension d'un processus que nous désapprouvons. Certains éleveurs sont d'ailleurs prêts à s'adresser à des abattoirs éloignés pour que leurs animaux soient abattus dans des conditions convenables mais ils ne le peuvent pas toujours. Il serait plus juste et plus logique que ceux qui souhaitent consommer des viandes issues d'abattage rituel acceptent de payer plus cher pour satisfaire leurs exigences. Les défenseurs des animaux ont accepté un supplément de prix pour les oeufs à condition que les volailles soient élevées en plein air. Alors que des dérogations à l'abattage classique ont été demandées et obtenues, il nous parait contestable et peu démocratique de ne pas informer les citoyens des conséquences qui en résultent, c'est-à-dire de la mise en vente dans le circuit classique de viandes issues d'un abattage dérogatoire. Les consommateurs de viande halal ou casher ne peuvent pas être les seuls correctement informés du mode d'abattage.
N'étant pas habilités à contrôler les abattoirs, nous ne sommes pas en mesure de déclencher des procédures judiciaires contre les abattoirs : c'est du ressort de l'OEuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs (OABA).
A notre connaissance, il n'existe pas d'instrument de mesure de la souffrance animale mais les observations de bon sens suffisent à en démontrer l'existence.
En conclusion, nous demandons que l'État veille à l'application des normes relatives au respect de l'animal, et en particulier de l'article L. 214-1 du code rural et de la pêche maritime. La confiance du consommateur repose sur l'efficacité des contrôles dans ce domaine et sur l'instauration d'un système d'information fiable accessible à tous les acteurs.
Il faut veiller à ne pas multiplier les dérogations. Nous dénonçons les dérogations en cascade qui, au départ, ne concernent qu'un petit nombre de cas, comme l'illustre l'exemple de la tauromachie où on autorise la consommation de viande tuée dans les arènes au titre de la dérogation relative à l'abattage d'urgence.
J'ajoute, en ce qui concerne les antibiotiques, que l'élevage intensif a été historiquement rendu possible grâce au recours à ces derniers ainsi qu'à la Vitamine D.
Notre mission s'intéresse à la question de la sécurité sanitaire, suite au récent scandale de la viande de cheval devenue boeuf. Dans l'organisation du système de santé sanitaire, les contrôles vétérinaires jouent un rôle majeur.
Je souhaiterais commencer cette audition en évoquant l'émission Envoyé spécial diffusée récemment et intitulée « La viande dans tous ses états », qui montrait comment des personnels non qualifiés de certains abattoirs étaient chargés des contrôles officiels en lieu et place des agents habilités à les réaliser. Je souhaiterais aussi aborder la question de l'abattage rituel : il semblerait que vous ayez trop peu de personnel pour vérifier la qualité de l'égorgement et les quantités réelles d'animaux abattus selon ce type d'abattage. Votre syndicat a déploré la réduction massive de ses effectifs depuis 2004. Selon vous, cette réduction ne vous permet-elle plus de mener à bien vos missions, notamment le contrôle de la chaîne de l'abattage et de l'industrie ? L'insuffisance des contrôles a en effet été signalée par plusieurs rapports de la Commission européenne mais aussi par la Cour des comptes, dans un rapport provisoire qui n'a malheureusement jamais été publié. Selon vous, s'agit-il simplement d'un manque de moyens ? Une réorganisation interne de vos services serait-elle nécessaire ? Que faire pour restaurer la confiance du consommateur, en prise à l'opacité du système ?
Je crois qu'il est nécessaire, avant toute chose, de préciser la nature de l'inspection ante-mortem des animaux. Il s'agit d'une inspection visuelle de leur état de santé, des conditions de stabulation, de transport à l'abattoir, de saignée. Cette inspection ante-mortem fait probablement l'objet de défaillances. Le manque d'effectifs fait qu'il n'y a pas d'inspection systématique sur l'ensemble des heures d'ouverture des abattoirs. La présence d'un vétérinaire officiel ou d'un agent placé sous son autorité pour vérifier la bonne santé des animaux est un point essentiel et c'est ce point qui était évoqué par l'émission d'Envoyé spécial.
Après la deuxième crise de la vache folle, au début des années 2000, des mesures très fortes ont été mises en place pour renforcer l'inspection sanitaire - avec des recrutements importants - pour que l'inspection ante-mortem, ce moment clef, soit renforcée. Malheureusement, depuis dix ans, la situation s'est beaucoup dégradée. Nous avons analysé les crédits qui ont été votés depuis six ans dans les lois de finances initiales pour le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaire de l'alimentation » du budget de l'État. Une baisse sensible peut être constatée. Les dépenses de personnel exceptées - elles sont demeurées relativement stables - on est passé de l'indice 100 à l'indice 72 entre 2009 et 2012 ! Il s'agit peut-être d'une coïncidence mais c'est précisément lors de l'année 2009, année où ce programme a été rattaché à la mission agriculture et non plus à la mission interministérielle de sécurité sanitaire portée par le ministère de la santé, que ces crédits se sont mis à diminuer. Les arbitrages financiers au ministère de l'agriculture sont particulièrement difficiles et certains nous ont été défavorables. La situation actuelle est sans précédent, particulièrement critique, et les agents nous disent tous les jours que certaines missions ne peuvent plus être réalisées.
Tout à fait. Cela est lié à la volonté du ministre, M. Stéphane Le Foll, de mettre davantage l'accent sur la sécurité sanitaire. Mais il est difficile de rattraper dix ans en six mois et il existe un important écart entre les crédits votés par le Parlement et les fonds effectivement employés en raison des gels de crédits.
Une bonne partie de ces 4 % d'augmentation s'explique par l'adoption de crédits d'intervention pour indemniser les éleveurs victimes de la tuberculose bovine. D'ailleurs, je tiens à souligner que cette épidémie de tuberculose n'est pas sans lien avec le manque d'investissement dans la prévention depuis 10 ans dû aux baisses.
En effet d'une manière générale, mieux vaut prévenir que guérir. Nous estimons qu'un euro consacré à la prévention permet d'économiser cinq euros en traitements curatifs. Depuis 2007, il y a davantage d'emplois qui sont supprimés que de départs à la retraite chaque année - 600 réductions d'emplois pour 500 départs à la retraite ces six dernières années : cette réduction drastique est une aberration ! Nous rencontrons tous les ans les rapporteurs du budget qui ne peuvent que constater que notre situation est très difficile - les rapports parlementaires en font état - mais nous n'observons aucun changement, même si les parlementaires ont un rôle d'alerte crucial vis-à-vis du Gouvernement sur ce sujet.
Dans le même temps, la réglementation sanitaire ne fait que s'étoffer, par exemple dans le domaine du bien-être animal : concernant l'abattage rituel, un décret imposant de vérifier que le volume d'abattage rituel correspond bien aux besoins des commandes religieuses a été publié l'an dernier mais il est difficile de l'appliquer en raison du manque de moyens matériels et humains.
Nous n'avons pas de chiffres issus de nos services. Les seuls dont nous ayons eu connaissance sont ceux qui ont été rendus publics suite à un rapport du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAER).
La viande abattue rituellement correspond-elle toujours à une demande préexistante ?
Il est inévitable que de la viande abattue rituellement soit partiellement vendue au-delà des populations qui observent des principes religieux. Par exemple, dans le rituel casher, la partie basse du bovin - à partir de la septième côte - ne peut être consommée. En outre, des rabbins inspectent les carcasses et peuvent décider que certaines d'entre elles ne peuvent être consommées par les fidèles juifs, même si elles nous paraissent sanitairement commercialisables. Au final, une carcasse sur deux est écartée ; aussi les consommateurs juifs ne consomment-ils que la moitié d'une carcasse sur deux ! Il est malgré tout nécessaire de vendre le reste de la viande...qui se retrouve dans le circuit classique de commercialisation.
Certes, mais il y a là tout de même un problème de liberté de conscience car les consommateurs ne savent pas comment l'animal qu'ils mangent a été tué, et peuvent être amenés à acheter de la viande casher ou halal alors même qu'ils n'en sont pas informés.
En effet. Permettez-moi de revenir sur l'appellation de service vétérinaire, qui est souvent employée. On peut regretter que cette terminologie ait disparu en France dans la mesure où les Directions départementales des services vétérinaires n'ont plus d'existence autonome et font désormais partie des Directions départementales de la protection des populations (DDPP). Elle est par contre toujours employée par l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et nous tenons beaucoup à ce terme.
Historiquement, après les dernières crises sanitaires, il y a toujours eu une volonté, tant au niveau européen que français, de séparer le soutien économique aux filières et le contrôle sanitaire. C'est dans ce contexte qu'ont été crées, pour isoler clairement la fonction de contrôle vétérinaire, la Direction générale de la santé et des consommateurs au sein de la Commission européenne et les Directions départementales des services vétérinaires. L'État a renoncé à cette organisation en 2010 avec la création des DDPP. Au niveau régional, surtout, les Direction régionales de l'agriculture et de la forêt (DRAF) regroupent désormais toutes les missions du ministère y compris les anciens Services régionaux de l'alimentation (SRAL).
Le manque de reconnaissance des enjeux de sécurité sanitaire a pendant longtemps été un gros problème au ministère de l'agriculture. En 1998 puis 2002, suite à la crise de la vache folle, les réformes adoptées ont enfin été à la hauteur des enjeux et ont entendu réellement réformer le dispositif de sécurité sanitaire, avec notamment la création de l'Agence sanitaire de l'évaluation, devenue depuis l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Ces réformes avaient été adoptées suite au remarquable rapport Leyzour-Chevallier de mars 2000 sur la transparence et la sécurité sanitaire de la filière alimentaire en France. Ce rapport très fouillé et pertinent est pour l'essentiel toujours d'actualité. Mais depuis 2010, la révision générale des politiques publiques (RGPP) telle qu'elle a été conduite n'a pas retenu les modalités administratives les plus efficientes. Les DDPP, qui regroupent aussi les directions départementales de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ne fonctionnent pas. Au niveau national, les champs de compétence entre la direction générale de l'alimentation (DGAL) et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n'ont jamais été clarifiés. Au niveau régional, il existe deux structures totalement distinctes, sans aucun outil commun de travail, sans compétences clairement délimitées : le dispositif ne peut pas fonctionner. Pour toutes ces raisons, la question de l'organisation de l'inspection et du contrôle sanitaire se pose avec beaucoup d'acuité en ce moment.
Nous nous sommes penchés récemment sur une question aujourd'hui très sensible pour les services, qui est celle du lien entre l'organisation administrative et les moyens. Il n'est plus possible aujourd'hui de continuer à réorganiser les services en entretenant l'illusion qu'il sera possible d'accomplir certaines missions sans moyens supplémentaires. Nous sommes à l'os. C'est pourquoi nous avons réfléchi à des scénarios qui pourraient être mis en place, aux conséquences qu'ils pourraient avoir et aux principes fondateurs qu'ils devraient respecter. Nous avons dégagés six grands principes, notamment la responsabilité de l'État en matière d'alimentation et de bien-être animal ainsi que l'importance de disposer d'une chaîne de commandement unique, et surtout d'un ministère unique qui soit vraiment responsable de l'alimentation, car aujourd'hui les directeurs départementaux sont placés sous l'autorité du préfet mais reçoivent des instructions de plusieurs directions générales et de plusieurs ministères qui ne sont pas toujours en phase au niveau national. Il faut absolument une responsabilité unique.
Une autre question essentielle est celle du travail de l'État avec des partenaires, car il ne peut pas travailler seul en matière de sécurité sanitaire. Il existe par exemple en France un système très particulier de partenariat public privé entre les vétérinaires de l'État et les vétérinaires libéraux avec un système d'alerte qui permet à l'État d'être informé en amont sur les maladies animales dans les élevages qu'il faudrait absolument préserver. C'est ce système qui permet à la fonction publique de compter si peu de vétérinaires puisque nous ne sommes que 500 titulaires et 300 contractuels. Sur la base de ces principes, nous avons travaillé sur quatre scénarios.
Le premier scénario que nous avons identifié, dans la continuité de la RGPP, serait de faire en sorte que les DDPP prennent en charge l'ensemble du dispositif, en matière de qualité de l'eau et de santé animale, ce qui n'est pas le cas pour le moment. Cette solution ne règlerait pas pour autant le problème de l'organisation en tuyaux d'orgues de l'administration française aux niveaux national et régional. Il s'agirait donc de renforcer le dispositif existant, dispositif qui a été très critiqué, notamment par la Cour des comptes. Deuxième scénario, une structuration régionale déclinée en unités territoriales mais cette solution risquerait de provoquer un conflit d'intérêt entre la prise en charge des intérêts économiques des filières agricoles et agroalimentaires et les enjeux sanitaires de santé publique. Troisième scénario, la création d'une structure propre à la protection des populations avec une animation qui ne soit assurée ni par les Directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF) ni par les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECTTE). Il existe enfin un quatrième scénario : créer un opérateur de l'État pour la gestion des risques sanitaires, à l'instar de ce que beaucoup d'autres pays ont déjà mis en place. Cet organisme aurait l'avantage de regrouper les laboratoires d'analyse officiels qui relèvent des conseils généraux depuis une vingtaine d'année mais connaissent aujourd'hui des difficultés dans de nombreux départements, car la logique des appels d'offre les fragilise face à d'énormes laboratoires installés à Luxembourg qui concentrent les analyses de contrôle officiels.
Lorsque vous effectuez des prélèvements dans les abattoirs ou chez les industriels, où se font exactement les analyses ?
Dans le réseau de 75 laboratoires officiels présents dans les départements. Rien que pour l'application des plans de surveillance et de contrôle, plus de 60 000 analyses sont effectuées chaque année.
Ce réseau est aujourd'hui en très grande difficulté : il y avait autrefois un laboratoire officiel par département. Ce réseau de laboratoires au niveau du département est indispensable car lorsque surviennent des crises, des urgences, les personnels très qualifiés de ces laboratoires sont immédiatement disponibles. Nos collègues qui travaillent dans des départements qui n'ont plus de laboratoires nous ont indiqué que cela rendait leur travail beaucoup plus difficile.
Vous savez que la Commission européenne a autorisé les États à ne plus pratiquer de façon systématique les tests encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) qui sont effectués dans les laboratoires départementaux sur les bovins de plus de 72 mois. Que pensez-vous de cette décision qui n'est pas appliquée en France pour le moment ?
Si les scientifiques considèrent que le risque est très faible et le coût élevé, la décision à prendre finit par s'imposer d'elle-même. La fin de ces tests, si elle survient, sera un coup très dur porté aux laboratoires et conduira beaucoup d'entre eux à fermer. D'un autre côté, on ne peut faire des analyses uniquement pour maintenir en vie des laboratoires.
Cette situation difficile provient du fait qu'avec la décentralisation, le ministère de l'agriculture ne savait pas quelles compétences transférer aux départements. Les enjeux sanitaires sont probablement apparus comme secondaires et l'on a décidé de transférer la responsabilité des laboratoires d'analyse sanitaire aux départements. Ces laboratoires ont été de facto mis en concurrence les uns avec les autres et la logique des appels d'offre, notamment pour les analyses de l'eau, les a considérablement fragilisés. Un ou deux gros opérateurs ont fait s'effondrer les prix et ont procédé aux analyses au Luxembourg. Mais un laboratoire à Luxembourg ne remplacera pas le besoin qu'ont chaque département et chaque préfet de disposer d'un laboratoire ! Dans aucun pays l'autorité compétente ne se prive de laboratoires d'analyse officiels car elle ne peut fonctionner sans eux.
La possibilité de percevoir des taxes et des redevances pour financer les contrôles sanitaires est aussi un point capital. Que l'impôt finance les contrôles officiels, c'est normal. Lorsque des établissements sont visités cinq fois parce qu'ils ne respectent pas les règles du jeu, est-ce vraiment aux contribuables de payer ? Une réglementation européenne impose précisément de financer les contrôles officiels par des taxes et des redevances. Cette réglementation n'est absolument pas appliquée car la France a adopté des seuils inférieurs aux minima communautaires. La seule réorganisation qui permettrait de donner un peu d'air aux services de contrôle serait d'affecter ces taxes et redevances directement aux tâches de contrôle officiel.
Le Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a proposé la création d'un établissement public qui intégrerait les laboratoires départementaux. Malheureusement il semblerait que l'on s'oriente, à la demande d l'Assemblée des départements de France (ADF) vers un transfert du contrôle sanitaire aux départements, notamment pour la remise directe et la restauration collective. Nous estimons que cette solution sera beaucoup moins efficiente car elle conduira à ce que nous devions faire face à des dizaines d'autorités compétentes. D'autant plus qu'il n'y a plus de moyens matériels et humains à transférer.
On tend de plus en plus vers les autocontrôles. Pensez-vous que nous allions vers la fin des contrôles officiels ?
Non, pas du tout. Les autocontrôles sont indispensables car c'est celui qui met une marchandise sur le marché qui doit s'assurer qu'elle est saine. Mais il faut ensuite un contrôle externe. Il y a une dizaine d'année, quand les effectifs des services étaient plus nombreux, on pouvait imaginer que les agents connaissaient bien les entreprises car ils pouvaient aller sur le terrain. Aujourd'hui, les fréquences d'inspection sont devenues tellement faibles que les mailles du filet se sont élargies et que, du coup, un industriel ne recevra la visite d'un inspecteur que tous les trois ou quatre ans.
Pas au moment des contrôles. Par contre, quand nous imposons des travaux lourds ou proposons des fermetures d'établissements, avec des conséquences sociales, il peut y avoir des pressions, bien que ce soient surtout les directeurs et les préfets qui les subissent.
Pensez-vous que les produits français soient davantage contrôlés que les produits issus des autres pays de l'Union ou des pays tiers ?
La viande produite dans l'Union fait l'objet de contrôles à destination qui doivent être non discriminatoires. Pour les pays tiers, il s'agit d'un système appliqué de manière homogène à toutes les frontière extérieures de l'Union mais il a été démontré qu'en France, trois fois plus de contrôles étaient opérés par heure par les agents : cela signifie probablement que nos contrôles ne sont pas aussi approfondis que ceux de nos voisins...
D'ailleurs, précisément parce que les contrôles en France sont très inférieurs à ce qui est mis en oeuvre dans d'autres pays, la Commission européenne a menacé à plusieurs reprises d'interdire l'exportation de viande de volaille française dans les autres pays de l'Union. Or quand on connaît l'importance de la viande de volaille à l'exportation, une interdiction de sortie serait une catastrophe. Des secteurs entiers ne sont pas surveillés. L'Union européenne a donné à la France les clefs en matière d'organisation et de financement des contrôles sanitaires sur la chaîne alimentaire mais la France n'a pas fait le nécessaire.
La représentation nationale doit vraiment se saisir de ce sujet, car, s'il s'agit de questions de santé publique, il s'agit surtout de la santé économique des filières car elles ont besoin à l'exportation d'avoir de bons contrôles sanitaires garantis par l'Etat.
Les deux sont complémentaires, on ne peut avoir l'un sans l'autre. Mais il faut que l'État soit en mesure de procéder à des contrôles avec une fréquence suffisante et puisse nouer avec les entreprises une relation de confiance, ce qui est impossible quand elles ne sont contrôlées que tous les trois ans.
La grande tendance aujourd'hui est de transférer des compétences aux collectivités territoriales ou de les déléguer au secteur privé. En réalité, déléguer revient trop souvent à abandonner sans assurer de supervision. En outre, lorsque les agents se rendent trop peu sur le terrain, ils finissent par perdre leurs compétences. Nous avons obtenu du ministre qu'un bilan complet des délégations soit établi avant de poursuivre cette fuite en avant idéologique. Je pense que le ministre de l'agriculture est sensibilisé à ces problèmes mais l'administration est tellement prise à la gorge financièrement qu'elle cherche tous les moyens pour s'en sortir.
Pour de multiples raisons, nous n'avons pas mis en place un système efficient et conforme aux grands principes qui serait au service de la compétitivité des filières agricoles et agroalimentaires, car ce sont elles qui sont les premières pénalisées par la faiblesse de ce dispositif. Mais nous connaissons la solution, et elle sera moins coûteuse que le maintien de la situation actuelle. Il existe des sureffectifs considérables dans les laboratoires des conseils généraux. Il faut que les grands principes soient respectés et que les taxes et redevances prévues par la réglementation européenne soient bien perçues.