Mes chers collègues, je suis heureux d'accueillir ce matin Jean Pautrot, président du Conseil Magellan de l'International, que je remercie vivement d'avoir accepté notre invitation. C'est notre collègue Louis Duvernois qui m'a suggéré que nous organisions cette audition sur le thème de l'accompagnement à l'expatriation professionnelle de nos compatriotes.
L'expatriation est un vrai sujet et pose plusieurs types de questions : quelles sont les raisons - fiscalité, niveau de vie, marché du travail - qui poussent les uns et les autres à partir ? Dans quelles conditions, dans quelles proportions ? Et que révèle ce phénomène de la situation de notre pays ? À partir de quel niveau d'expatriation peut-on parler de crise ?
Sans doute Louis Duvernois voudra-t-il dire quelques mots d'introduction pour présenter plus avant notre invité.
Avant de lui céder la parole, laissez-moi un instant pour vous délivrer une petite information d'ordre interne : je vous confirme que c'est notre collègue Pascale Gruny, qui, sur la désignation du groupe Les Républicains, est désormais secrétaire au sein de notre Bureau en remplacement de Natacha Bouchart, démissionnaire.
À mon tour je souhaite la bienvenue au président Pautrot. Notre délégation ayant pour mission de réfléchir aux transformations de la société et de l'économie, la problématique de l'expatriation dont vous allez nous entretenir ce matin s'inscrit pleinement dans nos préoccupations.
Le Cercle Magellan a publié en 2014 un livre blanc de la mobilité internationale, dont le sous-titre mérite d'être cité tant il pose bien le sujet : « Pratiques et tendances en mobilité internationale : préoccupations des entreprises et des salariés expatriés. » L'expatriation est insuffisamment traitée dans les médias, elle ne fait pas la une de l'actualité alors que c'est véritablement un sujet de société qui transcende les clivages politiques. À en croire les statistiques consulaires, nous faisons face, à l'heure actuelle, à la troisième vague d'émigration de notre histoire, après celles qui ont suivi la révocation de l'édit de Nantes et la Révolution française.
Telles sont les raisons, monsieur Pautrot, qui m'ont conduit à souhaiter votre présence parmi nous ce matin. Je vous laisse la parole.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai d'autant plus de plaisir à me trouver parmi vous ce matin que le terme de « prospective » a beaucoup de sens pour moi. Jeune ingénieur à EDF voilà bien longtemps déjà, j'ai eu la chance de travailler au service des études économiques générales chargé de préparer la politique de cette grande maison. Deux anecdotes me reviennent en mémoire.
Tout d'abord, à mon arrivée, le directeur du service me convia dans son bureau et, me tendant des ouvrages qu'il venait de prendre dans sa bibliothèque, me dit : « Voici les sept premiers plans français. Je vous les confie pour un mois. À vous de me dire pourquoi je me suis trompé. » Il avait en effet été responsable de la partie énergétique de deux plans successifs. Après analyse, j'en arrivai à la conclusion que, sans vision, la prospective n'avait pas de sens et qu'il ne suffisait pas simplement d'extrapoler les tendances ou de repérer les ruptures pour livrer une analyse solide des futurs possibles et souhaitables.
Ensuite, il se trouve que, toujours attaché au service des études économiques générales d'EDF, je fus en quelque sorte, dans le cadre d'une étude, l'assistant de Jacques Lesourne, lequel exerça une grande influence sur la prospective française. Il m'avait un peu pris sous son aile. Je me souviens de cette phrase qu'il me glissa un matin : « L'avenir est un mélange de hasard, de nécessité et de volonté. » Je pense que c'est toujours vrai aujourd'hui : une carrière politique ou en entreprise se construit par des rencontres, des hasards, des nécessités liées à son profil personnel, et puis aussi par la volonté, l'envie de faire. Chacun le sait, pour être président de la République, par exemple, il faut une volonté de fer !
J'en viens, en quelques mots, à la présentation du Cercle Magellan. Réseau de directeurs et responsables des ressources humaines internationales, il compte parmi ses adhérents deux cents groupes français, soit mille quatre cents professionnels, ce qui représente de 40 000 à 50 000 expatriés. Il comprend trois clubs d'expertise : le premier se consacre à la mobilité internationale ; le deuxième traite des problématiques liées à la rémunération et aux avantages sociaux ; le troisième s'intéresse à la gestion des talents. Un quatrième club est en cours de création et s'attachera à favoriser l'expatriation dans les ETI, les entreprises de taille intermédiaire. Étant moi-même conseiller du commerce extérieur, je sais combien il est important pour les ETI de pouvoir se lancer sur le marché international, d'où la nécessité de les accompagner sur le plan des ressources humaines.
En parallèle, nous proposons trois MBA sur les thématiques que je viens de citer : mobilité internationale, rémunération et avantages sociaux, ressources humaines internationales. Les deux premiers figurent dans le top 5 des MBA internationaux, le troisième a eu le prix de l'innovation. Il y a une véritable osmose entre enseignants et élèves car ce sont des professionnels qui forment d'autres professionnels appelés à prendre des postes de responsabilité dans les ressources humaines internationales.
Le Cercle Magellan jouit d'une très grande liberté puisqu'il est totalement financé par les cotisations et ne reçoit aucune subvention. Notre domaine d'action se limite à des questions purement pratiques et techniques. Nous n'entrons pas dans le débat politique. Le Conseil Magellan de l'International, que je préside depuis sa création au sein du Cercle en 2004, est un organe permanent de liaison entre les professionnels concernés et les pouvoirs publics. Nous éditons périodiquement un livre blanc, qui comporte à la fois les diagnostics que nous posons sur le fonctionnement de la mobilité internationale, ainsi que des propositions dont nous souhaitons débattre aussi bien avec les administrations qu'avec les cabinets ministériels. Ce livre blanc, que je vous adresserai, est un instrument de travail entre nous et les pouvoirs publics, et absolument pas un instrument de lobbying. Sa diffusion est nominative. Nous ne le donnons jamais aux journalistes.
Notre rencontre d'aujourd'hui arrive à point nommé puisqu'il y a quelques jours est sortie une enquête menée par Ipsos et la Banque Transatlantique sur la mobilité internationale, dont les conclusions viennent étayer mes convictions. Elle comporte des chiffres qui méritent d'être commentés.
Cette enquête a été réalisée auprès d'un échantillon de Français résidant à l'étranger inscrits dans les consulats. Sur les 2,5 millions de compatriotes expatriés français, à peu près la moitié seulement est inscrite dans les consulats. Or c'est une démarche qui a toute son importance, ne serait-ce que pour des questions de sécurité, car cela permet d'être joignable au moindre problème.
L'enquête souligne, tout d'abord, que 75 % des Français résidant à l'étranger sont actifs et que, parmi les inactifs, on compte 15 % de retraités et très peu de personnes en recherche d'emploi et d'étudiants.
Au premier rang des raisons avancées pour s'établir hors de France apparaît la volonté de faire progresser sa carrière professionnelle. Ce qui fait débat, c'est de savoir si l'on part pour progresser dans le cadre de l'entreprise ou parce que l'on n'a pas de travail en France. Cela ne ressort pas expressément de l'enquête mais j'aurais tendance à penser que les plus jeunes diplômés partent parce qu'ils éprouvent des difficultés à trouver du travail. Ils sont d'autant plus enclins à le faire qu'ils acquièrent une bonne connaissance de l'international au travers de leur cursus universitaire au cours duquel ils sont désormais amenés à effectuer un séjour d'au moins six mois à l'étranger. Pour ces jeunes, l'international fait partie de leur terrain de jeu.
L'expatriation est source de problème pour les entreprises, je ne le cache pas, car très faible est le nombre des salariés qui partent pour plus d'un an à l'étranger travailler dans une filiale alors que beaucoup de jeunes diplômés veulent partir. Ainsi les entreprises du CAC 40 comptent-elles dans leur effectif global moins de 1 % d'expatriés, soit, en moyenne, entre quatre cents et mille deux cents personnes pour des groupes comme Danone ou EDF. Autant dire peanuts ! La jeune génération s'imagine pouvoir s'expatrier dès qu'elle arrive en entreprise : elle est généralement déçue ; hormis un certain nombre de dispositifs permettant l'expatriation, dont le VIE, le volontariat international en entreprise, la possibilité de partir à l'étranger est loin d'être systématique.
Aujourd'hui, dans le monde de l'entreprise, ce qui se développe le plus, c'est la mission de courte durée, d'une semaine à quatre ou cinq mois. Cette forme de mobilité internationale a ses avantages et ses inconvénients. Elle favorise les doubles carrières au sein du couple alors qu'une expatriation de plusieurs années contraint fréquemment le conjoint à s'arrêter de travailler, faute d'obtenir un permis de travail dans le pays d'accueil ou de connaître suffisamment la langue. Pour l'entreprise, la mission de courte durée coûte moins cher, lui évite de supporter frais de logement et de scolarité. Tout le monde s'y retrouve, sauf les jeunes cadres qui voudraient vivre à l'étranger.
Autres raisons principales pour lesquelles nos compatriotes partent : vivre avec un proche et avoir un meilleur niveau de vie. Si l'ère coloniale est depuis longtemps révolue, le fantasme de l'expatrié gagnant un pactole et ayant de nombreux gens de maison à son service a toujours cours aujourd'hui. Même au sein des plus grands entreprises, qui offrent tout un package significatif, le statut de l'expatrié n'est plus si enviable surtout lorsque le conjoint est obligé d'arrêter de travailler : le revenu global de la famille risque d'être inférieur à celui qu'elle percevait en France.
Alors, pourquoi partir dans ces conditions ? En s'expatriant, nos compatriotes font en quelque sorte un investissement sur la famille et notamment sur les enfants, auxquels ils offrent une expérience « mondialisée ». Voilà pourquoi on trouve beaucoup plus de candidats à l'expatriation vers Londres ou New York que vers Budapest.
Du côté des employeurs, l'enquête de l'Ipsos met en lumière la loi des 80-20 : les 75 % d'expatriés actifs sont employés, à 80 %, par un employeur étranger, à 20 %, par un employeur français. Les entreprises françaises ne représentent donc que 14 % des employeurs de nos compatriotes. C'est une donnée importante à avoir à l'esprit car elle a des répercussions importantes sur la nature du contrat de travail. En fait, 67 % de ceux qui travaillent ont trouvé un travail directement sur place auprès d'employeurs souvent étrangers et ont un contrat de travail local.
Qui dit contrat local dit finalement une certaine coupure avec la protection sociale française. Or, chacun le sait, notre système de santé est peut-être dans une situation préoccupante d'un point de vue financier mais c'est aussi l'un des meilleurs au monde. Les expatriés interrogés à ce sujet s'en rendent d'ailleurs compte dès qu'ils ont quitté la France. Se pose également la question de la retraite, qui est, dans le domaine de la mobilité internationale, l'une des plus complexes à appréhender, donnant lieu à de savants calculs. C'est la raison pour laquelle nous demandons la compatibilité entre les différents systèmes de retraite, qui n'existe pas pour l'instant entre l'Union européenne et le reste du monde.
Parmi les 20 % d'actifs sous contrat avec un employeur français, 14 % ont été envoyés à l'étranger par leur employeur et 6 % ont été recrutés par un employeur en France spécialement pour travailler à l'étranger.
L'expatriation d'entreprise se fait généralement sur des durées de quelques années, moins de cinq ans en tout cas. À la question « Depuis combien de temps vivez-vous hors de France ? », 19 % des Français interrogés dans le cadre de l'enquête ont répondu « depuis moins de cinq ans », 46 %, « depuis six à vingt ans », et 28 %, « depuis plus de vingt ans ». Cela traduit une forme de sédentarisation à l'étranger, qui peut s'expliquer doublement : par le nombre de mariages mixtes, d'une part ; par le fait que 16 % des expatriés actifs sont leur propre patron ou des travailleurs indépendants et n'ont pas de raisons de revenir, d'autre part.
Les expatriés sont 45 % à dire que la France leur manque, quelle que soit la durée de résidence à l'étranger. Ils reviennent relativement fréquemment en France, 70 % d'entre eux une fois ou plus par an, essentiellement pour des raisons familiales. Ils entretiennent un fort sentiment d'appartenance à la communauté française puisque 52 % se sentent Français avant tout, 40 % de deux nationalités. Cela a des répercussions notamment sur les systèmes d'enseignement.
Siégeant au conseil d'administration de la Mission laïque française au titre des écoles d'entreprise, j'ai participé, en 2013, à la définition des orientations stratégiques de l'enseignement français à l'étranger, qui ont été validées par le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius. Il y est notamment souligné avec insistance la nécessité de promouvoir, au vu de la multiplicité des situations personnelles, une certaine diversité de cet enseignement. Les enfants de ceux qui partent pour quelques années doivent pouvoir recevoir un enseignement homologué pour éviter tout risque de redoublement à leur retour en France. Les enfants appelés à rester durablement à l'étranger, voire à ne jamais revenir en France, tireront avantage d'un enseignement avec une dimension française, certes, mais pleinement intégré dans le pays. C'est dans cet esprit qu'est développé le label FrancÉducation ainsi que le programme Flam - pour « français langue maternelle » -, qui est une initiation culturelle à destination des jeunes enfants issus notamment des mariages mixtes. Parce que nos compatriotes expriment un fort sentiment d'appartenance à notre culture française et leur fierté d'être Français, il faut un enseignement diversifié qui puisse répondre aux différentes attentes et permette de maintenir un lien avec la France.
J'aborderai une dernière question, celle du retour, dont je sais l'importance par mes activités de coaching. L'enquête le montre bien, le retour en France fait peur : 42 % des expatriés ont ce sentiment en tête et seuls 50 % envisagent de revenir. Il faut en être bien conscient, la France est un pays que l'on peut qualifier d'« ethnocentré » : nous restons focalisés sur nous-mêmes et tous ceux qui sont partis sont en quelque sorte considérés comme des « pestiférés ». Le retour est difficile, c'est vrai dans beaucoup de cultures, mais particulièrement chez nous. L'une de mes activités, en tant que coach, consiste justement à aider les expatriés à retrouver leurs marques une fois revenus.
De retour en France, beaucoup démissionnent de leur entreprise et repartent à l'étranger. Ceux qui ont la force de s'y maintenir recueillent généralement les fruits de l'expatriation au deuxième poste, une fois les compétences acquises « revalidées ».
J'insiste sur ce point, l'accueil des expatriés de retour en France est un enjeu majeur. Malheureusement, la situation actuelle est loin d'être favorable, en raison notamment des peurs et des blocages qui taraudent la société française, sur lesquels je ne m'étendrai pas. Pourtant, les expatriés désireux de revenir peuvent incarner des agents de changement de la société : ils ont su vivre dans un milieu différent et ont pris un certain recul.
Vous avez donné les principales motivations justifiant le départ d'un certain nombre de jeunes à l'étranger mais vous n'avez pas évoqué l'aspect fiscal, qui est pourtant parfois pointé du doigt dans les médias.
Certains disent que le poids de la fiscalité en France et l'espérance d'avoir un niveau de vie satisfaisant incitent au départ. Est-ce une réalité ou juste un argument dont usent les politiques pour entretenir la polémique ?
De nombreux jeunes partent à l'étranger, c'est un fait. Vous l'avez dit, l'international fait partie de leur terrain de jeu, tout en soulignant la difficulté de revenir. Il y a là un enjeu majeur. L'expatriation de nos talents fait partie de leur formation et participe au rayonnement de la France dans le monde. Mais il est tout aussi important, soit de les faire revenir, soit de conserver un lien avec eux.
Quelles seraient les deux ou trois mesures à mettre en oeuvre en ce sens ? Comment faire vivre ce qui constitue, au fond, un extraordinaire réseau ?
Question complémentaire : que se passe-t-il au moment de la retraite ? Les expatriés rentrent-ils en France ou restent-ils dans leur pays d'accueil ?
Nous vivons dans un monde globalisé, les frontières se sont abaissées, les moyens de communication d'aujourd'hui n'ont rien à voir avec ceux dont nous disposions il y a vingt ans. Il est donc logique que les jeunes aient envie de voir ailleurs ce qui se passe. Leur terrain de jeu, voilà quarante ou cinquante ans, c'était la ville. Puis ce fut le département, la région. C'est maintenant l'Europe et même au-delà. Rien de surprenant ni d'inquiétant à cela.
En revanche, il serait intéressant de s'intéresser à la richesse d'expérience que les expatriés pourraient apporter à la France à leur retour. Ce phénomène de l'expatriation est-il franco-français ou y a-t-il un parallèle avec ce qui s'observe en Europe ou aux États-Unis ? Si différence il y a, quelles en sont les raisons objectives ?
Pour l'instant, aucun benchmark de ce type n'existe au niveau de l'Europe, mais ce serait sans doute intéressant de songer à en élaborer un.
Pour les jeunes, et pour les moins jeunes d'ailleurs, la fiscalité n'est pas, de mon point de vue, un élément déterminant dans le choix de s'expatrier.
S'agissant des réseaux, malheureusement, la culture française ne sait pas suffisamment exploiter les siens et cela me navre beaucoup. Une association des anciens élèves de l'enseignement français à l'étranger a été créée mais elle est très récente. Il faut savoir que, parmi ces élèves, on compte seulement un tiers de Français. Les étrangers qui ont été nourris à la « mamelle de la France » devraient être nos meilleurs ambassadeurs. Or ce n'est pas le cas, nous n'avons pas gardé de lien avec eux et nous ne les sollicitons pas.
Oui, et c'est préjudiciable. Je conseille toujours à ceux qui partent de faire vivre leurs réseaux en France, de garder le contact. Très peu le font : loin des yeux, loin du coeur...
En définitive, qu'est-ce qui fait partir les jeunes aujourd'hui ? La peur du chômage ? C'est un peu vrai. Le monde étant, je l'ai dit, leur terrain de jeu, ils se rendent compte à quel point la culture française se caractérise par son côté hiérarchique. Dans les entreprises, les occasions de rencontrer le P-DG sont rarissimes. Et que dire des universités, où il est pratiquement inenvisageable de pouvoir dialoguer avec un grand professeur. À Harvard, ou sur les autres campus des États-Unis, si vous envoyez un courriel à un enseignant, il vous répondra dans les cinq minutes ! C'est ça qui plaît aux jeunes. En France, les choses évoluent trop lentement dans ce domaine.
Autre exemple : dans de nombreuses régions de France, il est impossible d'écouter une radio anglophone en voiture. Nous parlons encore très mal anglais. Cette « fermeture culturelle » est particulièrement ennuyeuse.
J'ai été membre de la commission d'enquête sénatoriale sur l'évasion fiscale. Vous n'imaginez pas les difficultés que nous avons rencontrées pour que les hauts fonctionnaires de Bercy acceptent de nous donner le nombre véritable d'évadés fiscaux. Après être revenus plusieurs fois à la charge, nous avons eu gain de cause. C'est consigné dans le rapport, moins de 1 % des Français expatriés sont des évadés fiscaux.
Certes. Je ne me fais l'avocat de personne en disant cela mais le fait est que la réalité est bien différente de la perception qu'en ont nos compatriotes, qui placent la fiscalité parmi les premières raisons qui justifieraient l'expatriation.
C'est plus facile de faire les gros titres de la presse avec des histoires d'évasion fiscale...
Eh oui.
Sur l'enseignement, vous l'avez rappelé, monsieur Pautrot, les élèves fréquentant les établissements du réseau homologué par l'éducation nationale sont, pour les deux tiers, des étrangers. Heureusement qu'ils sont là, faute de quoi nous ne pourrions pas financer la scolarité des petits Français à l'étranger puisque l'État se défausse financièrement, et ce depuis longtemps. Nous en sommes arrivés à une situation limite de ce point de vue.
Le réseau homologué accueille 115 000 enfants de familles d'expatriés. Mais il y en a 350 000 autres qui ne sont pas scolarisés dans ce cadre et qui, en moins de dix ans, seront totalement perdus pour la langue et la culture françaises.
D'où l'intérêt de développer aussi le label FrancÉducation.
Vous avez raison, le financement est un vrai enjeu. J'avais fait une proposition, à laquelle je tiens beaucoup, qui n'a pas été retenue dans les orientations validées par Laurent Fabius. Dans la mesure où l'État, et c'est normal, ne pourra jamais financer la totalité des établissements et que les entreprises s'intéressent d'abord aux projets qui les concernent directement, et c'est normal aussi, il conviendrait de promouvoir le fundraising auprès notamment des anciens élèves, français ou étrangers. Je milite également pour la création d'un produit éligible à la réduction d'IR ou d'ISF, car je suis convaincu qu'un certain nombre de familles d'expatriés pourraient par ce biais affecter des fonds au financement des établissements. Je ne désespère pas d'être un jour entendu.
J'en viens à la question du retour au moment de la retraite. Nombreux sont ceux qui reviennent en France une fois qu'ils ont cessé leur activité professionnelle. Statistiquement, je le répète, les Français expatriés sont, à 75 %, des actifs, à 25 % des inactifs, dont 15 % de retraités, soit une proportion très faible. En revanche, on assiste à un mouvement de retraités qui partent à l'étranger - Maroc, Portugal, Tunisie,... - pour augmenter leur niveau de vie. Pour le coach que je suis, c'est une erreur car, d'un point de vue psychologique, cela équivaut à faire une double coupure.
La bilocalisation est fréquente aussi, notamment chez les couples mixtes.
Les expatriés sont de plus en plus soucieux des aspects retraite et protection sociale, même quand ils sont jeunes. Ceux qui auront été recrutés localement se verront un jour contraints d'en venir au contentieux quand ils s'apercevront du niveau dérisoire de leur retraite dans certains pays.
Les entreprises, soucieuses de maîtriser leurs coûts, ont tendance à diminuer les packages mais on constate tout de même l'émergence de services à la famille : accompagnement de conjoints expatriés, offres de stages sur l'interculturel pour permettre à la famille de mieux s'intégrer au tissu local dans le cadre d'expatriation de quelques années, etc.
Je souhaite maintenant vous livrer quelques-unes des préoccupations que nous avons exprimées au travers du livre blanc. Nous les avons classées selon les quatre critères suivants, même s'ils n'apparaissent pas explicitement dans l'ouvrage : simplification ; équité de traitement ; domaines spécifiques ; information.
Toutes ces questions concernent non seulement l'expatriation, mais aussi son corollaire, l'impatriation, car les entreprises françaises emploient à la fois des expatriés français à l'étranger et des salariés venant de tous les pays en France.
La simplification administrative est une oeuvre toujours inachevée. C'est peu dire que le retour est difficile, il peut même être épouvantable. L'administration française étant souvent territoriale, ceux qui sont au guichet ne peuvent connaître les nombreuses situations particulières. Nous prônons le développement de guichets uniques et, partant, d'une expertise dédiée, ainsi que la multiplication des procédures dématérialisées.
L'équité de traitement entre résidents et non-résidents est encore loin d'être acquise. Par exemple, le bénéfice d'un certain nombre de défiscalisations - PEA, défiscalisation immobilière - disparaît une fois expatrié. Nous suggérons de geler, non de maintenir, le dispositif pendant toute la durée de l'expatriation, et ce afin de pouvoir conserver l'antériorité fiscale. Autre problème au moment du retour : le risque de subir des délais de carence, notamment au regard de la sécurité sociale ; celui de ne pas avoir droit au chômage faute d'avoir travaillé en France.
Une autre mesure serait très facile à mettre en oeuvre : instaurer un motif de congé sans solde pour suivre son conjoint, ce qui n'existe pas à l'heure actuelle. Certes, l'entreprise peut l'accorder, mais elle n'y est pas obligée, le conjoint est alors conduit à démissionner. C'est une mesure que j'ai proposée à l'administration il y a très peu de temps ; elle y réfléchit.
Je souhaite dire un mot sur la CFE, la Caisse des Français de l'étranger, dont l'utilité a été débattue récemment. À cet égard, je me félicite des conclusions du rapport de la mission commune de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des finances, pour laquelle j'ai moi-même été auditionné, qui ont confirmé le bien-fondé de la CFE. Voilà une structure très importante pour nos compatriotes : elle a le mérite de s'inscrire dans le cadre juridique français tout ayant une souplesse que n'aura jamais la sécurité sociale quand on s'adresse directement à elle.
Qui plus est, la CFE est bénéficiaire. C'est rare pour une caisse primaire.
Tout à fait.
Le Cercle Magellan milite en outre pour la mise en place d'un CDD à objet défini adossé à un contrat de travail externe. En France, on a soit un CDI, soit un CDD de vingt-quatre mois maximum. Or un certain nombre d'impatriés, venant par exemple des États-Unis, se voient accorder un CDI alors même qu'ils bénéficient d'un contrat de retour, ce qui leur permet de réclamer un licenciement en bonne et due forme à leur départ. Ce n'est pas normal, car il ne s'agit pas réellement d'un licenciement, mais on ne peut pas le traiter autrement en droit français.
En termes d'information, la protection sociale et la fiscalité sont vraiment le talon d'Achille pour ceux qui arrivent de l'étranger, ne serait-ce qu'en raison de l'absence de traduction en anglais d'un certain nombre de notices.
Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques éléments d'information que je souhaitais porter à votre connaissance ce matin. Ils n'épuisent pas le sujet mais tel n'était pas non plus l'objet de notre rencontre. Je vous ferai parvenir à la fois le livre blanc et quelques articles que j'ai écrits sur les questions traitant de l'interculturel. Je signale la sortie récente de L'encyclopédie du management, à la rédaction de laquelle j'ai participé, qui propose un éclairage sur le profil des managers à l'international.
Je tiens à vous remercier, monsieur Pautrot, de nous avoir livré une analyse très objective. Vous étiez dans le vrai, et la réalité, croyez-moi, n'a rien de partisan. Dans ce monde où communication et médias dominent, on parle souvent des expatriés sous un angle négatif. Vous l'avez expliqué, nous sommes un pays ethnocentré, peu ouvert sur les autres, qui traverse à l'heure actuelle une crise d'identité, voire identitaire. Chacun peut se retrouver dans ce propos et apporter, en fonction de ses engagements personnels et politiques, les réponses qu'il juge appropriées.
Dans pareille situation, on ne peut pas dissocier le retour du départ. Un colloque s'est tenu au Sénat cette semaine, qui devait à l'origine ne porter que sur la question du retour. Avec d'autres collègues représentant les Français établis hors de France, j'ai fait remonter à l'organisatrice le fait que, sans méconnaître ce problème du retour, il faudrait peut-être d'abord s'intéresser aux motivations du départ.
La mobilité internationale est d'abord un problème français et ne concerne pas uniquement nos seuls compatriotes établis hors de France. Il obéit à une globalisation du monde. La globalisation du monde est une réalité : nous ne l'avons peut-être pas souhaitée mais elle existe. Pour qu'il ait toute sa place dans cette dynamique majeure, notre pays, outre la volonté de réforme qui doit l'animer, aurait tout à gagner à promouvoir l'expérience de nos compatriotes qui partent à l'étranger et contribuent à le rendre plus compétitif tout en incarnant cette singularité française que nous sommes en mesure d'apporter dans un monde de plus en plus complexe.
Je vous remercie, monsieur Pautrot, de ces éclairages intéressants sur un sujet important pour notre pays.