La réunion est ouverte à 16h45.
Nous sommes heureux d'entendre Mme la ministre sur le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. Nous avons longuement travaillé ensemble cet hiver sur le projet de loi relatif à la transition énergétique qui devrait nous réunir à nouveau mi-juillet. Le texte sur la biodiversité s'inscrit lui aussi dans une démarche de long terme pour préserver l'avenir et valoriser le patrimoine naturel et biologique que nous lèguerons aux générations futures. Comme sur la question du climat, nos concitoyens, d'abord préoccupés par leur quotidien, ont parfois du mal à se sentir concernés. À nous de faire oeuvre de pédagogie.
Les scientifiques sont formels : la France, avec son outremer, se classe au sixième rang des pays abritant le plus grand nombre d'espèces menacées, et la dégradation de nos milieux naturels s'accélère. Bien plus qu'une contrainte, la protection de la biodiversité doit être une chance et une opportunité à saisir. Source d'innovation, elle constitue aussi un levier économique grâce aux techniques de bio-mimétisme et au génie écologique ; c'est un secteur créateur d'emplois. C'est également un outil de lutte contre le changement climatique, puisque l'on sait, par exemple, que la forêt prélève l'équivalent de 15 % des émissions de CO2.
Nous devons engager une démarche ambitieuse qui soit fédératrice sans être culpabilisante, vexatoire ou discriminante. Certains amendements adoptés à l'Assemblée nationale ont été très mal vécus, notamment par les chasseurs, qui se sentent pointés du doigt comme les principaux destructeurs de la biodiversité. C'est naturellement faux - et je ne suis pas chasseur ! Beaucoup d'agriculteurs s'inquiètent également des normes de plus en plus nombreuses qui leur sont imposées. Puisque nous sommes au Sénat, nous souhaiterions en savoir davantage sur la déclinaison territoriale de l'Agence de la biodiversité. Enfin, ce projet de loi fait un recours important, voire excessif, aux ordonnances : on en compte une douzaine. Adopté en Conseil des ministres en mars 2014, il ne sera examiné par le Sénat qu'en octobre 2015. Cela nous donne suffisamment de temps pour insérer les dispositions dans le texte de loi, plutôt que de procéder par ordonnances.
Nous accueillons ce projet de loi dans un esprit positif. Notre commission travaille, nous avons rencontré les préfigurateurs de l'Agence il y a deux semaines, lors d'une réunion organisée au Museum national d'Histoire naturelle. Notre rapporteur, Jérôme Bignon, a déjà effectué plus d'une centaine d'auditions. Il est aussi, sinon plus impatient que vous que ce texte vienne en discussion. Nous élaborerons le texte de la commission les 7 et 8 juillet prochains. Enfin, Mmes Sophie Primas et Françoise Férat ont été désignées rapporteures pour avis, respectivement pour la commission des Affaires économiques et pour celle de la Culture.
Je suis très heureuse de vous présenter ce projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, qui cherche à créer un nouvel élan en fédérant les sensibilités par-delà leurs différences, au service de la protection et de la valorisation de nos ressources naturelles terrestres, aquatiques et marines, pour définir une bonne harmonie entre la nature et les êtres humains qui l'occupent. Je sais l'attention que votre commission porte à ces enjeux écologiques et économiques. Je connais votre engagement, monsieur le président, pour avoir travaillé avec vous sur la transition énergétique. Je salue l'engagement de longue date de Jérôme Bignon, ainsi que l'investissement des élus des territoires ultra-marins qui concentrent 80 % de notre biodiversité.
Ce projet de loi s'inscrit dans le prolongement d'un travail législatif ancien, dont le moment fondateur est la loi du 18 juillet 1976, première loi de portée globale sur la nature. J'ai eu l'honneur de défendre la loi de protection et de valorisation des paysages du 8 janvier 1993, puis il y a eu les avancées du Grenelle de l'Environnement. Des progrès ont été réalisés, tempérés par l'accélération de la dégradation de notre patrimoine naturel. Le temps est venu de donner force de loi à une vision actualisée et élargie de la préservation de ce capital naturel qui est aussi une source de croissance verte et de croissance bleue. Cette nouvelle approche se fonde sur le principe de solidarité écologique qui prend en compte les écosystèmes et leurs interactions, car dans la chaîne du vivant dont nous sommes à la fois acteurs et tributaires, tout se tient et tout se soutient. Les écosystèmes dont la biodiversité est tissée nous rendent des services innombrables et vitaux, pour l'agriculture et la régénération des sols, pour la régulation climatique et la protection de nos littoraux, pour la qualité de l'air et de l'eau, pour la pollinisation des plantes dont dépend notre alimentation, pour les médicaments, pour le bien-être et pour l'équilibre que nous puisons dans la nature ; sans oublier ses services culturels, la beauté et la variété de notre patrimoine paysager qui sont un facteur d'attractivité économique et touristique ; sans oublier non plus ces modèles que la nature offre aux chercheurs, aux ingénieurs et aux architectes qui en tirent les techniques les plus pointues et les plus performantes comme le bio-mimétisme ou la bio-inspiration dont on voit les réalisations au salon aéronautique avec l'avion solaire.
Un pionnier de l'approche systémique a comparé cette dégradation de la biodiversité à un pullover dont une maille saute : au début, cela ne semble pas gênant, mais quand tout se détricote, on se rend compte de l'importance de chaque maille ! Il ne s'agit pas de mettre la nature sous cloche ni de la figer, mais d'en préserver et d'en restaurer le potentiel, car ce tissu de relations est à la fois notre assurance sur la vie et un gisement de richesses et d'activités, de filières d'avenir, d'emplois dans les territoires, bref, de réconciliation entre l'écologie et l'économie. Nous devons tirer les leçons de l'expérience, renforcer ce qui a fait ses preuves, simplifier et clarifier ce qui s'est additionné au fil du temps au détriment de la cohérence et de la visibilité, créer des outils plus opérationnels et capables de fédérer les énergies. Voilà l'esprit dans lequel ce texte a été élaboré. J'espère que le Sénat l'améliorera.
Je vous présente une loi d'action pour mobiliser toutes les forces vives de la nation, les citoyens, les associations, les chercheurs, les entreprises, les territoires, sans oublier les agriculteurs dont je connais les difficultés et qui sont les gardiens de cette nature qu'ils font fructifier. C'est pourquoi je me réjouis de l'adhésion, en mars, des organisations agricoles à la stratégie nationale de la biodiversité, et j'ai tenu à leur réserver deux places au conseil de la future Agence nationale pour la biodiversité, comme elles le demandaient.
Il est désormais nécessaire d'établir une relation plus harmonieuse avec la nature pour agir non pas contre elle, mais avec elle, et de faire de l'urgence de ce rééquilibrage non pas une contrainte, mais une chance. De l'école, où l'éducation à l'environnement est fondamentale, aux gestes quotidiens que chacun peut accomplir, en passant par ces sciences participatives qui associent les citoyens à la collecte et à l'utilisation des données comme le fait le Muséum national d'Histoire naturelle, la reconquête de la nature est un vaste chantier d'intérêt général, qui a besoin de tous. C'est aussi un enjeu démocratique, et je souhaite donner une nouvelle impulsion au dialogue environnemental en modernisant notre droit à l'environnement et en démocratisant nos procédures.
Ce projet de loi prétend valoriser le patrimoine naturel et enrayer la disparition des espèces. Il modernise la protection des espaces naturels et des espèces menacées en accentuant ce qui marche : il renforce la simplification des procédures des parcs naturels régionaux et les interventions du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. Il crée de nouveaux outils comme les zones prioritaires pour la biodiversité. Il renforce la lutte contre le trafic d'espèces protégées, qui est la quatrième source d'enrichissement illicite et de criminalité dans le monde, en multipliant les sanctions par dix. Des actions sont déjà engagées, comme le premier plan national d'action en faveur des abeilles et des pollinisateurs, « France, terre de pollinisateurs », dont la valeur économique est évaluée à 1, 5 milliard d'euros par an. J'ai également suspendu l'exportation d'ivoire brut, et demandé au Commissariat général au développement durable de faire des propositions pour en restreindre la commercialisation sur le sol français. Nos douaniers ont fait récemment une prise exceptionnelle de trafic d'ivoire.
C'est une loi pour innover sans piller. Contre la bio-piraterie, le projet instaure un mécanisme de partage équitable des avantages tirés de la biodiversité et des savoirs traditionnels autochtones, conformément au protocole de Nagoya. Certaines entreprises anticipent déjà cette démarche. La Polynésie française, victime de bio-piraterie dans les années 1980, a réussi à reprendre la maîtrise de la filière du monoï, issu du gardénia tahitien et d'un savoir-faire ancestral.
C'est une loi pour prévenir et combattre les effets du dérèglement climatique. Elle accélère la création de continuités écologiques et des trames vertes et bleues que beaucoup de régions ont engagées. Elle encourage le développement d'espaces volontaires d'écosystèmes. L'ensemble des schémas régionaux de cohérence écologique seront finalisés à la fin de cette année. Le projet prévoit que l'État mettra à disposition du public une carte de l'érosion du littoral. Il crée également le premier programme français de protection de 55 000 hectares de mangroves et de 75 % des coraux, comme cela avait été annoncé dans le message de la Guadeloupe en octobre dernier et lors du sommet des Caraïbes de mai 2015.
Enfin, le projet de loi prévoit l'obligation pour toutes les zones commerciales d'intégrer des toitures végétalisées ou des panneaux photovoltaïques, ainsi que des parkings perméables pour une meilleure gestion de l'eau. Les toitures végétalisées représentent une opportunité considérable de réduction des consommations d'énergie, jusqu'à 40 % de réduction des dépenses de climatisation, selon certaines études.
C'est une loi pour développer la croissance bleue. La France est la deuxième puissance maritime mondiale. Le projet de loi crée des zones de conservation halieutiques, c'est-à-dire des zones maritimes ou fluviales qui protègent le cycle de conservation des espèces. Il renforce les outils comme les aires marines protégées et encadre les activités en haute mer. La France protègera 20 % de ces aires marines. Après le parc naturel marin d'Arcachon et celui de l'estuaire de la Gironde et de la mer des Pertuis, trois autres parcs sont à l'étude, en Martinique, dans le golfe normand-breton et au Cap Corse.
C'est une loi pour protéger la santé et limiter la pollution. Le texte reconnaît le lien entre biodiversité et santé. En favorisant le maintien des haies, des bosquets, des mares, la loi facilite le recours à l'épuration naturelle de l'eau. Elle interdit le rejet en mer des eaux de ballast non préalablement traitées, qui transportent des espèces nuisibles envahissantes. Le Ministère a engagé l'opération « Terre saine, communes sans pesticides », pour anticiper l'arrêt des pesticides utilisés par les collectivités. Je salue le travail des sénateurs qui ont adopté la proposition de loi de Joël Labbé sur l'usage des pesticides par les particuliers et les collectivités. Avec Stéphane Le Foll, nous avons engagé la finalisation du plan Ecophyto 2. La France va interdire la vente en libre-service des pesticides utilisés par les 17 millions de jardiniers-amateurs, soit 4 000 tonnes, dès le 1er janvier 2016 pour ceux contenant du glyphosate, classé comme cancérigène par l'OMS. Je sais que les sénateurs ont fait plusieurs propositions concernant les pesticides dangereux pour la santé, notamment dans le rapport de Nicole Bonnefoy. Le conseil européen des Académies des sciences a conclu en avril 2015 aux sévères effets négatifs des néonicotinoïdes sur la faune, l'eau et les sols ; certaines publications montrent une neuro-toxicité pour l'homme. La France a engagé l'extension du moratoire européen sur l'ensemble de ces pesticides. J'ai saisi l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) afin de définir les nouvelles interdictions d'usage potentiel en accompagnement des réévaluations européennes. Le gouvernement a par ailleurs demandé à la Commission européenne d'accélérer la réévaluation scientifique conduite par l'Agence européenne de sécurité sanitaire des aliments. Nous soutiendrons les projets territoriaux qui visent la suppression des néonicotinoïdes et le développement des alternatives au travers du plan Ecophyto 2.
C'est une loi pour reconquérir les paysages. Les paysages du quotidien comme les sites les plus remarquables constituent le cadre de vie de tous les Français. Ils contribuent à forger l'image de la France et à transmettre des traditions. Nous devons veiller sur eux et leur être fidèles.
Enfin, cette loi crée les outils d'un pilotage plus transparent, plus efficace et plus lisible. Elle rassemble les missions et en simplifie les structures, avec la création d'une instance unique d'expertise scientifique et technique, du Conseil national de la protection de la nature, instance de débat qui rassemble toutes les parties prenantes, du Comité national de la biodiversité et de comités régionaux de la biodiversité, dans chaque région et dans les territoires d'outre-mer, qui seront fusionnés avec les comités de bassin.
La loi crée l'Agence française de la biodiversité qui réunira l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques, l'Agence des aires marines protégées, les Parcs nationaux de France et l'Atelier technique des espaces naturels. Une unité commune à l'Agence et au Muséum d'Histoire naturelle sera mise en place afin de mieux articuler la recherche, l'expertise et la diffusion des connaissances. L'Agence disposera d'un budget d'environ 60 millions d'euros au titre du volet « eau et biodiversité » du programme des investissements d'avenir, qui s'ajoutera à son budget de 230 millions d'euros.
J'ai installé une équipe de préfiguration de cette Agence, parrainée par Hubert Reeves et dont Gilles Boeuf préside le conseil scientifique. Cette structure est dirigée par Olivier Laroussinie, actuel directeur de l'Agence des aires marines protégées. J'ai réuni en février dernier un atelier sur la déclinaison des objectifs de la future agence dans les outre-mer, et la préfiguration de ses antennes ultra-marines, animé par les députés Serge Letchimy et Victorin Lurel. Un séminaire réunissant tous les partenaires de la future agence s'est tenu les 22 et 23 mai derniers à Strasbourg.
L'équipe de préfiguration m'a remis le 11 juin son pré-rapport, qui conforte les orientations initiales. L'Agence donnera une meilleure lisibilité à la stratégie française et appuiera nos positions à l'international. Elle vise à décloisonner les politiques de l'eau et de la biodiversité terrestre et marine. Elle sera le lieu d'une expérimentation inédite des relations entre l'État et les collectivités, avec une forme d'organisation très souple, adaptée aux niveaux régional et départemental. Toutes les collectivités sont concernées, et le département joue un rôle important avec la gestion des espaces naturels sensibles.
Les moyens financiers et humains de l'Agence devront être précisés, ainsi que son organisation territoriale, son implantation immobilière, son calendrier de création. Les politiques de biodiversité terrestre, aquatique et marine devront être mieux intégrées. Enfin, il faudra développer la mutualisation des moyens, en partenariat avec les collectivités, le monde associatif et le secteur économique, mais aussi avec des établissements publics de l'État tels que les agences de l'eau et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). L'élargissement du champ des compétences des agences de l'eau à la biodiversité et au milieu marin facilitera l'intégration des acteurs des territoires dans la mise en oeuvre de ces politiques. L'Assemblée nationale a proposé de faire évoluer leur gouvernance, afin de renforcer le positionnement des usagers non économiques et de tenir compte des remarques de la Cour des comptes en matière de transparence et de prévention des conflits.
L'enjeu économique et social de la biodiversité, de la nature et des paysages est immense. C'est un potentiel d'innovations scientifiques et techniques, de création de richesses, d'activités et d'emplois durables, capable de donner un élan à la croissance verte et à la croissance bleue. C'est aussi un nouveau modèle de développement de société. L'essor rapide du génie écologique qui représente déjà un demi-millier d'entreprises et 2 milliards d'euros de chiffre d'affaires est bien le signe avant-coureur du possible et une raison supplémentaire d'agir. Comme le disait Robert Barbault, la biodiversité est une véritable bibliothèque d'innovations, au sein de laquelle les bibliothèques de tous nos pays réunis ne représentent même pas un bout d'étagère. Voilà une perspective passionnante, riche de nouveaux savoirs, de nouvelles créations et de nouveaux progrès. Hubert Reeves a coutume de dire que le temps presse, mais que la bonne nouvelle, c'est que l'action est possible pour que l'humanité reprenne en main ces biens communs que sont la biodiversité et le climat : « Issus nous-mêmes de la biodiversité, utilisons sa stratégie, innovons, et n'oublions pas que négliger les questions liées à la biodiversité, c'est les laisser s'aggraver avec le temps pour les retrouver plus tard plus difficiles à résoudre ». Nous sommes à la veille de la publication de l'encyclique du pape François qui dira aussi des choses formidables sur les relations entre l'être humain et la nature qui l'entoure.
Je vous remercie pour cet exposé précis et riche, qui témoigne d'une longue réflexion et donne du sens aux mesures que vous proposez. Vous avez rappelé mon engagement de longue date sur le sujet et le président a mentionné les nombreuses auditions auxquelles nous avons procédé. Après le temps de l'information, vient celui de la maturation et des questionnements.
Je m'interroge sur l'organisation des instances. Le Comité national pour la biodiversité doit discuter des stratégies et des objectifs à mettre en oeuvre. L'Agence quant à elle, doit être une instance exécutive. Une co-gouvernance rendrait le dispositif inopérant. Ne faudrait-il pas inverser l'ordre des systèmes pour prévoir, par exemple, la présence des agriculteurs au comité national plutôt que dans l'instance d'exécution ? La biodiversité est un sujet assez sérieux pour que l'État ait une responsabilité régalienne en la matière. Il faudrait en tout cas renforcer le lien entre le Comité national pour la biodiversité et l'Agence de la biodiversité.
En effet, 80 % de la biodiversité française est ultra-marine. J'ai présidé l'Agence des aires marines protégées pendant plusieurs années. Elle ne doit pas faire cavalier seul, c'est pourquoi je souhaite son intégration dans l'Agence de la biodiversité. Le texte crée un comité d'orientation pour rassurer ceux qui craignaient que la partie maritime de notre territoire soit oubliée. Peut-être faudrait-il également créer un comité d'orientation pour les outre-mer ? Ce serait envoyer un signal fort à des populations qui se sentent souvent frustrées, même si vous avez déjà fait beaucoup pour elles. Il faudra en parler avec MM. Letchimy et Lurel.
Vous avez annoncé à l'Assemblée nationale que vous proposeriez une alternative à l'amendement de Mme Batho sur la gouvernance de l'eau. Pourrions-nous en avoir connaissance avant le 7 juillet, date de l'examen du texte en commission ? Quand aurons-nous accès au pré-rapport des préfigurateurs sur la territorialisation de l'Agence ? Depuis la Somme, l'Eure ou la Loire Atlantique, l'Agence paraît lointaine. Nous souhaiterions en savoir davantage sur l'évolution des agences de l'eau, même si le sujet est plutôt règlementaire.
La compensation écologique est une règle mal connue, mal comprise et mal appliquée. Ce projet de loi donne des outils puissants pour la mettre en oeuvre. Attention toutefois à ne pas faire la part trop belle à la compensation, car l'objectif premier reste l'évitement. Vous avez labellisé les pratiques du conseil départemental des Yvelines en la matière, qui valorisent la dimension économique de la compensation plutôt que son aspect punitif. Quand la compensation est préparée avec intelligence, les obstacles tombent. Le domaine de Voies navigables de France (VNF) comprend 45 000 hectares de zones humides, nous a dit son directeur général, M. Marc Papinutti. Qu'en est-il de la SNCF, des aéroports, ou de la propriété foncière dans les établissements publics de l'État ? Il faudrait faire un inventaire beaucoup plus détaillé de ce qui pourrait entrer dans les bases de la biodiversité, développer l'ingénierie de la compensation mais aussi le rôle des entreprises et des collectivités en la matière. Cela atténuerait le sentiment de double peine que ressentent les acteurs économiques, notamment agricoles. L'État pourrait donner l'exemple en prenant en compte les délaissés routiers.
Nous affinerons notre stratégie en matière de gouvernance à la lumière des débats que nous aurons et du pré-rapport des préfigurateurs qui vous sera transmis d'ici la fin de la semaine. La fusion de plusieurs organismes au sein de l'Agence inquiète naturellement les salariés qui s'interrogent sur l'avenir de leurs missions, de leurs fonctions et de leur statut. Il faudra conduire la fusion en les respectant, tout en étant clair sur les objectifs à atteindre et le rythme à adopter. Il faudra bien distinguer ce qui relève du pouvoir régalien, préciser qui assume les responsabilités.
Pour les outre-mer, l'Assemblée nationale a prévu une antenne. Vous évoquez un comité d'orientation : pourquoi pas ? Mais les outre-mer font aussi partie de la communauté nationale ; faut-il leur réserver un traitement spécifique, quitte à les isoler ? Évitons la communautarisation si nous voulons nous intégrer dans une action internationale.
Nous réfléchissons à la gouvernance de l'eau. J'ai compris que vous souhaitiez avoir connaissance des amendements du Gouvernement le plus tôt possible. Cela me paraît de bonne méthode, dans une optique de co-construction.
L'inventaire des propriétés publiques est une très bonne idée. J'ai ainsi découvert que les bordures des routes nationales, où j'ai fait interdire l'usage de pesticides et généralisé, dans le cadre du plan pollinisateur, les fauches tardives, représentent une superficie équivalente à celle de tous nos parcs naturels nationaux !
Les ONG ont contesté la compensation à distance, et la compensation morcelée se heurte au droit. Nous devons continuer à y réfléchir, envisager des surcompensations, l'utilisation d'espaces publics à proximité... Toutes les idées sont les bienvenues. Les trames vertes et bleues ne se mesurent pas à des échelons territoriaux restreints : une rivière traverse plusieurs écosystèmes, et toute décision a des conséquences sur d'autres territoires.
Merci pour cette présentation. Jérôme Bignon est un rapporteur passionné, très à l'écoute. Ce projet de loi ne doit pas être culpabilisant ou discriminatoire. Il ne doit pas, non plus, être punitif. La biodiversité évolue et ne doit pas être sanctuarisée.
L'article 68 quater inquiète les chasseurs, notamment pour ce qui concerne la vénerie sous terre. Quelle est votre position ?
La continuité écologique, prévue à l'article 3, entre en contradiction avec les dispositions de la loi sur la transition énergétique quand elle prescrit la destruction de barrages hydroélectriques sur des petites rivières. Que faire pour préserver ces sources d'énergie renouvelable ? De même, la compensation écologique va à l'encontre de l'objectif de préservation des terres agricoles poursuivi par les commissions départementales de consommation des espaces agricoles (CDCEA), surtout qu'elle prévoit souvent une double peine, ou pire : un hectare pris par un aménagement routier peut être compensé par quatre ou cinq hectares de reboisement ! Vous avez pourtant reconnu le rôle des agriculteurs dans la préservation de la biodiversité. Non à la surcompensation, préservons les terres agricoles !
L'Assemblée nationale a largement détricoté le travail du Sénat sur le projet de loi de transition énergétique, rapporté par Louis Nègre, que vous aviez pourtant salué. En ira-t-il de même pour ce texte-ci ? J'espère que vous serez l'arbitre entre les deux assemblées, pour que notre travail serve à quelque chose.
Je salue la qualité de ce projet de loi qui favorisera le renouvellement nécessaire des politiques publiques en faveur de la biodiversité. Les constats scientifiques sont alarmants : extinction des espèces, dégradation des espaces naturels... La France a besoin d'outils d'excellence environnementale, au moment où Paris s'apprête à accueillir la COP 21. J'ai été rapporteure de la mission commune d'information sur les pesticides, dont le rapport a été adopté à l'unanimité en 2012, et dont nombre de recommandations ont déjà été suivies. Nous serons attentifs aux résultats de l'étude que vous avez confiée à l'Anses sur les néonicotinoïdes. Vous avez annoncé l'arrêt, le 1er janvier 2016, de la vente libre aux jardiniers amateurs de produits contenant du glyphosate. La loi agricole oblige déjà les distributeurs à fournir un conseil aux utilisateurs non professionnels au moment de la vente. Ne vaudrait-il pas mieux s'attaquer à la question de fond qu'est la séparation du conseil et de la vente ? Cette même loi agricole encadrait, sans l'interdire, l'épandage de pesticides à proximité de lieux sensibles, écoles ou maisons de retraite. Vous aviez souhaité que la proximité d'habitations soit aussi prise en compte. Ce projet de loi en sera-t-il l'occasion ?
Merci pour ce projet de loi, qui fait travailler nos neurones tout en stimulant notre affectivité. Le volontarisme requiert des symboles. Le transfert dans l'Agence de la biodiversité de la Trame verte et bleue, représentant les parcs naturels et les aires marines, et l'Onema, en est un bon exemple. Mais pourquoi l'Office national des forêts (ONF) et l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) n'y figurent-ils pas ? Maire d'une commune dotée d'une forêt domaniale de 800 hectares, je me suis heurté à l'ONF pendant des années. Ajouter à ses fonctions mercantiles de vente d'actions de chasse ou de bois un rôle de protection de la biodiversité lui conférerait un peu de grandeur.
Ne va-t-on pas demander aux départements de financer l'Agence française de la biodiversité ? Je sais que le produit de la taxe d'aménagement est très convoité... Fera-t-on appel aux agences de l'eau ? À force de pomper leur budget, elles seront à court de liquide ! Ayant présidé le comité de bassin de l'agence Artois-Picardie, je sais qu'elles ont encore beaucoup à faire, notamment pour appliquer la directive-cadre sur l'eau.
Vous n'avez pas évoqué l'échelon départemental, alors que les espaces naturels sensibles sont importants et que les départements font beaucoup pour préserver la biodiversité. La loi demande aux parcs régionaux de rendre des avis sur beaucoup de sujets : planification, urbanisme mais aussi orientations forestières et gestion cynégétique. Il y a déjà assez de motifs de discorde, n'en ajoutons pas ! Comme pour tous les êtres vivants, les parcs ont des propriétés innées - les paysages - et d'autres acquises, comme celles résultant de la transition énergétique - les éoliennes, par exemple. Lesquelles faut-il privilégier ?
Bonne question ! Comment faire pour que les personnels des différentes instances qui vont être fusionnées se sentent un destin commun ? Certains étaient là depuis le début et ne veulent pas être mis de côté.
La question des moyens et des emplois sera discutée lors de la loi de finances rectificative. Je sais votre pugnacité, madame la ministre, mais pouvez-vous nous dire comment vous comptez préserver ces moyens, voire les faire croître pour répondre aux missions nouvelles de l'Agence ?
La question du bien commun est centrale, face aux menaces de privatisation du vivant. Quel est votre sentiment sur ce sujet ?
La continuité écologique ne peut se satisfaire de compensations lointaines : ce serait nier la notion même d'écosystème. Il faut préserver l'équilibre local, en cherchant d'abord à éviter.
Je m'associe aux propos de M. Poher sur l'ONF et l'ONCFS, qu'il faudra associer.
Enfin, la police de l'environnement ne devrait-elle pas être traitée à part, pour éviter les conflits ?
En ce jour où se déroule l'épreuve de philosophie du baccalauréat, nous avons l'occasion de nous interroger sur les contradictions de la nature humaine. Nous sommes tous favorables à la protection de la biodiversité, bien sûr, et nous le dirons la main sur le coeur. Mais pour réduire la fragmentation, nous aurons besoin d'outils de planification forts à des échelles pertinentes. Ces contraintes à l'échelle communale ne seront pas du goût de tous ! La lutte contre les agressions chimiques qui réduisent la biodiversité sera pareillement l'occasion de discordances, tout comme les mesures de gestion des espèces : il y aura toujours une bonne raison pour ne pas toucher à tel produit ou à telle pratique...
Loin de détricoter le texte, l'Assemblée nationale a conservé les apports du Sénat à la loi de transition énergétique, sauf ceux où l'ambition du texte était revue à la baisse. C'est là une bonne méthode, que nous devrions suivre pour ce texte.
Alain Richard a déclaré hier en présentant son rapport sur la démocratie environnementale au Conseil national de la transition écologique (CNTE), en présence de Mme la ministre, qu'il faudrait des garanties sur la compensation pour apaiser certains conflits locaux. Bien sûr, nous n'allons pas remplacer des tritons crêtés par des outardes barbues. Il faut aussi que la compensation fasse l'objet d'un suivi dans le temps.
La création d'une police de l'environnement unique est une question différente de celle de la fusion des différents offices, pour laquelle les esprits ne sont pas mûrs. L'évolution du débat me fait penser qu'elle n'est pas hors d'atteinte, y compris pour une police de la chasse, qui pourrait changer le mode de financement des gardes-chasse.
Le renforcement des normes en France ne doit pas s'accompagner d'un affaiblissement des règles européennes. La révision des directives « Habitat » et « Oiseaux » suscite des inquiétudes. La France doit affirmer clairement son opposition à toute baisse d'ambition pour le paquet « Natura », qui a beaucoup fait pour protéger la biodiversité.
Merci d'avoir proposé un texte sur la biodiversité. Comme l'a dit Antoine de Saint-Exupéry, nous n'héritons pas la Terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants. Je m'estime responsable de ce qui se passera sur la Terre dans quelques années. Les objectifs du projet de loi sont consensuels : lutter contre la disparition des espèces et le changement climatique, développer la croissance bleue... Quel financement avez-vous prévu pour les atteindre ? Vous êtes contre l'écologie punitive, nous aussi ! Le rapport sur les inondations avait révélé une véritable levée de fourches des maires contre l'Onema. Comment les convaincre, ainsi que les agriculteurs ?
Dans les Alpes maritimes - et ailleurs - nous avons le loup, protégé par la convention de Berne. Quel équilibre trouver entre biodiversité et protection des éleveurs ? Je tiens l'homme pour l'une des espèces à protéger, car il est victime de la pollution de l'air. Pour la réduire, rien ne vaut les transports collectifs. Or le Premier ministre a annoncé le 9 juin que les seuils de neuf et dix salariés seraient relevés à onze. Très bien, mais cela se traduira par un transfert de plusieurs centaines de millions d'euros sur les collectivités territoriales, sans compensation ! Du coup, le conseil d'administration du Groupement des autorités responsables de transport (Gart) s'est unanimement prononcé contre cette mesure et réclame le maintien du statu quo dans l'attente d'une concertation.
Les parcs naturels régionaux sont gérés par des syndicats mixtes. La loi NOTRe, qui retire la compétence générale aux départements, n'en fragilisera-t-elle pas la gestion ? Ceux-ci pourraient s'en retirer, alors qu'ils représentent 30 % du budget. Comment sécuriser ces budgets, et le statut des parcs ?
Je me réjouis que ce texte clarifie la protection de la biodiversité. Pendant des siècles, des générations de paysans ont entretenu l'espace et préservé la biodiversité : défrichant, aménageant, ils ont fait du pays ce qu'il est. Après des années d'agriculture productiviste, nous revenons à une agriculture raisonnée et biologique, mais nous avons perdu beaucoup d'agriculteurs : des zones entières sont en déprise agricole, la friche gagne...
J'ai beaucoup apprécié vos propos sur le loup, madame la ministre. Entre les moutons, les hommes et les loups, je choisis les moutons et les hommes ! La préservation de la biodiversité ne doit pas empêcher certaines activités. Nous devons au contraire soutenir l'installation de jeunes agriculteurs pratiquant l'agriculture extensive pour préserver les espaces, qui sans cela deviennent la proie de la broussaille, des sangliers et des chevreuils, qui détruisent la biodiversité. Dans mon département, nous menons des opérations de reconquête des espaces abandonnés, en laissant des moutons les nettoyer pendant les estives.
Merci pour vos questions, dont la richesse et la diversité reflètent celles de la société française et de nos territoires. La chasse est un sujet sensible. Lorsque l'Assemblée nationale a débattu de l'interdiction de la chasse à la glu et de la chasse au blaireau, je m'en suis remis à la sagesse, car ce texte ne doit pas être l'occasion d'un conflit sur des questions qui doivent faire l'objet d'une consultation de proximité. Je serai attentive à l'avis du Sénat, en formant le voeu que celui-ci sache éviter les affrontements entre chasseurs et non chasseurs.
Les décisions sont difficiles à prendre sur l'arasement des barrages, comme ceux de la Sélune : rétablir la continuité écologique suppose de perturber les territoires. J'essaie d'appliquer les méthodes de démocratie participative. Une solution peut être de regarder l'état des barrages : il faut parfois les vidanger, ce qui a déjà produit des catastrophes écologiques. Il faut surtout redéfinir un projet territorial pour créer des emplois en tirant parti de la reconquête de la qualité paysagère.
Sur le projet de loi de transition énergétique, plusieurs dizaines d'amendements du Sénat, acceptés par le Gouvernement, n'ont pas été remis en cause à l'Assemblée nationale. Je les y ai défendus, en commission comme en séance, et j'agirai de même pour ce texte-ci.
L'ONF est un organisme économique et financier, qui compte 12 000 agents. Il serait donc difficile de le fusionner avec d'autres. Et vous savez les débats autour de l'ONCFS... La loi prévoit que nous pourrons réexaminer dans deux ans l'adhésion à l'Agence de la biodiversité. Les contrats d'objectifs de l'ONF et de l'ONCFS prévoiront un travail de terrain en commun sur la biodiversité, comme je m'y suis engagée, car tout ne doit pas être décidé d'en haut.
Mme Didier a évoqué les salariés : je les recevrai. La problématique de la commercialisation du vivant sera au coeur de la loi, ainsi que la question de la répartition des bénéfices et de la spoliation.
En matière de police de l'environnement, je gère en ce moment le problème du désarmement des agents de l'Onema, qui se révèle fort complexe.
Les collectivités territoriales disposent de cinq sièges au conseil d'administration de l'Agence française pour la biodiversité : les départements y auront leur place.
Je suis heureuse de vos questions sur la compensation, car ce sujet conflictuel n'a guère été soulevé à l'Assemblée nationale, or il est important que le législateur apporte des solutions. L'article 33 facilite la mise en oeuvre de mesures compensatoires, tout en respectant le principe d'équivalence écologique. Possibilité de contractualiser avec les propriétaires de terrain, notion d'opérateur de compensation, réserves d'actifs naturels agréés par l'État... En se dotant d'un dispositif souple et moderne, la France conduit une expérimentation qui pourra profiter à d'autres pays - dans la perspective de la COP 21, nous nous devons d'être exemplaires.
La Commission européenne a retenu la France parmi les dix États-membres faisant l'objet d'un examen approfondi pour la révision des directives. Cet effort est bienvenu, car la superposition des dispositifs et des labels conduit à un excès de complexité et à des gaspillages - les élus locaux le savent bien. Le Marais poitevin en est un exemple manifeste : Grand site de France, Natura 2000, parc naturel régional, etc. La simplification et la hiérarchisation des normes réduiront aussi les risques de contentieux.
J'ai obtenu un avis favorable du Conseil national de la protection de la nature (CNPN) pour faciliter les prélèvements de loups, preuve que les esprits évoluent. Il faut une juste conciliation entre les activités humaines et les espèces protégées.
La thématique des transports, qui croise biodiversité et transition énergétique, n'a pas été beaucoup évoquée à l'Assemblée nationale. Je serai attentive aux apports du Sénat.
J'ai mis en place un groupe de travail sur les parcs naturels régionaux avec Jean-Louis Joseph pour examiner si des dispositions législatives sont nécessaires pour pérenniser leur financement.
La reconquête des friches est moins souvent évoquée que le recul des espaces naturels protégés. L'Agence de la biodiversité pourra travailler sur ce thème, car il pose la question de l'articulation entre la présence humaine et la biodiversité. On peut imaginer une réutilisation sous forme de biomasse, par exemple.
La commission décide de se saisir pour avis de la proposition de loi n° 2822 (AN, XIVème législature) relative au deuxième dividende numérique et à la poursuite de la modernisation de la télévision numérique terrestre, et désigne M. Patrick Chaize en qualité de rapporteur pour avis.
La réunion est close à 18 h 15.