Je suis heureux d'accueillir en votre nom Thomas Cazenave, directeur général adjoint de Pôle Emploi, chargé de la stratégie et des relations extérieures. Il est accompagné de Firmine Duro, adjointe en charge des relations extérieures de Pôle Emploi. Leur audition a pour cadre les travaux préparatoires au rapport d'information que notre délégation consacre aux emplois de demain. Notre question pour vous est la suivante : comment se prépare Pôle Emploi pour accompagner les mutations à venir du marché de l'emploi ? Je vous donne maintenant la parole avant de la passer ensuite à notre rapporteur, Alain Fouché.
À titre d'introduction, nous aimerions présenter Pôle Emploi en deux temps. D'abord, et même si cela ne correspond pas tout à fait à votre démarche prospective, nous voudrions vous entretenir des outils et dispositifs dont dispose Pôle Emploi pour accompagner les mutations économiques et les transitions professionnelles. Il s'agit là d'expliquer comment nous avons fait de l'orientation et de la formation les bases du service que nous rendons aux demandeurs d'emploi et aux entreprises. Ensuite, nous tracerons quelques perspectives et nous livrerons nous-mêmes à un exercice prospectif en identifiant les tendances du marché du travail à dix ans. Quel sera leur impact sur l'offre de service de Pôle Emploi, sur ce que l'on attend d'un service public de l'emploi au sens large ? Quelles mutations devront être engagées au plus vite afin de pouvoir accompagner ces transitions professionnelles ?
Quelques mots, donc, pour expliquer comment Pôle Emploi accompagne la transition professionnelle et les mutations économiques sur le territoire français. Je tiens d'abord à insister sur son principal domaine d'expertise. À court et moyen termes, il s'agit de notre capacité à identifier les besoins de formation et les caractéristiques du marché du travail. Nous distinguons les secteurs qui recrutent de ceux qui ne recrutent pas et partageons ensuite cette information.
Cette capacité d'analyse du marché du travail est essentielle, tant au niveau national que dans les différents territoires. Pour cela, nous disposons de plusieurs moyens. L'enquête « besoins en main-d'oeuvre », que vous connaissez sans doute, est l'outil principal mobilisé par Pôle Emploi dans les régions pour évaluer les besoins futurs de recrutement des entreprises et planifier l'achat de formations à l'échelle régionale. Les résultats de ces enquêtes auprès des employeurs constituent des prévisions non pas à dix ans mais bien à douze ou dix-huit mois. Dans le même esprit, nous mettons en place des lieux de rencontre avec les entreprises, notamment à travers nos « Clubs RH ». Les représentants d'entreprises nous y informent des tendances de recrutement, des compétences attendues et d'éventuelles tensions sur le marché du travail. Pour répondre à ces besoins, nous proposons deux types de formations : des cycles de formation individuels et collectifs traditionnels d'une part, et des formations spécialisées préalables à l'emploi d'autre part. Nous réalisons ensuite des enquêtes à la sortie de nos formations afin d'en mesurer l'efficacité.
Nous sommes donc détenteurs d'une expertise que nous mettons à la disposition du plus grand nombre par le biais de propositions de formation, mais aussi au travers de l'information en ligne.
Au-delà de notre expertise, nous mettons actuellement l'accent sur le rôle joué par nos conseillers. L'orientation professionnelle doit être la pierre angulaire du travail de Pôle Emploi. Pour pouvoir développer des projets professionnels avec les demandeurs d'emploi, nous avons investi dans la formation de nos 30 000 conseillers à l'orientation. Le but est de pouvoir proposer deux niveaux de service. Le premier est assuré par les conseillers classiques. Nous travaillons à ce qu'ils soient à même de distiller les premiers éléments de l'orientation : une analyse du marché du travail, des indications sur les formations à suivre ou encore des conseils pour obtenir un emploi dans un secteur en particulier. Le second est assuré par des conseillers spécialisés, qui sont en fait les anciens psychologues du travail de l'Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa), que Pôle Emploi a intégrés. Leur mission est d'approfondir le travail des premiers.
Nous étudions l'enjeu de l'orientation et de la formation au travers du plan gouvernemental dit « formation et orientation ». Ce plan prévoit la formation de 30 000 demandeurs d'emploi. Concrètement, comment avons-nous procédé ? Cette fois-ci, nous ne sommes pas partis du plan national pour nous demander quels étaient les besoins de tel ou tel secteur. Nous avons renvoyé ce diagnostic à l'échelon local où nous l'avons mené en coopération avec - entre autres - les conseils généraux. Nous avons ensuite effectué les achats de formation correspondants pour soulager les corps de métiers manquant de main-d'oeuvre. En matière d'accompagnement conscient du contexte économique, je pense que c'est là une méthode exemplaire.
Nous travaillons à consolider notre lien avec l'éducation nationale et l'enseignement supérieur. On constate un décalage entre les attentes des étudiants et les réalités du marché du travail, qui débouche trop souvent sur la création de nouveaux demandeurs d'emploi. Nous voulons faire profiter de notre expertise, que ce soit par l'intermédiaire des bureaux d'aide à la recherche d'emploi présents dans les universités, ou directement auprès des jeunes eux-mêmes. Pour cela, il faut que nous puissions mettre à leur disposition des outils en libre-service. Ils pourraient ainsi s'auto-diagnostiquer sans nécessairement passer par Pôle Emploi.
Nous avons entamé ce virage. À compter de février, nous expérimenterons dans certaines régions une nouvelle offre de service « 100 % web ». Nous avons des difficultés à faire venir les jeunes dans nos agences. Il nous faut donc nous adapter à leurs spécificités et rendre notre service attractif pour eux. C'est dans cet esprit que nous avons formé nos conseillers à opérer à distance. Cela représente beaucoup de travail mais c'est intéressant.
Le projet de loi sur la formation professionnelle comporte deux enjeux. D'une part, les « comptes personnels de formation » qui constituent un projet important. C'est un outil que demandeurs d'emploi et conseillers seront appelés à utiliser dès demain. Il s'agit pour nous de faciliter la prescription, et plus généralement d'accroître l'effort global consacré à la formation des demandeurs d'emploi. C'est là un objectif de notre plan personnel de formation. D'autre part, ce prochain texte de loi définit Pôle Emploi comme un « conseiller en évolution professionnelle ». C'est en effet notre coeur de métier.
Il sera présenté en conseil des ministres le 24 janvier prochain.
Nous n'en sommes donc encore qu'au stade de l'avant-projet. Avez-vous une idée du nombre de textes sur la formation professionnelle qui ont été adoptés au cours des dix dernières années ?
Malheureusement non. Permettez-moi d'insister sur un dernier point essentiel avant d'en finir avec nos objectifs de court terme. Il est question dans ce projet de loi de transférer le financement de la formation aux conseils régionaux. Quel que soit le mode de financement finalement retenu, nous tenons à ce que nos conseillers soient en mesure de prescrire des formations directement depuis leur poste de travail.
Je vais prendre un exemple. Lorsqu'un demandeur d'emploi souhaite devenir soudeur et que des formations dans ce domaine ont été achetées par la région, il faut que notre conseiller puisse y avoir accès : il doit pouvoir informer le demandeur d'emploi de la tenue d'une réunion d'information la semaine suivante et l'y inscrire lui-même. En ajoutant étapes et interlocuteurs, on perd du temps et on « perd » aussi le demandeur d'emploi. Il est donc très important que le conseiller de Pôle Emploi puisse prescrire lui-même les formations adéquates.
Actuellement, nous constatons que 60 % des formations sont directement prescriptibles par nos conseillers, mais que cette proportion tombe à 5 % si l'on ne prend que les formations achetées par les conseils régionaux. Dans ces cas-là, il faut contacter ces derniers avant de prescrire quoi que ce soit. Cela paraît technique, mais il y va de la rapidité et de l'efficacité de notre service.
Ne risque-t-on pas alors de se heurter à la résistance des conseils régionaux qui, après tout, sont maîtres chez eux ?
Nous identifions ces besoins ensemble et je pense que nous le faisons bien. Mais il est important que le conseiller puisse positionner lui-même le demandeur d'emploi sur les formations achetées par les conseils régionaux. Ce ne sont pas là des enjeux à dix ans, mais ce sont des éléments importants pour situer notre action.
C'est vous qui conseillez les régions pour l'achat de places de formation, n'est-ce pas ?
Nous réalisons des diagnostics du marché du travail. Nous achetons tous deux des formations, il est donc important que nous soyons complémentaires. Pour cela, il existe des conventions. C'est le cas en Poitou-Charentes où nous achetons les formations individuelles, et la région les formations collectives. Le projet de loi prévoit la systématisation de ces conventions. L'orientation professionnelle est notre coeur de métier. Nous avons commencé à y investir d'avantage et devons poursuivre cet effort.
J'en viens maintenant à notre deuxième point, l'impact des grandes tendances du marché du travail sur Pôle Emploi. On rejoint là les préoccupations de votre délégation. L'organisation du service public de l'emploi va être influencée par des tendances existantes ou à venir.
Le rythme des mutations sectorielles s'accélère et l'ajustement des compétences présentes sur le marché du travail n'est pas idéal. Nous partageons là-dessus l'analyse du commissariat à la prospective : la tension entre compétences absentes et compétences surnuméraires va s'accroître. Cela va entraîner des situations paradoxales avec de nombreux demandeurs d'emploi d'un côté et de nombreux postes à pourvoir de l'autre, sans la moindre possibilité de les faire se correspondre.
Oui, mais la tendance va s'amplifier avec la reprise économique. On peut prévoir des tensions sur les compétences...
C'est effectivement le chiffre le plus souvent cité. On estime aujourd'hui à 120 000 le nombre d'offres d'emploi retirées de Pôle Emploi par les employeurs en raison d'un défaut de candidats. Comme nous ne recevons pas toutes les offres, le chiffre réel est sans doute bien plus élevé. Le Medef avance le chiffre de 300 000 offres non satisfaites.
Nous sommes en présence de plusieurs cas de figure : il peut s'agir du manque d'attractivité de l'emploi, de la faible adéquation avec le profil des candidats, etc. Ce que l'on perçoit avec certitude, c'est que cette tension risque de s'accroître dans les années qui viennent.
Nous avons bien entendu quelques idées. Cependant, notre conviction est qu'il est difficile d'identifier les secteurs qui recruteront dans dix ans.
Nous ne pouvons tout de même pas nous concentrer sur les tendances de recrutement à court terme ...
Il faudrait distinguer les réponses apportées aux besoins de court et de long termes.
C'est l'exemple d'Airbus à Toulouse, qui offre d'engager entre trois cents et cinq cents jeunes par an. Chaque année, seule une dizaine de personnes sont employées. Ce fiasco est le fait des acteurs locaux de la formation professionnelle. Ces derniers sont incapables de s'entendre sur des schémas de recrutement correspondant aux attentes d'Airbus et de ses trois cent vingt sous-traitants.
Cela veut-il dire que l'on s'appuie sur des formateurs mal adaptés à l'évolution de notre société ?
Il faut estimer avec précaution le nombre de formations nécessaires dans chaque domaine pour éviter qu'il n'y en ait trop.
Nous pouvons aussi observer l'exemple du tourisme : de nombreuses offres de ce secteur restent non pourvues car elles impliquent de travailler le week-end ou pendant les mois d'été. Parmi les cent trente emplois estivaux à pourvoir le long du Canal du Midi, seule une dizaine l'est par des Français. Le reste est pourvu par des travailleurs espagnols.
Il y a effectivement un enjeu d'attractivité lié aux conditions de travail ou à une mauvaise connaissance du secteur par les demandeurs d'emploi. C'est typiquement le cas du secteur du bâtiment. Pour lutter contre cet état de fait, nous mettons en place des « kits » d'information et de présentation de ces secteurs.
On rencontre également un problème administratif en ce qui concerne les emplois saisonniers. Un ayant droit au RSA qui travaille un mois et demi pendant les vendanges doit ensuite reprendre son dossier à zéro pour bénéficier à nouveau du revenu de solidarité. Il faudrait faire en sorte que la reprise du versement des prestations soit automatique. Ce serait un gain de temps et d'argent pour l'État, ainsi qu'un encouragement pour celui qui fait la démarche de chercher du travail.
Quel est le dispositif prévu pour répondre aux demandes d'emplois dans des secteurs non couverts par les formations que vous achetez ?
Lorsqu'un déficit de formation est constaté dans un secteur, de quelle marge d'action disposez-vous ?
Il y a trois cas de figures. Premièrement, Pôle Emploi finance des formations individuelles. Il y a ensuite les formations collectives. Nous ne les achetons plus à l'échelle nationale mais régionale, après avoir identifié les besoins avec les acteurs locaux de l'emploi.
Comment trouvez-vous les formateurs pour répondre à tous les besoins ? Les organismes de formation sont généralement spécialisés et ne peuvent pas nécessairement vous suivre.
Certains organismes sont spécialisés dans des domaines donnés mais il existe aussi des formateurs généralistes qui peuvent s'adapter à nos besoins.
Je pense aux métiers de l'Internet. Ils sont nombreux et de nombreux postes sont à pourvoir, que ce soit en bureautique ou dans la conception de sites. Cependant, les acteurs du secteur eux-mêmes avouent leur incapacité à diagnostiquer leurs besoins de formation, qui sont en perpétuelle évolution.
Ne serait-il pas souhaitable d'étudier une ou deux entreprises par filière et par région afin de repérer quels sont les modes de recrutements et les besoins spécifiques de leurs domaines ? Chaque année, mon entreprise de nutrition recrutait ainsi deux jeunes diplômés d'une école de Dijon. Celle-ci connaissait nos besoins et pouvait nous conseiller efficacement. Il faut identifier les besoins et les habitudes des entreprises pour pouvoir y répondre.
Une des conclusions du « plan 30 000 » est que travailler avec les différentes branches de métiers a permis d'identifier certaines compétences réutilisables. Ainsi, suivant leur expérience, certains demandeurs d'emploi peuvent suivre une formation accélérée. Il va nous falloir mettre en place des modules plus courts : d'une part, pour être réactifs face à l'évolution des besoins des entreprises, d'autre part, pour répondre aux voeux des demandeurs d'emploi qui ne souhaitent plus s'engager dans des formations de très longue durée.
Effectivement. Heureusement, Pôle Emploi dispose des outils nécessaires pour accompagner l'adaptation des compétences dans la transition d'un métier vers un autre.
Comme vous le suggériez à travers l'exemple de votre recrutement dans cette école de Dijon, la question du lieu d'exécution d'une formation se pose. Une formation à Toulouse aura parfois du mal à attirer les demandeurs d'emploi qui se situent dans un rayon de soixante kilomètres. La faible mobilité des demandeurs d'emploi est un vrai problème. Nous pourrions disperser les centres de formation sur le territoire, mais on perdrait alors en qualité. Nous sommes alors dans une situation difficile : des emplois à pourvoir correspondent à des places de formation disponibles mais les demandeurs d'emploi ne se déplacent pas. Comment tenir compte des besoins des entreprises ? Nous comptons sur les branches pour nous fournir ce genre d'information.
Le « plan 30 000 » se penche sur les métiers en tension. Il engage dans ce domaine une démarche jusqu'alors peu employée : celle d'une consultation avec tous les partenaires afin d'identifier les besoins locaux. Nous nous concentrons sur les offres difficiles à pourvoir plutôt que sur les métiers d'avenir.
Je pense que nous passons à côté d'un élément important. Je l'avais du reste mentionné en 2010 à l'occasion du rapport sur la réindustrialisation du pays. Pourquoi ne pas obliger les entreprises à prendre un jeune en alternance tous les cinquante emplois ? L'État paierait les charges, l'entreprise le salaire. Cela entraînerait l'embauche de 85 000 jeunes, chacun d'entre eux pouvant s'approprier une entreprise et vice-versa. Concernant les emplois d'avenir, il aurait fallu non pas se focaliser sur les collectivités mais plutôt financer des jeunes en entreprise au moment où l'on abaissait la taxe professionnelle. Je crois que Pôle Emploi devrait montrer la voie dans ce domaine. Un contrat d'alternance sur deux ans permettrait de créer des ponts entre le monde de l'enseignement et celui de l'entreprise. De plus, cela représenterait annuellement 85 000 postes pourvus à moindre frais pour les employeurs. Enfin, l'État réaliserait une économie importante par rapport à ce que lui coûteraient ces jeunes s'ils percevaient le RSA. C'est le chef d'entreprise qui parle.
Comment décririez-vous votre contact avec les entreprises ? On entend souvent dire qu'il est difficile d'établir un contact avec Pôle Emploi. Qu'en pensez-vous ? Lors de la plupart des auditions que nous avons menées, nous avons plutôt entendu que Pôle Emploi n'était pas toujours en phase avec les réalités du monde du travail ni en contact avec les entreprises potentiellement recruteuses.
Je n'essaye pas de nous dédouaner, mais nous souffrons effectivement d'une mauvaise publicité.
Comment s'opère quotidiennement notre relation aux entreprises ? Ce sont elles qui nous sollicitent pour déposer des offres. Nous devons assurer un traitement de qualité des offres que nous recevons, et sélectionner de manière appropriée les demandeurs d'emplois que nous recommandons aux entreprises. La convention tripartite État - Unedic - Pôle Emploi nous invite donc à segmenter notre approche. Ainsi, nous ne traitons pas toutes les entreprises de la même manière. Nous les assistons uniformément dans la rédaction et la diffusion de leurs offres mais lorsqu'une entreprise dispose d'un service de relations humaines important, nous ne présélectionnons pas de candidats car nous estimons qu'elle a la capacité de le faire.
Par ailleurs, vous vous interrogez aussi sur notre capacité à participer à l'exercice de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (Gpec) au niveau territorial. Comment un bassin d'emploi se transforme-t-il ? Quelles compétences y seront recherchées dans dix ans ? Les entreprises réclament des instances au sein desquelles aborder ces questions. Dans le cadre du « plan 30 000 », nous avons répondu à ce besoin, en permettant à tous les partenaires de s'asseoir autour d'une même table.
En matière de proximité avec l'entreprise, notre collaboration avec Vinci est exemplaire : dans le cadre de la construction de la ligne à grande vitesse (LGV), une équipe de Pôle Emploi est spécialement dédiée au projet. Elle est chargée de répondre à tous les besoins de recrutement à mesure que le chantier progresse. Même chose pour l'aménagement de la route du littoral à la Réunion. Une équipe de Pôle Emploi sur place gère l'approvisionnement en main-d'oeuvre qualifiée, quitte à la former en amont.
Pas nécessairement, mais on ne peut gérer recrutements massifs et besoins ponctuels de la même façon.
Réussir un recrutement nécessite une étude collective avec une entreprise sachant identifier ses besoins de compétences et une agence comme Pôle Emploi, capable d'aller chercher ces ressources. Pôle Emploi est en mesure d'apporter une offre de formation adaptée grâce à des concertations collectives sur les territoires donnés. Les besoins restreints des très petites entreprises (TPE) sont les plus problématiques. Les TPE nous contactent généralement au moment où le besoin se fait sentir, pour répondre immédiatement à un marché par exemple. Face à un délai aussi court, il nous arrive d'avoir du mal à répondre à leurs attentes. C'est dans ces cas-là que les chefs d'entreprises se sentent déçus.
Une autre difficulté réside dans le fait que nous n'avons pas la capacité de prospecter toutes les entreprises. Notre offre n'est ainsi pas connue de tous. Il est donc important de mettre en place des espaces de dialogue avec les entreprises dans chaque territoire.
Je vois deux niveaux à votre démarche : un niveau d'action, pour répondre immédiatement aux offres, et un niveau de réflexion, pour identifier les besoins spécifiques à chaque territoire et chaque région. La création d'un guichet unique me paraît nécessaire pour répondre au mieux à ces besoins, quitte à ce qu'une complémentarité entre régions se mette en place.
Nous sommes d'accord. Un dispositif semblable est d'ailleurs prévu dans le projet de loi.
Pour finir de répondre à votre question, la relation entre Pôle Emploi et les entreprises a beaucoup pâti de la multiplication des tâches confiées à nos conseillers. On attend d'eux qu'ils soient polyvalents mais la déformation de l'activité en faveur de l'inscription et de l'indemnisation des demandeurs d'emploi s'est effectuée au détriment de notre présence auprès des entreprises.
C'est encore un autre problème.
Le deuxième axe de notre réflexion prospective concerne les transformations démographiques et géographiques. Dans les projections que nous fournit l'Insee on constate une véritable déformation de la population française. Elle se déplace du quart Nord-Est vers la façade atlantique et le Sud-Ouest. Accompagner cette mutation interpelle notre capacité à mettre en adéquation l'offre et la demande de compétences sur des territoires. Comment allons-nous organiser nos ressources ? Vers quels territoires les déplacer ? Certaines régions vont voir affluer des compétences.
Ces transformations ne s'opéreront-elles pas que dans un certain temps ?
Je dirais dix ans.
Mais ça s'anticipe.
Mais on sort ici du cadre de la formation professionnelle pour parler plutôt de la formation initiale. C'est un domaine sur lequel on a moins de prise. Il est difficile d'adapter les programmes et les méthodes des enseignants.
C'est le lien entre la carte des formations et le monde du travail. Autre évolution qui aura un impact sur le service public de l'emploi : la polarisation. Le niveau général de compétences des demandeurs d'emploi augmente. D'un côté se trouvent des demandeurs d'emploi formés, capables de s'orienter seuls au moyen d'outils en libre-service ; de l'autre, des demandeurs d'emploi complètement déconnectés, à la fois en termes de compétences et de mobilité. Ces derniers cumulent généralement la privation d'emploi avec des difficultés d'ordre social. Leur nombre ne baissera pas quand viendra la reprise économique. Cette dualisation aura des conséquences fortes pour le service public de l'emploi.
Comment accompagner l'ensemble des demandeurs d'emploi ? Doit-on les différencier ? Faut-il maintenir un service public égalitaire comprenant les mêmes droits pour tous ou concentrer nos moyens sur la partie du public la plus en difficulté ?
La révolution digitale apporte également son lot de remises en question. 96 % des jeunes entre seize et vingt-cinq ans se connectent tous les jours à un réseau social. Comment s'adapter à ces comportements ? Est-il encore réaliste de penser les faire venir dans nos agences ? Ne serait-il pas plus efficace d'inventer des outils en libre-service ? Nous avons entamé un virage numérique avec notre campagne « 100 % web » mais ce virage est colossal et il faut aller beaucoup plus loin.
Pôle Emploi n'est pas le seul concerné. J'ai le sentiment que les jeunes sont souvent plus l'aise avec les outils informatiques que ceux qui sont supposés les utiliser à leur service, y compris les enseignants.
C'est tout à fait vrai. À ceci près que nous avons dernièrement recruté quatre mille nouveaux collaborateurs en CDI. Nous avons donc de jeunes conseillers qui sont à l'aise avec ces outils. J'ai même vu des conseillers ouvrir une page Facebook pour communiquer avec leurs demandeurs d'emploi les plus jeunes. Nous savons qu'il nous faudra poursuivre dans cette voie pour proposer un service adapté. Quel que soit leur niveau de scolarisation et de qualification, la nouvelle génération de demandeurs d'emploi a en commun cet usage des réseaux sociaux et d'Internet.
Je terminerai en évoquant l'évolution de la frontière entre demandeurs d'emplois et actifs. Tout comme les partenaires sociaux, nous avons été frappés par le développement de l'activité réduite. Je veux parler de ces demandeurs d'emploi qui travaillent. Ce sont les catégories B et C dans notre nomenclature. Demandeurs d'emploi, ils sont aussi salariés, saisonniers ou encore auto-entrepreneurs. Ils cumulent ainsi leurs rémunérations et les indemnisations chômage, avec tous les problèmes que cela pose. Nous avons eu l'occasion de débattre beaucoup à ce sujet. Compte tenu de la porosité croissante entre chômage et activité, à qui devra s'adresser le service public de l'emploi dans dix ans ? À ceux qui ne travaillent pas du tout ? Au public précaire qui subit cette alternance ?
C'est un sujet difficile et délicat. La perception de Pôle Emploi par le public est incontestablement négative. C'est un fait. Vous vous posez la question de savoir s'il faut s'adapter à des publics différents, ce qui me surprend car la poser c'est déjà y répondre. Il est évident que si le public de Pôle Emploi se déplace, la structure doit aussi se déplacer. Ce n'est pas de l'anticipation mais du suivi de ce qui existe déjà. L'adaptabilité de Pôle Emploi à ses publics va de soi, qu'il s'agisse du public bien formé et en capacité de s'orienter ou du public mal formé. En outre, je suis convaincu qu'un phénoménal coup de pied dans la fourmilière est nécessaire dans le domaine de la formation générale professionnelle.
Si on ne le fait pas aujourd'hui, on ne le fera jamais. Ce serait une catastrophe pour notre jeunesse, pour l'emploi et pour le service public de l'emploi. C'est un comble qu'il n'y ait pas encore de structure pour réunir le monde professionnel, Pôle Emploi et les régions. Que font les représentants de l'État ? N'est-ce pas le travail du sous-préfet que de réunir les acteurs économiques, les acteurs de l'emploi et ceux de la formation afin de faciliter leur action ? Si le représentant de l'État ne le fait pas, demandez-lui de le faire.
Les industriels recrutent en masse des travailleurs de l'Est de l'Europe avec les conséquences que l'on sait. Ce n'est pas tant dû aux différences de charges sociales qui existent qu'à l'image déplorable qu'ont les jeunes Français des métiers industriels. C'est d'autant plus navrant que les conditions de travail dans une usine Airbus ne sont pas moins bonnes que dans un hôpital. Le niveau de rémunération y est même supérieur au salaire médian national.
Pôle Emploi forme-t-il ses personnels de façon à faire du « cousu main » selon les bassins d'emploi ? Les conseillers sont issus d'une formation générale, mais ne devrait-il pas y avoir certaines spécificités suivant les territoires sur lesquels ils vont opérer ? Je suis convaincu que le métier de conseiller à Pôle Emploi n'a rien à voir avec ce qu'était l'équivalent à l'ANPE il y a vingt ans. Les retours que nous avons de la part du public sont désastreux. Ils proviennent bien sûr souvent de personnes en grande détresse, mais le constat est là.
Ce que vous dites est important : si les demandeurs d'emploi sont différents, il faut une approche différente. Cela tombe sous le sens. Nous l'avons fait par le passé. Avant 2013 il existait ce qu'on appelait le « suivi mensuel personnalisé ». Il fallait convoquer chaque demandeur d'emploi tous les mois quelle que soit sa situation. C'est une belle idée, mais ce n'est pas simple à instaurer.
Je pense qu'il faut aller plus loin que ce qui se fait aujourd'hui. Certes une partie des demandeurs peut se débrouiller seule, mais d'autres ont besoin d'un suivi personnalisé. Le métier a effectivement beaucoup changé. Le coeur du métier de conseiller, c'est l'élaboration d'un projet professionnel et le diagnostic des besoins de formation. Former notre personnel prend du temps, mais nous y travaillons.