Déposé le 14 septembre 2015 par : MM. Houpert, Cadic, Longuet, Saugey, de Raincourt, Mayet, Mme Deromedi, MM. Lefèvre, Joyandet, Charon, Guerriau, Mme Loisier.
Supprimer cet article.
Cet amendement a pour objet d’éviter un risque sérieux d’inconstitutionnalité car l’article 26 du projet de loi créent une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges du service public entre les praticiens hospitaliers publics et privés.
L’article 26 alinéas 65 et suivants est ainsi rédigé :
« Art. L. 6112-3. – Le service public hospitalier est assuré par :
« 1° Les établissements publics de santé ;
« 2° Les hôpitaux des armées ;
« 3° Les établissements de santé privés habilités à assurer le service public hospitalier et qualifiés d’établissements de santé privés d’intérêt collectif [ESPIC] en application de l’article L. 6161-5 ;
« 4° (nouveau) Les autres établissements de santé privés habilités, après avis favorable conforme de la conférence médicale d’établissement, à assurer le service public hospitalier.
« Les établissements de santé privés mentionnés aux 3° et 4° sont habilités, sur leur demande, par le directeur général de l’agence régionale de santé, s’ils s’engagent, dans le cadre de leurs négociations contractuelles mentionnées à l’article L. 6114-1, à exercer l’ensemble de leur activité dans les conditions énoncées à l’article L. 6112-2. »
Ledit article L 6112-2 comprend les dispositions suivantes :
« I. – Les établissements de santé assurant le service public hospitalier et les professionnels de santé qui exercent en leur sein garantissent à toute personne qui recourt à leurs services : (...)
« 4° L’absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale. »
En application de ce texte les établissements de santé qui assurent le service public hospitalier ne pourraient donc facturer des dépassements d’honoraires par rapport aux tarifs fixés par l’assurance maladie (T2A pour les établissements, tarifs conventionnels pour les praticiens). mais la loi ne remet pas en cause les dispositions du code de la santé publique (CSP) sur l’ « Activité libérale des praticiens temps plein » qui accordent aux praticiens hospitaliers le droit d’exercer une partie de leur activité en secteur privé (articles L 6154-1 et suivants CSP) en percevant des dépassements d’honoraires dans le cadre du secteur 2 conventionnel. Or la loi exige que « le nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité libérale soit inférieur au nombre de consultations et d’actes effectués au titre de l’activité publique. » (art 6154-2 CSP), ce qui signifie que les praticiens des hôpitaux publics peuvent réaliser jusqu’à près de la moitié de leurs actes et consultations en secteur privé. De plus, une étude de « 60 millions de consommateurs », rendue publique le 16 janvier 2015, montre que les dépassements d’honoraires les plus importants sont pratiqués dans les hôpitaux publics : http ://www.66millionsdimpatients.org/?p=5236
Enfin, les hôpitaux publics trouvent un double intérêt au maintien et au développement de secteur privé car :
- d’une part, cette « activité libérale donne lieu au versement à l’établissement par le praticien d’une redevance » (article L6154-3 CSP) : en pratique, les hôpitaux perçoivent 20 % environ des honoraires ;
- d’autre part, en application de l’article L6154-2 CSP, « l’activité libérale peut comprendre (...) des soins en hospitalisation » : or, en cas d’hospitalisation des patients soignés en secteur privé, les établissements publics de santé sont rémunérés sur la base d’une tarification à l’activité (T2A) dont n’est pas déduite la part qui correspond à la rémunération des praticiens ; ainsi, d’un côté le praticien hospitalier est rémunéré comme s’il s’agissait d’un praticien libéral, d’un autre côté, l’hôpital est rémunéré comme s’il s’agissait de soins dispensés dans le cadre du service public, à un tarif qui comprend déjà la rémunération du praticien.
En revanche, concernant les cliniques privées, le projet de loi conditionne leur participation au service public hospitalier au fait qu’elles s’engagent à exercer l’ensemble de leur activité sans dépassements tarifaires : ainsi, au sein des établissements privés de santé qui seraient chargés du service public hospitalier, les praticiens libéraux ne pourraient plus demander aucun dépassement d’honoraires alors que ce droit serait maintenu aux praticiens hospitaliers publics dans le cadre de leur secteur privé au sein des hôpitaux publics. À l’évidence donc, les dispositions sus-visées du projet de loi sont contraires au principe constitutionnel d’égalité devant les charges du service public.
Le Gouvernement prétend cependant que le grief d’inconstitutionnalité est infondé au motif que les praticiens libéraux pourraient continuer de pratiquer des dépassements d’honoraires pour les soins qu’ils dispensent en dehors des établissements privés chargés du service public hospitalier. mais ce raisonnement est incohérent. En effet, les chirurgiens, obstétriciens et anesthésistes libéraux ne peuvent évidemment pas opérer ou accoucher des patientes au sein de leur cabinet de ville, où ils ne peuvent réaliser que des « consultations », alors que les praticiens des hôpitaux publics exercent leur « secteur privé » au sein de ces établissements et ils y opèrent leurs patients, auxquels ils peuvent demander des dépassements d’honoraires.
Autrement dit, pour apprécier l’égalité des praticiens devant le service public hospitalier, il faut logiquement comparer la situation qui est faite aux chirurgiens et obstétriciens au sein de leurs établissements d’exercice respectifs, publics et privés. Or, le texte du Gouvernement ne remet pas en cause le droit des chirurgiens et obstétriciens hospitaliers « publics » de pratiquer des dépassements d’honoraires dans le cadre de leur secteur privé exercé au sein des établissements publics de santé, alors que les praticiens libéraux perdraient leur droit de facturer toute forme de dépassement dès lors que les établissements de santé privés dans lesquels ils opèrent participeraient au service public hospitalier.
Toutes les études reconnaissent que les chirurgiens et obstétriciens libéraux ne peuvent couvrir les charges liées à leurs activités opératoires (par ex. le coût des assurances de la responsabilité civile professionnelle et les redevances payées par ces praticiens aux cliniques pour pouvoir y opérer) par les seuls tarifs de la sécurité sociale parce que ceux-ci n’ont pas été correctement revalorisés depuis plusieurs dizaines d’années : le rapport de la Cour des comptes remis à la Commission des affaires sociales du Sénat en juin 2014 sur « les relations conventionnelles entre l’assurance maladie et les professions libérales de santé » souligne ainsi le fait que les pouvoirs publics ont utilisé le secteur 2 « comme un élément modérateur de la revalorisation des tarifs opposables, en contrepartie d’un laisser-faire sur la progression des dépassements ». Dans ces conditions, subordonner la participation des cliniques privées au service public hospitalier au fait qu’elles s’engagent à exercer l’ensemble de leur activité sans dépassement d’honoraires conduirait à réserver cette participation aux seules cliniques qui emploient des praticiens salariés (lesquels sont donc rémunérés par les cliniques et pas par les patients).
Or, à l’heure actuelle, les praticiens libéraux de plusieurs centaines de cliniques privées participent au service public hospitalier en prenant en charge les urgences, dans le respect des tarifs conventionnels, c’est-à-dire sans dépassement d’honoraires, tout en conservent leur droit à dépassement pour les actes qui réalisés en dehors des situations d’urgence et avec le consentement des patients. L’application des dispositions précitées de l’article 26 du projet de loi aurait donc conduit à retirer à ces cliniques la possibilité d’assurer des urgences, ce qui aurait créé un grave problème de santé publique.
Aussi, à la suite des manifestations des praticiens libéraux et après le dépôt du projet de loi au Parlement, le Gouvernement a-t-il pris l’initiative d’ajouter à l’article 26 les dispositions suivantes :
« Art. L. 6112-4-1 (nouveau). – Les établissements de santé privés autres que ceux mentionnés aux 3° et 4° de l’article L. 6112-3 qui sont autorisés à exercer une activité de soins prenant en charge des patients en situation d’urgence sont associés au service public hospitalier.
« Tout patient pris en charge en situation d’urgence ou dans le cadre de la permanence des soins dans ces établissements bénéficie, y compris pour les soins consécutifs et liés à cette prise en charge, des garanties prévues au I de l’article L. 6112-2 du présent code, notamment de l’absence de facturation de dépassements des tarifs fixés par l’autorité administrative et des tarifs des honoraires prévus au 1° du I de l’article L. 162-14-1 du code de la sécurité sociale.
« L’établissement associé au service public hospitalier s’assure par tout moyen que les patients pris en charge en situation d’urgence ou dans le cadre de la permanence des soins sont informés de l’absence de facturation de dépassements des tarifs des honoraires. (...) »
En application de ces dispositions, les cliniques privées pourraient être « associées au service public hospitalier » en prenant en charge les urgences au tarif conventionnel sans que leurs praticiens libéraux perdent leur droit à pratiquer des dépassements de tarif pour le reste de leur activité (chirurgie et obstétrique programmées). Cette réforme du projet de loi initialement déposé par le Gouvernement est évidemment bienvenue mais elle ne rétablit pas totalement l’égalité devant les charges du service public hospitalier (SPH), sachant que l’actuel article 6112-1 CSP donne une longue liste des « missions de service public » que « les établissements de santé peuvent être appelés à assurer en tout ou partie :
1° La permanence des soins ;
2° La prise en charge des soins palliatifs ;
3° L’enseignement universitaire et post-universitaire ;
4° La recherche ;
5° Le développement professionnel continu des praticiens hospitaliers et non hospitaliers ;
6° La formation initiale et le développement professionnel continu des sages-femmes et du personnel paramédical et la recherche dans leurs domaines de compétence ;
7° Les actions d’éducation et de prévention pour la santé et leur coordination ;
8° L’aide médicale urgente, conjointement avec les praticiens et les autres professionnels de santé, personnes et services concernés ;
9° La lutte contre l’exclusion sociale, en relation avec les autres professions et institutions compétentes en ce domaine, ainsi que les associations qui œuvrent dans le domaine de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion et la discrimination ;
10° Les actions de santé publique ;
11° La prise en charge des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques en application des chapitres II à IV du titre Ier du livre II de la troisième partie du présent code ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale ;
12° Les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier, dans des conditions définies par décret ;
13° Les soins dispensés aux personnes retenues en application de l’article L. 551-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
14° Les soins dispensés aux personnes retenues dans les centres socio-médico-judiciaires de sûreté. »
Si le projet de loi n’était pas modifié, les cliniques qui souhaiteraient ne pas être seulement « associées » au SPH, en prenant en charge les urgences, mais voudraient y participer totalement – en prenant en charge l’ensemble des missions actuellement énumérées à l’article 6112-1 CSP précité -, au même titre que les hôpitaux publics, comme le texte adopté par l’Assemblée nationale le prévoit (article L. 6112-3, 4°, CSP), seraient contraintes d’exiger de leurs chirurgiens et obstétriciens libéraux qu’ils cessent totalement de pratiquer des dépassements de tarifs pour les actes de soins qu’ils dispensent au sein de ces établissements de santé privés, alors que les chirurgiens et obstétriciens des hôpitaux publics pourraient eux continuer, dans le cadre de leur secteur privé, de pratiquer des dépassements de tarifs pour des patients soignés au sein de ces établissements publics de santé.
Comme la loi autorise ces praticiens hospitaliers publics à réaliser jusqu’à près de la moitié de leurs actes et consultations en secteur privé au sein des hôpitaux publics (art 6154-2 CSP précité), la rupture d’égalité devant les charges du service public hospitalier (SPH) est considérable.
De surcroît, si l’article 26 était adopté les cliniques seraient dissuadées de demander à participer pleinement au service public hospitalier (SPH), alors que l’article 26 ter du projet de loi prévoit de ne pas accorder aux établissements simplement « associés » au SPH – qui pratiquent donc des dépassement d’honoraires en dehors des urgences – le bénéfice d’ » une mission d’intérêt général » puisque celui-ci serait réservé aux seuls « établissements publics, établissements de santé privés d’intérêt collectif et établissements de santé privés organisés pour fonctionner sans aucun dépassement d’honoraires en leur sein. ». Or, la reconnaissance du droit de mettre en œuvre « une mission d’intérêt général » s’accompagne d’avantages financiers dont les cliniques ne pourraient profiter que si elles privaient leurs praticiens de la possibilité de réaliser toute forme de dépassement d’honoraires, alors que les praticiens hospitaliers publics conserveraient ce privilège dans tous les cas.
NB:La présente rectification porte sur la liste des signataires.
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