Délégation sénatoriale à l'Outre-mer

Réunion du 16 janvier 2013 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • exploration
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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Dans le cadre de notre réflexion sur les enjeux des Zones économiques exclusives (ZEE), nous avons demandé aux services du Sénat de réaliser une étude de législation comparée sur le régime applicable à l'extraction des produits minéraux tirés des fonds marins.

Je vais vous présenter aujourd'hui, en compagnie de mon collègue Jean-Étienne Antoinette, le résultat de la première partie de cette étude, qui concerne le régime juridique de l'exploration et de l'exploitation pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental.

Cette étude tend à nous donner, vous l'aurez compris, des éléments de comparaison utiles dans le contexte des recherches qui ont lieu au large de la Guyane et dans la perspective de la réforme du code minier que M. Tuot a d'ores et déjà évoquée devant la commission du développement durable en décembre dernier.

Une seconde partie de l'étude, présentée sous la forme d'une autre note, nous sera remise courant février. Elle concernera les évolutions du régime de recherche et d'exploitation des ressources minérales sous-marines : nodules, encroûtements et sulfures hydrothermaux. Elle intéressera donc plus directement des territoires français situés dans le Pacifique.

Afin de clarifier le propos, nous vous proposons un exposé à deux voix. Dans la première partie, je vous présenterai le cadre général et les principes qui déterminent le régime de la recherche et de la production pétrolières dans la ZEE et sur le plateau continental. Puis, dans un second temps, notre collègue Jean-Étienne Antoinette insistera sur les principales conclusions que la comparaison qui nous est proposée permet de tirer de l'étude des législations de l'Australie, du Brésil, du Mexique, du Royaume-Uni et de la Norvège.

Commençons par le cadre général et la définition de la ZEE, du plateau continental et du régime français qui y est applicable

En vertu de la convention de Montego Bay sur le droit de la mer de 1982, la ZEE s'étend au-delà de la mer territoriale jusqu'à 200 milles marins, soit 370 kilomètres des lignes de base. Ce chiffre est important car il suggère l'immensité du domaine couvert par ces zones pour la France.

La première carte qui vous est présentée montre l'extension des ZEE de l'ensemble des États du monde et celle de la France. À cette zone il convient d'ajouter le plateau continental qui s'étend jusqu'au rebord externe de la marge continentale. Il peut aussi être revendiqué par les États riverains. Sur ces deux aires, les États côtiers exercent des droits exclusifs : même s'ils n'exploitent pas eux-mêmes le tréfonds de la mer, nul ne peut en entreprendre l'exploitation sans leur autorisation. La loi n° 68-1181 du 30 décembre 1968 dispose d'ailleurs, pour la France, que toute activité entreprise sur ce plateau est subordonnée à la délivrance préalable d'une autorisation.

Ceci me conduit à vous rappeler les grands types de titres miniers qui sont délivrés dans notre pays en vertu du code minier. La législation de la recherche et de la production pétrolières françaises est incorporée - parfois plus mal que bien, j'y reviendrai - dans ce code minier, qui a été modifié à de nombreuses reprises et qui se trouve en cours de réforme.

Avant d'en venir aux titres miniers eux-mêmes, je souhaite vous rappeler l'existence de deux grands types d'activités dans les activités pétrolières :

- tout d'abord, l'exploration « préalable », qui est comme une première approche destinée à connaître les caractéristiques géologiques générales d'une zone ;

- puis l'exploration-production, qui est menée à bien dans une zone - on parle de « blocs à explorer et exploiter » - où existe une forte présomption de trouver du pétrole.

J'insiste sur la nécessité de lever toute équivoque sur la notion polysémique d'« exploration ». Selon les diverses législations étudiées, elle peut viser aussi bien des investigations « préalables » ou « superficielles » dont je viens de parler, que des recherches approfondies débouchant sur la production de pétrole, son « exploitation » qui viennent ensuite.

La France attribue, quant à elle, trois types principaux d'autorisations : l'autorisation de prospection préalable, le permis exclusif de recherche et la concession. Je les examinerai successivement.

L'autorisation de prospection préalable est accordée par l'autorité administrative sans mise en concurrence ni enquête publique et sans concertation locale, pour une durée qui ne peut excéder deux ans. Elle donne le droit non exclusif d'exécuter des travaux de recherches, à l'exception des sondages dépassant une profondeur de 300 mètres à partir du fond de la mer, mais ne permet pas de disposer du produit des recherches mis à part des échantillons ou des prélèvements. Elle permet d'effectuer une première approche du plateau continental pour savoir s'il serait intéressant d'effectuer des prospections plus approfondies. Elle permet d'accumuler des connaissances, des données qui pourront, du reste, être vendues à des explorateurs.

Le permis exclusif de recherche est accordé, après mise en concurrence, par l'autorité administrative compétente (le ministre au nom de l'État dans le cas général, et le président de la région en Guadeloupe, Guyane, Martinique, à La Réunion et à Mayotte) pour une durée maximale de cinq ans, sans enquête publique. Il est prorogeable deux fois de cinq ans sans nouvelle mise en concurrence.

Nous passons à la phase de production avec un dernier titre, la concession, qui est accordée après enquête publique réalisée conformément au chapitre III du code de l'environnement et mise en concurrence, sauf dans le cas où elle est consécutive à l'obtention d'un permis exclusif de recherche. Seul le titulaire d'un tel permis a le droit, s'il le demande avant l'expiration de ce titre, à l'octroi d'une concession sur les gisements exploitables découverts à l'intérieur du périmètre du permis. La concession est accordée soit par le Premier ministre par décret en Conseil d'État, soit par le président de la région en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion et à Mayotte.

D'une durée maximale initiale de 50 ans, la concession peut être prorogée sans que chaque prorogation puisse dépasser 25 ans.

J'ajoute qu'en vertu d'une disposition adoptée à mon initiative dans la loi de finances rectificative pour 2011, à compter du 1er janvier 2014, pour les gisements en mer situés dans les limites du plateau continental, les titulaires de concessions de mines d'hydrocarbures liquides ou gazeux seront tenus de payer une redevance annuelle calculée sur la production. Elle sera déterminée en appliquant un taux progressif à chaque tranche de production annuelle. Ce taux sera fixé en fonction de divers paramètres : nature des produits, continent au large duquel est situé le gisement, profondeur d'eau, distance du gisement par rapport à la côte et montant des dépenses consenties pendant la période d'exploration et de développement, dans la limite de 12 %. Le produit de la taxe sera affecté pour 50 % à l'État et pour 50 % à la région dont le point du territoire est le plus proche du gisement.

Telles sont les principales caractéristiques du système français d'attribution des titres.

J'en viens à des considérations de nature plus « économique ».

En effet, en étudiant certaines des législations étrangères qui ont été votées au cours des dernières années, on constate que les pouvoirs publics de ces autres pays ont envisagé les diverses options qui s'offraient à eux pour l'établissement du cadre juridique, le plus souvent contractuel, des relations entre la puissance publique et les exploitants de champs pétrolifères.

Je m'inspirerai de plusieurs documents publiés par le Sénat du Brésil pour vous présenter les grands types de modes de gestion du pétrole.

Il existe dans le monde plusieurs grands « modèles » de gestion de la production pétrolière : le monopole, la concession et le contrat de partage de la production pour n'évoquer qu'eux. Je mentionnerai pour mémoire les contrats de service en vertu desquels une entreprise publique nationale rémunère une entreprise pétrolière pour une prestation donnée, et le contrat d'association ou joint venture par lequel une entreprise nationale crée un consortium avec d'autres entreprises.

Le monopole confié à une entreprise d'État correspond à une gestion directe par les pouvoirs publics.

La concession a, quant à elle, les caractéristiques suivantes :

- pendant une période donnée, tout le pétrole extrait appartient au concessionnaire ;

- en échange, le concessionnaire peut payer un « versement à la signature » (ce qui favorise les entreprises qui sont déjà des opérateurs du secteur, seules capables de verser celui-ci) ou chaque année des royalties en numéraire (et pas en pétrole) qui garantissent un revenu minimum à l'État calculé en fonction de la valeur du pétrole ;

En vertu d'un contrat de partage de la production :

- la propriété du pétrole extrait appartient à l'État ;

- l'exploitant perce les puits à ses frais et risques ;

- l'entreprise qui perce les puits est assurée, pendant une période donnée, de recevoir, en cas de succès, d'une part le remboursement en pétrole des coûts qu'elle a engagés et, d'autre part, une fraction de la production à titre de rémunération, l'État recevant l'autre fraction de la production.

La carte qui vous est présentée provient d'une étude récente réalisée au Brésil à l'occasion de la discussion de la loi sur les contrats de partage de production.

Elle montre les pays qui recourent à des systèmes qui s'inspirent du régime de la concession, ceux qui recourent à des contrats de partage de la production et, enfin, ceux qui recourent aux deux dispositifs.

Pour la réalisation de l'étude qui nous est soumise, on a choisi d'étudier cinq États divers, compte tenu des compétences linguistiques dont dispose le Sénat - l'étude repose sur des documents en langue originale, hormis pour la Norvège où l'on s'est fondé sur le texte en anglais publié par les autorités d'Oslo. Ont été retenus le Brésil, du fait de sa proximité avec la Guyane et du caractère innovant de sa législation ; le Mexique parce qu'il présente le cas original de maintien d'un monopole historique ; et enfin l'Australie, la Norvège et le Royaume-Uni, qui s'avèrent particulièrement actifs en matière d'exploitation pétrolière.

Je vous propose, avant de conclure mon propos, de souligner les grands thèmes qui me paraissent devoir être pris en compte dans la réflexion relative à l'évolution de la législation française sur la recherche et l'exploitation pétrolières.

La question primordiale est la suivante : existe-t-il un intérêt à disposer d'une législation pétrolière spécifique ? Ceux d'entre nous qui ont lu le code minier savent que les développements qu'il consacre au pétrole sont « noyés » parmi ceux relatifs au sable, à la marne et aux granulats...

Bref, que l'on s'interroge sur la façon dont il est lu par les professionnels... Il serait légitime de clarifier cette législation pour que les opérateurs, mais aussi les citoyens et les défenseurs de l'environnement sachent « sur quel pied danser ».

La seconde question qui saute aux yeux lorsque l'on étudie les législations étrangères est de savoir si les procédures de gestion du domaine minier qui peut contenir du pétrole sont assez incitatives : la loi facilite-t-elle la connaissance des ressources ? Encourage-t-elle leur exploitation ? Ou permet-elle le « gel » des zones accordées et la perpétuation de situations acquises ?

Corollaire de ces questions : de qui doit relever l'initiative de l'exploration pétrolière ? De l'État ou des entreprises ? Le sujet est loin d'être anodin puisqu'il traduit l'existence - ou l'absence - de politique en la matière.

Troisième grand « point de passage obligé », la nécessité de protéger l'environnement, qui constitue une préoccupation de base, unanimement partagée : il convient d'optimiser les conditions dans lesquelles les consultations relatives à l'autorisation de l'exploitation pétrolière sont menées.

Je vous rappelle que nous raisonnons ici sur des zones qui, si elles sont inhabitées et situées jusqu'à 370 kilomètres des côtes, peuvent avoir une grande importance pour la pêche, pour les activités côtières mais aussi pour la biodiversité et la vie des mammifères marins. À l'ère de la transparence, les modalités d'information, de consultation et de contribution du public aux procédures d'autorisation sont donc essentielles.

Le quatrième volet qui m'apparaît incontournable concerne le degré de concurrence qu'il convient d'instituer entre les opérateurs. Nous verrons qu'il s'agit d'une préoccupation d'intensité variable selon les pays. Sur ce point, le législateur doit arbitrer entre la volonté de préserver les intérêts de l'État et celle de développer l'activité économique. L'expérience prouve en effet que les États ne peuvent se désintéresser de la gestion du « cycle de vie » des champs pétroliers, des sondages « d'exploration » au démantèlement des plates-formes. Il est par conséquent nécessaire de prévoir les conditions dans lesquelles, sans se substituer à l'initiative privée, l'État peut « réguler » l'exploitation pétrolière et les modalités concrètes des opérations sur le terrain.

Enfin, la dernière préoccupation qui m'apparaît incontournable est celle qui concerne les retombées de la « rente » pétrolière sur les collectivités et sur les populations des régions côtières. Je sais, du reste, que cette préoccupation est partagée par plusieurs de nos collègues, dont mon ami Jean-Étienne Antoinette à qui je cède la parole afin qu'il nous présente de façon détaillée les conclusions de l'étude des législations des cinq États qui ont été analysées.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Comme l'a rappelé Georges Patient, la note qui nous a été remise présente le régime de l'exploration et celui de l'exploitation dans la ZEE et sur le plateau continental dans cinq États : deux situés en Europe (la Norvège et le Royaume-Uni), deux en Amérique (le Mexique où prévaut un monopole public et le Brésil), ainsi qu'un dans le Pacifique (l'Australie).

Les préoccupations qui inspirent le législateur varient, selon les pays, compte tenu de l'état des connaissances sur les ressources pétrolières et leur niveau d'exploitation, c'est-à-dire la « maturité » du domaine minier.

Cette note n'aborde pas certains sujets tels que le transport ou le stockage des hydrocarbures et les régimes de l'extraction du gaz. Elle n'évoque pas non plus la législation applicable aux activités d'exploration ou d'exploitation elles-mêmes (mesures de sécurité et de prévention des risques de pollution ou autorisations de travaux...), celle qui concerne le démantèlement des installations de production ni même le régime de responsabilité en cas d'accident ou de dommage à l'environnement. On peut regretter enfin qu'elle n'étudie pas le régime fiscal du secteur pétrolier (régime des investissements, des provisions...) sur lequel il semble que les études fassent défaut. Il s'agit d'un sujet important car il faut mettre en place un régime fiscal sérieux.

L'étude se focalise donc sur la législation applicable aux procédures d'autorisation de l'exploration et de l'exploitation, qui relève, dans les cinq pays choisis, de textes spécifiques.

Dans ces cinq cas, les relations contractuelles entre l'État et les exploitants sont régies par des contrats de concession, en vertu desquels l'exploitant reçoit la propriété de la production (les licences accordées en Australie, au Brésil hors de la zone du Pré-Sal, en Norvège et au Royaume-Uni peuvent se rattacher à la catégorie des concessions) et de partage de production entre l'exploitant et l'État (Brésil dans la zone du Pré-Sal). Le Mexique fait figure de cas particulier puisqu'il exerce un monopole par l'intermédiaire de son opérateur public, PEMEX (Petróleos Mexicanos), qui peut tout au plus conclure des contrats de prestation de services avec des tiers.

L'Australie est le seul des cinq pays où les titres pétroliers sont délivrés par une « instance commune » composée du ministre fédéral chargé de l'Énergie et de celui de l'État fédéré concerné, qui statue sur la base d'un avis rendu par un service technique national. Dans les quatre autres États, les titres sont délivrés au niveau fédéral (Brésil et Mexique) ou national (Norvège et Royaume-Uni).

L'analyse des cinq cas étudiés montre notamment que le recours à une législation spécifique claire est un indice de l'importance assignée à la production du pétrole par la politique énergétique.

Quelles que soient leurs différences de contenu, ces cinq législations ont en commun de recourir à une ou des loi(s) pétrolière(s) spécifique(s) traitant de l'exploration et de l'exploitation, depuis la prospection préalable jusqu'à la restitution des gisements. Tous les États n'ont pas choisi ce système : la France et les Pays-Bas, pour ne prendre que leur exemple, ont inséré le régime pétrolier au sein d'un code minier « généraliste ».

Quoi qu'il en soit, les cinq textes étudiés évitent les équivoques et déjouent les confusions entre les hydrocarbures et les autres substances minières, permettant une lisibilité effective, y compris pour les non-spécialistes du droit minier.

C'est ainsi que le contenu des obligations de l'exploitant figure dans un document type prévu par la loi ou le règlement en Australie, en Norvège et au Royaume-Uni, dans la loi et le projet de contrat de partage de la production au Brésil. En d'autres termes, l'opérateur peut aisément savoir, dans ces États, ce à quoi il s'engage...

La volonté d'écrire une loi claire - même si elle est très volumineuse comme en Australie - montre que, loin d'être seulement technique, la législation pétrolière semble traduire dans les cinq cas étudiés la volonté politique de développer le secteur pétrolier.

Il existe donc une relation entre la « substance » de la loi et la volonté des pouvoirs publics de développer le secteur de l'extraction pétrolière.

Ce constat est également illustré par l'observation que la gestion des gisements pétroliers passe par l'incitation à l'exploration.

La délimitation de l'ampleur du domaine maritime exploitable repose notamment sur la transparence de la procédure d'ouverture des « blocs », dans le cadre de mises aux enchères à échéances régulières, le plus souvent annuelles, comme en Australie, ou encore la mise en oeuvre d'une politique définie par des instances chargées de la politique énergétique nationale comme au Brésil ou encore par l'administration nationale. C'est ainsi qu'en Norvège les nouveaux « blocs » ne sont ouverts à l'exploration-production qu'après consultation du Parlement.

De la même façon, le paiement de droits superficiaires qui incitent les exploitants à ne conserver que le minimum de zones utiles évite le « gel » de ces superficies. Le cas est illustré en Australie, au Brésil et au Royaume-Uni.

Si l'initiative de l'exploration peut relever des entreprises, celle de l'attribution de « blocs » pour la production pétrolière relève de l'État dans les cinq cas considérés.

Dans le système français, ce sont les opérateurs qui demandent des permis pétroliers. De même, l'initiative relève du secteur privé pour la phase d'exploration préalable en Norvège et au Royaume-Uni. En revanche, c'est la puissance publique qui décide du lancement d'une procédure de mise en concurrence pour le choix d'un explorateur en Australie. S'agissant du choix d'un exploitant, c'est également la puissance publique qui le désigne en Norvège et au Royaume-Uni, tout comme au Brésil et au Mexique, dans ce dernier cas par l'intermédiaire d'une société nationale, PEMEX.

On constate également que le souci de protéger l'environnement en assurant l'information et la participation du public est unanimement partagé, encore qu'à des stades divers des procédures.

Commençons par ce qui concerne la protection en matière d'environnement. Quel que soit le régime juridique d'exploitation retenu, les cinq législations étudiées mettent l'accent sur la protection de l'environnement. Cependant, la prise en compte des questions environnementales survient à des stades divers au cours du long processus qui va de l'exploration préalable jusqu'à la production de pétrole brut et même jusqu'au démantèlement après épuisement du gisement.

Les procédures environnementales peuvent se dérouler :

- lors de la détermination des zones dans lesquelles l'exploitation pétrolière est soit interdite, soit soumise à restrictions comme au Brésil et au Mexique ou encore avant la publication de la liste des « blocs » susceptibles de faire l'objet d'une exploration, comme en Australie et en Norvège, ou d'une exploration-exploitation, comme au Royaume-Uni ;

- avant la délivrance d'une autorisation d'exploration en Australie ;

- avant l'octroi de l'autorisation d'exploitation : en Norvège, au Royaume-Uni et au Mexique (où les demandes d'autorisation sont publiées sur le site du ministère de l'Environnement) et en Australie ;

- et, enfin, à l'occasion de la délivrance de trois autorisations environnementales successives (préalable, d'installation et opérationnelle) au Brésil.

S'agissant de l'information et de la participation du public, les cinq cas étudiés ménagent des procédures de consultation du public :

- soit lors de la préparation de l'étude environnementale préalable à l'ouverture des « blocs », comme en Norvège et au Royaume-Uni ;

- soit avant la rédaction de la version définitive des études de zone sédimentaire qui déterminent les secteurs où l'exploitation pétrolière est possible, comme au Brésil ;

- avant la préparation par l'exploitant du « plan environnemental » qui précède l'attribution d'un titre en Australie ;

- après la publication de la demande et avant l'octroi d'une autorisation, à la demande de quiconque au Mexique ;

- et, enfin, avant l'octroi de l'autorisation d'exploitation en Norvège et au Royaume-Uni.

Ces procédures utilisent les moyens traditionnels de publicité comme la presse, mais aussi les nouvelles technologies de l'information et Internet.

La mise en concurrence pour le choix des opérateurs est, en revanche, une préoccupation d'intensité variable.

Hormis au Mexique, où l'État, on l'a déjà dit, est dans une situation monopolistique, on recourt à la mise en concurrence pour l'attribution des concessions des licences, en Australie, en Norvège et au Royaume-Uni et pour celle des contrats de partage de la production au Brésil.

Je souhaiterais, à ce stade, insister sur la situation très particulière du Brésil où, par dérogation à la loi pétrolière qui prévoit le recours à des concessions, une loi de 2010 a prévu que l'on pourrait, dans la zone du Pré-Sal, signer des contrats de partage de la production.

En effet, le Brésil a fait d'importantes découvertes pétrolifères en haute mer, dans la zone dite du « Pré-Sal ». Comme vous le montre la carte qui vous est présentée, cette zone se trouve face à Rio de Janeiro et São Paulo. Les champs pétrolifères sont situés jusqu'à 340 kilomètres de la côte (300 kilomètres précisément pour le puits de Tupi, l'un des premiers en service). Comme vous le montre un autre schéma, les hydrocarbures se trouvent sous une profondeur d'eau de 2 200 mètres, protégés par une couche de sel dont l'épaisseur peut atteindre 2 200 mètres, entre 3 et 5 kilomètres du fond.

L'exploitation de tels gisements relève donc de l'exploit technologique et nécessite une forte incitation. C'est pourquoi le législateur brésilien a permis le recours aux contrats de partage de production pour cette seule zone. Pour le moment aucun contrat n'a été passé, mais on pense qu'un premier appel d'offres pourrait être lancé en 2013.

Précisément, des procédures de mise en concurrence sont prévues avant l'exploration-recherche en Australie et avant l'exploitation-production au Brésil, lors de la publication du projet de contrat de partage de production et avant l'attribution des licences dites de production en Norvège et au Royaume-Uni.

Norvège et Royaume-Uni ne prévoient du reste cependant pas de mise en concurrence pour la délivrance des autorisations (non exclusives) d'exploration préalable.

Les cinq États considérés contrôlent les modalités de recherche, de développement et de production des gisements.

L'intervention de l'État passe en premier lieu par le contrôle de la gestion des gisements. C'est à ce titre que les États se réservent le droit d'intervenir afin d'assurer la gestion optimale des ressources :

- soit en confiant celle-ci à leur opérateur national (Mexique) ;

- soit en astreignant les entreprises signataires des contrats de partage de production à constituer des consortiums avec leur opérateur historique dans le cas du Brésil ;

- soit en exerçant un contrôle approfondi sur les plans d'exploration, de développement et d'exploitation des gisements et les investissements en Australie, au Royaume-Uni et en Norvège ;

- soit en fixant le programme de travail minimum et les investissements estimés correspondants au Brésil ;

- soit encore en prévoyant des délais maximum de déroulement de l'exploration préalable à la production, assortis d'obligations de restitution des zones momentanément dévolues aux opérateurs comme en Australie, au Brésil et au Royaume-Uni.

L'Australie prévoit même de retirer la licence en cas de non exploitation pendant une période continue d'au moins cinq ans.

En ce qui concerne l'exclusivité des permis, un sujet dont nous avons parlé à plusieurs reprises, il faut distinguer :

- le niveau de l'« exploration préalable » où l'Australie garantit une exclusivité à l'explorateur sur une zone ;

- et le niveau de l'« exploration-production » au stade duquel les cinq États considérés garantissent l'exclusivité des droits de l'explorateur en liant, dans un seul contrat, l'exploration et l'exploitation.

Les États se livrent de surcroît à une gestion « fine » du cycle de vie des titres miniers et manifestent la volonté d'adapter la législation aux différentes phases de l'exploitation pétrolière.

La loi britannique, qui s'en tient à l'attribution d'une seule licence, dite de production, pour effectuer toutes les opérations nécessaires sur un champ pétrolier, décline cette licence en quatre grandes « sous-catégories », dotées de phases et de durées variables adaptées à la vie des différents types de champs pétroliers.

En Norvège et au Royaume-Uni, la licence confère un droit exclusif d'exploitation du pétrole mais n'interdit pas l'attribution à un tiers de droits d'exploration ou de production d'autres substances, si cela n'occasionne pas de préjudice déraisonnable au titulaire initial dans le premier cas et avec son accord dans le second.

Pour éviter toute rupture entre les phases de recherche et de production, l'Australie reconnaît à l'explorateur un titre transitoire, la « déclaration de localisation », qui permet à son titulaire, une fois que l'administration l'a acceptée et l'a publiée, de passer d'un permis d'exploration à une licence de production sans nouvelle mise en concurrence.

Sans prétendre à l'exhaustivité, on observe aussi des dispositions qui permettent la modification des titres miniers avec :

- la possibilité d'amodier un programme de travail d'exploration au-delà des trois premières années avec l'accord de l'administration en Australie ;

- le droit d'obtenir un « bail de conservation » d'un « bloc » dans lequel du pétrole a été trouvé et dont l'extraction n'est pas commercialement viable mais qui pourrait le devenir dans un délai de 15 ans en Australie ;

- la division de la licence de production britannique en phases dont les objectifs doivent être successivement atteints ;

- et la faculté d'opérer la cession d'une licence de production sous réserve de l'autorisation des services compétents en Australie, au Brésil, en Norvège et au Royaume-Uni.

Le partage de la « rente » pétrolière concerne aussi bien l'État que les collectivités territoriales.

Parmi les cinq législations pétrolières étudiées - qui n'excluent nullement l'existence d'un régime fiscal spécifique des activités de production-commercialisation d'hydrocarbures -, seule la législation brésilienne prévoit des dispositions financières détaillées et le versement aux collectivités territoriales d'une fraction des recettes issues des concessions, une partie de celles consécutives aux contrats de partage de la production étant versée à un fonds de développement social et régional.

Il serait aussi intéressant d'identifier le rapport entre le partage de la rente ou celui de la compétence pour délivrer les titres miniers et les obligations des collectivités concernées. On peut se demander si celui qui délivre le titre contrôle l'activité d'exploitation, touche une rente pétrolière et se voit imputer la responsabilité en cas de dommage d'un exploitant défaillant.

Les lois d'Australie, de Norvège et du Royaume-Uni prévoient, quant à elles, le versement de redevances superficiaires à l'État.

Telles sont, mes chers collègues, les conclusions que nous pouvons tirer de l'étude de ces législations étrangères. Je crois que la principale leçon qui saute aux yeux est que, dans la réforme du code minier qui est en préparation, une attention majeure doit être apportée à la recherche et à l'exploitation des ressources pétrolières de notre territoire.

Présidence de Mme Catherine Tasca, vice-présidente

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Notre président Serge Larcher est malheureusement retenu chez lui pour des raisons de santé. Je souhaite la bienvenue à M. Patrick Romeo, président de Shell France, qui nous avait rendu une première visite le 31 mai 2012 pour nous présenter le projet d'exploration pétrolière mené au large de la Guyane. Cette audition avait duré plus de deux heures sans parvenir à épuiser l'ordre du jour ni étancher notre curiosité ; nous étions alors convenus de nous revoir quand l'exploration offshore aurait progressé.

Nous aborderons aujourd'hui, outre les enjeux de l'opération qui nous avaient exclusivement occupés en mai, la question des retombées économiques et sociales pour la Guyane, notamment en termes d'emplois.

Au-delà des opérations en cours et des questions relatives à la zone économique exclusive dans les outre-mer, nous aborderons enfin la réforme du code minier qui sera bientôt discutée au Parlement. Selon vous, convient-il d'aménager une lisibilité spécifique au sein du code minier à l'exploration et l'exploitation des produits pétroliers ?

Mais dans un premier temps, vous voudrez bien nous dresser un bilan des deux forages que vous avez réalisés, notamment sous l'angle environnemental, puis nous livrer les perspectives retenues pour 2013 en matière d'exploration.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Le projet est entré dans sa phase active en 2010 : l'exploitation des données sismiques a permis l'identification de la cible à forer. Un premier forage, dit GM-ES-1 a été réalisé en 2011, qui a permis la découverte de pétrole dans une grappe de bancs de sable enfouie à 4 000 mètres sous terre. L'existence d'hydrocarbures, d'un réservoir de bonne qualité et d'un système étanche pour le préserver, nous a été confirmée. Un deuxième forage sur la même grappe a été réalisé à 5 km à l'ouest et en amont du premier. Le succès technique a été complet : les travaux se sont déroulés conformément au programme, et aucun accident n'a été déploré. La profondeur de 6 200 mètres a été atteinte le 3 décembre 2012 mais le réservoir cible s'est révélé vide d'hydrocarbures.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Les investissements devaient être particulièrement lourds... La perte sèche s'élève à combien ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Oui, mais c'est la logique d'une telle exploration : la probabilité de succès est faible. Ce n'est que l'addition de tous les forages qui indique ou non si un gisement est commercialement exploitable. Et un forage, c'est 20 % de chances de succès... Nous avons été moins chanceux avec le deuxième, mais nous poursuivons nos recherches. Nous avons rebouché le puits, conformément au programme approuvé par la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Deal).

Le 27 décembre dernier, notre navire s'est approché de la zone d'un troisième forage, baptisé « Priodontes » sur une grappe de réservoirs à 11,6 kilomètres du précédent. Le navire, non amarré, est positionné dynamiquement au-dessus d'une colonne d'eau de 1 793 mètres par satellite et par sonar. La tête de puits et le bloc obturateur de puits sont installés, ce qui a permis de démarrer le forage à l'abri du milieu marin. Nous espérons atteindre les zones cibles dans les mois qui viennent. Pour que ce forage annonce l'exploitation commerciale d'un gisement, la quantité et la qualité du pétrole doivent être suffisamment élevées, et le coût de l'extraction suffisamment bas. À cet égard, un grand réservoir de pétrole unique est plus avantageux que plusieurs petits.

Nous avons mené plusieurs campagnes sismiques en 2012. Nous procédons actuellement à l'interprétation des données qu'elles ont permis de récolter, afin d'améliorer notre connaissance des sous-sols et de définir notre politique de forage à compter de mi-2013. Nous avons connu la déception après un premier succès, ce qui ne remet rien en cause, mais nous encourage au contraire à poursuivre sereinement notre travail. J'ajoute que dans le cadre de l'autorisation de procéder à des campagnes sismiques, nous avons décidé avec l'ensemble des parties prenantes de mener six campagnes de prélèvements halieutiques ces prochaines années pendant les saisons des pluies et sèche afin de mieux connaître les ressources. La dernière a eu lieu du 2 au 11 décembre 2012 avec la participation d'armements guyanais.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Avez-vous des éléments de coût à nous communiquer ? Quels investissements avez-vous consenti, pour quels résultats probants ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Le coût est fonction de la durée de forage. Près de 450 personnes travaillent sur ces opérations, et le coût des matériels est très lourd. Les statistiques du commerce extérieur font état d'1 milliard d'euros de location d'équipements de longue durée. Le chiffre couramment avancé est de plus d'un million de dollars par jour. On pense souvent - les Guyanais nous le disent - que si l'on fore, c'est que l'on sait pouvoir trouver du pétrole : c'est faux ! Nos techniques nous permettent d'identifier des réservoirs cibles, mais les hydrocarbures sont situés à des profondeurs telles que nous devons forer pour savoir ce qui s'y trouve. À l'endroit du deuxième forage, il y a eu des hydrocarbures, mais je rappelle que ceux-ci ont tendance à remonter naturellement vers la surface sur une échelle d'environ 100 millions d'années. Et que l'on trouve ou non du pétrole, il faut de toute façon acquitter l'ensemble des coûts générés par les opérations. L'investissement est donc cher, mais il est consenti, d'ailleurs uniquement par le privé. C'est une façon qu'a le privé d'identifier le patrimoine de l'État - car je rappelle que les ressources appartiennent à ce dernier - en espérant simplement obtenir une concession d'exploitation du gisement. Les ressources sont ensuite réparties entre la collectivité et l'investisseur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Vous avez rappelé les deux conditions à remplir pour qu'un gisement soit rentable. Quelle quantité d'hydrocarbures avez-vous découvert lors du premier forage ?

Nous avons eu en mai dernier un débat sur votre technique nouvelle de forage. Peut-on en tirer les enseignements, notamment en matière de rejets ? Vous savez que la réglementation précise qu'ils ne doivent pas dépasser 5 %.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Nous avions estimé les réserves découvertes lors du premier forage à 300 millions de barils. Nous n'avons pas plus d'informations à l'heure actuelle. En toute hypothèse, il en faut davantage pour envisager un développement commercial.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Elle dépend de la quantité et de la qualité du pétrole, du coût d'extraction, ainsi que de l'environnement fiscal. Aujourd'hui, nous n'avons de certitudes sur aucun de ces trois éléments. Nous savons simplement qu'il y a du pétrole, la présence d'un réservoir étant en soi un événement géologique non négligeable. Nous ne sommes qu'au début du processus. Trois autres forages sont prévus à partir de 2013 : celui actuellement en cours, ainsi que deux autres à venir.

Un mot sur les fluides de forage. Le premier forage a été réalisé avec de l'eau qui, mélangé à l'argile sec environnant les couches traversées, a créé un mélange visqueux qui a failli nous contraindre, à trois reprises, à abandonner. Imaginez-vous percer du béton avec une mèche à bois... Décidés à ne poursuivre les opérations qu'avec les outils adaptés, nous avons obtenu la possibilité d'utiliser des fluides synthétiques de forage, non toxiques et plus performants dans l'argile. Ces nouveaux outils ont permis de réaliser un deuxième forage de grande qualité : interrompu pour cause de courants marins, il a pu être repris dans un second temps, chose impensable avec l'eau utilisée auparavant ! Comme nous y étions tenus, nous avons fait réaliser le bilan des opérations par un tiers. Ses conclusions, favorables, doivent à présent être expertisées par un autre tiers afin d'être validée ensuite par l'État.

J'insiste sur ce point : il n'y a pas eu de rejet de pétrole ou de fluides en mer. D'abord, les fluides coûtent une fortune, nous n'avons aucun intérêt à les rejeter. Ensuite, les seuls rejets sont des remblais nettoyés dans le navire.. Le taux de 5 % de fluides de forage contenus dans les rejets de déblais en mer a été plus que respecté, puisque la teneur réelle avoisinait 1,5 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Trois questions : quelle profondeur le premier forage a-t-il atteint ? Qui est le tiers chargé d'expertiser vos opérations ? Enfin, lors de la dernière audition, vous aviez évoqué que ce niveau de 5 % était une source de toxicité : auriez-vous changé d'avis ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Les fluides de forage sont conçus et testés préalablement, et classés par la législation européenne comme non toxiques. Du reste, l'eau de forage elle-même n'est pas pure, puisqu'elle contient des additifs, des huiles de forage. La question de sa toxicité ne se pose pas moins. Le seuil de 5 % est une norme fixée par l'État, car il faut bien positionner la limite quelque part. Même si la toxicité était reconnue nulle, nous aurions besoin d'une norme pour évaluer l'efficacité des opérateurs. Dans notre cas, nous avons fait bien mieux que cette norme grâce aux excellentes capacités de traitement de notre navire de forage. Nous restons persuadés que les fluides synthétiques sont le meilleur choix possible en termes d'impact, car plus vous forez vite, moins vous restez, donc moins vous rejetez.

La profondeur du premier forage était de 6 000 mètres. C'est un peu moins profond que pour le second mais nous y sommes restés plus longtemps. Nous avons pris le temps d'extraire des échantillons de roches et de pétrole.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Le préfet pourrait donc prendre des arrêtés fixant la limite des rejets autorisés à 3 % plutôt qu'à 5 % ? À vous entendre, l'approche en la matière pourrait aisément être réévaluée.

En outre, quelle réponse faites-vous aux marins-pêcheurs qui dénoncent le manque d'études concernant les ressources halieutiques ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Les fluides ne sont pas toxiques, ce qui signifie que nous pourrions théoriquement retenir un taux de 100 % ! La norme existe toutefois pour s'assurer que l'on ne rejette pas n'importe quoi n'importe comment. Les outils utilisés lors du forage du premier puits n'auraient pas permis d'atteindre les bons résultats obtenus lors du deuxième. Le chiffre de 5 % a été retenu parce qu'il est rond, mais il n'a pas de justification scientifique. J'ajoute que la France est un des pays les plus stricts en la matière. J'ai défendu, sans succès, l'idée que cette norme était un peu excessive eu égard à ce qui est pratiqué ailleurs. En définitive, il faut savoir être raisonnable.

Un mot sur les ressources halieutiques : la connaissance du milieu marin de la Guyane, à 150 km des côtes en tout cas, n'est que peu étoffée. À ce jour, notre impact environnemental équivaut à la présence de n'importe quel navire - même si nous sommes présents plusieurs mois. La question se poserait différemment dans le cas d'une installation pour trente ans d'une plate-forme d'extraction des hydrocarbures. Nous avons créé un groupe de travail et de recherche piloté par des scientifiques de Guyane, pour étudier ces questions dans l'hypothèse d'un développement commercial.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Le tiers chargé d'expertiser vos opérations, qui est-ce ? Est-ce une société désignée par l'État ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Son nom m'échappe. Pour le désigner, l'État doit choisir parmi les propositions que nous lui avions faites.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Il sera remis à l'État et je suppose qu'il sera consultable. Le rapport ne fera pas qu'évaluer les travaux entrepris : il formulera également des pistes pour diminuer les taux de rejets par exemple.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Vous avez annoncé que deux autres forages étaient prévus en 2013 : avez-vous des précisions à nous communiquer sur vos travaux de prospective ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Nous avons fait une déclaration d'ouverture de travaux, qui définit l'emplacement de nos trois prochains forages. La législation nous impose de communiquer le lieu de leur réalisation. Suite aux résultats du dernier forage [GM-ES-2], le prochain sera déplacé de quelques kilomètres de son point initial. Par la suite, nous pourrions modifier nos emplacements cibles et demander l'adaptation des autorisations obtenues pour tenir compte des nouvelles informations recueillies.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Comment optimiser la connaissance que vous avez des ressources pétrolières ? Y a-t-il un niveau de profondeur auquel vous vous interdisez de forer ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Les campagnes sismiques s'apparentent à des échographies et s'analysent de manière analogue. De plus, nous interprétons les échantillons que nous prélevons. Les données recueillies à l'occasion de chaque forage sont comparées à celles obtenues lors des forages précédents. Les modèles se précisent ainsi. Puis, nous calibrons les forages à venir. Forer à 6 kilomètres, c'est-à-dire atteindre, d'ici, le Grand Palais : à un mètre près, vous pouvez vous trouver à l'intérieur comme en-dehors !

S'agissant de la profondeur de forage, il n'existe pas vraiment de contraintes techniques : nous pouvons théoriquement forer à 10 km de profondeur. Il s'agit plutôt d'évaluer le rapport coût - bénéfices, sachant que le coût marginal d'un mètre de profondeur supplémentaire est très élevé.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Un de vos partenaires, Total, a déposé des permis visant à intervenir seul. Est-ce le signe d'une mésentente ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Total n'est pas la seule société à vouloir intervenir seule...

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Nous ne nous sommes pas mis d'accord sur la nature de notre alliance. Mais le fait qu'ils déposent des permis à leur tour témoigne de l'intérêt de notre démarche.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

S'ils obtenaient ce nouveau permis de recherche, ils en auraient l'exclusivité. La loi prévoit toutefois une mise en concurrence. J'ignore à qui les permis seront attribués. En général, l'État demande aux entreprises de se mettre d'accord en amont du processus.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Abordons désormais un thème que nous n'avions qu'effleuré lors de notre première rencontre, car vos opérations étaient à l'état de prémices : l'impact social et économique de vos travaux en Guyane.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Les vraies retombées économiques sont liées à l'exploitation commerciale...

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

qui est la seule véritable source de richesses pour la collectivité. Aujourd'hui, nous sommes en phase de prospection. Il est possible que tout s'arrête demain. Les impacts liés à la prospection ne sont pas nuls, mais ils sont ponctuels. Nous faisons actuellement ce qui est en notre pouvoir pour générer de l'activité : à ce jour, 150 entreprises fournissent Shell et ses partenaires en services, en affrètement de navires de pêche et de sécurité pour participer aux campagnes sismiques par exemple, ou en avitaillement en produits frais. Entre février et septembre 2012, 2 millions d'euros ont été dépensés en Guyane, notamment en transports, salaires, maintenance, hôtellerie, carburant, contribution aux organisations professionnelles, etc.

Quand nous sommes arrivés en Guyane, nous avons fait du port de Dégrad des Cannes, en raison de son accessibilité limitée, notre base secondaire, la base principale étant située à Trinidad. L'adaptation constante du port de Dégrad des Cannes, et notamment sa transformation en grand port maritime avec l'entrée en vigueur au 1er janvier 2013 de la réforme portuaire, est susceptible de changer la donne.

De plus, un certain nombre de projets de renforcement de l'activité en Guyane sont en cours d'étude : la création d'un entrepôt « sous-douane », l'utilisation de lignes maritimes régulières entre Dégrad des Cannes et Port of Spain, le partage de moyens maritimes entre Dégrad des Cannes et Kourou.

L'aéroport Félix Eboué est d'ores et déjà la base principale aéroportuaire. Les équipages y transitent, grâce aux vols d'Air France et aux trois vols d'hélicoptère quotidiens, six jours sur sept, ce qui assure les rotations d'une centaine de personnels par semaine. Nous souhaitons faire plus : des investissements sont prévus dans les infrastructures nécessaires aux travaux de maintenance. Ces projets seront toujours utiles aux collectivités concernées.

Nous avons déjà créé 19 emplois depuis le début des opérations en avril 2012. Cinq stagiaires seront en outre recrutés pour travailler à Cayenne, mais aussi à La Haye et Paris.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Oui. Ils bénéficieront d'une connaissance approfondie de nos activités. À cela s'ajoute un programme de communication et d'information auprès des jeunes ; la mise en place d'une base de données de CV : 170 ont été collectés pour l'embauche d'une dizaine de personnes ; le soutien à l'apprentissage de l'anglais, indispensable dans notre secteur ; la participation à des programmes éducatifs locaux et la sensibilisation des jeunes aux métiers du pétrole ; ainsi que la création d'un poste de chargé de mission pour la Commission de suivi. Nous construisons un pool de personnels guyanais très qualifiés dans les métiers du pétrole ; le programme sera modulé en fonction des résultats. Les métiers du pétrole connaissent une crise d'offre : cette filière est porteuse dans le monde, si bien que même en cas d'échec du projet, les Guyanais volontaires pour quitter la Guyane trouveront du travail dans le pétrole. Nous travaillons avec la Région pour préparer les recrutements à venir en ajustant la carte des formations, avec à l'esprit que tous ces chantiers seront amplifiés si la perspective d'une exploitation commerciale des hydrocarbures se précise. À ce stade, nous travaillons pour l'horizon 2019-2020.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Lors de notre précédente rencontre, vous aviez indiqué qu'une formation qualifiée dans le secteur pétrolier durait au minimum cinq ans.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

En effet, la lourdeur de la formation explique pourquoi nous ne recrutons que dix personnes en formation longue en 2013 au sein du groupe.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Près de 2 millions d'euros dépensés sur le territoire guyanais à fin septembre 2012, 450 personnes sur place, 19 créations d'emplois... Reste que la Guyane est plus proche que Trinidad, donc en principe plus compétitive. Or aujourd'hui, ce n'est qu'une base secondaire ! Que changer pour qu'elle devienne prioritaire ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

La proximité de la Guyane en ferait une base privilégiée en effet. Cela suppose l'évolution de Dégrad des Cannes pour suivre l'activité. On parle de construire un quai flottant dédié, de changer le fonctionnement du port... Mais cela supposerait de faire de l'activité pétrolière l'activité prioritaire du port, ce qui n'est pas sans poser problème.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Des études ont été engagées - avec retard, certes - dans le cadre de la transformation de Dégrad en grand port maritime. J'ignore précisément quelles sont les sources de financement. Le problème réside essentiellement dans la durée de mise en oeuvre de ces travaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Si 2 millions d'euros ont été injectés en Guyane, combien à Trinidad ? 80 % de vos dépenses totales ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Je ne puis vous le confirmer. En gros, sans doute.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Entre 2 et 3 millions d'euros sont gérés par la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ? Comment sont répartis ces fonds ? À quelle mode de gouvernance cette répartition obéit-elle ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

La CDC accueille simplement ces fonds, qui sont gérés par un comité de pilotage composé de représentants de l'État, de la Région et de Shell. Pas moins de 300 000 euros sont dédiés à la commission de suivi : chargé de mission, suivi des projets, développement, maintenance. Mais ce chargé de mission est aussi chargé de missions pour les groupes de travail.

Le groupe de travail sur la pêche, par exemple, aura son propre chargé de mission lorsque ses travaux auront pris de l'ampleur. Ajoutez à cela 1 million d'euros consacré à la recherche ; en l'occurrence, à l'acquisition et à la mutualisation de matériels entre le CNRS, le BRGM ou encore l'IFREMER, sachant que, traditionnellement, les équipements sont plus compliqués à financer que les programmes. D'autres sommes seront disponibles lorsque des projets seront identifiés, , notamment pour les projets collectifs des pêcheurs.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Si vous passez à la concession, combien cela représentera-t-il d'emplois ? Quels profils rechercherez-vous ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Cela va du soudeur au géologue. Nous rechercherons des gens autonomes, comme les marins doivent l'être pour travailler au large, des gens qualifiés que nous recruterons à la sortie des écoles et que nous formerons chez nous ou chez des prestataires durant cinq ans. Il faut se représenter la concession comme une usine au large : nous aurons besoin de gens capables d'assurer la supervision du site, sa maintenance, son encadrement, la logistique, le transport par les airs ou la mer ou encore la communication. À terre, il faudra des gens responsables de l'entreposage, de la fourniture, de la logistique et des services administratifs habituels. Combien de personnes en tout ? Au Brésil où nous avons des activités similaires, 250 personnes pour une exploitation. En Guyane, 450 personnes sont mobilisées, dont des experts uniques qui viennent spécialement sur place pour interpréter des données sismiques puis repartent. Si l'on totalise les emplois directs, indirects et induits, la fourchette est comprise entre 700 et 1 000 emplois.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Vous venez de répondre à ma première question, je n'y reviens pas. Pourriez-vous nous en dire plus sur les projets collectifs des pêcheurs ?

Une remarque sur la nécessaire vigilance. L'exploration et l'exploitation à 6 000 mètres de profondeur comportent des risques. En cas d'accident, les coûts seront environnementaux, mais aussi économiques et sociaux ; on l'a bien vu dernièrement.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Les exploitants sont les premiers concernés à se soucier de la sécurité, dans la conception, la prévention... Notre objectif, c'est « zéro accident ». Nous sommes extrêmement exigeants et prudents, les élus qui sont montés sur le bateau de forage le savent. Idem pour les aspects environnementaux associés.

Nous avons identifié quatre projets pour les pêcheurs : la mise en oeuvre d'une chaîne du froid pour rentabiliser la filière, l'avitaillement en carburant des bateaux de pêche au prix de gros de Shell, la motorisation hybride pour adapter les moteurs des bateaux aux eaux boueuses de Guyane et l'analyse des ressources halieutiques sur la longue durée et en présence d'une exploitation au large.

J'espère que ces projets, qui doivent bénéficier collectivement à toute la filière, sont en cours de définition.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Abordons maintenant notre troisième séquence relative à la réforme du code minier.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Les forages et la mise en production en mer présentent certaines spécificités et mobilisent des sommes colossales - potentiellement des milliards de dollars pour la Guyane, l'équivalent de presque deux centrales nucléaires - avec le même niveau d'exigence de sécurité et de respect de l'environnement. Les moyens mobilisés sont rares et importants. Pour investir, nous avons besoin de stabilité fiscale, de prédictibilité fiscale, et d'une rémunération équitable pour juste retour sur investissement : la clarté de ces paramètres est nécessaire à la mobilisation des investisseurs.

Par ailleurs, pour l'information du public, de quelle commune parle-t-on lorsqu'il s'agit d'offshore ? Ce n'est pas comme en Seine-et-Marne... La procédure d'information devra être bornée dans le temps pour éviter des ruptures de charge. Je ne peux pas mobiliser 450 personnes et des matériels onéreux sans disposer d'un échéancier prédéfini.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

La fiscalité est-elle un sujet de discussion avec les pouvoirs publics ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Pas vraiment à ce stade... Le sujet à l'ordre du jour est plutôt l'information du public.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

La loi de décembre 2011 prévoit une répartition 50-50 de la taxe de 12 %. Ce système, comparé aux autres, vous semble-t-il intéressant ? Comment percevez-vous la position des pouvoirs publics au sein du comité de suivi ? Êtes-vous bien accompagnés ? Faut-il une gouvernance décentralisée, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis ? Vous qui avez la pratique d'autres pays, quel système vous semble le meilleur ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Celui de la concession fonctionne bien : un permis de recherche, puis un droit à concession en cas de découverte.

Attention : la taxe de 12 %, qui est flexible en fonction des autres paramètres, porte sur le chiffre d'affaires, et pas sur les bénéfices. Je vous le dis d'emblée : ceux qui pensent à 70 % sur le chiffre d'affaires n'auront plus aucune chance de trouver des financeurs. Le législateur a prévu des retombées locales. À titre personnel, je suis pour. Sans quoi, et c'est mon expérience personnelle dans d'autres pays, on crée une frustration chez les locaux. Le lien avec le territoire est indispensable. Du temps de la taxe professionnelle, les maires soutenaient nos projets.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Étienne Antoinette

Au Brésil, une loi de 2010 traite spécifiquement du régime applicable à l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures offshore. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

En sus de la redevance de 12 %, il est question de prendre en compte d'autres externalités, comme la post-exploitation. Quel est votre avis sur ce dossier ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Le débat va dans le bon sens. D'une manière générale, je me méfie des lois qui cherchent à tout résoudre : le nickel n'a rien à voir avec le pétrole offshore. Il faut ménager une lisibilité des dispositifs applicables aux opérations offshore.

Debut de section - PermalienPhoto de Georges Patient

Je ne parlais pas seulement de la Guyane ! Pour la post-exploitation, on peut aussi citer le nord de la France que des entreprises ont quitté en laissant des territoires en déshérence.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

À ce propos, des syndicalistes de Pétroplus nous ont alertés : vous ne voudriez pas participer à la dépollution du site de Petit-Couronne.

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Merci de me poser cette question. Grâce à elle, je peux rappeler que nous avons vendu le site de Petit-Couronne il y a presque cinq ans dans le respect scrupuleux de la loi. Peut-être cela vous déplaît-il, mais les faits sont les faits.

On parle toujours des coûts de dépollution en oubliant la valeur des terrains. Regardez ce qu'il s'est passé à Reichstett : le terrain a été acheté, dépollué par une entreprise spécialisée dans la reprise de friches industrielles et revendu à un meilleur prix. Il n'y a pas de dette là-dedans et, encore une fois, Shell n'a laissé d'ardoise à personne. La loi est la loi, et le responsable est le dernier exploitant.

Debut de section - PermalienPhoto de Aline Archimbaud

Nous cherchons à faire évoluer la loi ; c'était le seul objectif que je poursuivais en vous posant ma question. Pour le site de Pétroplus, s'il n'y a pas de repreneur, qui va payer : l'État ?

Debut de section - Permalien
Patrick Roméo

Non, ce sera la société à qui le liquidateur aura revendu le terrain. Le site de Petit-Couronne a tous les atouts pour un développement multimodal : aux portes de Paris, il est à proximité des autoroutes, du rail et de la Seine. Certains font déjà des projets mais doivent attendre, pour se déclarer, que la faillite soit prononcée. Modifier la loi ? Le système du dernier exploitant est plus simple. Si vous deviez rechercher les exploitants précédents, imaginez le travail pour remonter dans le temps !

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Tasca

Merci pour votre disponibilité. Ce rapport d'étape a été très utile ; nous aurons sans doute l'occasion de nous revoir en 2013 pour faire le point. Espérons que le troisième forage sera fructueux !