Nous avons aujourd'hui le plaisir de recevoir des responsables de la DATAR, la Délégation interministérielle à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité Régionale.
Pourquoi la DATAR ? Notre délégation a confié à nos collègues Renée Nicoux, Gérard Bailly et Ronan Kerdraon une réflexion sur l'avenir des campagnes. Ils organisent donc, à leur convenance, un certain nombre d'auditions.
Celle de la DATAR était incontournable, et par son champ de compétence, et par la qualité de ses études. J'ai donc souhaité réunir la Délégation à la prospective, afin que chacun de ses membres puisse profiter de la présentation de ce jour.
Cette réunion est également justifiée par le suivi de nos travaux. En effet, je rappelle que nous avons entendu la DATAR il y a deux ans, en la personne de Pierre Dartout, alors Délégué à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale, à propos d'un nouvel exercice, intitulé « Territoires 2040 », qui succédait à des cycles prospectifs antérieurs.
Maintenant, Stéphane Cordobes ici présent, conseiller en charge de la Prospective, va présenter le fruit de cet exercice « Territoires 2040 », pour ce qui concerne les « espaces de la faible densité », autrement dit, les campagnes.
Caroline Larmagnac, conseillère en charge de la « dynamique des territoires » devrait, pour sa part, nous présenter « en exclusivité » une nouvelle typologie des espaces ruraux.
Madame, Monsieur, la parole est à vous.
Je précise que le programme « Territoires 2040 » comprend, outre une dimension prospective, certains travaux destinés à renouveler le regard sur les territoires. Pour ce qui concerne notre intervention, nous vous présenterons d'abord les grandes tendances qui caractérisent les territoires : la démographie, l'urbanisation et les liens interterritoriaux. Puis nous vous dévoilerons le résultat d'un travail, prochainement publié, destiné à établir une nouvelle typologie des espaces ruraux. Enfin, nous vous présenterons les conclusions de l'exercice « Territoires 2040 » pour ce qui concerne les campagnes.
Sur le plan démographique, nous assistons à un déplacement majeur du fait de la forte augmentation attendue de la population en Afrique et en Asie à l'horizon 2040. Certes, on anticipe un tassement en Chine, en raison de la politique de l'enfant unique, mais il contrastera avec l'expansion de la population attendue en Inde. L'Europe se caractérise, en revanche, par une faible croissance, à l'exception notable de la France. Une autre évolution prévisible, en matière de démographie, est le vieillissement de la population. Si l'on s'en tient à la France, le poids des personnes âgées de 65 ans et plus devrait, entre 2010 et 2030, augmenter fortement dans le quart nord-est du territoire et amorcer une hausse notable dans le littoral ouest et la vallée rhodanienne, un moindre vieillissement étant attendu dans l'Ouest et les Pyrénées. Concernant l'évolution globale de la population en France, on attend, entre 2007 et 2040, une progression marquée dans toutes les zones littorales ainsi que dans le grand Sud-Ouest. En revanche, un très faible dynamisme devrait s'observer au Nord et à l'Est.
J'aborde maintenant les phénomènes d'urbanisation et de métropolisation. La logique d'étalement urbain grignote les espaces ruraux depuis les années soixante. Je précise que l'urbain se définit par la continuité du bâti, le périurbain étant défini, au niveau de la commune, par la proportion du nombre de résidents actifs qui travaillent en zone urbaine. A partir de 40 %, la commune est réputée appartenir à une zone « périurbaine » - il s'agit, ainsi, d'une définition fonctionnelle. L'espace rural correspond, précisément, aux espaces qui ne sont ni urbains, ni périurbains.
Sur la carte que vous nous montrez, peut-on voir évoluer, dans le temps, les zones qui correspondent aux grandes aires urbaines ?
Cela serait difficile, en raison de l'évolution des définitions.
On peut cependant comparer cette carte avec celle de 1999, pour laquelle les définitions étaient encore proches. On mesure alors facilement l'étalement autour des pôles urbains, étalement qui est particulièrement marqué à l'ouest de Paris.
Vos précédents exercices prospectifs ont-ils été confirmés par les faits ?
Les évolutions constatées, en termes de périurbanisation, correspondent assez bien aux prévisions que la DATAR avait pu formuler, notamment en portant son regard sur l'expérience américaine, les Etats-Unis ayant préfiguré un certain nombre d'évolutions nationales.
La géographie que vous nous présentez paraît, en effet, s'inscrire dans le prolongement de vos travaux précédents. Par ailleurs, je relève, non sans craintes, que vous définissez l'espace rural par défaut : le rôle de l'espace rural pourrait bien connaître la même logique...
Le « scénario de l'inacceptable » imaginait une France coupée en deux avec un espace de très fort développement et un espace de non-développement. On peut considérer que ce scénario a été évité, car l'Ouest s'est développé tandis que l'Est et le Nord sont loin d'être devenus les pôles de développement qu'on anticipait alors. Concernant la définition de l'espace rural, il est exact qu'il s'agit d'un espace d'ajustement.
Le choix de la mondialisation libérale a périmé le schéma des « trente glorieuses », si bien que le Nord-Est est maintenant sur le flanc...
L'urbanisation connait une progression galopante dans le monde. D'ores et déjà, en France, 95 % de la population est urbaine ou « sous influence urbaine », que ce soit par le mode de vie ou le travail.
Ces chiffres ne doivent pas dissimuler le fait qu'on observe un regain de la population rurale ou périurbaine.
Le mouvement dont vous parlez s'observe depuis les années quatre-vingt-dix. La question est de savoir si ces populations, qui attendent les mêmes services que les urbains, sont véritablement rurales. Ce qui définit traditionnellement le rural, c'est l'agricole. Dès lors, si l'on raisonne en termes de prépondérance économique, il n'y a plus de départements ruraux en France. Par ailleurs, je signale que le développement du très haut débit a un impact ambivalent sur la mobilité.
Je me demande, à ce propos, comment faire venir des touristes à cheval sur une fibre optique...
J'en arrive à me demander, pour ma part, si l'espace rural ne se définit pas par le manque de services de proximité... Par ailleurs, je pense qu'un simple critère de densité de population pourrait être mobilisé pour définir les espaces ruraux.
Il existe nécessairement une corrélation entre proximité des services et densité de la population.
La RGPP (révision générale des politiques publiques) a privé les départements de l'essentiel des services déconcentrés, si bien que les administrations s'éloignent des acteurs locaux.
La métropolisation entraîne certaines économies d'échelle. J'en viens aux flux et liens interterritoriaux. Nous les avons examinés suivant deux angles : les déplacements domicile-travail, et les autres types de liens : de types universitaires, tenant à l'organisation de la recherche, etc.
Les cartes que vous nous présentez sont symptomatiques de toute une politique, et de certains échecs. Si les métropoles d'équilibre ont émergé, on n'en retrouve pas moins la fameuse « diagonale du vide », du nord-est au sud-ouest de la France, pour laquelle rien n'a véritablement changé.
Il existe, cependant, une grosse différence par rapport aux années 70. Les échanges entre les différents territoires n'ont jamais été aussi importants et ils se produisent à des échelles qu'on n'imaginait pas dans les années soixante. On ne peut plus penser, aujourd'hui, les métropoles sans cette articulation avec leur environnement. Ainsi, certaines grandes villes de l'Ouest présentent un vrai « plus », celui des espaces ruraux qui les environnent, non pas dans une optique de captation de richesses, mais dans celle d'aménités offertes à ses habitants. Pour ce qui est des relations entre métropoles, seuls Paris et Lyon entretiennent des relations avec l'ensemble des autres.
Je vais, à présent, vous présenter une nouvelle typologie des campagnes françaises. En effet, le besoin se faisait ressentir d'actualiser la typologie des trois Frances rurales qu'avait réalisé la Société d'études géographiques économiques et sociologiques appliquées (SEGESA) en 2003. Dans cette perspective, la DATAR a confié en 2011 une étude à un consortium de laboratoires de recherche : le Centre d'économie et sociologie appliquées à l'agriculture et aux espaces ruraux (CESAER) de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), le Centre national du machinisme agricole, du génie rural et des eaux et des forêts (CEMAGREF) et l'université de Franche-Comté. En excluant les unités urbaines comprenant plus de 10 000 emplois, ce travail porte sur 33 855 communes, soit 92 % des communes de France métropolitaine, regroupant 26,7 millions d'habitants. L'approche s'est faite par trois entrées thématiques.
Première entrée : le paysage. Onze types en ont été identifiés. Sans entrer dans une description exhaustive, on distingue d'abord les territoires « artificialisés », fréquents le long des littoraux et des fleuves. On observe ensuite que les zones perçues comme essentiellement urbaines sont criblées d'emplacements correspondant à différents types de campagnes. Par ailleurs, la zone Ouest se caractérise par des paysages marqués par la présence du bâti. Enfin, sur la diagonale nord-est sud-ouest, les milieux semi-naturels ou naturels sont prépondérants.
Deuxième entrée : celle de l'espace, de la population et des conditions de vie. C'est à proximité des villes que se trouve la plus grande concentration de zones caractérisées par une population en expansion, comparativement jeune avec des revenus élevés. A mesure qu'on s'éloigne des pôles urbains, les emplois se raréfient, de même que l'accès aux services d'usage courant. Enfin, la population vieillit et les revenus diminuent à mesure que la densité faiblit. Notons qu'il existe un fort brassage des populations dans de nombreuses zones de très faible densité, avec des départs, essentiellement de jeunes, légèrement plus que compensés par les arrivées de personnes, généralement retraitées ou en situation d'exclusion, dont les revenus sont plutôt faibles.
J'en arrive à la troisième approche : l'emploi et les activités économiques. Il ressort que l'économie des Alpes, des Pyrénées et du pourtour méditerranéen est fortement résidentielle et touristique. On remarque aussi que les zones d'activité industrielle et agri-alimentaire, qui parsèment le territoire, connaissent une évolution économique incertaine.
Le croisement de ces trois approches débouche sur une typologie de synthèse mettant en évidence sept classes de territoires. Les deux premières classes sont les campagnes périurbaines, plus denses pour la première classe, et moins pour la seconde. Ces campagnes, en expansion, réunissent 11 millions d'habitants. La troisième classe est constituée par les campagnes du littoral et des vallées urbanisées. On y retrouve 5 millions d'habitants, avec un solde migratoire très élevé. La quatrième classe regroupe les campagnes agricoles et industrielles, qui sont des territoires de plaine marqués par une faible densité de population. Cette dernière s'y trouve plutôt en augmentation à la faveur d'un double mouvement, avec le départ progressif des catégories socioprofessionnelles supérieures et l'arrivée de populations plus pauvres. On retrouve donc de forts enjeux économiques et sociaux dans ces campagnes, qui comprennent 5,5 millions d'habitants. Les cinquième et sixième classes regroupent des territoires ruraux à très faible densité. On y constate un fort brassage de population, une prépondérance de l'agri-alimentaire et peu de services d'usage courant. 4 millions d'habitants se trouvent sur ces territoires. Septième et dernière classe, les territoires de montagne, qui comprennent 1 million d'habitants. Ils sont le théâtre de migrations croisées, et d'une activité orientée vers le tourisme, mais avec très peu de services ordinairement accessibles.
Je vais à présent vous présenter l'exercice « Territoires 2040 » pour ce qui concerne les « espaces de la faible densité ». L'ambition de cet exercice prospectif n'était pas de livrer des scénarios alternatifs décrivant des évolutions prévisibles de la ruralité, mais d'offrir à la réflexion un certain nombre d'évolutions contrastées, qui peuvent aider à anticiper certaines politiques en fonction des évolutions susceptibles de se présenter en divers endroits du territoire national. Ces territoires « de la faible densité » constituent une ressource très importante pour l'avenir, que l'on songe, par exemple, à l'augmentation de la population mondiale, à l'essor des industries vertes ou à la biodiversité.
Cinq scénarios ont été élaborés pour les campagnes à l'horizon de 2040. En premier lieu, celui des « Archipels communautaires ». Ce scénario est marqué par une dérégulation économique, par la flambée du prix de l'énergie et par une déconnection des campagnes. Il débouche sur un repli communautaire qui n'est pas sans rapport avec la ruralité d'antan. La cohésion sociale devient ici problématique.
Second scénario : l'« Avant-scène des villes ». Les espaces ruraux deviennent un facteur d'attraction pour les villes, en raison des aménités qu'ils procurent à ses habitants. Le risque est celui d'une relégation de certains habitants dans des « sous-campagnes » moins attractives pour les urbains.
Troisième scénario : la « Faible densité absorbée ». C'est en quelque sorte le scénario tendanciel, avec une poursuite de l'étalement urbain, qui suppose une énergie peu chère.
Quatrième scénario : la « Plateforme productive ». Ici, le périurbain se densifie, mais on en bloque l'étalement car les espaces ruraux se spécialisent dans des activités productives, telles que l'agriculture, la production d'énergie ou l'eau.
Il faudra bien maintenir une vie sur ces territoires ruraux, s'ils doivent être productifs. C'est pourquoi l'aménagement du territoire doit cesser d'encourager l'urbanisation.
Nous sommes ici dans le descriptif et le prospectif. Il faudra songer à organiser une autre réunion pour le prescriptif... Plusieurs interrogations me viennent. Comment définir le rapport de force entre les villes et les campagnes ? Faut-il limiter drastiquement la croissance des villes ? Les technocrates parisiens ne doivent pas nous imposer un destin, et l'on doit aussi raisonner en termes de « bonheur national brut ». Que doit être une politique d'aménagement du territoire ? Il est important de souligner l'existence de coûts spécifiques aux grandes villes, qui n'existent pas dans les campagnes. Il est urgent, en premier lieu, de désenclaver ces dernières. Les zones rurales veulent évidemment des jeunes, de l'emploi et de la croissance ! Je ne m'explique pas, ainsi, que le projet de construire une autoroute entre Gap et Grenoble ait été bloqué. Je suggère aux hauts fonctionnaires ici présents de rencontrer des élus une fois par semaine, pour la connaissance du terrain qu'ils leur apporteraient. L'urbanisation n'est pas inéluctable.
Il n'y a pas de logique d'inéluctabilité dans ces scénarios. J'indique, par ailleurs, que le groupe de travail préparatoire à l'élaboration de ces scénarios était essentiellement composé d'acteurs territoriaux.
Notre rapport sur l'avenir des campagnes a été confié à nos trois collègues, qui vont dérouler leur réflexion. La délégation à la prospective tirera, à son tour, des scénarios, sans donner précisément de ligne directive aboutissant à des préconisations concrètes.
Ce qui est choquant, ce sont ces villes de plus en plus denses et coûteuses. Or, en milieu rural, il est difficile d'accéder à certains équipements. Par exemple, certaines routes ne sont pas améliorées au motif que la circulation n'y atteint pas un certain seuil. Autre exemple, le TGV Rhin-Rhône, mis en place le 11 décembre dernier, ne dessert pas le Jura. Exemple supplémentaire, le haut débit n'est pas installé tant qu'un certain nombre d'abonnés potentiels n'est pas atteint. Avec ce type de raisonnement, certaines campagnes n'auront jamais d'autoroute, jamais de TGV et jamais de haut débit. C'est pourquoi les différents seuils pour l'accès à toute sorte de services généraux tels, encore, qu'une école ou une pharmacie, devraient être plus faibles dans le monde rural. Je veux aussi mentionner une note de la Direction départementale des territoires (DDT) qui tend à encourager le regroupement des populations dans les bourgs. Demain, faudra-t-il fermer les villages ?
Je m'inscris en ligne avec ce qui vient d'être dit. Il est vrai, par ailleurs, que la DATAR s'appuie sur des travaux issus des territoires et qu'il n'y a pas de bulle technocratique parisienne. Les modes de vie sont de plus en plus homogènes, ainsi que le niveau des besoins. Sur un autre plan, la question d'une départementalisation ou d'une régionalisation ne me paraît pas tranchée par les cartes qui nous ont été présentées par la DATAR. Quoi qu'il en soit, il faudrait mettre en place un socle minimal de services - un « bouclier rural » - concernant, par exemple, la médecine, la pharmacie, les écoles, les banques ou la poste. En matière de seuils, une « discrimination positive » pourrait être envisagée en faveur des espaces ruraux. Enfin, je serais curieux de superposer les cartes de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et du revenu de solidarité active (RSA) à celles qui sont produites par la DATAR...
Une nouvelle séance de travail avec la DATAR serait souhaitable pour savoir ce qu'il faudrait faire en réaction à ces scénarios. Le désenclavement est un enjeu primordial dans les campagnes. J'observe, par exemple, dans la Creuse, un développement notable autour de la route nationale 145, dès lors qu'elle comporte deux fois deux voies. En réalité, les jeunes n'aspirent pas aux zones urbaines mais au travail. L'environnement rural convient aussi aux cadres urbains qui veulent changer de mode de vie.
Je précise que, dans le cadre des travaux des trois rapporteurs désignés par notre délégation, un atelier de prospective sera normalement organisé. Il permettra à la DATAR de s'exprimer dans la perspective de l'élaboration de nos scénarios.
La DATAR reviendra volontiers. Nous ne croyons pas à un développement homogène de la ruralité française. La question n'est pas d'encourager ou de récuser tel ou tel scénario. Chacun des cinq scénarios ici présentés a vocation à se dérouler, mais dans des espaces différents. Les politiques devront donc être adaptées à chaque situation locale.
J'en arrive au cinquième scénario : le « Système entreprenant ». Il suscitera peut-être plus d'adhésion. Ici, les espaces urbains souffrent de coûts structurels élevés tandis que les espaces ruraux bénéficient de réseaux de communication tels que leur capacité de développement, corrélée aux ressources globales dont disposent ces territoires, se voit pleinement réalisée.