Au cours d'une seconde réunion tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition de M. Jean-Claude Mallet, président de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
Accueillant M. Jean-Claude Mallet, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que la présentation du rapport d'étape de la commission du Livre blanc offrait l'occasion d'exposer le calendrier de présentation de ses travaux et de préciser les conditions d'information et de débat au Parlement sur ses conclusions.
Après avoir rappelé que le Sénat avait accueilli les auditions publiques de la commission du Livre blanc et s'était associé à ce titre à ses travaux, M. Jean-Claude Mallet a souhaité rappeler la méthode de travail retenue, après que celle-ci eut été mise en cause à plusieurs reprises. Il a souligné que l'objet des travaux de la commission du Livre blanc était de procéder à une analyse géostratégique afin de définir une nouvelle doctrine de défense et de sécurité nationale, de considérer ainsi les aspects de la sécurité intérieure qui intéressent la sécurité nationale, mais aussi d'engager des travaux sur les programmes d'armement, sur le format des forces, sur la politique industrielle ou sur la dimension humaine de la défense et de la sécurité nationale.
Les travaux de la commission ont pour toile de fond les évolutions constitutionnelles envisagées en matière de défense et plusieurs démarches sont menées de front : la première vise à définir in fine la stratégie et les capacités de l'outil de défense ; parallèlement, un mouvement de restructurations est mené par le ministère de la défense, mais aussi le ministère de l'intérieur ou encore le ministère des affaires étrangères. Les échanges avec la commission du Livre blanc sur les affaires étrangères et européennes sont d'ailleurs permanents.
a rappelé que, dès le début, la commission avait conçu son rôle comme visant à préparer le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, et non à élaborer un rapport supplémentaire sur ce thème. Il a évoqué les critiques adressées à la commission du Livre blanc, selon lesquelles des annonces du Président de la République auraient précédé la conclusion de ses travaux. M. Jean-Claude Mallet a souligné que sur les aspects structurants du sujet, qu'il s'agisse de la dissuasion, de l'OTAN, des accords de défense, les annonces du Président de la République n'avaient pas précédé, mais suivi les discussions au sein de la commission et les points d'étape réguliers effectués pour lui sur ces différents sujets. Au demeurant, les choix rendus publics avaient été très proches de ceux proposés par la commission. De surcroît, la vie politique et internationale de la France ne peut être suspendue pendant six mois, le temps que la commission rende ses conclusions.
a indiqué qu'après l'analyse des risques et des opportunités de la mondialisation, la commission avait donné la priorité à l'analyse des capacités militaires, en s'attachant à tirer les enseignements des crises et des opérations récentes. Ont ainsi été passés en revue les grands axes de la stratégie militaire, de la sécurité sur le territoire national et de la protection des citoyens, qui englobe notamment les questions de lutte informatique.
Il a rappelé que la commission avait analysé les cinq fonctions stratégiques que sont :
- la connaissance et l'anticipation, pour lesquelles la commission propose une démarche globale comprenant les moyens humains, les capacités, les technologies, les investissements, l'organisation et le cadre d'action ;
- la prévention, qui combine la coopération, la présence sur les théâtres de crise et l'élaboration de politiques d'ensemble visant à empêcher les conflits ;
- la dissuasion, dont les principes ont été réaffirmés en termes de forces et de doctrine avec le maintien de deux composantes et d'une capacité nationale de conception des armes ;
- la protection, pour laquelle la sécurité publique et la sécurité civile sont en première ligne, avec, en appui, les forces armées ; la commission ayant exclu et considéré comme « hors champ » les questions de maintien de l'ordre ;
- l'intervention, qui doit être conçue à la lumière des expériences acquises et des développements attendus des relations internationales.
a indiqué que plusieurs options stratégiques étaient à l'étude et que de ces options, découlent différents scénarios en termes de capacités civiles et militaires, auxquels est chaque fois associée l'enveloppe financière globale correspondante.
a souligné que les différentes hypothèses envisagées avaient tenu compte des enseignements des crises récentes. Les forces armées françaises sont clairement entrées dans une logique d'emploi depuis quinze ans. Ceci implique que la priorité soit donnée à la cohérence opérationnelle, au maintien en condition opérationnelle et à la protection des forces dont il faut tirer les conséquences en termes de capacités.
Il a ensuite indiqué que les membres de la commission s'étaient accordés sur la nécessité de proposer des principes généraux régissant l'intervention extérieure qui, sans enfermer l'exécutif dans un cadre figé, constitueraient une aide tant pour les armées que pour le Parlement et l'opinion.
Evoquant les relations entre la défense, la sécurité et la société, il a souligné l'importance qu'il y a à associer le Parlement. Il a indiqué que la question du vote sur les opérations extérieures serait traitée dans le cadre de la révision constitutionnelle et que la commission avait également suggéré que les accords de défense soient connus de la représentation nationale.
Sur la question de la nature des conflits auxquels la France devait se préparer, M. Jean-Claude Mallet a indiqué que notre pays devait avoir la capacité de faire face à un conflit impliquant des capacités importantes dont celles « d'entrée en premier », au sein d'une coalition. La difficulté de l'addition de différentes exigences résidait dans leur traduction financière. Aussi la commission propose-t-elle un éventail de choix sur les grandes capacités qui soit compatible avec le maintien, au moins en volume, de l'effort de défense.
Tirant les enseignements de l'exécution des lois de programmation militaire, il a indiqué qu'il convenait, pour la commission du Livre blanc, de modifier l'organisation des décisions sur les programmes de façon à éviter le plus possible les sous-évaluations des programmes d'armement constatées en construction, la non-prise en compte de dépenses pourtant inéluctables et les annulations de crédits en cours de gestion, effectuées souvent pour gager le coût des opérations extérieures.
a indiqué que la commission proposerait une révision de l'ordonnance de 1959 sur la défense et l'adoption d'un objectif commun de sécurité nationale face à l'ensemble des risques et des menaces qui mettent en péril la vie de la nation, les uns étant intentionnels, les autres relevant de catastrophes naturelles ou de crises sanitaires. Cet objectif commun serait l'objectif unique de la défense et bénéficierait de contributions de la politique de sécurité intérieure, de la politique économique ou encore de la diplomatie. L'ordonnance de 1959 est fondée, quant à elle sur une distinction entre défense militaire et défense non militaire, avec pour celle-ci des notions de défense civile et de défense économique qui correspondaient au contexte de l'époque de sa rédaction. Aujourd'hui, il convient de raisonner davantage en termes de sécurité et d'intelligence économiques, de sécurité et protection civiles, etc... Ces propositions devraient faire ultérieurement l'objet d'un projet de loi.
Evoquant ensuite les ressources et la dimension humaines de la politique de défense, M. Jean-Claude Mallet a souligné la nécessité de valoriser le rôle des militaires, de renforcer la professionnalisation en valorisant la fonction de combattant, en développant des filières de formation commune au renseignement, en renforçant la fidélisation et l'attractivité du métier militaire et en améliorant les conditions de vie des personnels.
Pour ce qui concerne les questions industrielles, il a indiqué que la commission avait raisonné en termes de maintien ou développement des compétences françaises pour ce qui relève strictement de la souveraineté nationale, le reste devant relever de l'échelle européenne. Il a souligné que l'ambition européenne et internationale avait été placée au coeur des orientations du Livre blanc.
Evoquant enfin le calendrier des travaux de la commission du Livre blanc, M. Jean-Claude Mallet a indiqué que la commission était désormais entrée dans la phase active de rédaction ; selon ses souhaits, une concertation, préalable à l'approbation définitive du texte par le Président de la République, sera organisée par le gouvernement avec les commissions compétentes du Parlement ; elle pourrait avoir lieu à la fin du mois de mai. Le texte fera ensuite l'objet d'une présentation en conseil de défense, puis en conseil des ministres, avant d'être examiné par le Parlement, à l'occasion d'un débat conduit par le Premier ministre, a priori dans la première quinzaine du mois de juin.
a remercié M. Jean-Claude Mallet pour sa présentation, soulignant qu'elle préfigurait un bouleversement d'ampleur dans les concepts actuels de sécurité et de défense nationale.
Enfin, M. Jean-Claude Mallet a tenu à saluer la qualité du travail accompli par les services des différents ministères, et en particulier par ceux de l'état-major des armées du ministère de la défense.
A l'issue de cet exposé, un débat s'est engagé au sein de la commission.
évoquant la démission des deux parlementaires de l'opposition siégeant à la commission du Livre blanc, s'est demandé si cette commission n'était pas devenue une chambre d'enregistrement des décisions du Président de la République. Il s'est également interrogé sur la cohérence de ses travaux avec ceux de la révision générale des politiques publiques et les annonces faites par le ministre de la défense concernant la réduction des effectifs. Il a enfin souhaité que le Parlement, et en particulier les commissions compétentes des deux assemblées, soient réellement associées à l'élaboration du Livre blanc, avant sa remise au Président de la République.
En réponse, M. Jean-Claude Mallet, a rappelé que le rôle de la commission du Livre blanc consistait à proposer des orientations, parfois avec différentes options, mais que la décision finale revenait au Président de la République. Il a souligné que les principales réorientations de notre politique de défense annoncées par le Président de la République, en matière de dissuasion nucléaire, d'accords de défense et de politique africaine ou encore à l'égard de l'OTAN, correspondaient aux propositions formulées par la commission du Livre blanc.
En revanche, il n'appartenait pas à la commission de se prononcer sur le bien- fondé des opérations extérieures, comme la décision d'envoyer des renforts en Afghanistan ou l'opération au Tchad et en République centrafricaine, qui n'ont pas été évoquées par la commission. Au sein de la commission du Livre blanc, les travaux s'effectuent dans la plus grande transparence, a rappelé M. Jean-Claude Mallet. Enfin, le Président de la République et le Premier ministre sont les meilleurs garants de la cohérence des différentes réformes intervenant dans le domaine de la défense. Il existe, au sein des armées, une aspiration à la reconnaissance de la qualité de militaire dont la commission du Livre blanc devrait tenir compte, a-t-il précisé.
a indiqué que la présentation faite par M. Jean-Claude Mallet reflétait parfaitement les réflexions actuelles au sein de la commission. Il a souhaité avoir des précisions complémentaires sur la prise en compte des évolutions démographiques, la dimension européenne et le rôle des armées face au terrorisme.
a estimé que l'aspect européen était central et qu'il serait pris en compte dans la rédaction du Livre blanc, de même que les évolutions démographiques ou la contribution des armées en matière de lutte contre le terrorisme. D'ailleurs, pour la première fois, la commission du Livre blanc va proposer un contrat opérationnel en matière de protection des populations. En revanche, il a estimé qu'il fallait opérer une nette distinction entre la sécurité nationale, dont relève par exemple le terrorisme, et la sécurité quotidienne (délinquance ou maintien de l'ordre), qui ne relève pas de la compétence des armées, mais de la police ou de la gendarmerie, et qui n'était donc pas prise en compte dans les réflexions autour du Livre blanc.
s'est interrogé sur la place de la Russie dans les réflexions de la commission du Livre blanc, et a souhaité savoir si les fragilités de notre politique spatiale, et notamment la vulnérabilité de nos satellites, avaient été prises en compte par la commission.
a répondu que les puissances émergentes, comme la Russie, la Chine ou l'Inde, occupaient une place centrale dans les réflexions de la commission du Livre blanc, de même que les puissances moyennes, que le débat public ou même notre stratégie internationale ont tendance, à tort, à négliger.
Il a également souligné que la politique spatiale de défense avait été trop souvent négligée par le passé, comme en témoignent le faible nombre de satellites militaires ou le niveau comparativement faible des crédits consacrés à cette politique dans le budget de la défense de 2008, qui est de 383 millions d'euros, a fortiori dans la programmation envisagée avant la mise en place de la commission du Livre blanc. L'une des recommandations de la commission devrait porter sur le redressement de notre effort dans ce secteur stratégique.
a souhaité connaître l'état des réflexions de la commission du Livre blanc sur le cyberterrorisme.
a indiqué que cet aspect avait aussi été pris en compte et que le Livre blanc devrait proposer une véritable stratégie en la matière.
Après avoir remercié M. Jean-Claude Mallet, M. Josselin de Rohan, président, a tenu à rappeler que l'association du Parlement à l'élaboration de la doctrine de défense était un phénomène nouveau, étant donné que pendant longtemps la doctrine de défense a été définie par le seul Président de la République. Il a aussi rappelé que l'actuelle commission se caractérisait par une composition ouverte aux parlementaires et à la société civile, contrairement à la précédente commission ayant élaboré le Livre blanc de 1994, qui ne comportait que des hauts fonctionnaires.
a émis le souhait que le Parlement puisse débattre des orientations proposées par la commission du Livre blanc avant la remise des conclusions au Président de la République. Il a considéré qu'un débat serait d'autant plus nécessaire que, contrairement au large consensus qui existait par le passé, la nouvelle doctrine de défense risquait de susciter des clivages politiques.