Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 2 février 2010 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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  • copenhague

La réunion

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La commission a procédé à l'audition de M. Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes

a souligné qu'il fallait comprendre la mise en place des nouvelles institutions européennes au regard de l'histoire de la construction européenne. Il a estimé que l'Union européenne rentrait dans une troisième phase de son histoire : après l'étape de la réconciliation franco-allemande et du réarmement de l'Allemagne au sein de l'Union européenne, après l'étape de la réunification du continent européen, de l'élargissement et de la modernisation des institutions, elle entre dans une phase qui est celle de l'affirmation de l'Europe dans la mondialisation. Il a déclaré que le principal enjeu de cette étape était la capacité de l'Europe à préserver son système de valeur et son modèle social dans un contexte où la hiérarchie des puissances était en passe d'être bouleversée. Comment l'Europe va-t-elle peser et exister dans ce monde globalisé ? Il a souligné que les Etats européens avaient besoin des institutions européennes pour faire face à de nombreux défis tels que la crise économique mondiale et la crise de la sécurité avec les évènements de Géorgie ou la fragilité de la paix aux périphéries de l'Europe.

Il a ensuite fait observer que la conférence de Copenhague sur le climat, en décembre 2009, avait été pour l'Union européenne un révélateur et peut-être un tournant historique de la même portée qu'en son temps la crise de Suez de 1956. A Copenhague, la négociation s'est, en effet, conclue sans les Européens dont la position, pourtant fondée et unie, s'est heurtée au mur des intérêts nationaux, chinois et américains et à l'indifférence des Etats émergents comme le Brésil ou l'Inde. Soulignant que les risques de déclassement de l'Europe étaient réels, il a affirmé qu'aucun des grands sujets d'actualité n'était à la mesure d'un Etat et maintenant que l'Europe s'était dotée d'institutions viables, il fallait une volonté politique pour ce qui apparaît de plus en plus comme un rendez-vous avec l'histoire.

a indiqué que l'Union européenne était rentrée dans une phase d'installation du nouveau système institutionnel issu du Traité de Lisbonne. Il a affirmé que les autorités françaises étaient très vigilantes sur l'articulation des différentes institutions et leur mise en place qui suscitaient quelques inquiétudes. Evoquant une question posée par l'ancien secrétaire d'Etat américain, Henri Kissinger : « l'Europe, quel numéro de téléphone ? », il a fait valoir que l'Union européenne était aujourd'hui constituée de quatre pôles. Le premier, qui constitue le coeur des institutions, est le Conseil européen et son président permanent, M. Herman Van Rompuy. Le rôle du président du Conseil est de faire émerger un consensus au sein du Conseil et d'assurer le suivi de ses décisions. La réunion d'un conseil extraordinaire sur l'emploi et la sortie de crise constitue un premier résultat tangible car c'est la première fois que les chefs d'Etat de l'Union européenne vont tenter de bâtir des politiques communes en faveur de l'emploi à un moment où de part et d'autre de l'Atlantique, le taux de chômage a atteint plus de 10 %.

Il a ensuite insisté sur le rôle qui revient au Conseil des affaires générales dans la nouvelle architecture européenne. Aux termes du Traité de Lisbonne, ce conseil a un rôle politique de préparation des conseils européens, de coordination et de suivi des décisions prises. Il a fait observer que le conseil des affaires générales, qui se réunit chaque mois, doit être une enceinte de débats politiques en relation étroite avec le président du Conseil européen, et non un super Coreper.

Le deuxième pôle de pouvoir au sein de l'Union européenne est désormais le Haut représentant de l'Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui est également la vice-présidente de la Commission. Son rôle est de fabriquer du consensus entre les politiques étrangères des Etats. Il a estimé que cette double appartenance du poste occupé par Mme Catherine Ashton devrait permettre une meilleure coordination entre les Etats membres du Conseil et l'action extérieure de la Commission européenne, qui dispose des moyens financiers pour les politiques communes, comme par exemple l'énergie ou l'aide au développement.

Il a espéré que cette nouvelle architecture mette fin à des situations où l'action de la Commission s'est développée sans concertation avec les Etats, comme en Afghanistan ou à Sarajevo. L'exemple du peu de visibilité de l'Union à Haïti montre tout l'intérêt que l'impulsion politique donnée par le Haut représentant et le Conseil soit relayée par l'action extérieure de la Commission. Il a souligné la nécessité de mettre en place en Europe une force de réaction rapide dont l'Europe discute en vain depuis des années. Il a indiqué que les membres du Conseil de l'Union européenne devraient, à l'avenir, faire preuve de plus de réactivité politique s'ils veulent que l'action de l'Europe soit plus visible sur la scène internationale.

a ensuite évoqué la mise en place du service européen pour l'action extérieure (SEAE), organisme sui generis dont le statut des personnels est différent de celui des fonctionnaires de la Commission. Il a indiqué qu'en ce qui concerne le recrutement, les autorités françaises seront particulièrement attentives à ce que l'égalité de traitement entre les fonctionnaires de la Commission, ceux du Conseil européen et les diplomates nationaux soit effective. La structure, les missions et la taille de ce service sont en cours de discussion. Il importe donc d'être attentif au risque de se voir mis devant le fait accompli.

A titre d'exemple, il a évoqué les enjeux autour des nominations des « ambassadeurs » de l'Union européenne. Il a rappelé que, depuis le 1er janvier, les délégations de la Commission ont laissé la place à des délégations de l'UE, qui ont repris les fonctions de la présidence dans 55 Etats tiers. Il a considéré qu'il ne devait pas y avoir de monopole de la Commission sur la désignation des « ambassadeurs » de l'Union européenne. Il a indiqué que pour la France, les nominations déjà effectuées ne sauraient être que transitoires. Les décisions concernant le futur SEAE seront prises par ceux qui ont la légitimité, c'est-à-dire par les Etats.

Si le Parlement européen revendique un contrôle de l'action extérieure de l'Union et du SEAE par l'intermédiaire de son pouvoir budgétaire, M. Pierre Lellouche a souligné que les parlements nationaux devaient jouer totalement leur rôle et faire entendre leur voix.

Le secrétaire d'Etat a ensuite évoqué les parlementaires français membres du Parlement de l'Union. Il a indiqué qu'ils étaient de plus en plus présents et coordonnés. Il a souligné que les autorités françaises étaient très vigilantes sur l'utilisation de la langue française, observant que les francophones, rassemblés au sein d'un groupe à l'initiative de la France, constituaient 350 des 700 membres du Parlement.

Il a ensuite fait valoir que le couple franco-allemand restait le meilleur moteur de la construction européenne. Il a estimé que la France et l'Allemagne avaient traversé avec succès l'épreuve de la crise et s'apprêtaient à définir, à l'occasion du prochain conseil des ministres franco-allemand qui se réunira le 4 février prochain en formation plénière, les objectifs de leur coopération pour les dix années à venir. Il a précisé que, avec son collègue Werner Hoyer, il avait fait des propositions au Président de la République et à la chancelière fédérale. Le secrétaire d'Etat a rappelé que, lorsque la France et l'Allemagne n'arrivent pas à définir des positions communes, comme ce fut le cas lors de l'éclatement de la fédération yougoslave, les conséquences pouvaient être imprévisibles.

a conclu en soulignant que la totalité des problèmes auxquels les Européens sont confrontés dépassent l'échelle des Etats et justifient que l'on construise une Europe politique forte. Il a fait observer que l'Europe ne constituerait plus que 6 % des habitants de la planète dans vingt ans. Il a jugé que l'Europe risquait d'être marginalisée si elle ne prend pas son destin en mains.

Puis un débat s'est ouvert au sein de la commission.

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Voynet

a exprimé son accord avec le ministre sur un risque de déclassement de l'Europe, comme l'a illustré le résultat négatif des récentes négociations menées à Copenhague sur le climat. Elle a souligné, sur ce dossier, que l'Union européenne avait été affaiblie par les tensions opposant ses Etats membres dans la phase préalable à la conférence. Elle a estimé que l'échec de ces négociations manifestait, plus largement, celui du système onusien, échec qui se caractérise par le refus de grandes puissances, comme les Etats-Unis d'Amérique ou la Chine, de s'engager de façon contraignante dans un cadre international. Elle a estimé que le peu de succès obtenu par les négociations menées au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), comme dans le domaine du désarmement, manifestait les limites du système onusien, qui se traduit par la volonté de certaines grandes puissances de passer des accords entre elles sans en référer aux Nations unies. Par ailleurs, elle a déploré le peu de visibilité de l'action de l'Union européenne à Haïti alors même qu'elle a réuni d'importants moyens, notamment financiers, en faveur de la population haïtienne, mais sans les accompagner d'une communication adéquate. Plus largement, elle a estimé qu'il existe une fracture entre l'opinion publique, les ONG, le monde associatif et l'Union européenne. Il convient de resserrer les liens et de rassurer l'opinion d'autant que cet état de fait est en partie infondé. L'Union fait mais ne fait pas savoir.

Debut de section - Permalien
Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes

En réponse, M. Pierre Lellouche a apporté les précisions suivantes :

- les Etats représentés à la conférence de Copenhague étaient opposés par de fortes divergences, et pas seulement les Etats européens, mais ces derniers ont su avancer dans leurs négociations pour parvenir à une position commune en temps utile ; celle-ci a pu être obtenue malgré la forte hétérogénéité des politiques énergétiques des différents membres de l'Union européenne, en partie grâce à l'action combinée de l'Allemagne et de la France ;

- l'échec de Copenhague découle du manque de volonté d'aboutir, manifesté par de grands pays comme les Etats-Unis où existait une divergence d'appréciation entre le Président Obama et le Congrès, ou l'Inde et la Chine, dont l'équilibre interne repose sur le maintien d'un fort taux de croissance, et donc sur le maintien de politiques énergétiques peu contraignantes. Cela étant, le modus operandi de négociation à 194, dans le cadre onusien, a marqué ses limites. C'est pourquoi la France a proposé de mener les négociations ultérieures sur l'environnement dans le cadre d'un G28 ;

- l'ONU est une institution qui reste indispensable, mais qui doit être complétée par des enceintes spécifiques, comme le G20 réuni, sur initiative française, pour examiner les conséquences de la crise économique.

a affirmé la détermination de la France de suivre très attentivement dans les mois à venir la mise en oeuvre des décisions de Copenhague. De ce point de vue, seule une taxe carbone sanctionnant les pays qui ne font aucun effort permettra de peser sur les décisions des autres acteurs internationaux, car l'échec de Copenhague a montré que l'exemplarité non assortie d'un système de contraintes ne peut susciter un effort collectif. De même, une organisation mondiale de l'environnement doit être créée. S'agissant de l'action de l'Union européenne, il est, en effet, tout à fait nécessaire d'améliorer la connaissance qu'en ont nos concitoyens afin d'éviter la réitération des attitudes négatives ou d'abstention qui ont caractérisé les dernières consultations européennes. Cette pédagogie doit aboutir à ce que les populations se réapproprient l'Europe, et souligner les importants résultats qu'elle a permis d'obtenir en matière de paix et de prospérité économique.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Reiner

a rappelé qu'il avait voté en faveur du traité de Lisbonne, mais s'interrogeait maintenant sur la réalité des avancées qu'il était censé permettre. Il a rappelé que ce texte devait améliorer les structures de gouvernance de l'Union européenne, alors que leur mise en oeuvre se révèle très compliquée. Il a estimé que les citoyens ne s'approprieraient l'Europe que s'ils percevaient son efficacité, et s'est enquis des politiques communes et des coopérations renforcées aujourd'hui en projet.

En réponse, le ministre a apporté les précisions suivantes :

- la nécessité de l'Union européenne est incontestable, car elle apporte à chacun de ses membres un indéniable multiplicateur de puissance ; la mise en oeuvre de politiques communes, par exemple dans le domaine de l'énergie, de l'immigration ou de la sortie de la crise, est un enjeu fondamental pour les nouvelles institutions. La réunion du Conseil européen, le 11 février prochain, sur l'emploi, en est l'illustration ;

- la mise en place des institutions découlant du traité de Lisbonne réclame une très grande vigilance. Le Gouvernement a une vision très volontariste du rôle de la France dans ce nouveau contexte, dans cette Europe au sein de la mondialisation. Il faut considérer que, en 2050, le monde comptera 8 à 9 milliards d'habitants, au sein desquels l'Union européenne actuelle ne représentera que 6 % et la France 0,6 % ; la question qui se pose est donc de savoir comment l'Europe entend peser dans ce monde à venir.