Déposé le 9 juin 2020 par : M. Bas, rapporteur.
En application de l’article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu’il a lieu de renvoyer à la commission le projet de loi organique portant report des élections sénatoriales et des élections législatives partielles (n° 472, 2020-2021).
Déposé sur le Bureau du Sénat le 27 mai dernier après engagement de la procédure accélérée, le projet de loi organique vise principalement à prolonger d’un an le mandat des 178 sénateurs de la série 2 qui devait s’achever en septembre 2020.
Ce texte relève d’un choix doublement contestable.
En premier lieu, il repose sur une situation purement hypothétique : il postule que le second tour des élections municipales ne pourra pas se tenir en juin 2020 en raison de la crise sanitaire, empêchant ainsi le renouvellement complet du corps électoral des élections sénatoriales.
Un tel postulat entre en contradiction avec la décision prise par le Gouvernement d’organiser le second tour des élections municipales le 28 juin prochain, décision formalisée par le conseil des ministres le jour même où il adoptait un projet de loi reportant les élections municipales ainsi que ce projet de loi organique.
Le Parlement n’a pas vocation à trancher des questions virtuelles, et moins encore en ces temps où tant de problèmes bien réels assaillent la Nation du fait de la crise économique et sociale d’une gravité exceptionnelle provoquée par la pandémie mondiale de COVID-19, à laquelle la France n’a pas été en mesure d’apporter de réponse plus pertinente qu’un confinement généralisé entraînant une perturbation majeure et durable de l’activité nationale.
Si toutefois la situation sanitaire devait se dégrader à l’approche de l’échéance du 28 juin prochain, empêchant la tenue des élections municipales, le Sénat prendrait naturellement ses responsabilités pour tirer les conséquences législatives de cette situation dans les délais les plus rapides, comme il l’a fait à deux reprises depuis le mois de mars 2020 pour permettre la déclaration de l’état d’urgence sanitaire puis sa prorogation. L’avis rendu par le comité de scientifiques le 8 juin dernier à la suite de la demande adressée par le Président du Sénat au Premier ministre le 3 juin s’inscrit cependant (et heureusement) dans une perspective contraire, même si des difficultés persistent à Mayotte et en Guyane.
Sauf retrait jour après jour plus improbable du décret de convocation des électeurs, il apparaît que le corps électoral des 172 sénateurs de la série 2 élus sur le territoire national sera renouvelé en temps utile pour permettre la tenue des élections sénatoriales de septembre 2020. Rien ne semble donc justifier que le Parlement décide aujourd’hui d’un report généralisé du renouvellement de la série 2.
Si d’ailleurs l’Assemblée nationale et le Sénat adoptaient en termes identiques ce texte organique ainsi que le projet de loi reportant les élections municipales et les élections consulaires dans leur rédaction proposée par le Gouvernement, le Président de la République serait contraint de les promulguer, hormis le cas où ces deux textes de loi ne seraient pas jugés conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Il pourrait aussi se trouver dans la situation de devoir demander au Parlement une seconde délibération, en application de l’article 10 de la Constitution. Il paraît souhaitable d’éviter un tel désordre constitutionnel et de mettre un terme à l’incohérence à laquelle la procédure inédite engagée par le Gouvernement expose l’ensemble des pouvoirs publics constitutionnels tant que le Gouvernement n’y aura pas, de lui-même, mis un terme ou que le Parlement n’aura pas profondément infléchi ou suspendu le processus législatif engagé.
En second lieu, le Gouvernement ne prend pas en considération la situation spécifique des six sénateurs de la série 2 représentant les Français établis hors de France.
Alors que la tenue du second tour des élections municipales apparaît chaque jour plus probable, il est pourtant hors de doute que les élections consulaires (initialement prévues en juin) n’auront pas lieu à temps pour permettre le renouvellement du collège électoral de ces six sénateurs représentant les Français de l’étranger, compte tenu de la situation sanitaire prévalant dans une partie du monde.
Il est paradoxal que le Parlement soit invité à se prononcer par un processus législatif fictif sur des questions qui ne devraient pas se poser et, qu’à l’inverse, il ne soit saisi d’aucune proposition pour trancher celles qui se posent déjà de façon certaine.
Puisque les élections consulaires n’auront pas lieu à l’échéance prévue, trois possibilités peuvent être examinées pour l’organisation de l’élection des six sénateurs représentant les Français de l’étranger.
Toutes posent des questions constitutionnelles délicates : elles mettent en jeu des principes constitutionnels qui peuvent apparaître contradictoires (périodicité raisonnable du vote, possibilité de prolonger des mandats pour une durée transitoire, nécessité de renouveler le corps électoral, etc.) et qui, pour cette raison, doivent être conciliés.
La première option serait de suivre la voie sur laquelle le Gouvernement a engagé le Parlement, qui consiste à ne pas séparer le mandat des sénateurs représentant les Français de l’étranger du mandat des autres sénateurs renouvelables.
Il pourrait alors être envisagé de ne prendre aucune mesure spécifique au mandat des six sénateurs concernés, qui serait donc renouvelé en septembre 2020 comme prévu (ou un an plus tard en cas d’un report général des élections sénatoriales, hypothèse de plus en plus improbable).
Si telle devait être l’intention du Gouvernement, qui n’a pris aucune initiative pour la démentir, il faudrait appeler son attention sur le risque constitutionnel qu’il prendrait en dérogeant, pour une raison qui s’apparenterait certes à la force majeure, au principe selon lequel un même collège électoral ne peut se prononcer deux fois pour pourvoir les mêmes sièges. Cette dérogation à un principe de valeur constitutionnelle éviterait, certes, de déroger à un autre principe constitutionnel en maintenant la durée du mandat en voie d’achèvement des sénateurs concernés. Toutefois, il serait hasardeux qu’une telle option soit retenue sans avoir été confortée par la consultation du Conseil d’Etat afin de vérifier, qu’entre les deux principes, l’un ne l’emporterait pas nécessairement sur l’autre dans l’intérêt supérieur de la démocratie.
La deuxième option, fort simple, consisterait à prolonger d’un an le mandat des six sénateurs représentant les Français de l’étranger afin de procéder au renouvellement de leur mandat à la date la plus proche possible de l’échéance normale de septembre 2020, compte tenu de la date envisagée pour le report des élections consulaires.
Cette solution présente l’avantage de respecter le principe selon lequel une assemblée ne saurait prolonger le mandat de ses membres que de manière strictement justifiée par un motif d’intérêt général, mais elle a cependant l’inconvénient de dissocier l’élection de ces six sénateurs du renouvellement partiel du Sénat prévu en septembre 2020. Sa portée juridique mériterait donc, elle aussi, d’être examinée par le Conseil d’État avant que le Gouvernement et le Parlement se prononcent.
La troisième option serait une variante de la précédente. Elle consisterait à reporter l’élection des six sénateurs représentant les Français de l’étranger jusqu’au renouvellement partiel suivant du Sénat, en septembre 2023.
L’intérêt de cette solution est de respecter l’exigence posée par la loi organique du 17 juin 1983 d’organiser l’élection des sénateurs représentant les Français de l’étranger « à chaque renouvellement partiel du Sénat». Mais pour, qu’elle soit conforme à la Constitution, il faudrait admettre que le motif d’intérêt général qui l’inspire soit suffisant pour permettre une prolongation de trois ans du mandat des sénateurs concernés. Cette hypothèse, qui pose aussi la question de la prolongation du mandat des sénateurs représentant les Français de l’étranger rattachés à la série 1 et renouvelables en 2023, n’a pas davantage que les précédentes été éclairée par une consultation du Conseil d’Etat.
La commission des lois constate ainsi qu’elle est dans l’incapacité de se prononcer immédiatement sur cette question très délicate avec toute la sécurité juridique nécessaire, sans obtenir au préalable l’analyse du Gouvernement et du Conseil d’État.
Dans son avis du 26 mai dernier, le Conseil d’État s’est limité à étudier le texte « hypothétique » de l’exécutif (report de l’élection des 178 sénateurs de la série 2), sans jamais examiner le cas spécifique des six sénateurs représentant les Français de l’étranger.
La commission demande donc au Sénat que ce projet de loi organique lui soit renvoyé afin de donner le temps au Gouvernement de présenter, avant l’examen de ce texte en séance publique, un dispositif constitutionnellement pertinent et adapté à la réalité de la situation de fait qui se présente.
NB:En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, cette motion est soumise au Sénat avant la discussion des articles.
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