La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Nous entendons MM. Francis Duseux, président de l'Union française des industries pétrolières (Ufip), Daniel Le Breton, directeur marketing au sein de la branche marketing et services, et Jean-Paul Cazalets, délégué environnement au sein de la Direction environnement et développement durable de Total. Je vous prie d'excuser l'absence de M. Jean-Paul Husson, notre président.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Francis Duseux, Daniel Le Breton et Jean-Paul Cazalets prêtent serment.

Debut de section - Permalien
Francis Duseux, président de l'union française des industries pétrolières (Ufip)

L'Ufip représente tous les segments de l'industrie pétrolière en France, soit une trentaine d'entreprises, dont Total : exploitation et production d'hydrocarbures, avec 800 000 tonnes de pétrole produites chaque année, raffinage, logistique et distribution, sachant que plus de 60 % des volumes de carburant distribués le sont par la grande distribution. La France a consommé 74 millions de tonnes de produits pétroliers en 2014, soit le même volume qu'il y a trente ans, ce qui atteste de l'efficacité des efforts engagés en matière de réduction de consommation et d'économies d'énergie. En 2014, les importations gazières ont atteint 19,3 millions de tonnes, soit 50 % de la consommation, et les exportations d'essence 3,2 millions de tonnes, soit 35 % de la production.

Notre industrie est au coeur de la satisfaction des besoins économiques, notamment de mobilité. Elle contribue depuis des décennies au progrès économique du pays, à la productivité, à l'amélioration du niveau de vie, à la mécanisation et aux progrès de l'agriculture. En 2011, le pétrole représentait en France 44 % de l'énergie finale et 93 % de l'énergie du transport. Même si nous prévoyons une baisse de la consommation des carburants routiers de 20 à 30 % dans les 25 prochaines années, le pétrole restera une énergie incontournable. En comptant les emplois directs et indirects générés dans les différents secteurs, l'industrie pétrolière réunit en France près de 200 000 emplois et plus de 350 000 si l'on inclut la pétrochimie et la chimie. Chaque année, elle collecte pour le Trésor public plus de 32 milliards d'euros, dont 24 milliards de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et 8 milliards de TVA. Elle acquitte plus de 1 milliard d'euros d'autres impôts et taxes (impôt sur les sociétés, contribution économique territoriale, etc.). Notre industrie s'adapte constamment pour répondre aux évolutions de la demande du marché national, et pour réduire ses impacts. Cependant, dans un contexte critique de surplus de capacités en Europe, notre outil de raffinage est devenu très vulnérable.

Pour répondre aux critiques liées à nos émissions, je voudrais rappeler que nous avons la pleine maîtrise de nos procédés industriels mais que nous ne sommes qu'un des acteurs de la consommation de carburants : la technologie des moteurs et des équipements, la maintenance des véhicules et le comportement de conduite sont également en cause. Nous rappelons constamment la nécessité de consommer moins et mieux et de protéger l'environnement. Des progrès considérables ont été réalisés au cours des trente dernières années. Les mesures et la surveillance des émissions au niveau local, les bilans de l'Ademe et les données publiées par le Citepa montrent que la France se classe très bien en termes d'émissions par habitant : elle émet 4,4 kilos par an et par habitant de SO2, pour une moyenne européenne de 9,1 kilos, et 12,4 kilos par an et par habitant de composés organiques volatiles, pour une moyenne européenne de 14,6. Selon le Citepa, les émissions de SO2, principal gaz émis par le secteur du raffinage pétrolier, ont diminué de 121 kilotonnes entre 1990 et 2011, soit une baisse de 70 %, alors que les traitements de brut n'ont baissé que de 30 % durant la même période. La baisse de la teneur en soufre des combustibles liquides, la moindre utilisation du fuel lourd, la mise en place d'actions d'économies d'énergie, l'amélioration du rendement énergétique des installations expliquent ces résultats. Les dépassements des valeurs-limites de concentration dans l'air sont désormais rarissimes au niveau des sites industriels, ce qui répond à une règlementation européenne exigeante, avec notamment la directive de 2010.

Le document de référence concernant le raffinage, le Bref (best references), décrit le large éventail de techniques mises en oeuvre par notre industrie pour réduire les émissions. En aval, deux directives européennes ont imposé le contrôle de la récupération des composés organiques volatiles : la directive de 1994 concerne les phases de stockage en dépôt pétrolier et de livraison dans nos stations-service, celle de 2009, la distribution à la pompe. Nous avons investi plusieurs centaines de milliers d'euros dans les camions de livraison et dans les stations-service. Le raffinage a investi 1 milliard d'euros pour fabriquer des essences et des gazoles à 10 ppm de soufre, peu émissives. A cela s'ajoute un autre milliard dédié aux capacités d'hydrocraquage, pour convertir le fuel lourd en produits légers. Aujourd'hui, on ne brûle plus de fuel lourd. Les teneurs en poly-aromatiques et en soufre ont été divisées par mille pour le gazole et l'indice de cétane augmenté. L'industrie pétrolière a ainsi développé des carburants de meilleure qualité, grâce auxquels les constructeurs ont mis au point des technologies capable de réduire les émissions des moteurs diesel jusqu'à des niveaux proches de zéro. Sans oublier les produits premium que proposent les entreprises. Alors que le trafic routier a augmenté en France de près de 35 % en kilomètres parcourus entre 1997 et 2010, les émissions de particules de diamètre inférieur à 10 microns (PM10) ont diminué de 39 %. Ces améliorations tiennent au renouvellement du parc automobile combiné à la réduction drastique des émissions de particules provenant des véhicules neufs.

La directive relative aux émissions industrielles (IED) fixe un objectif supplémentaire de réduction des émissions, et de nouvelles contraintes pour notre industrie. D'ici fin 2018, chaque site devra respecter des valeurs-limites d'émissions (VLE), alignées sur les meilleures techniques disponibles en Europe. Notre secteur a chiffré l'investissement nécessaire entre 20 et 50 millions d'euros par site, en moyenne, sans compter les frais opératoires afférant. Certains sites ne seront pas en mesure de respecter l'échéance du 1er janvier 2016 pour la mise en oeuvre des mesures liées aux grandes installations de combustion, et nous demanderons un aménagement des délais. Quant au plafond de SO2 envisagé dans le projet de directive européenne sur le plafond national d'émissions, il doit être revu à la baisse, car il est irréaliste. Nous souhaiterions également plus de flexibilité pour tenir compte d'éventuels surcroîts ou baisses d'activité...

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Par souci d'efficacité, nous préférerions que vous résumiez vos idées force. Vous pourrez nous communiquer votre note.

Debut de section - Permalien
Francis Duseux, président de l'union française des industries pétrolières (Ufip)

Nous avons fait des progrès considérables, ces trente dernières années, tant pour le dépôt, le raffinage et les stations-service que pour la consommation et les impacts de notre production en termes d'émissions. La demande en produits pétroliers devrait continuer à baisser de 20 à 30 % dans les années à venir. Or, nous disposons d'un surplus de capacité de raffinage d'environ 100 millions de tonnes. On s'attend à ce que 25 % des raffineries ferment en Europe, soit 20 des 80 raffineries existantes. Industriels et décideurs sont donc face à un dilemme. Depuis trois ou quatre ans, nous subissons de plein fouet la concurrence des États-Unis qui relancent leur industrie lourde, et notamment la pétrochimie, grâce à l'exploitation du gaz de schiste, qui est un combustible trois à quatre fois moins cher que le pétrole. L'Arabie Saoudite a également développé des technologies nouvelles, avec des raffineries modernes de grosse capacité. Dans ces conditions, doit-on continuer à sévériser les normes, au risque de multiplier les fermetures de sites industriels, ou bien notre outil de raffinage est-il suffisamment stratégique pour que nous le préservions ? Il y a quelques années, Bercy et la Commission européenne se disaient favorables à la seconde option. Dépendre à 100 % d'importations de produits finis pour satisfaire les besoins des Français ne ferait que déplacer la pollution ailleurs, dans des pays qui ne subissent pas les mêmes contraintes.

Pour résumer, nous avons fait des progrès, et nous devons continuer, mais la recommandation de notre industrie est de bien mesurer l'impact d'une nouvelle législation plus sévère sur la compétitivité de nos usines et de nos chaînes logistiques.

Debut de section - Permalien
Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

Le premier programme de recherche européen lancé avec les constructeurs et les pétroliers pour définir les spécifications des carburants date d'il y a vingt ans. Une réglementation a vu le jour en 2000, puis deux autres vagues de spécifications liées au soufre ont été publiées en 2005 et en 2008. Les nouveaux carburants ont été adaptés à des véhicules qui ont aujourd'hui vingt ans d'âge, de sorte qu'il n'y a plus guère de marge de progrès. Les nouveaux véhicules en revanche disposent de filtres à particules, de systèmes de destruction des oxydes d'azote à l'échappement des poids lourds, etc. On est dans un autre monde.

Debut de section - Permalien
Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

Les véhicules d'aujourd'hui sont beaucoup moins polluants que ceux d'il y a vingt ans, car on les a équipés de matériel sophistiqué. On a également développé des produits comme l'AdBlue qui sert à dépolluer les moteurs de camion, et demain les voitures. On est très loin des véhicules sur lesquels on a travaillé pour définir les spécifications des carburants que l'on utilise aujourd'hui.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

Pour Total, la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) a été multipliée par 2,5 à périmètre constant entre 2012 et 2014. Total est un groupe certes pétrolier mais avant tout gazier : plus de la moitié de notre chiffre d'affaires se fait sur le gaz. Or, comme notre directeur général l'a dit dans la presse, toutes les analyses de cycle de vie montrent que le gaz est deux fois moins émissif en CO2 et en particules que le charbon ; son impact sur l'environnement et sur la santé est donc deux fois moindre.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

L'une des motivations de notre commission d'enquête est de mesurer l'impact sanitaire de la pollution de l'air. Contestez-vous les études scientifiques menées sur ce sujet ? Celle de l'OMS, par exemple, qui classe le diesel comme cancérigène ?

Debut de section - Permalien
François Duseux

Je ne suis pas médecin, je ne m'estime pas compétent. Certaines de ces études portent sur des véhicules anciens, dépourvus de filtres. Aujourd'hui, avec la norme Euro 6, le diesel n'est pas plus polluant que l'essence. Il n'est donc pas justifié de distinguer ces deux carburants. On a éliminé l'essentiel des particules, même s'il reste une inconnue sur les plus petites d'entre elles. De quand datent les études que vous mentionnez ? Correspondent-elles aux normes des véhicules modernes ?

Debut de section - Permalien
Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

Je ne suis pas compétent en matière de toxicité. Les études comme celle de l'OMS ont été menées sur des moteurs non dépollués qui ne sont plus utilisés.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

Vous parlez d'études épidémiologiques ?

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Dans la première phase de notre travail, nous avons auditionné un certain nombre de scientifiques, dont la probité intellectuelle n'est pas discutable. Nous voudrions savoir comment les industries pétrolières appréhendent ces travaux : contestez-vous leur véracité ?

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

Notre activité est encadrée par des seuils réglementaires d'émissions déterminés à partir d'analyses sur les risques sanitaires. La méthodologie est internationale, commune à l'Europe, aux États-Unis et à d'autres grands pays. Nous n'avons pas à la discuter.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Les études dont je parle se concentrent sur six des 1 400 polluants que l'on trouve dans l'air pour analyser leur impact sanitaire. Nous avons entendu ce matin un exposé étonnant sur les filtres à particules soi-disant propres. L'Iiasa conteste pourtant la validité de la procédure mise en place pour leur contrôle, tout comme une décision de la Commission européenne. Mais revenons à votre coeur de métier : avez-vous évalué le coût économique et financier de la pollution de l'air et particulièrement du diesel ?

Debut de section - Permalien
François Duseux

Pas à ma connaissance. Notre métier, c'est de nous ajuster aux spécifications fixées par les pouvoirs publics, et de répondre aux besoins de consommation des Français. On ne peut pas, sous prétexte de tout dé-carboner, faire table rase des progrès économiques et de l'amélioration du niveau de vie que l'industrie pétrolière a permis depuis la guerre. Il est normal et juste de vouloir protéger les gens en émettant moins de particules. Mais, sauf à reprendre les vélos, on ne peut pas se passer de carburants pour les transports, la chimie ou l'agriculture.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Il ne s'agit pas de reprendre les vélos. Votre propos est un peu caricatural. J'entends parfaitement votre rhétorique bien huilée. La norme est une contrainte en termes de compétitivité, dites-vous. On entend souvent ce discours de la part du lobby industriel ! Il consiste à prendre en otage l'emploi, mais surtout les variables d'ajustement que sont la santé et l'environnement. C'est oublier que d'un point de vue macro-économique, la pollution qui émane de vos industries a un coût pour la société.

Nous vous demandons de vous montrer objectif sur l'aberration sanitaire, économique et environnementale que représente la pollution de l'air, afin de trouver des solutions. Votre discours contribue au ronronnement d'un schéma économique qui appartient au XXème siècle. Réfléchissons collectivement à la transition énergétique ! Vous ne faites pas que vous conformer aux normes, vous êtes aussi un lobby et une force de proposition auprès des pouvoirs publics.

Debut de section - Permalien
François Duseux

J'ai des enfants, des petits enfants, je suis préoccupé, comme nous le sommes tous, pas les questions de pollution. Nous sommes tous écologistes à la base. Si les normes fixées par les décideurs étaient mondiales, il n'y aurait aucun problème. Tout le monde serait au même niveau. Ce n'est pas le cas. J'aurais dû vous parler des raffineries indiennes...

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Ce qui nous intéresse, c'est d'abord la France. Si vous proposez de nous aligner sur les plus polluants pour des questions d'égalité concurrentielle...

Debut de section - Permalien
François Duseux

Les industriels ont des clients à satisfaire et doivent s'aligner dans la compétition internationale. En nous imposant des normes plus contraignantes qu'ailleurs, on accélère la fermeture d'usines. Ce peut être un choix politique, mais il faut en mesurer les conséquences. Quant aux énergies alternatives, nos grands groupes y réfléchissent, car il faut bien sûr diversifier, rechercher de nouvelles énergies renouvelables. On expérimente de nouvelles technologies pour générer du carburant à partir d'algues, par exemple. Mais certains groupes pétroliers en sont encore au charbon : les Allemands s'apprêtent à ouvrir dix centrales au charbon !

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Je repose ma question : avez-vous évalué le coût de la pollution ?

Debut de section - Permalien
François Duseux

Non, car ce n'est pas notre travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Si, car vous influencez la société par vos choix et vous contribuez à la pollution de l'air. Vu le chiffre d'affaire de votre industrie, vous pourriez y consacrer quelques moyens...

Debut de section - Permalien
François Duseux

Vous ne pouvez pas négliger complètement les services rendus par le pétrole et la chimie à l'élévation du niveau de vie.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Tout le monde ne partage pas forcément votre point de vue.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

L'analyse de cycle de vie mesure les impacts environnementaux sur la santé et sur les écosystèmes. Nous avons commandé une étude au centre de recherches spécialisé de Polytechnique-Montréal, qui montre que dans le cadre de la production électrique, le gaz a un impact sur la santé deux fois moindre que le charbon, qu'il s'agisse du gaz naturel ou du gaz naturel liquéfié (LNG). En revanche, dans le cas du fuel, l'impact est supérieur d'environ 20 %. La méthodologie internationale de l'ACV se limite à ce constat. Pour le reste, ce n'est pas notre métier.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

A combien se montent les investissements des industries pétrolières dans les énergies renouvelables ?

Debut de section - Permalien
François Duseux

Un des plus gros adhérents de l'Ufip possède SunPower qui est la deuxième société mondiale de panneaux solaires. Mon ancien groupe Exxon Mobil a dépensé 400 millions de dollars dans le domaine des algues. Les pétroliers sont conscients qu'il faut consommer moins et mieux, et investir dans les énergies renouvelables pour protéger l'environnement. L'obligation de rentabilité et le temps que prend la recherche sont deux obstacles incontournables. Par exemple, on ne sait pas encore stocker l'électricité. N'opposons pas les énergies entre elles. Notre travail est aussi de satisfaire les besoins de la population. Il est prévu que la consommation de gaz augmente de 65 % pour répondre aux besoins en électricité de deux milliards de personnes. Toutes les sociétés pétrolières essaient de se diversifier dans le renouvelable.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Vous nous avez donné des chiffres précis en termes d'emplois et de fiscalité, mais vous n'êtes pas capable de chiffrer l'investissement de vos entreprises dans les énergies renouvelables ?

Debut de section - Permalien
François Duseux

Ce n'est pas notre coeur de métier. Nous avons déjà du mal à faire survivre nos raffineries : quatre d'entre elles viennent de fermer.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Total a empoché 4,2 milliards d'euros en 2014 sans avoir payé d'impôts. Arrêtons la caricature. Vous n'êtes pas malmenés au point de ne pas avoir les moyens de faire de la recherche sur les énergies renouvelables, qui est un sujet fondamental et structurant. Total est l'une des entreprises françaises les plus performantes, avec une architecture juridique et fiscale qui lui permet d'échapper à l'impôt...

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

Total a développé une filiale, Sunpower, qui malgré quelques difficultés au départ, connait un taux de croissance de 15 % par an. Une grande centrale est en cours d'installation au Chili, dont la rentabilité sera assurée sans subvention. L'an dernier, Sunpower a fourni des panneaux produisant 1,3 GW, soit une petite tranche nucléaire. Nous avons également une activité biomasse, en partenariat avec la société Amyris, basée aux États-Unis. Elle se développe plus difficilement, car il faut beaucoup investir dans la recherche, mais nous y croyons.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Quel pourcentage de son chiffre d'affaires le groupe Total consacre-t-il aux énergies renouvelables non polluantes ?

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

Sans vouloir éluder la question, cela ne s'évalue pas en termes de chiffres d'affaires, mais de part dans le mix énergétique et d'évolution de ce mix.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Vous faites bien un bilan comptable annuel ! En pourcentage, combien fléchez-vous pour les énergies renouvelables ? A ma grande stupéfaction, je constate que les entreprises pétrolières ne s'intéressent pas aux énergies renouvelables : ce n'est pas votre coeur de métier et vous n'investissez pas.

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

Ce n'est absolument pas vrai dans le cas de Total. Je ne connais pas le pourcentage exact ; il suffirait d'aller consulter le document de référence de la compagnie.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Vous vous doutiez bien que nous allions vous poser ce type de questions !

Debut de section - Permalien
Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

Nous n'avons eu aucune information sur les questions qu'on allait nous poser.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Elles ne sont pourtant pas surréalistes ! Vous avez commencé par nous donner votre chiffre d'affaires, le nombre d'emplois que vous représentez, le montant des impôts que vous payez. C'est une forme de chantage que d'insister ainsi d'emblée sur le poids économique que vous représentez. Je vous pose une question simple, à laquelle d'autres entreprises n'ont pas eu de problème à répondre. D'autant qu'il y a la COP 21 et que le XXIe siècle doit être celui d'une économie tournée vers les énergies renouvelables. Franchement, je suis stupéfaite.

Debut de section - Permalien
François Duseux

Je ne savais pas que je venais pour un témoignage à charge. Nous sommes des professionnels du pétrole. Ce qui nous préoccupe, ce sont les émissions liées à nos raffineries, et l'impact de notre production sur l'environnement. Cela n'a rien à voir ni avec la COP 21, ni avec les énergies renouvelables.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

C'est bien là le problème. Je prends acte que les énergies renouvelables ne sont pas un sujet qui vous préoccupe, que vous n'avez aucune appétence en la matière. Vous faites partie des pollueurs ; vous pourriez apporter une solution au problème. Le coût économique et financier de la pollution de l'air est réel. Vous ne l'avez pas évalué dans votre secteur et vous n'avez pas fait d'études. Les chiffres dont nous disposons montrent pourtant que le pétrole et le diesel sont en cause.

Avançons : avez-vous l'occasion d'échanger ou de travailler avec des associations environnementales, comme cela avait été recommandé aux entreprises lors du Grenelle de l'environnement ?

Debut de section - Permalien
François Duseux

Nos établissements industriels sont en liaison permanente avec l'administration et les représentants de l'État. Nos émissions et notre mode de fonctionnement sont surveillés. Au moindre dépassement, l'administration est immédiatement prévenue. Le Citepa est un organisme clef pour nous, en matière d'émissions. C'est une référence qui fait foi.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

L'Ufip siège-t-elle au conseil d'administration du Citepa ?

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

Oui.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Merci de cette réponse claire.

Disposez-vous d'éléments sur la pollution de l'air de vos raffineries ?

Debut de section - Permalien
François Duseux

Bien sûr. Elle est évaluée constamment et fait l'objet de rapports annuels officiels.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Vous répondez de manière bien désobligeante. Quel est le coût de cette pollution ?

Debut de section - Permalien
François Duseux

Je ne sais pas. Ce n'est pas notre métier, nous avons déjà du mal à préserver nos raffineries. Ce n'est pas notre sujet. Je ne sais pas qui de nous deux est le plus désobligeant...

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

La pollution de l'air n'est pas votre sujet ? Vous considérez-vous en dehors de la société ? Je rappelle que la pollution de l'air liée aux voitures représente un coût d'environ 1 500 milliards d'euros pour l'OCDE. Vous êtes une industrie polluante, je vous pose des questions simples, vous ne répondez pas.

Debut de section - Permalien
François Duseux

Encore une fois, notre métier est de répondre aux besoins des consommateurs. Si vous voulez que les voitures restent au parking ou les bateaux dans les ports...

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Vous ne faites pas que vous adapter aux besoins de vos clients, vous influencez les choix de la société.

Debut de section - Permalien
François Duseux

C'est une accusation qui n'a rien de vrai.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Êtes-vous capables de raffiner encore plus les carburants que vous produisez ?

Debut de section - Permalien
Jean-Paul Cazalets, délégué environnement chez Total

Total paie un peu plus de 5,6 millions d'euros par an pour l'ensemble des activités polluantes.

Debut de section - Permalien
François Duseux

Nous sommes arrivés aux limites du raffinage d'un point de vue technique. Le raffinage consiste à transformer du pétrole brut ou des produits lourds comme le fuel en produits plus nobles comme de l'essence ou du carburant pour l'aviation. Même si les procédés évoluent en permanence, il n'y a plus de révolution en vue. Nous avons déjà fait des progrès considérables : on ne fabrique plus de fuel lourd dans nos raffineries.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

On sait depuis 1983 que le diesel est nocif pour la santé. Depuis 1998, l'Ademe - que vous avez citée - relaye des études montrant la nocivité de la pollution de l'air pour la santé, et notamment du diesel, que l'on sait cancérigène ! Comment expliquez-vous que l'industrie pétrolière n'ait pas rectifié le tir, alors même que le diesel coûte chaque année sept milliards d'euros en exonérations fiscales ?

Debut de section - Permalien
Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

C'est une longue histoire, une histoire européenne... Dans les années 1980, le diesel ne représentait qu'une petite part du marché. Il ne bénéficiait pas alors d'un gros avantage fiscal. Le diesel était l'atout technologique des constructeurs européens. Tenir le marché du diesel est donc devenu un moyen de les protéger de la concurrence japonaise. Depuis, le monde a changé. Le premier marché est devenu celui de l'essence, et la Chine est en passe d'y supplanter les États-Unis comme plus gros consommateur. En tous cas, l'industrie automobile européenne a su faire en sorte que les normes européennes fassent toujours une place spéciale au diesel : là où les États-Unis n'imposent qu'une seule norme d'émission pour le moteur, l'Europe en a deux, une norme essence et une norme diesel.

Si la volonté de réduire les émissions de CO2 a favorisé ce carburant, elle a conduit à la pollution aux particules : si un moteur diesel consomme moins qu'un moteur à essence, c'est qu'on le laissait émettre trois fois plus de NOx. A présent qu'il faut aussi lutter contre les particules, les petits moteurs diesel ont disparu. L'électrification des voitures nuira aussi au diesel, car le moteur à essence est plus facile à électrifier. Le marché français va donc continuer à se dé-diéséliser.

Debut de section - Permalien
Francis Duseux, président de l'union française des industries pétrolières (Ufip)

Nos raffineries ont été conçues dans les années 1960 pour fabriquer de l'essence. Progressivement, la part du gazole dans la consommation nationale a atteint 75 %. Nous sommes donc devenus exportateurs d'essence, notamment aux États-Unis. Mais l'arrivée des gaz de schiste et l'explosion de la pétrochimie ont mis un terme à ces exportations. Nous demandons depuis longtemps un rééquilibrage de la fiscalité - non pour réduire les émissions, mais pour sauver notre outil de raffinage.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Souhaitez-vous que la fiscalité soit la même pour l'essence et pour le diesel ?

Debut de section - Permalien
Francis Duseux, président de l'union française des industries pétrolières (Ufip)

Oui, pour stimuler la consommation d'essence. Depuis le début de l'année, les consommateurs s'orientent davantage vers les véhicules à essence de bas de gamme car la norme Euro 6 impose d'installer des filtres à particules, ce qui est trop onéreux sur les véhicules diesel de bas de gamme, qui se trouvent donc retirés de la vente. Nous allons donc vers un rééquilibrage progressif, mais un parc automobile dure quatorze ans... La part des moteurs à essence va augmenter, certains ne consommant que deux litres aux cent kilomètres, pour des poids très légers. Dans vingt ans, un véhicule sur deux aura un moteur hybride rechargeable car le coût de cette technologie, actuellement de 4 000 euros, baissera.

Nous discutons de la transition énergétique avec les pouvoirs publics et les acteurs du secteur. Tous s'accordent à dire que ces évolutions devrait réduire la consommation de carburant, de manière irréversible, de 20 % à 30 %. J'ajoute qu'une voiture à gazole consomme 15 % moins qu'une voiture à essence, et rejette donc moins de CO2.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

On nous a déjà servi ces arguments ce matin. Mais le diesel a un coût sanitaire, donc économique, incontestable. Qu'importe la consommation d'un véhicule ? L'important, c'est le coût global pour la société. Notre commission d'enquête évalue le coût économique et financier de la pollution de l'air, je le rappelle. Or l'impact sanitaire sur la population génère une charge pour la sécurité sociale, que quelqu'un doit bien payer : en l'occurrence, le contribuable et non le consommateur. Pour résumer, je comprends de vos propos que votre organisation, et l'industrie pétrolière en général, ne travaille pas sur les énergies renouvelables, qui ne sont pas son coeur de métier.

Debut de section - Permalien
Francis Duseux, président de l'union française des industries pétrolières (Ufip)

C'est faux. Nous sommes aussi des citoyens responsables - ne nous accusez pas de tous les maux ! - soucieux de consommer moins et mieux, de diversifier les énergies, d'éliminer le charbon et de lui substituer du gaz. Mais si vous éliminez tous les carburants pétroliers, les avions restent au sol, les bateaux dans les ports et les voitures au garage, les supermarchés ne sont plus approvisionnés... L'ensemble du trafic routier se fait avec des moteurs diesel, dont on a considérablement amélioré les performances. Une grève des routiers, et tout le pays est paralysé !

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Nous ne sommes pas déconnectés du réel ! Au risque de me répéter, notre sujet est le coût économique et financier de la pollution de l'air. Nous connaissons les contraintes, et la nécessité de s'inscrire dans une logique de transition. Mais nous savons aussi que la voiture électrique changerait votre schéma commercial.

Nous sommes au XXIe siècle, et vous proposez des solutions appartenant au passé. Pourtant, avec votre poids économique, vous pourriez être un levier du changement si vous souteniez la recherche sur les énergies renouvelables. Vos entreprises sont tout de même parmi les mieux loties ! Nous ferions ainsi, collectivement, de ce handicap qu'est la pollution de l'air une opportunité économique. Pour créer les emplois de demain dans le développement durable et les technologies innovantes, il faut des financements. Or vous êtes bien peu sensibles aux enjeux de la transition énergétique, et cela m'inquiète. Je ne tiens pas du tout un discours à charge, mais je constate que vous êtes enfermés dans vos schémas d'industries pétrolières, alors que vous êtes aussi une émanation de la société française, et devriez être des entreprises citoyennes, impulser une dynamique. D'ailleurs, vous ne subissez pas les normes, vous êtes un lobby très puissant ! Raison de plus pour vous emparer de ce sujet, ne fût-ce que pour assurer l'avenir de notre économie - j'ai bien compris que l'aspect sanitaire ne vous intéressait pas.

Debut de section - Permalien
Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

Nous avons conçu avec PSA une voiture consommant moins de deux litres pour cent kilomètres. Électricité, gaz, hydrogène : ces sujets sont notre pain quotidien. Voilà douze ans, j'ai construit une centrale hydrogène. En Allemagne, nous avons testé les bornes électriques, il y a quelques années... Nous réfléchissons à tout cela !

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Mon propos visait surtout l'Union française des énergies pétrolières.

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Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

On parle davantage du gaz en France à cause de la loi sur la transition énergétique et de la directive sur les infrastructures, mais nous intéressons au biogaz, comme aux biocarburants, depuis vingt ans ! Cela dit, il est difficile de savoir ce qui pollue le moins, si l'on prend en compte la source. Et il est impossible de prévoir avec précision l'avenir, de dire s'il faut développer plutôt tel carburant ou tel autre, de savoir quel sera l'intérêt des clients. Nous ne tirons donc pas de plans sur la comète, mais notre panoplie est déjà bien fournie, avec un peu de tout. Mais les clients sont très conservateurs, mis à part une frange d'environ 10 % early adopters, qui sont difficiles à fidéliser.

Actuellement, les normes sur l'émission de CO2 favorisent les moteurs diesel, qui bénéficient du facteur poids.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Croyez-vous aux véhicules électriques à l'horizon 2050 ?

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Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

Même avant ! La Poste, par exemple, pourrait typiquement s'en équiper. Bolloré a aussi eu une très bonne idée en louant un service, avec la recharge sur la place de parking. Mais le problème de la recharge reste entier : si nous doublons la capacité des batteries, il faudra seize heures pour faire le plein... Sans compter que l'appel de puissance sur le réseau sera difficile à gérer. Pour les particuliers, je crois plutôt au développement des véhicules hybrides rechargeables, à essence, qui deviendront plus accessibles. Le moteur à essence va reprendre le dessus, car il est plus facile à électrifier. On peut parier sur la date de la mort du diesel...

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Daniel le Breton, directeur marketing au sein de la direction environnement et marketing de Total

La Commission européenne compte réduire de moitié la circulation de véhicules à moteur thermiques dans les villes d'ici 2030 : les consommateurs s'orienteront donc forcément vers des moteurs électriques.

Debut de section - PermalienPhoto de Leila Aïchi

Merci pour cette belle conclusion, dont nous saurons nous inspirer dans notre rapport.

La réunion est levée à 13 heures.

Audition de M. Francis Duseux, président de l'Ufip, et de MM. Daniel Le Breton, directeur marketing, et Jean-Paul Cazalets, délégué environnement de Total

La réunion est ouverte à 14 h 05.