Amendement N° 23 rectifié (Rejeté)

Projet de loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme

Discuté en séance le 18 juillet 2017
Avis de la Commission : Défavorable — Avis du Gouvernement : Défavorable
( amendements identiques : 6 28 )

Déposé le 17 juillet 2017 par : MM. Bigot, Sueur, Boutant, Leconte, Vandierendonck, Mmes Blondin, S. Robert, MM. Devinaz, Assouline, Marie, Mmes Lienemann, Monier, les membres du groupe socialiste, républicain.

Photo de Jacques Bigot Photo de Jean-Pierre Sueur Photo de Michel Boutant Photo de Jean-Yves Leconte Photo de René Vandierendonck Photo de Maryvonne Blondin Photo de Sylvie Robert Photo de Gilbert-Luc Devinaz Photo de David Assouline Photo de Didier Marie Photo de Marie-Noëlle Lienemann Photo de Marie-Pierre Monier 

Supprimer cet article.

Exposé Sommaire :

Les auteurs de l’amendement estiment que le nouveau régime d’assignation à résidence (article 3 du projet de loi) comme celui des visites domiciliaires et saisies (article 4 du projet de loi) demeurent imparfaits dans leur dispositif, nonobstant les nombreuses modifications adoptées par la commission des lois, et sont surabondants au regard des mesures qu’ils édictent.

Sous la précédente mandature, pas moins de neuf lois ont été adoptées par le Parlement afin de renforcer les pouvoirs de l’autorité administrative dans la lutte contre le terrorisme.

En matière d’antiterrorisme, chaque législation qui se surajoute, a fortiori en période d’application de l’état d’urgence, soulève la question sensible de la place appropriée du juge et de l’autorité administrative.

La lutte contre le terrorisme est de toute évidence une question de sécurité. Mais elle est aussi une question politique et de valeurs.

Dans notre démocratie, les libertés fondamentales sont des valeurs essentielles. Aussi, notre démocratie doit avoir un niveau de protection à la hauteur de cet enjeu. Il ne peut y avoir d’angélisme des droits de l’homme. En nous défendant contre les actes terroristes, ce sont nos libertés que nous défendons.

Ce point de vue pragmatique et philosophique ne dispense pas d’examiner la pertinence des justifications des articles 3 et 4 qui sont développées par le rapporteur de la commission des lois pour en proposer, après accommodations, l’adoption à titre d’expérimentation.

L’argument principal présenté par le rapporteur pour légitimer le nouveau régime de contrôle et de surveillance et celui des visites domiciliaires administratives au regard des autres mesures de droit commun repose sur la seule hypothèse de « levée de doute, lorsque les éléments sont insuffisants pour permettre une judiciarisation. »

Le rapporteur explique que « le dispositif de l’article 3 du présent projet de loi ne peut se justifier que dans les strictes hypothèses où les éléments sont insuffisants pour justifier une judiciarisation : sur le fondement d'un renseignement initial, il permet pendant une phase temporaire de « levée de doute » une surveillance renforcée d'un individu afin de recueillir des indices permettant d'asseoir l'existence d'une possible infraction pénale et donc permettre une ouverture d'enquête sous une qualification terroriste par le parquet de Paris, ou au contraire d'infirmer les premières suspicions en évitant une saisine de l'autorité judiciaire et l'engagement de poursuites hâtives. »

Concernant l’article 4, « deux hypothèses permettent de légitimer une visite domiciliaire administrative :

- en cas d'impossibilité de recourir à une procédure judiciaire dans l'hypothèse où l'indice de la menace grave et caractérisée n'est pas corroboré et émane d'une source unique. En l'absence d'éléments étayés, la judiciarisation d'une procédure n'apparaît pas possible. De plus, sur le plan opérationnel, elle exposerait la source à un risque d'identification ;

- en cas d'impossibilité pour les services de police de transmettre un renseignement aux fins de judiciarisation lorsque celui provient d'un service étranger. En effet, les règles d'échange de renseignements impliquent l'accord du service « source » à toute diffusion extérieure dudit renseignement. »

Ces explications soulèvent plusieurs interrogations relatives au principe de légalité criminelle et du respect des droits de la défense.

En conditionnant l’application des mesures de surveillance individuelles ainsi que de visites et saisies, à l’hypothèse d’un comportement très éloigné en amont de l’infraction pénale, la prévention d’actes terroristes préparatoires s’appuie sur un élément matériel et un élément moral équivoque, ce qui ôte toute consistance au principe de légalité.

Prenons le cas du soutien ou de l’adhésion à des thèses incitant à la commission d’acte de terrorisme, il ressort de l’étude d’impact du projet de loi que le soutien aux thèses terroristes ne suppose pas de communication publique car cela entrerait alors dans le champ du délit d’apologie du terrorisme. Les articles 3 et 4 ne viseraient donc que les personnes adhérant ou soutenant des thèses terroristes de manière non publique se manifestant « lors de conversations privées interceptées par la mise en œuvre de technique de renseignement ou connues des sources humaines ».

Ces conditions évoquent des conduites situées très en amont du commencement de l’exécution de l’infraction, pour des actes qui ne sont même pas encore « préparatoires » au sens juridique du terme. Elles ne peuvent que donner lieu à une appréciation subjective de nature à poser des problèmes de prévisibilité et de preuve au plan pratique.

Comment cette phase qui rassemble des éléments produits par le renseignement et dont le traitement répond aux exigences du secret (protection des sources, en particulier lorsqu’elles émanent de services étrangers de renseignement) peut-elle se concilier correctement avec le contrôle judiciaire et les droits de la défense ?

A cet égard, les observations émises dans l’avis de la CNCDH du 6 juillet 2017 sur le caractère inopérant du contrôle judiciaire et des droits de la défense aménagés dans le projet de loi, méritent une attention particulière : « ces aménagements sont toutefois peu efficients, faute pour les magistrats de disposer des moyens non seulement juridiques mais aussi concrets d’exercer leur contrôle dans des conditions satisfaisantes. En matière de terrorisme, les autorités administratives fondent souvent leur action sur les « notes blanches », documents émanant des services de renseignement. Les magistrats éprouvent les plus grandes difficultés à apprécier la valeur probante de tels documents, parfois imprécis, laconiques ou empreints de subjectivité. Quant aux avocats, ils disent avoir souvent le plus grand mal à apporter la preuve contraire. »

L’amélioration de l’articulation du renseignement et du judiciaire ne peut conduire à l’instauration d’un nouveau droit administratif spécial antiterroriste résultant d’une expérience d’hybridation des pouvoirs de la police administrative et de la police judiciaire qui nourrirait une confusion juridique certaine.

Au final, non seulement la qualité de la loi voulue par le principe de légalité criminelle s’en trouverait affectée mais encore, l’effectivité du contrôle judiciaire et le respect des droits de la défense se verraient également mis à mal.

NB:La présente rectification porte sur la liste des signataires.

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