Déposé le 1er octobre 2015 par : M. Godefroy, Mmes M. André, Bataille, M. Boulard, Mme Génisson, M. Leconte, Mme Lienemann, MM. Madec, Masseret, Mazuir, Tourenne, Yung, Poher, Raoul, Sutour, Mme D. Gillot, MM. Cazeau, Lorgeoux, Frécon, Daudigny, Rome, Miquel.
Supprimer cet article.
Cet amendement a pour objet de protéger les personnes prostituées d’une mesure dont les conséquences pourraient être contraires à celles recherchées.
L’objectif poursuivi par cet article 16, à savoir l’inversion du mécanisme de la culpabilité, ne serait atteint que dans la lettre du droit si cette disposition était adoptée car les personnes prostituées seraient les premières à subir une telle mesure.
Pénaliser le client risquerait de favoriser le recours à des intermédiaires, de déplacer encore plus les personnes prostituées dans des lieux où elles seraient contraintes de se dissimuler (internet, lieux retranchés, lieux clandestins où la prostitution est particulièrement organisée et donc contrainte, etc.), où elles seraient isolée, plus exposées aux violences, aux risques sanitaires (MST, IST…), et où elles perdraient le contact avec les associations d’accompagnement et de prévention qui viennent à leur rencontre.
Cette disposition pose par ailleurs un problème de cohérence car on ne pourra pas concilier juridiquement le fait que la prostitution soit autorisée en France (puisqu’elle n’est pas interdite), ajouté à l’absence de sanction de tout racolage (section 2 de la proposition de loi), avec la pénalisation des clients. Si ces dispositions entraient en vigueur, il serait donc totalement permis de proposer une prestation sexuelle tarifée et d’en faire la promotion mais répondre à cette offre serait sanctionné par une contravention de 5ecatégorie.
Pénaliser le client n’aurait d’effets que sur la prostitution visible. Les contraventions des clients de personnes prostituées ne changeront pas le drame de la traite des êtres humains. Elles ne permettront pas de remonter les filières.
Les moyens qui seront mis en œuvre pour verbaliser les clients pourraient être autrement mieux employés s’ils étaient consacrés à la Brigade de répression du proxénétisme et à l’Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains qui disposent respectivement d’une cinquantaine et d’une trentaine d’agents dans leurs services.
Cette nouvelle infraction poserait également des difficultés quant à son application. Est-il judicieux de généraliser un mécanisme déjà existant pour la prostitution des mineurs et pourtant très insuffisamment appliquée ? Comment caractérisera-t-on la relation sexuelle tarifée sachant que ni le client ni la personne prostituée n’auront intérêt à reconnaître qu’elle a eu lieu ?
Cet article repose sur le modèle mis en œuvre en Suède ainsi qu’en Norvège et en Islande. Or, son bilan est loin de faire l’unanimité.
La pénalisation du client n’a pas su convaincre au Danemark où, en dépit d’une promesse électorale, le gouvernement y a finalement renoncé en 2012, tirant les conséquences du rapport qu’il avait commandé au Conseil du droit pénal – organe dépendant du ministère de la Justice – qui « ne recommande pas la mise en place d’une interdiction d’achat de services sexuels. »qui « pourrait avoir des conséquences négatives pour un certain nombre de prostituées en termes de dégradation des conditions économiques et de stigmatisation accrue. »
Aussi, le Parlement écossais a rejeté en juin 2012 un projet de loi interdisant tout achat de prestation sexuelle.
La très grande majorité des associations de terrain qui vont à la rencontre des personnes prostituées se sont également prononcées contre cette disposition (Les amis du bus des femmes, IPPO, Griselidis, Cabiria, Médecins du Monde, Aides, etc.). Tout comme la CNCDH (désignée rapporteur national indépendant sur la traite des êtres humains par le Conseil des ministres lors de l’adoption le 14 mai dernier du Plan d’action national contre la traite des êtres humains) qui s’est à nouveau opposée à cette mesure dans l’avis qu’elle a rendu le 22 mai 2014 sur la proposition de loi en avançant notamment que « la pertinence de la disposition visant à pénaliser le client semble de surcroit discutable tant elle risque d’être contreproductive. (…) On risque également d’observer une plus grande défiance vis-à-vis des forces de l’ordre et donc un moindre reflexe d’y recourir en cas de violence subie, ce qui constituerait de fait un recul du droit. Cette bienveillance paradoxale induirait donc des stratégies de contournement qui ne seraient pas sans grave incidence sur la santé et les droits des personnes prostituées (…) L’efficacité de la répression impliquera la mise en place de dispositifs de surveillance dont la nécessaire généralisation contredira évidemment les exigences d’une société libre. »
Dans un arrêt du 17 février 2005 K.A. et A.D. contre Belgique, la CEDH a indiqué (considérant 83) que « Le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle. A cet égard, "la faculté pour chacun de mener sa vie comme il l’entend peut également inclure la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme étant d’une nature physiquement ou moralement dommageables ou dangereuses pour sa personne. En d’autres termes, la notion d’autonomie personnelle peut s’entendre au sens du droit d’opérer des choix concernant son propre corps" (Pretty contre Royaume-Uni, arrêt du 29 avril 2002). »
Aussi, dans un arrêt Tremblay contre France du 11 septembre 2007, « la Cour souligne qu’ellejuge la prostitution incompatible avec les droits et la dignité de la personne humaine dès lors qu'elle est contrainte. »
La CEDH juge donc que les relations sexuelles entre adultes consentants sont libres et échappent à l’ingérence des pouvoirs publics du moment aucune contrainte n’est exercée et que la prostitution exercée sans contrainte n’est pas incompatible avec la dignité de la personne humaine.
Aussi, cet article 16 créé une contravention dans la partie législative du Code pénal, dans un livre intitulé « des crimes et délits contre les personnes » alors qu’il existe dans la partie réglementaire du même code un chapitre intitulé « des contraventions de la 5eclasse contre les personnes ». Cette contravention de recours à la prostitution y aurait bien mieux trouvé sa place. La situer dans la partie législative pose de ce point de vu la question de la lisibilité, de l’intelligibilité et de la cohérence de la loi.
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