La certification, pour la seconde année consécutive, des comptes de la branche famille par la Cour des comptes vient récompenser les efforts accomplis par les agents des caisses d'allocations familiales et leur implication sans faille. Leur charge de travail n'a pas diminué, loin de là ; le nombre d'appels téléphoniques est en augmentation et l'accueil au guichet des caisses ne désemplit pas.
La Cour avait certifié les comptes de l'exercice 2009 de la branche famille sous sept réserves. Compte tenu des progrès réalisés depuis lors dans le domaine du contrôle interne, deux réserves ont été levées pour l'exercice 2010, ce qui porte leur nombre à cinq. Preuve en est que les recommandations de la Cour ont bien été suivies d'effet.
Il faut rappeler que la branche partait d'assez loin en matière de maîtrise des risques. Les actions menées depuis quelques années contribuent, peu à peu, à sécuriser les processus de liquidation des prestations, en particulier la mise en place d'un répertoire national des bénéficiaires et d'échanges informatisés permettant de croiser les informations déclarées par ces derniers et saisies par les techniciens-conseil du réseau et celles détenues par d'autres organismes ou autorités.
Les cinq réserves maintenues par la Cour des comptes pour l'exercice 2010 s'expliquent par la persistance d'insuffisances dans le dispositif de contrôle interne de la branche. Celui-ci repose sur deux types de vérification : celle, avant paiement, des données permettant la liquidation des prestations, déclarées par les bénéficiaires et saisies par les techniciens-conseil, et celle, après paiement, de la correcte mise en oeuvre des opérations.
S'agissant du contrôle ex ante, la création du répertoire national des bénéficiaires constitue un progrès incontestable : il permet de sécuriser l'ensemble des données déclarées par les allocataires, qu'elles soient relatives à leur identité ou à leurs ressources financières.
La branche s'est également engagée dans une démarche dite de « boucles d'amélioration de la qualité » visant à garantir la sécurité, l'efficience et la qualité des opérations conduites par les techniciens-conseil. Sa mise en oeuvre a, il est vrai, pris un peu de retard car elle nécessite d'abord l'élaboration d'un processus générique, puis celle de processus spécifiques (prestation, paiement, logistique, achat...).
Concernant le contrôle ex-post, la Cour des comptes pointe son caractère trop quantitatif. En effet, les contrôles après paiement sont aujourd'hui nombreux, mais leur taux d'efficacité est faible. Il faut désormais adopter la démarche inverse : moins de contrôles, mais de meilleure qualité. C'est ce qu'a fait la branche en expérimentant, au cours du premier semestre de cette année, de nouveaux outils de méthodologie et de ciblage auprès de certaines Caf. Cette expérimentation devrait être prochainement généralisée à l'ensemble du territoire.
J'accueille comme une excellente nouvelle la certification des comptes, qui récompense le travail fourni par la Cnaf et son personnel. Comme j'ai pu le constater dans le département du Rhône, d'importants progrès ont été réalisés en matière de qualité et d'efficience des services rendus aux citoyens.
A l'occasion de cet exercice de certification, je souhaiterais que soit rétablie la vérité à propos des fraudes à la sécurité sociale. Bien sûr, il faut lutter contre la fraude, mais la traque que mène actuellement le Gouvernement contre les supposés fraudeurs est particulièrement stigmatisante pour les bénéficiaires d'allocations.
Par ailleurs, je m'inquiète de la baisse attendue des subventions publiques versées aux centres sociaux, qui ne pourront plus remplir leur rôle d'insertion et d'animation sociales. En tant qu'interlocuteur privilégié des centres sociaux, comment la Cnaf peut-elle intervenir pour soutenir leur action ?
La fraude à la sécurité sociale est un sujet majeur du débat public. Alors qu'on a parlé ces dernières semaines d'un montant de 20 milliards d'euros par an, j'aimerais connaître le volume des prestations indues et le pourcentage que celles-ci représentent sur le total des prestations versées. Quelles sont les causes de ces fraudes ? Qu'advient-il des sommes indument perçues ? Sont-elles récupérées ?
Je tiens, enfin, à adresser mes félicitations à la Cnaf pour la certification de ses comptes.
La lutte contre la fraude doit rester un objectif essentiel pour les pouvoirs publics ; il ne faut pas céder sur ce principe, sinon c'est la porte ouverte à toutes les dérives.
En tant que rapporteur de la branche famille du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je constate avec satisfaction les progrès accomplis en matière de contrôle interne. Le répertoire national des bénéficiaires est-il un outil efficace ? Combien de personnes y sont recensées ?
La Cour des comptes soulève, dans son rapport, la question de la gestion déléguée des prestations familiales : certains régimes et organismes sont en effet habilités à verser des prestations pour le compte de la Cnaf et à lui verser directement les cotisations famille dont ils sont redevables. Quelle appréciation portez-vous sur ce mécanisme ?
Par ailleurs, la gestion de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) semble particulièrement problématique : inadéquation du contrôle interne, difficultés comptables et incertitudes dans la justification des passifs enregistrés par la branche. Comment comptez-vous remédier à ces difficultés ?
La mise en oeuvre du revenu de solidarité active (RSA) pose-t-elle des problèmes aux Caf ? Les relations avec les départements sont-elles bonnes ?
Enfin, dans le cadre de la préparation du débat d'orientation des finances publiques, nous souhaiterions entendre votre analyse sur la situation financière de la branche famille. Compte tenu de la structure démographique de notre pays et d'un taux de croissance qui ne dépassera sans doute pas 2 % par an dans les années à venir, combien de temps faudra-t-il pour revenir à l'équilibre ? Quelles sont les marges de manoeuvre de la branche en matière de dépenses et de recettes ?
Nous transmettrons vos félicitations aux salariés de la branche.
Il est vrai que le climat actuel est assez malsain ; certains laissent entendre que derrière chaque bénéficiaire d'allocation se cache un fraudeur. Bien sûr, les prestations indument perçues sont une réalité, mais il arrive aussi de constater, lors de l'étude de dossiers, que certaines personnes auraient dû bénéficier de prestations qu'elles n'ont jamais reçues. Cela marche dans les deux sens !
Nous devons aussi sans doute progresser dans l'information délivrée aux allocataires : beaucoup ne savent pas à qui s'adresser lorsque leur situation financière change.
En tout état de cause, sur les 72 milliards d'euros de prestations versées par an aux onze millions d'allocataires, notre objectif est de parvenir à zéro fraude.
S'agissant des centres sociaux, la Cnaf entretient des liens très étroits avec eux puisque c'est elle qui délivre les agréments. Leur travail, conçu avec et pour la population, mérite d'être reconnu à sa juste valeur. La Cnaf y veillera.
Quant à la gestion du RSA, les relations entres les Caf et les départements sont bonnes, me semble-t-il, malgré la complexité du dispositif qu'il a fallu mettre en place.
La Cnaf a conduit en 2010 une enquête afin de mesurer le taux de fraude potentielle au niveau national ; il s'agit du premier exercice de ce genre.
Chaque année, sur les 72 milliards d'euros de prestations versées, 2 milliards le sont indument. Cette proportion importante s'explique par la structure volatile des droits alloués, qui sont directement liés à la situation financière des allocataires. Par construction, il existe un volant d'indus incompressible.
Sur les 2 milliards d'indus, entre 540 et 800 millions d'euros sont imputables à une fraude, ce qui représente entre 0,9 % et 1,3 % du montant total des prestations versées. Il faut noter que plus de 80 % du montant des sommes indument versées sont recouvrés, sur un horizon de trois ans. Nous devons nous féliciter de ce niveau important, car ce recouvrement est le fruit d'un combat quotidien de la part des agents qui en sont chargés.
Les prestations les plus concernées par la fraude sont celles attribuées sous conditions de ressources, comme les allocations logement et le RSA.
Je vous ferai parvenir les données dont nous disposons sur la fraude à cette prestation.
S'agissant du répertoire national des bénéficiaires, il est difficile de chiffrer l'effet qu'il a eu sur la fraude, mais je puis vous dire que l'usurpation d'identité n'est plus possible et que la multi-affiliation est en passe d'être éradiquée. A l'heure où je vous parle, trente-huit millions de personnes y sont inscrites ; les 50 000 restantes devraient l'être dans les prochains mois.
L'AVPF est une prestation très compliquée à gérer car de nombreux critères sont pris en compte pour son attribution. Nous sommes conscients des défaillances de la chaîne de traitement, mais insistons sur le fait que celles-ci découlent directement de la complexité de la réglementation. C'est pourquoi, nous travaillons actuellement avec la direction de la sécurité sociale pour simplifier cette prestation.
Quant au RSA, la répartition des tâches entre les caisses et les départements est désormais bien appréhendée. Il reste en revanche des progrès à accomplir en matière de transmission des flux d'informations ; le groupe de travail sur la simplification du RSA a proposé la création d'une plate-forme d'échanges.
Enfin, il n'est pas de mon ressort de commenter les prévisions de retour à l'équilibre financier de la branche, envisagé à l'horizon 2020 par la Cour des comptes. Je rappellerai simplement que la performance de la politique familiale est une condition de la compétitivité de notre économie. Nous devons non seulement travailler à rendre la dépense plus efficiente, mais aussi garantir la pérennité de notre politique familiale. C'est en effet en assurant un continuum que nous parviendrons à de bons résultats.
Puis la commission entend une communication de Mme Muguette Dini, présidente, sur la politique familiale et la protection de l'enfance au Québec.
En septembre dernier, une délégation de la commission, que j'ai eu l'honneur de conduire et dont Brigitte Bout, Alain Gournac, Claire-Lise Campion, Christiane Demontès et Isabelle Pasquet étaient membres, s'est rendue à Québec puis à Montréal. Nous voulions étudier, sur place, la politique familiale provinciale, réputée généreuse, et le système de protection de l'enfance, que l'on disait efficace.
Les nombreux entretiens et visites que nous avons conduits nous ont amenés à la conclusion que l'exemple québécois pourrait utilement nourrir nos réflexions sur l'avenir de nos politiques de soutien aux familles comme d'aide à l'enfance en danger.
En matière de politique familiale, le Québec a fait le choix, en 1997, d'investir massivement en direction des familles, avec pour objectif de répondre à un double défi :
- rompre avec la spirale d'un déclin démographique annoncé : chute des naissances d'un tiers sur la décennie 1990, érosion continue de l'indice de fécondité, tombé à 1,36 enfant par femme en 1987 ;
- s'adapter à la diversité croissante des modèles familiaux et faciliter, en particulier, la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.
Trois mesures phares ont été retenues : simplifier et majorer les prestations monétaires en faveur des familles ; subventionner le développement d'un réseau de garde à contribution minime pour les parents ; créer, de toutes pièces, un régime d'assurance parentale propre à la province, pour un effort budgétaire global de l'ordre de 6,5 milliards de dollars canadiens (soit près de 4,6 milliards d'euros) en 2009 - 10 milliards de dollars avec les prestations fédérales - et un niveau de dépenses publiques rapporté au Pib qui place désormais la province dans le peloton de tête de l'OCDE (3,2 % contre 3 % en France en 2005).
D'abord, le « soutien aux enfants » : bien que prenant la forme d'un crédit d'impôt annuel remboursable, cette prestation monétaire est largement comparable à nos allocations familiales : il est non imposable et comprend une prestation universelle, variable suivant le nombre d'enfants. Mais il s'en distingue par le fait que les droits sont ouverts dès le premier enfant et, surtout, que s'y ajoute une composante variable, modulée selon le revenu familial. Ainsi, le soutien aux enfants s'échelonne, pour un premier enfant, de 619 à 2 204 $ sur l'année ; des majorations sont également prévues à compter du quatrième enfant, pour les familles monoparentales ainsi que pour les enfants handicapés.
D'autres prestations monétaires peuvent venir le compléter, qu'il s'agisse d'aides spécifiques - subventions ponctuelles aux naissances multiples, détaxation de produits courants (couches, biberons, etc.) entre autres -, de la « prime au travail » - équivalent de notre prime pour l'emploi - qui tient compte de la composition familiale, ou des prestations monétaires fédérales à destination des familles ;
Ensuite, les services de garde à tarif réduit : constatant que le manque de solutions de garde constituait l'un des freins majeurs à la réalisation du désir d'enfants, le Gouvernement québécois a misé, dès 1997, sur le développement accéléré d'un réseau de garde à contribution réduite - 5 $ puis 7 $ par jour à la charge des parents, soit moins de 14 % du coût réel du service - pour un coût budgétaire global évalué, en 2009, à 2,4 milliards de dollars.
Le nombre de places disponibles est ainsi passé de moins de 79 000 en 1997 à plus de 211 000 au 30 juin 2010, pour un objectif porté à 235 000 d'ici à la fin de l'actuelle législature, en 2013. Surtout, et contrairement à la pratique française qui fait varier les tarifs de garde collective en fonction du revenu familial, ces tarifs réduits sont accessibles à tous les parents d'enfants de moins de cinq ans, quels que soient leurs revenus, ce qui, au passage, ne désincite pas les mères, comme c'est hélas trop souvent le cas, à la reprise d'activité.
Les services de garde à contribution réduite sont dispensés dans trois types de structures bien distincts :
- les centres de la petite enfance (CPE), organismes parapublics à but non lucratif associant les parents à leur gestion selon un modèle coopératif - pour un total de 80 000 places environ ;
- les garderies subventionnées, entreprises privées principalement à but lucratif - pour un peu plus de 39 000 places ;
- et l'équivalent de nos assistantes maternelles, les quinze mille « responsables d'un service de garde en milieu familial », offrant un peu plus de 91 000 places. Précisons qu'ils peuvent accueillir de six à neuf enfants - dont deux à quatre enfants de moins de dix-huit mois - selon qu'ils sont seuls ou assistés d'un autre adulte, et qu'ils sont placés sous la supervision de bureaux coordonnateurs chargés du respect des normes de sécurité et de qualité applicables en la matière.
Malgré ces efforts, on estime qu'il faudrait créer environ quarante mille places à tarif réduit supplémentaires pour répondre aux besoins, ce qui explique le doublement des capacités d'accueil en garderie non subventionnée sur les cinq dernières années - pour un peu moins de 13 000 places. Du reste, la combinaison de trois dispositifs, l'un provincial - le crédit d'impôt remboursable pour frais de garde -, les deux autres fédéraux - prestation universelle pour la garde d'enfants et déduction pour frais de garde - a pour effet de réduire très largement le coût net de la garde non subventionnée pour le porter, dans certains cas, à un niveau voisin de celui des tarifs réduits.
Enfin, le régime québécois d'assurance parentale (RQAP) : entré en vigueur en 2006 en remplacement du volet « congé parental » du régime d'assurance emploi fédéral, le RQAP offre désormais les prestations les plus généreuses du pays, avec pour objectif de favoriser la conciliation travail-famille mais aussi de répondre à la pénurie de main d'oeuvre résultant du vieillissement de la population. Accessible aux parents dont les revenus annuels du travail sont compris entre 2 000 et 62 500 dollars, le régime prévoit :
- le versement de prestations de maternité et de paternité, respectivement réservées à la mère et au père ;
- et de prestations parentales, partageables entre les deux membres du couple.
Le total peut atteindre jusqu'à 75 % du revenu hebdomadaire moyen.
Il se caractérise également par sa souplesse puisque les parents peuvent opter entre deux régimes distincts :
- dans le « régime de base », choisi par les deux tiers des prestataires, les taux de remplacement varient de 55 % à 70 %. Le congé dure alors au minimum dix-huit semaines pour la mère, auxquelles s'ajoutent trente deux semaines partageables : si le couple s'accorde pour attribuer à la mère la totalité des semaines de prestations parentales, elle aura donc cinquante semaines de congé ; à l'inverse, si les parents choisissent d'affecter au père toutes les semaines partageables, celui-ci bénéficiera alors de trente-sept semaines de prestations ;
- dans le « régime particulier », le taux de remplacement est plus élevé (75 %) mais la durée maximale de congé parental moindre - quinze semaines minimum pour la mère et vingt-cinq partageables, soit un maximum de quarante semaines pour la mère selon la répartition retenue pour les semaines parentales.
En autorisant le partage des prestations parentales et en leur ouvrant des droits exclusifs, le RQAP encourage ainsi fortement les pères à participer activement aux premières semaines de l'enfant.
Au total, la mise en oeuvre de ces trois piliers - soutien aux enfants, garde à tarif réduit et assurance parentale - a produit des résultats probants :
- une inversion des principaux indicateurs démographiques : sur la dernière décennie, le Québec a connu la plus longue période de croissance des naissances depuis le « baby-boom » de l'après-guerre (88 300 naissances en 2010, soit 22,6 % de plus qu'en l'an 2000) et l'indice de fécondité est remonté à 1,73 enfant par femme, chiffre le plus élevé depuis 1977, avec à la clé une reprise de l'accroissement naturel de la population ;
- une hausse continue du revenu disponible des familles avec enfants - jusqu'à 43 % dans le cas d'une famille avec deux enfants disposant de 15 000 $ de revenus d'activité ;
- une présence accrue des femmes sur le marché du travail, avec un taux d'emploi des femmes âgées de vingt-cinq à quarante-quatre ans (79 %) désormais supérieur d'un point à la moyenne canadienne ;
- enfin, une place croissante des pères dans la vie de famille : plus de 75 % d'entre eux utilisent les droits aux congés qui leur sont ouverts à la naissance d'un enfant.
Cependant, la politique familiale québécoise est, en quelque sorte, victime de son succès :
- sous l'effet de la hausse des naissances, le développement, bien que rapide, du réseau de garde à tarif réduit peine à suivre la hausse de la demande, à la fois quantitativement et qualitativement : comme en France, il est en particulier difficile de satisfaire les besoins de garde à des horaires atypiques, alors même que les formes de travail à horaires décalés progressent ;
- de la même façon, la hausse ininterrompue des prestations versées par le RQAP depuis sa création pèse sur l'équilibre financier du régime et oblige à relever, chaque année depuis quatre ans, le niveau des cotisations acquittées par les salariés et les employeurs, pour résorber à terme un déficit cumulé estimé à 902 millions de dollars au plus haut (2014) ; en attendant, les difficultés de trésorerie sont couvertes par des prêts à taux préférentiel accordés par le Gouvernement ;
- enfin, la province est confrontée, comme partout, à une contrainte budgétaire forte (lors de notre visite : 3,2 milliards de dollars de déficit attendu en 2009-2010, pour un budget total de 67 milliards).
En matière de protection de l'enfance, le Québec fait figure de précurseur depuis l'adoption de sa loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) en 1977 et de ses révisions successives.
Fondée sur le principe de l'antériorité de l'intervention sociale sur le recours au juge, la LPJ vise à concilier respect de l'autorité parentale et préservation de l'intérêt de l'enfant. Ainsi le directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) n'intervient que lorsqu'il y a compromission, ou menace de compromission, de la sécurité ou du développement de l'enfant.
Tout au long du processus, intervenants sociaux et judiciaires doivent s'assurer du respect des droits de l'enfant comme de la primauté de la responsabilité parentale, agir avec diligence et garantir la participation active de l'enfant et de ses parents, avec pour horizon le maintien de l'enfant dans son milieu familial ou, à défaut, l'établissement d'un projet de vie stable. Chaque fois que possible, des ententes sont conclues avec les parents sur la mise en oeuvre de mesures volontaires et même après l'intervention du juge, une approche consensuelle est privilégiée - au travers, notamment, de conférences de règlement à l'amiable.
Si ces concepts ont, depuis, été largement exportés, le Québec se distingue encore par l'introduction, en 2006, de délais maximaux de placement, au-delà desquels une solution de vie pérenne pour l'enfant doit avoir été trouvée, afin d'éviter les effets dévastateurs d'allers-retours permanents entre famille biologique et famille(s) d'accueil.
Parce qu'il est établi que plus l'enfant est jeune, plus il convient d'agir vite, cette durée maximale d'hébergement est modulée suivant l'âge de l'enfant : elle est fixée à douze mois s'il est âgé de moins de deux ans, dix-huit mois s'il est âgé de deux à cinq ans et vingt-quatre mois au-delà. A l'expiration de ce délai, et seulement si un retour dans la famille n'est pas possible, le tribunal doit rendre une décision visant à assurer un milieu de vie stable à l'enfant de façon permanente.
Dans tous les cas, l'application de cette date butoir, loin d'être une clause-couperet, est laissée à l'entière appréciation du juge. Ce dernier peut y déroger lorsque le retour de l'enfant dans sa famille est envisagé à court terme, dans l'intérêt de l'enfant ou pour des motifs sérieux, notamment dans le cas où les services sociaux et de santé aux parents n'auraient pas été rendus.
En pratique, le DPJ élabore simultanément, dès le début de l'intervention, deux projets de vie, l'un privilégié - le plus souvent, maintien ou retour dans le milieu familial -, l'autre alternatif - solution de repli n'advenant que par défaut, lorsque des motifs cliniques ou judiciaires s'opposent à l'autre.
Au total, les effets de la LPJ s'avèrent largement positifs : en privilégiant l'intervention en milieu parental, on a constaté une baisse des deux tiers du nombre des placements - de 30 000 au milieu des années 70, à 11 000 en 2009 - alors que le nombre des signalements faisait plus que doubler - 30 000 en 1980 puis 70 000 en 2009. En outre, depuis l'instauration de délais maximaux de placement, les enfants vivent globalement moins d'instabilité : moins de placements, changements de milieu de vie moindres et recours accru à la famille élargie ou aux personnes « significatives ».
En dépit de ces succès incontestables, certaines difficultés subsistent : comme en France, le recrutement de nouvelles familles d'accueil s'avère problématique tant les postulants sont rares. Il demeure par ailleurs de fortes inégalités territoriales dans l'application de la LPJ, les intervenants et les moyens manquant là où les besoins sont les plus criants : c'est notamment le cas de la communauté inuite du Nunavik, à l'extrême nord de la province. Enfin, la continuité du suivi des enfants entre les différents intervenants - en particulier les centres de santé et de services sociaux et les centres jeunesse - mériterait encore d'être améliorée afin d'éviter les « vides de services ».
En matière de justice pénale pour adolescents, enfin, les solutions retenues méritent également toute notre attention.
Depuis l'adoption, en 1982, de la loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSPJA) - législation fédérale mais administrée dans chaque province -, la voie des mesures et sanctions extrajudiciaires est privilégiée à chaque stade de la procédure : après l'intervention policière d'abord et s'il n'y a pas lieu d'engager des poursuites pénales, l'adolescent peut être orienté vers un programme ou un organisme communautaire susceptible de l'aider à ne plus commettre d'infractions ; à l'inverse, si une procédure judiciaire est engagée, le procureur peut toujours décider d'adresser le jeune contrevenant au DPJ qui pourra choisir de lui appliquer un programme de sanctions extrajudiciaires : travaux d'intérêt général, séance de médiation avec la victime, etc.
Pour autant, la préférence pour la non-judiciarisation ne confine pas au laxisme dans les cas les plus graves : ainsi le procureur peut exceptionnellement requérir l'application d'une peine pour adulte à l'égard d'un adolescent déclaré coupable d'un acte criminel passible d'une peine d'emprisonnement de plus de deux ans, dès lors qu'il était âgé d'au moins quatorze ans au moment des faits.
Enfin, l'accent est mis tant sur la responsabilisation des auteurs d'infractions que sur la recherche d'une participation accrue des victimes au processus de réparation : en organisant la confrontation physique entre le jeune contrevenant et sa victime, le recours à la médiation autorise en particulier l'adhésion et la prise de conscience du premier et permet de convenir du mode de dédommagement de la seconde.
Au total, la mise en oeuvre de ces mesures extrajudiciaires a permis, selon les organismes de justice alternative qui la conduisent, de réduire le taux de récidive des mineurs délinquants.
Après ce bref tour d'horizon, je souhaite vous exposer, mes chers collègues, les quelques propositions sur lesquelles la mission invite à la réflexion :
- le système québécois d'aide financière aux familles ayant permis d'accroître le soutien aux familles les moins aisées et aux classes moyennes, peut-être pourrions-nous nous en inspirer pour créer une part additionnelle d'allocations familiales, modulée en fonction du revenu, en complément de la part universelle actuellement versée à l'ensemble des familles, quel que soit leur revenu.
Pour tenir compte des contraintes budgétaires actuelles, ce supplément pourrait être financé par l'extinction de certains avantages fiscaux : suppression progressive de la demi-part fiscale supplémentaire accordée à tout parent célibataire, divorcé ou veuf, sans enfant à charge, qui a élevé seul un enfant, voire réforme de la règle du quotient familial. A niveau égal de dépenses de la collectivité en faveur des familles, cette dernière réforme conduirait non seulement à une redistribution forte des familles aisées vers celles à revenus faibles ou moyens mais renforcerait aussi la lisibilité et la cohérence d'ensemble de notre politique familiale ;
- il s'agirait ensuite de réfléchir à l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant comme cela existe déjà pour les agents de la fonction publique avec le supplément familial de traitement, à un montant certes minime (2,29 euros au 1er juillet 2010) ;
- en matière de garde d'enfants, nous pourrions aussi envisager l'institution d'un tarif de garde universel, indépendant du revenu familial, afin d'élargir les choix d'un mode de garde pour tous les parents ; comme les précédentes, cette proposition pourrait être financée par redéploiement des économies produites par la remise à plat de certains dispositifs fiscaux ; du reste, si un tel tarif universel était étendu non seulement aux modes de garde collective, mais aussi à la garde d'enfants à domicile, les avantages fiscaux pour l'emploi d'une personne à domicile pourraient également être réorientés vers le financement du dispositif ;
- enfin, il conviendrait d'étudier l'introduction, dans la législation française, de délais maximaux de placement des enfants en danger, établis en fonction de leur âge, au-delà desquels une solution de vie stable devrait avoir été trouvée. Comme au Québec, l'application de cette règle serait conditionnée à l'accompagnement effectif des parents et, dans tous les cas, laissée à l'appréciation du juge qui pourrait toujours y déroger à raison de circonstances particulières.
Je veux, pour finir, souligner l'accueil très chaleureux qui nous a été réservé par nos hôtes québécois ainsi que la parfaite information qu'ils ont su nous procurer. Je crois ne pas trahir le sentiment des autres membres de la délégation en disant tout le plaisir que nous avons eu à participer à cette mission !
Je vous remercie de ce rapport très complet, dans lequel je me retrouve presque intégralement et dont je partage l'ensemble des propositions. Je souhaite simplement insister sur la double dimension de la politique familiale québécoise telle que je l'ai perçue : il s'agit tout à la fois d'une véritable politique parentale, et non exclusivement d'aide aux mères, et d'une politique axée sur le retour à l'emploi et la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Les parents y sont considérés en tant que tels, mais aussi en tant qu'acteurs indispensables au bon fonctionnement de l'économie.
Concernant la protection de l'enfance, j'y ai vu, comme vous, des éléments intéressants mais aussi d'autres plus inquiétants : ainsi la séparation définitive entre l'enfant et ses parents intervient parfois de façon très rapide et, à mon sens, sans doute trop abrupte.
Je dois vous dire, enfin, tout le plaisir que j'ai eu à participer à cette mission et à rencontrer des interlocuteurs intéressants et particulièrement disponibles pour répondre à nos interrogations.
Je précise, s'agissant des propositions que j'ai évoquées, qu'il s'agit uniquement de pistes de réflexion.
Comme Christiane Demontès, j'ai aussi été frappée par le fait que la politique d'accueil de la petite enfance était tournée vers le retour à l'emploi, en particulier des femmes, et qu'elle impliquait les mères comme les pères. Au-delà de la conciliation travail-famille, cette politique est aussi marquée par le souci permanent du bon développement de l'enfant.
Quant à la protection de l'enfance, je partage les mêmes inquiétudes sur la coupure, parfois un peu brutale, avec les parents même si certaines des mesures présentées sont intéressantes.
Enfin, j'ai aussi particulièrement apprécié les échanges avec nos interlocuteurs québécois ...
A mon tour, je vous remercie de cette mission ; comme mes collègues, j'ai été marquée par l'accent porté sur la famille, plutôt que sur les seules mères, ainsi que par la préservation d'une ambiance la plus familiale possible dans les structures d'accueil visitées - je pense aux projets « L'Escargot » et « l'Explorateur » accueillant des enfants présentant des troubles de l'attachement. Essayons de faire aussi bien chez nous !
En matière de protection de l'enfance, les décisions peuvent certes paraître un peu radicales, elles n'en méritent pas moins d'être étudiées en détail. Il n'est qu'à voir, pour s'en convaincre, dans notre système, les dégâts causés aux enfants par les ballottements permanents d'une famille d'accueil à l'autre et à l'issue de retours infructueux dans leur famille biologique. Il est par ailleurs des environnements familiaux plus néfastes que bénéfiques pour le bon développement de l'enfant ...
En outre, la coupure avec la famille, dans le système québécois, est loin d'être immédiate et deux projets de vie - dont le maintien ou le retour dans la famille - sont élaborés concurremment. Enfin, la décision du retrait de l'enfant appartient toujours au juge, étant précisé que les juges pour enfants québécois sont obligatoirement recrutés parmi des avocats expérimentés et déjà connaisseurs du terrain pour l'avoir pratiqué pendant au moins dix ans. Tel n'est pas le cas pour les juges aux affaires familiales français qui sont souvent tout juste issus de l'école de la magistrature et peu au fait des réalités de terrain.
Ce qui est le plus traumatisant pour les enfants, c'est la séparation brutale d'avec les parents. S'agissant de la protection de l'enfance, il n'existe sans doute pas de solutions idéales mais plutôt une gestion au cas par cas. Ce qui distingue les pratiques québécoise et française en la matière, c'est avant tout une différence de culture qui rend difficile l'importation, à droit constant, des règles de l'un vers l'autre, et réciproquement.
Notre système est, à mon sens, performant pour ce qui relève de la détection des enfants en danger mais défaillant dès lors qu'il est question de protéger l'enfant et de lui trouver un projet de vie stable.
Pour m'être rendu au Québec il y a une vingtaine d'années, j'avais été frappé, à l'époque, par la rapidité avec laquelle les travaux d'intérêt général étaient mis en oeuvre après la constatation de l'incivilité, sans pour cela avoir à multiplier les procédures judiciaires et en associant les acteurs locaux. A mon retour, j'ai pu constater, dans ma commune, que c'était loin d'être aussi facile !
Vous nous avez indiqué que les assistantes maternelles peuvent accueillir de six à neuf enfants selon qu'elles sont elles-mêmes assistées ou non, mais quelles sont les capacités maximales d'accueil en garde collective ?
S'agissant des centres de la petite enfance, la loi détermine, pour l'essentiel, un effectif minimal de personnel encadrant en fonction de l'âge des enfants accueillis simultanément : ainsi une personne au moins doit être présente pour cinq enfants âgés de moins de dix-huit mois, huit enfants de dix-huit mois à quatre ans, dix enfants de quatre à cinq ans ou vingt enfants de plus de cinq ans.
Concernant les propositions sur lesquelles vous invitez à la réflexion, je suis, pour ma part, très défavorable à l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant car cela reviendrait, de fait, à créer une allocation pour enfant seul ; en outre, l'efficacité d'une telle mesure serait, du point de vue du bénéfice social, pratiquement nulle et, sur le plan de l'incitation démographique, totalement inexistante.
Quant à l'idée d'une part additionnelle d'allocations familiales variable selon le revenu, il s'agit là d'un vieux serpent de mer dont je suis convaincu qu'in fine, les catégories intermédiaires seraient les principales victimes. Il convient plutôt, à mon sens, de maintenir des prestations familiales universelles tout en améliorant les dispositifs sociaux en faveur des familles à faible revenu.
Aujourd'hui tous les enfants ouvrent droit aux mêmes prestations mais seulement à la condition qu'ils soient au moins deux ! Or, chacun connaît la situation d'enfants uniques dans une famille aux ressources particulièrement modestes qui, parce qu'étant seuls, ne bénéficient de rien.
S'agissant de la modulation des allocations familiales en fonction du revenu parental, on touche effectivement à un sujet tabou qui renvoie à une distinction de fond : en vertu des principes arrêtés en 1945 pour notre système de protection sociale, l'on ne tient pas compte des revenus pour attribuer les prestations, qu'il soit question de santé ou d'aide aux familles ; à l'inverse, la logique de l'aide sociale consiste à verser des allocations en fonction du niveau des ressources, tandis que des dispositifs plus récents - l'allocation personnalisée d'autonomie (Apa) par exemple - combinent droits universels et modulation de leur montant selon le revenu.
De ce point de vue, la piste de réflexion suggérée ici est très habile puisqu'elle consiste à maintenir, à leur niveau actuel, les prestations universelles mais en introduisant une part additionnelle variable, ce qui rétablirait un minimum de justice dans le système. Certes, les familles très aisées sont largement minoritaires mais comment justifier, les concernant, qu'elles touchent le même montant que toutes les autres ?
Il est toujours intéressant d'étudier les expériences étrangères pour les confronter aux nôtres ; je partage les propos tenus par Isabelle Pasquet et ajouterai, concernant l'attribution d'allocations familiales dès le premier enfant, qu'il s'agit d'un amendement régulièrement déposé par notre groupe !
Concernant la demi-part fiscale supplémentaire accordée aux parents isolés, il me semblait que sa suppression progressive avait d'ores et déjà été décidée ...
C'est en partie exact : à compter de l'imposition des revenus de l'année 2009, cette demi-part n'est plus attribuée qu'aux parents isolés qui ont effectivement élevé seuls un enfant pendant au moins cinq ans ; l'extinction progressive du dispositif d'ici à 2012 ne vise que les parents ne remplissant pas cette condition.
En matière de justice pénale pour adolescents, j'ajoute que l'organisation rapide d'une confrontation entre l'auteur des faits et sa victime semble réduire sensiblement le taux de récidive.
La pratique de la médiation, en présence d'un médiateur ou d'un juge, était autrefois courante dans les maisons de la justice et du droit tant que l'on disposait de subventions pour la mettre en oeuvre ... Et lorsqu'il apparaissait qu'à l'issue de cette confrontation, l'agresseur n'avait pas pris conscience de la gravité des faits, il était alors orienté vers un magistrat. En plus d'incarner la victime, on évite ainsi d'avoir à attendre dix-huit ou vingt-quatre mois avant d'être présenté au juge des enfants après un premier délit, naturellement suivi par d'autres commis entre temps.
S'agissant de la protection de l'enfance, je partage les remarques de la présidente sur ces enfants ballotés d'une structure d'accueil à l'autre, au motif notamment qu'il conviendrait qu'à chaque âge corresponde un type de placement, voire qu'il importe que l'enfant ne s'attache pas trop ! Or, si on ne s'attache pas, on ne grandit pas.
Enfin, lorsqu'il est question de durée maximale d'hébergement avant la fixation d'un cadre de vie stable pour l'enfant, ne vise-t-on que les placements en structure collective ?
Sont concernés tous les types de placements, auprès d'une personne significative, de la famille élargie, d'une famille d'accueil, etc.
Lors de notre mission, on nous a parlé, à demi-mots, de la situation de la communauté inuite du Nunavik et des difficultés particulières auxquelles elle était confrontée.
Pour m'y être rendue, il est vrai que les problèmes d'alcool et de violence intra-familiale y sont très fréquents ; du fait de l'éparpillement des communautés villageoises, il est cependant très difficile d'assurer une présence suffisante des intervenants sociaux.
La commission autorise la publication du rapport d'information.
La commission procède à l'audition de Mme Danièle Karniewicz, présidente du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) sur la certification des comptes sociaux.
Nous avons fait de nets progrès si bien que cette année, la Cour des comptes a certifié les comptes de l'exercice 2010. C'était important pour la Caisse, pour ses personnels, pour les assurés. Il y a un an, les comptes 2009 n'avaient pas obtenu la certification, on ne parlait alors que déficit des retraites et nécessité de restaurer l'équilibre.
La certification s'accompagne néanmoins de réserves ; il nous fallait en effet un cycle de quatre années, ramenées à trois, pour mettre en place les processus de contrôle. Un gros progrès a été accompli pour améliorer la qualité et maîtriser les risques. Mais il reste beaucoup à faire ! La Cour estime que nous sommes sur une trajectoire de progression et elle atténue donc sa position. Elle évoque une « assurance partielle de maîtrise des risques ». Elle émet sept réserves, cinq concernant des points sur lesquels la branche retraite peut agir directement et deux sur lesquels elle subit des dommages collatéraux, je veux parler des cotisations pour parents au foyer et des soldes des régimes intégrés à la branche.
La sincérité et l'image fidèle des comptes n'ont jamais été mises en question par la Cour, dont les remarques portent sur la régularité et le respect des prescriptions législatives. Ses réserves tiennent également à ce qu'elle n'a pu mener entièrement ses travaux d'audit, faute de disposer de tous les éléments. Ce défaut dans la mécanique l'empêche d'être certaine que ses analyses sont exactes. Mais en certifiant l'exercice 2010, la Cour reconnaît nos efforts pour rendre plus fiables les états financiers.
Concernant l'enregistrement comptable des prestations légales, la Cour nous reproche l'absence d'un déversement automatique des données, depuis les outils de gestion des prélèvements et des paiements vers la comptabilité auxiliaire et générale. Faute de lien automatique, la Cour signale une « rupture dans la piste d'audit ». Nous allons faire le nécessaire mais les résultats n'apparaîtront qu'en 2013 ou 2014, car il faut réviser l'ingénierie de toute la chaîne des paiements ainsi que les systèmes d'information de la branche. Ce qui a gêné le conseil d'administration lorsque cette réserve a été formulée, c'est le temps incompressible pour réagir, donc la durée pendant laquelle la certification ne peut être accordée - ou ne peut être accordée sans réserve. C'est en effet un projet de grande ampleur !
Une autre réserve porte sur les opérations de liquidation des droits : des vérifications ont lieu, le nombre des erreurs et la portée financière de celles-ci diminuent, mais il faut éliminer totalement les risques d'anomalies. Le contrôle interne a progressé, nous avons mis en place des protocoles d'amélioration de la qualité. La Cour estime que les résultats ne sont pas optimaux, mais le taux d'incidence des erreurs s'est nettement réduit, de 0,77% à 0,57% : c'est moins, c'est mieux, mais ce n'est pas suffisant. La Cour juge « explicite et nette » la méthode utilisée pour établir ces estimations.
Quant à nous, nous apportons un bémol : on ne saurait dissocier les progrès de l'audit et l'impact des réformes, car celles-ci causent forcément beaucoup de bouleversements. Je me souviens qu'en 2003, il fut difficile de redresser la barre ; on ne modifie pas un système informatique d'un claquement de doigts. La réforme de 2010 a été anticipée et gérée, mais toute réforme est une révolution dans les processus.
La troisième réserve porte sur les données relatives aux comptes individuels de carrière des assurés, plus exactement sur les périodes assimilées - à des périodes de cotisation - et sur l'exactitude du processus de report des salaires aux comptes. Dans le passé, nous avons connu de gros soucis à propos des périodes de chômage ou sur les dossiers de « parents au foyer », faute de recevoir directement les données sur les dates d'ouverture et de clôture des droits. Désormais, ces données nous sont transmises et ce sont nos services qui opèrent la traduction en trimestres validés. Les salaires portés aux comptes posent encore problème : il faut rapprocher les salaires déclarés par les entreprises à l'Urssaf et les flux qui servent de base au calcul des pensions. La correspondance doit être exacte : nous avons encore des progrès à faire.
Autre réserve, l'absence de révision des pensions : une fois la pension liquidée, on reçoit parfois des éléments qui justifient une révision des bases de calcul. C'est que certaines prestations sont liées à une condition de ressources ou une condition de résidence. Des contrôles ont lieu après la liquidation. L'impact financier apparaît limité, mais les contrôles portent sur un échantillon et la Cour, précisément, s'interroge sur l'étendue et la représentativité de l'échantillon.
Enfin, la cinquième réserve vise les processus de paiement, l'enjeu étant la vérification des habilitations du personnel, la séparation des responsabilités, afin d'éviter les possibilités de fraude. Il reste des choses à améliorer. Nous prenons de nombreuses mesures pour séparer au maximum les tâches, mais il est plus facile de le dire que de le réaliser. Le système informatique n'était pas encore opérationnel à cet égard en 2009 ; la réserve devrait disparaître seulement en 2012. Nous avons entrepris de séparer la fonction d'ordonnateur et la fonction comptable.
Restent deux réserves sur lesquelles nous n'avons pas de prise : d'abord, l'insuffisance du contrôle interne de la branche famille sur le montant des cotisations, plus précisément, sur l'exactitude des produits de cotisation des parents au foyer.
Oui. L'autre réserve tient à l'intégration du régime de la MSA, dont les problèmes rétroagissent sur notre caisse.
Il est important, réserves ou non, d'avoir obtenu cette année la certification de nos comptes. Un travail de fond a été mené, pour répondre aux énormes exigences de contrôle. Lorsque la certification nous avait été refusée, des échanges virulents avaient eu lieu au conseil d'administration.
Les employeurs demandaient des audits supplémentaires, mais j'ai travaillé dans le privé et je n'ai jamais vu autant d'audits et de contrôles ! Il faut sans doute mieux coordonner les procédures et aller plus loin dans la qualité et le ciblage, mais non ajouter encore des audits au sommet de la pile ! Le conseil d'administration a décidé de confier des audits à des cabinets privés. Les agents de contrôle qui viennent du ministère et de la Cour des comptes n'en ont pas moins de grandes compétences et leur apport est précieux pour nous.
Non : mais si la portée est faible, peut-être est-ce parce que notre mesure du phénomène est mauvaise, parce que l'échantillon n'est pas suffisamment représentatif ? Il faut démontrer le contraire à la Cour !
La condition de ressources a un impact sur les allocations personnes âgées, sur les pensions de réversion. J'ai un message à faire passer, car la branche a fait tout son possible ; mais parfois nous nous trouvons face à une usine à gaz, avec des processus de vérification si lourds qu'ils en deviennent contestables. Récupérer 20 euros de trop perçu justifie-t-il de croiser, en tous sens et à l'infini, les ressources des assurés ? Il faut savoir s'arrêter.
Exactement : il faut que le rendement soit en proportion de l'énergie investie. La base de données dont nous disposerons bientôt nous dira quelles sommes sont versées par les régimes sociaux, mais elle ne nous indiquera pas les revenus de placements perçus par les assurés, par exemple.
Combien de retraités sont servis par la Cnav ? Pour quels montants ?
Sur la certification, je partage votre analyse. A demander toujours plus, on jette une suspicion infondée sur l'institution. On sent la volonté du Medef, des organisations patronales représentées au conseil d'administration, de dépenser toujours moins en demandant toujours plus de justificatifs, de vérifications, de contrôles. Aujourd'hui, la politique salariale et l'évolution des retraites pèsent sur le pouvoir d'achat. Dans les générations à venir, on encadrera encore plus la dépense publique au prétexte de réduire le déficit budgétaire. Cela deviendra de plus en plus insupportable.
Nous sommes souvent saisis de problèmes concrets relatifs à la gestion des carrières. Nous avons toujours obtenu de vos services des réponses dans les meilleurs délais : ils se donnent du mal et je vous en remercie !
On entend beaucoup de critiques à propos du sort fait aux chibanis, ces Français qui ont servi la France, qui ont cotisé pour la retraite, mais à qui on pose des conditions de présence en France pour le versement de leurs pensions. C'est un scandale, ils ont donné leur sang pour notre pays et on leur chipote des sommes au demeurant bien faibles. On les présente presque comme des fraudeurs !
Nous devons demeurer exigeants avec nous-mêmes. La réunion évoquée du conseil d'administration fut effectivement difficile. Mais la direction avait bien résisté, exposant tous les processus existants, montrant que des contrôles supplémentaires ne sauraient porter que sur des points précis.
Nous avons 30 millions d'affiliés : 17 millions de cotisants et 12,8 millions de pensionnés. La masse des pensions versée représente 92 milliards d'euros ; et en 2010, le déficit était de 9,8 milliards d'euros. Nous subissons des salves de buzz sur internet sur le thème « ils paient n'importe quoi ». Des internautes affirment que la moyenne d'âge des retraités à l'étranger est beaucoup plus élevée qu'en France. Ce n'est pas vrai ! On entend dire aussi - notamment par une association dont je tairai le nom pour ne pas lui faire de publicité - que l'allocation de solidarité est versée à des personnes âgées qui n'ont jamais vécu en France. Mais c'est notre modèle social, notre système de solidarité, qui le veut.
Oui et ce sont nos valeurs. Je n'en suis pas responsable et c'est plutôt au Parlement de décider quelle exigence d'ancienneté est requise -six mois, cinq ans, de présence sur le territoire ? Quoi qu'il en soit nous ne faisons pas n'importe quoi, nous appliquons un modèle qu'à titre personnel je défends. Quant aux chibanis, je me pencherai sur le problème afin de vous apporter une réponse.
Les premiers touchés par l'allongement de la durée de cotisations vont l'être prochainement, ils devront travailler quatre mois supplémentaires.
Oui, ceux nés après le 1er juillet 1951.
Le Premier président de la Cour des comptes nous a parlé d'un déficit de 20 milliards d'euros en 2020 ou 2025 et estimé que le déficit aurait été bien supérieur sans réforme. Aujourd'hui ou dans les mois qui viennent, allez-vous voir un premier impact ?
Le rapport de la Cour des comptes sur la situation et les perspectives des finances publiques indique une dégradation de 12 milliards d'euros en 2020. Quelles sont les prévisions de la Cnav ? Quelles mesures correctrices pourraient être apportées afin que le déficit soit cantonné à 2,6 milliards d'euros ? Pouvez-vous nous en dire plus sur le référentiel unique national pour la maîtrise des risques, qui sera bientôt déployé ?
Après le vote de la loi sur les retraites, nous avons calculé la montée en charge des recettes et dépenses jusqu'en 2020 ou 2030, en tenant compte de tous les éléments, qu'il s'agisse des dépenses, des cotisations mais aussi des compléments de recettes ou du fonds de solidarité vieillesse (FSV). La commission des comptes de la sécurité sociale estime le déficit de la Cnav à 4 milliards d'euros en 2018. Les projections prennent en compte toutes les mesures comprises dans la réforme.
Oui. Mais les mesures sont insuffisantes.
Il faudra trouver d'autres logiques de financement.
La Cour nous a donné un chiffre de plus de 12 milliards d'euros de déficit.
C'est le chiffre, à horizon 2018 ou 2020, tous régimes confondus.
Le conseil d'administration et la direction de la Cnav y travaillent dans le cadre de la maîtrise des risques. Mais les cotisations dépendent des déclarations des entreprises ; et d'autres chaînes d'information interviennent. L'un des enjeux se situe dans la façon de regrouper les données. L'élimination des risques de fraude n'équilibrera pas les régimes, mais elle est importante en termes de droits et de devoirs.
Je vous félicite pour la certification obtenue. Il y aura dans les années à venir de moins en moins de réserves.
C'est ce que je pense. A moins que chaque année nous apporte une nouvelle réforme... Il y a déjà le rendez-vous obligé de 2013 sur les aspects systémiques.
La répercussion sur les comptes n'interviendra pas immédiatement ! Je vous remercie de votre intervention.