Monsieur le ministre, madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, chers collègues sénateurs, il est important de bien montrer aux Français l'importance que nous attachons à la capacité de l'État d'être rassemblé pour faire face à la tragédie. En ces jours de tristesse et de mobilisation nationale autour de nos institutions, il existe de petits moments de soleil ; la présence des députés parmi nous en est un, et je remercie le ministre pour sa disponibilité en cette période difficile.
Mme Guigou et moi-même allons introduire notre débat, puis trois questions de sénateurs seront posées, suivies de trois questions de députés. Nous laisserons ensuite le ministre répondre, avant de poursuivre s'il y a d'autres interventions.
Monsieur le ministre, nous sommes tous marqués par l'intervention du Chef de l'État, hier, devant le Parlement réuni en Congrès, notamment en ce qui concerne la politique étrangère, compte tenu d'un certain nombre d'orientations qu'il a définies.
Notre interrogation est forte sur plusieurs sujets.
Tout d'abord, en ce qui concerne la définition de l'ennemi, la clarification est de plus en plus nette. L'ennemi, c'est l'État islamique, c'est Daech. Nous hiérarchisons nos objectifs et clarifions bien cette position. Il y a là un point qui nous rassemble tous ici : quand on fait la guerre, on la fait contre un ennemi identifié et localisable.
Nous avons également entendu le Président de la République rejoindre l'idée d'une seule coalition, que la Russie puisse notamment intégrer, afin qu'il y ait, sur le terrain, une seule stratégie contre Daech, et qu'une alliance se forme avec nos partenaires sur ce sujet.
Vous nous direz par ailleurs l'évaluation que vous faites des discussions qui se tiennent à Vienne en vue d'une sortie de la crise syrienne, et vous nous préciserez comment vous ressentez l'association des sunnites aux responsabilités, ce qui constitue l'un de nos objectifs fondamentaux.
Vous nous donnerez peut-être également votre appréciation des frappes françaises réalisées en Syrie, mais c'est un sujet plus militaire que diplomatique.
Je laisse à présent la parole à Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, en lui souhaitant la bienvenue.
Merci beaucoup, monsieur le président, mes chers collègues, de nous accueillir au Sénat. Nous nous réjouissons de cette réunion.
Nous sommes tous encore sous le coup de cette terrible tragédie. Les victimes ne sont pas encore toutes identifiées. Les jours à venir vont être très douloureux. Les services publics de sécurité et de secours ont été admirables.
Hier, le Président de République a présenté des décisions lors du Congrès du Parlement, au cours d'un très beau moment d'unité nationale. Les terroristes de Daech n'attendent qu'une chose, que notre pays se divise. Il est donc très important que l'on puisse multiplier les moments d'échange et d'analyse commune pour essayer d'être plus efficaces et plus pertinents dans nos réactions.
Comme vous, j'ai plusieurs questions à poser au ministre, que je remercie pour sa disponibilité à l'égard du Parlement.
Tout d'abord, où en est-on sur le terrain face à Daech ? Daech est maintenant limité dans son expansion, a subi des revers assez sérieux en Irak. Les attentats ne sont-ils pas une façon de compenser ce relatif faux plat, de continuer à alimenter la surenchère dans l'horreur ? Que vise donc Daech ? Pourquoi notre pays est-il sa principale cible ? Sans doute est-ce en raison de ce que représente la France, mais votre analyse m'intéresserait beaucoup, monsieur le ministre.
En second lieu, à la suite des annonces du Président de République - formation d'une grande coalition, nouvelle proposition de résolution au Conseil de sécurité des Nations unies - comment voyez-vous les évolutions dans les prochains jours ? La Russie vous paraît-elle, après les réunions de Vienne et du G20, susceptible de réaliser des ouvertures dans le sens que nous souhaitons ? Qu'en est-il de l'Iran ? Quel va être le contenu de la résolution que notre pays va proposer aux Nations unies ?
En Syrie, on voit bien que l'ensemble des pays réunis maintenant autour de la table souhaite une solution politique et ne croit pas aux solutions militaires, même si des actions en ce sens sont nécessaires. Comment voyez-vous le jeu des différents acteurs ? Pensez-vous qu'un processus vers une transition soit engagé -même si nous avons bien compris qu'il existait toujours des divergences sur le sort de Bachar al-Assad ?
Enfin, s'agissant des frappes militaires, que pensez-vous que l'on puisse obtenir des Européens ? Le ministre de la défense a confirmé à l'Assemblée nationale qu'il avait demandé l'activation de l'article 42-7 du traité de Lisbonne, qui constitue une clause d'assistance mutuelle. Le traité prévoit également une clause de solidarité. Il semble que la proposition française ait reçu un accueil favorable de nos partenaires. Comment voyez-vous la suite ?
Monsieur le ministre, j'aimerais évoquer les objectifs que la France s'est fixés pour lutter contre Daech - ou l'État islamique. Une précision serait du reste utile à ce sujet, car un certain nombre d'experts préconisent d'utiliser l'expression d' « État islamique », alors que vous-même avez expliqué plusieurs fois qu'il ne fallait pas l'employer. J'aimerais avoir votre sentiment sur ce point.
Je veux revenir sur ce qui se passe actuellement - et que nous approuvons : je veux parler des bombardements ciblés sur les installations militaires. Tout le monde sait que ces bombardements ne mettront pas fin à la domination de Daech, tous les experts le disent.
En revanche, on en sait un tout petit peu plus sur la manière dont Daech se finance, et notamment sur cette fameuse « contrebande du pétrole » qui prend une forme bien identifiable, puisqu'on parle de mille à deux mille camions sur des routes conduisant vers le sud de la Turquie. Ce sont des objectifs bien identifiables. Les forces aériennes françaises ont montré que de petits pickups, au Mali, pouvaient être détruits dans l'instant. Une bonne stratégie ne consisterait-elle pas à couper ces routes pour empêcher toute contrebande ?
Vous revenez de Turquie. Le comportement de M. Erdoðan ne laisse pas de poser des questions. Avez-vous obtenu des engagements de la part du premier ministre turc pour faire en sorte qu'il lutte contre cette contrebande ? S'il veut s'associer au mouvement de lutte contre le terrorisme, voilà un moyen efficace : faire en sorte que des oligarques turcs cessent de gagner de l'argent en achetant du pétrole de contrebande ! Ne pensez-vous pas que, parmi les objectifs que les armées françaises peuvent se fixer, il peut y avoir aussi, de manière plus prégnante, la fin de ce trafic de camions, qui rapporte chaque jour des centaines de millions de dollars à l'État islamique - ou à Daech, suivant l'appellation que l'on doit employer ?
Monsieur le ministre, peut-on envisager de résoudre la question de Daech sans un dialogue stratégique avec la Turquie et l'Iran ?
En second lieu, jusqu'à quel point peut-on soutenir l'Arabie saoudite sans cautionner l'évolution de son prosélytisme radical ?
Quelle est votre vision de l'alternative politique pour les sunnites irakiens une fois Daech éradiqué, ainsi que je l'espère ?
Beaucoup de choses ont été dites à propos de la Syrie. Y a-t-il aujourd'hui un changement de pied s'agissant de la priorité qui doit être donnée à la lutte contre Daech ?
Quelles conséquences cela aura-il dans cette période de transition ? Tout le monde a le départ du président syrien à l'esprit, mais j'ai le sentiment que la question est aujourd'hui de savoir comment gérer la situation d'ici là. Qu'est-ce qui est acceptable, qu'est-ce qui ne l'est pas ?
La parole est aux députés.
Monsieur le ministre, depuis quelques jours, les événements se sont télescopés, avec des réunions programmées à Vienne, le G20, auquel vous avez participé et, malheureusement, les attentats terroristes, qu'il s'agisse de l'avion civil russe, en Égypte, ou de ceux de Beyrouth et de Paris. C'est pourquoi la diplomatie connaît une phase active et accélérée.
Pouvez-vous nous préciser en quoi consisterait la saisine du Conseil de sécurité des Nations unies ? Qui en est à l'initiative ? Comment faire pour que cela passe la rampe du Conseil de sécurité ?
La coalition internationale qui a été évoquée serait une véritable réponse coordonnée aux attentats. Quel en serait le périmètre ?
Monsieur le ministre, quelle va être la réponse de l'Europe à la fois sur le plan diplomatique, mais aussi sur le plan du financement des actions militaires qui vont être nécessaires ?
A-t-on déjà une idée, dans cette affaire, de la solidarité européenne, qui ne s'est pas manifestée jusqu'ici ?
Monsieur le ministre, je ne vais pas citer Edgar Faure et le monde qui change, mais avez-vous véritablement changé d'avis concernant les sanctions à l'égard de la Russie ? Je sais que vous étiez extrêmement modéré en la matière - je vous en donne acte - et que nous avons suivi les ultras Européens et les Américains.
S'agissant de la Syrie, nous sommes dans l'attente : avez-vous fondamentalement changé d'avis sur le fait de savoir qui est l'ennemi ?
Enfin, la Turquie, dont je reviens, joue un drôle de jeu, un jeu d'apprenti sorcier, tout comme l'Arabie saoudite. Vous avez donné une conférence à Paris à laquelle je n'étais pas présent, mais j'ai compris que vous tentiez d'amener l'Arabie saoudite à un changement. Comment la nouvelle ligne française peut-elle être acceptée par notre client majeur qu'est l'Arabie saoudite ?
Merci à tous d'avoir pris sur votre temps pour que nous puissions aborder ces questions très importantes. Je trouve excellent que nous puissions être rassemblés pour aborder des sujets aussi importants. Beaucoup d'autres questions auraient pu intervenir, mais vous avez rassemblé les principales. Ce sont des sujets sur lesquels le Président de la République et moi-même avons travaillé tous ces jours-ci.
Après ces attentats terribles de vendredi, nous avons jugé bon que j'aille à Vienne, le samedi, pour la réunion sur la Syrie, étant donné le rapport entre les deux.
Le Président de la République étant obligé de rester à Paris, il m'a demandé - ce que j'ai fait avec beaucoup d'intérêt, de plaisir et d'honneur - de le remplacer au G20. Je vous en parlerai : cela donne l'occasion de voir beaucoup de gens. Hier, le Président de la République s'est adressé au Congrès du Parlement, à Versailles.
La semaine prochaine, nous irons d'abord à Washington, puis à Moscou. Entre-temps, pour la COP 21, je m'en vais ce week-end en Inde, en Afrique du Sud et au Brésil, afin de visiter quelques pays dont il m'a semblé qu'ils étaient plus difficiles à convaincre que d'autres.
Au milieu de tout cela, je trouve tout à fait normal et légitime de vous rendre compte.
Je prendrai les questions dans le désordre, beaucoup se recoupant...
Sur le plan militaire, il est évident que l'adversaire, l'ennemi, c'est Daech, mais aussi Jabhat al-Nosra, qui sont des organisations considérées comme terroristes par les Nations unies elles-mêmes.
Dès le début, nous avons dit - et cela rejoint la question de la coalition - que toutes les forces devaient être concentrées contre cet ennemi.
Lorsque le président Poutine a avancé sa proposition de grande coalition, je me trouvais aux Nations unies, et j'ai répondu au nom de la France que c'était une bonne idée dès lors que trois conditions étaient remplies, en premier lieu que les Russes frappent Daech, et non les éléments modérés, en second lieu qu'il existe une transition politique - j'y reviendrai - et enfin qu'on se préoccupe des questions humanitaires - les « barrels bombs » - et de la libération de plusieurs zones.
Il peut y avoir bien des évolutions et des adaptations. C'est tout à fait normal, et le contraire serait absurde, mais constatons que, si les choses se poursuivent comme aujourd'hui, c'est le président russe qui revient sur une de ses conditions, 80 % des frappes russes étant jusqu'à présent destinées à l'opposition modérée. Ce n'est pas tout à fait un hasard si des frappes massives sont intervenues aujourd'hui sur Raqqah.
Il y a à cela à mon sens deux raisons. En premier lieu, les Russes se sont rendus à l'évidence : l'explosion de l'avion égyptien étant bien d'origine terroriste, ils ont voulu répliquer. En second lieu, la France elle-même a montré le chemin en bombardant durement Raqqah.
L'un des préalables que nous avons mis à cette coalition internationale, qui doit être la plus large possible, est désormais rempli par les Russes - surtout s'ils continuent.
Pour ce qui est du politique, je serai amené, en répondant à vos questions à propos de Vienne, à être plus nuancé. Le Président de la République et moi-même avons la même attitude. Il n'existe pas, comme je le lis parfois dans les journaux, une ligne Fabius, une ligne Hollande, une ligne Valls. Nous délibérons de tout cela ensemble et prenons la même position. Tel ou tel peut avoir intérêt à laisser entendre certaines choses, mais la réalité, c'est qu'il n'y a qu'une seule politique.
Nous continuons à considérer que nous ne parviendrons pas à une unité syrienne telle que celle définie dans le texte de Vienne, où chacun aura le droit de cité, une Syrie libre si, au bout du processus, Bachar al-Assad continue à présider aux destinées de son pays. Nous continuons d'en être convaincus, non pas seulement pour des raisons morales, mais pour des raisons d'efficacité, du fait de l'Histoire.
Ce n'est toutefois pas la même chose de considérer que ceci doit intervenir au début du processus ou à tel ou tel moment de celui-ci. C'est de la diplomatie, c'est normal.
Pour ce qui est de l'aspect politique, il existe une différence d'approche entre la France, la Russie et l'Iran. L'aspect humanitaire reste important car, tous les jours, la population reçoit des bombes, et il faut trouver des solutions.
Vous m'avez invité à vous parler de Vienne. Il s'agit de la seconde réunion que nous tenions. L'intérêt réside dans le fait que nous sommes une quinzaine autour de la table - membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, Iran, Arabie saoudite. C'est là un fait nouveau et positif.
La première réunion a été difficile Le texte de départ, assez détaillé, abordait les questions de la réunion de l'opposition, du cessez-le-feu, du gouvernement d'union, du changement de Constitution, de l'élection. La nouvelle réunion convoquée samedi dernier, a été assez dure elle aussi, mais nous sommes davantage entrés dans les détails. Je pense que le texte a été publié. Celui-ci fixe tout un processus, et c'est nouveau.
Il précise ce que l'on va essayer de faire pour réunir l'opposition, bâtir un gouvernement de transition et une nouvelle constitution. Au bout du compte, des élections auront lieu. La question était décisive, les Russes et les Iraniens, paradoxalement, estimant que c'est aux Syriens de décider tout de suite s'ils souhaitent ou non que Bachar al-Assad demeure président, alors qu'il a été déjà réélu il y a un an et demi. Nous avons fait valoir que, le moment venu, il faudrait que les Syriens votent, mais qu'il y avait auparavant toute une série de procédures à mettre en oeuvre.
À quoi sommes-nous arrivés ? Tout d'abord, la balle va passer entre les mains du Conseil de sécurité des Nations unies, et en particulier des membres permanents, dont la France. M. de Mistura, qui est un diplomate chevronné, a essayé de réunir tout le monde. À chaque étape, c'est le Conseil de sécurité qui va déterminer si l'on peut avancer ou non. C'est la première innovation car, pour le moment, le Conseil de sécurité n'était pas vraiment impliqué.
Nous estimons bien sûr qu'il faut que les parties interviennent, mais elles ne trouveront pas seules la solution.
Chaque étape du processus présente des difficultés immenses ; cependant, des dates ont été arrêtées.
Tout d'abord, pour aller vers un cessez-le-feu, il faut que l'opposition se rassemble. Je pense que cela se fera à Riyad. Ce sont les Saoudiens qui, à différents égards, détiennent les éléments pour essayer de réunir l'opposition.
Quelle opposition ? Tout le monde s'accorde pour dire qu'il ne s'agit pas de l'opposition terroriste. Qui est terroriste, et qui ne l'est pas ? Certains sont incontestablement terroristes, ceux qualifiés comme tels par les Nations unies - essentiellement Daech et les mouvements relevant d'Al-Qaïda.
Pour le reste, toute une série de questions demeure. Dans nos conversations, nous définissons trois catégories, les verts, les rouges et les jaunes. Les verts, ce sont ceux qui ne posent pas de problème, mais qui ne sont généralement pas les plus armés. Les rouges sont les deux mouvements que je viens de citer, les jaunes étant toutes les catégories intermédiaires. Il faut se mettre d'accord sur les catégories autorisées et celles qui ne le sont pas.
Il y a là toute une discussion : qui va opérer le choix ? Est-ce que ce sont les Nations unies ou le Conseil de sécurité ? On achoppe là sur la même difficulté, chacun défendant les siens. Finalement, cette question n'est pas tranchée.
Voilà une première difficulté. Il faut que l'opposition se rassemble et qu'elle soit non terroriste.
En second lieu, il va ensuite falloir parvenir à créer un gouvernement. On fait là référence à Genève I, qui comporte une grande ambiguïté. Genève I précise qu'il faudra un « gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs ». Ce n'est donc plus Bachar al-Assad qui le détiendra. Les Russes, ayant fait préciser que le choix devrait être réalisé « par consentement mutuel », font valoir ce point à chaque fois qu'ils ne sont pas d'accord.
Si on passe les deux premières étapes, la troisième est le cessez-le-feu, non avec Daech et Jabhat al-Nosra, mais entre le gouvernement syrien - du moins son armée - et l'opposition.
La phase suivante est constituée par la mise en place d'un gouvernement de transition. Les Russes, les Américains et la France ont échangé des noms. J'ai dit que nous l'avons déjà fait dans le passé, mais dès que les noms sont connus, la famille est assassinée ! Il faut donc le faire dans le secret le plus total.
Nous nous sommes mis d'accord sur la rédaction d'une Constitution, même avec les Iraniens. Il existe une définition de ce que nous voulons pour la Syrie. Une fois que ce sera fait, l'élection présidentielle aura lieu dans un délai de 18 à 24 mois, en associant la diaspora.
Je vous renvoie au texte de Vienne, qui a été étudié à la virgule près, et qui est très important. C'est en effet celui sur lequel toutes les parties prenantes se sont mises d'accord. Il s'agit d' « un engagement à l'unité de la Syrie, son indépendance, son intégrité territoriale et son caractère non religieux ».
Par ailleurs, l'engagement est pris « que les institutions de l'État restent intactes ». Il est très important de faire la distinction entre Bachar al-Assad et les institutions pour ne pas revivre l'affaire irakienne si tout s'écroule, « sans considérations de l'ethnicité ou de l'appartenance religieuse ». Tous les membres présents ont accepté ces principes fondamentaux. Ce n'est pas une petite affaire. On a naturellement bataillé pour y parvenir.
Voilà ce que nous avons obtenu à Vienne. Toute la question est ensuite de savoir ce que cela va donner. La diplomatie doit bien entendu jouer, mais à partir d'un rapport de forces. Il n'est pas de diplomatie sans rapports de force sur le terrain.
Concernant les États-Unis, bien évidemment, les attentats de Paris, ce qui s'est passé avec l'avion égyptien et au Liban, ainsi que les menaces qui existent sur le territoire des États-Unis font que les Américains essayent de trouver une solution. Ils savent qu'ils doivent s'engager. Quant aux Russes, au départ, le président Poutine est intervenu pour protéger son protégé, garder sa base de Tartous et conserver sa place dans le grand jeu mondial. Au fur à mesure, il s'est aperçu des bénéfices que cela pouvait lui apporter, beaucoup venant maintenant le solliciter, mais aussi des énormes problèmes que cela pose, et notamment du coût humain et financier de cette opération. En outre, Vladimir Poutine pense à ses propres intérêts au Moyen-Orient : s'il a tous les sunnites contre lui, cela pose un très gros problème. Les Russes sont donc à la fois satisfaits d'être un élément déterminant dans ce jeu, mais veulent cependant s'en sortir.
Après le discours du président Hollande, hier, Vladimir Poutine a saisi la balle au vol. Il vient d'envoyer un message à sa marine en estimant, le Charles-de-Gaulle appareillant, que l'on peut considérer les Français comme alliés. Il a été ravi que le président Hollande lui dise qu'il allait se rendre à Moscou la semaine prochaine, mais quand on évoque des sujets sur lesquels nous sommes en désaccord, comme le fait que Bachar el-Assad doive partir à terme, il nous fait savoir que, si les Russes ne sont pas mariés avec le président syrien, leur règle est de ne pas toucher au régime, même si cela peut arriver si les choses évoluent.
Beaucoup d'interprétations sont données de la rencontre qui a eu lieu il y a quelques semaines entre Vladimir Poutine et Bachar el-Assad, en Russie. Il semble que Vladimir Poutine ait dit à Bachar el-Assad qu'il fallait qu'il commence à considérer un certain nombre de choses.
Quant aux Iraniens, autant on peut avoir des moyens de pression sur les Russes, et comprendre les inconvénients qu'il y a pour eux à rester là où ils sont, autant c'est beaucoup plus difficile pour les Iraniens, tout d'abord parce que nous n'avons pas voulu lier l'affaire nucléaire à leur présence dans la région - et je pense que nous avons eu raison. Sauf si l'on découvrait un certain nombre de choses, l'accord sur le nucléaire est maintenant passé.
L'idée que les Iraniens, même s'ils ont des pertes humaines par centaines vont s'en aller d'eux-mêmes de Syrie ou être d'accord pour que Bachar el-Assad s'en aille - sauf à ce que son remplaçant soit son frère - est un raccourci bien rapide.
Les Russes nous assurent qu'ils vont en faire leur affaire, mais c'est un peu plus compliqué. Vous m'avez demandé comment les choses allaient avancer. Je pense que cela peut avancer avec les Russes si nous manoeuvrons bien ; avec les Iraniens, c'est une autre paire de manches !
La France a une prise sur l'opposition syrienne modérée, notre pays l'ayant toujours soutenue par ailleurs. Les choses sont pour elle très difficiles, toute leur famille ayant été décimée par Bachar el-Assad. Au début, ils voulaient passer Bachar el-Assad par les armes avant même toute discussion. Nous n'en sommes plus là, mais sans une perspective de changement, nous n'arriverons à entraîner ni les dirigeants ni les Syriens qui vivent hors de Syrie. Il faut bien admettre que les habitants d'Alep, qui sont depuis longtemps bombardés par Bachar el-Assad, à qui l'on demande de discuter à présent avec lui sans savoir ce qui va arriver ensuite, peuvent manquer d'enthousiasme.
Le risque est qu'ils refusent le cessez-le-feu ou qu'ils se tournent vers Daech, dont les membres sont sunnites comme eux. C'est le problème que nous avons, à moindre échelle, en Irak.
Les pays extérieurs - Qatar, Arabie saoudite, Émirats, Oman - discutent avec les Russes, et utilisent les arguments économiques qu'ils peuvent employer, qui sont importants dans cette affaire. Il faut avoir à l'esprit que, même s'ils sont hostiles à Bachar el-Assad, leur grand ennemi demeure l'Iran. Ils se détermineront donc par rapport à la question iranienne.
Quant à la Turquie, j'ai compris que vous n'aviez pas tous une opinion totalement positive des Turcs - en bon langage diplomatique. J'ai rencontré hier M. Erdoðan, qui a été réélu triomphalement. Que dit-il de la Syrie et des affaires européennes ? Il demande une « no-fly zone » ou une « no-Daech zone » au nord de la Syrie et au Sud de la Turquie. Il estime - son raisonnement est assez puissant - que si l'on ne veut pas que les Syriens pénètrent en Turquie, puis en Europe, il faut une zone où ils ne risquent pas d'être frappés.
Le problème vient du fait que les Etats-Unis sont sceptiques à cette idée. Il faudrait en effet au moins 20 000 personnes au sol pour tenir tout cela. C'est très compliqué du point de vue des avions et on n'a pas de certitude. Or, on ne peut pas le faire sans les Américains.
On voit du même coup le problème que cela pose par rapport à la question de l'immigration, déjà très difficile, peut-être objectivement moins en France que dans les Balkans.
Voilà où en sont les Turcs. Ils étudient ce qui se passe en Syrie ; ils sont très opposés à Bachar el-Assad, mais tiennent également compte des conséquences que cela peut avoir sur les Kurdes - PKK, PYD, etc.
Quand on met tout cela bout à bout, je pense que la France a raison d'être dans le jeu, d'essayer de rapprocher les points de vue. Avec Vienne, nous avons maintenant quelque chose sur la table qui n'existait pas auparavant, mais on ne peut assurer que l'on va pouvoir tenir les dates. Il faut toutefois pousser en ce sens.
Bizarrement, l'accord de Vienne est passé complètement inaperçu, mais il est vrai que c'était au lendemain de la tragédie française. C'est pourtant quelque chose d'important. Nous devons nous retrouver dans un mois environ ; on verra comment les choses vont avancer sous l'impulsion des Nations unies.
J'aborde à présent les questions de Mme la présidente Guigou - Mossoul, Raqqah, etc. Que se passe-t-il sur le terrain ?
Nous avons montré aux Américains, il y a déjà plusieurs semaines de cela, des clichés photographiques où 2 000 camions, en file indienne, attendaient d'être ravitaillés. Je vais fâcher M. Myard, mais une partie de ces cargaisons vont chez Bachar al-Assad...
Nous-mêmes avons étudié cette question scandaleuse. Ces gens apportent des ressources à Daech : pourquoi ne leur tire-t-on pas dessus ?
Il y avait un risque que des attaques contre ces camions soient constitutives d'un crime de guerre, dès lors que les conducteurs ne sont pas assimilés à Daech et ne sont pas des militaires. Qu'ont fait les Américains à ce sujet ? Ils ont distribué des prospectus au-dessus des camions. Une partie des véhicules et des chauffeurs est partie. Ils ont ensuite bombardé et touché de nombreux camions.
Il est évident, le droit demeurant le droit, qu'il faut quand même trouver une solution. Cela n'a pas de sens ! C'est un des éléments d'approvisionnement principaux. Pour couper cette filière - et cela explique la stratégie que nous avons utilisée - il convient de couper la route principale entre Mossoul et Raqqah.
Nous agissons à partir de nos propres renseignements, mais nous n'avons pas les mêmes moyens que les Américains. Ils se sont engagés à le faire. Nous partageons l'hypothèse formulée par Mme Guigou. Daech a subi des revers, comme à Sinjar ou ailleurs. Selon une stratégie classique, ils veulent exporter la guerre à l'extérieur, en Europe bien sûr, et s'ils le peuvent, aux États-Unis ou dans d'autres pays.
Hier, lors du G20, nous discutions avec le président de Malaisie et le Premier ministre de Singapour. Il existe maintenant au sein de Daech une légion « Asie du Sud-Est », spécialisée, à partir de recrutements locaux, pour atteindre les pays de la région. Tout le monde a maintenant peur.
Je ne reprendrai pas ce qui a été dit, et qui est tout à fait juste, mais le format des attentats de Paris augmente cette peur. Chacun est touché. Lisez la revendication de Daech sur ce qui s'est passé. J'ai attiré l'attention de Mme Merkel sur ce point. Ils expliquent avoir visé le stade parce qu'il n'y a rien de plus populaire que le football, et que la France et l'Allemagne sont des pays qui ont pris position contre eux. Ils ont attaqué le Bataclan et les restaurants parce qu'il s'agissait de centres de la perversité, etc.
Je n'apprécie pas le débat - et je souhaite que l'on partage la même impression - qui porte sur le fait de savoir si nous avons été agressés parce que nous sommes intervenus en Syrie. Ils cherchent à nous atteindre pour ce que nous sommes, que personne ne se fasse d'illusions ! Tout ce qui n'est pas sous leur domination ou leur idéologie doit être détruit, qu'il s'agisse de musulmans qui ne répondent pas à leurs injonctions, ou des catholiques. C'est une affaire de légitime défense.
Les crimes de janvier ont été commis alors qu'on n'était pas encore intervenu en Syrie. Ne nous égarons donc pas ! Lorsqu'on est attaqué et menacé, il faut se défendre, sans quoi on n'est pas digne de représenter son pays.
Une question a été posée à propos de la terminologie. On en parlait ce matin lors de la visite du Premier ministre du Qatar. Il ne faut pas fuir les mots. Camus disait : « Il faut désigner les choses telles qu'elles sont », mais il faut aussi penser aux musulmans. Je ne connais pas la traduction des termes « État islamique » en arabe, mais le Premier ministre du Qatar nous a expliqué refuser les mots d' « État islamique », d'abord parce qu'il ne s'agit pas d'un État, ensuite parce que cela s'apparente, sur le plan du vocabulaire, au mot de « musulman ». Les Qataris reconnaissent que ce sont certes des musulmans, mais qui abusent de la religion. Nous avons choisi la dénomination de Daech parce que tout le monde la comprend et qu'elle constitue en plus - bien que je ne parle pas arabe - une désignation péjorative.
On ne va toutefois pas s'enfermer dans ce débat ; les deux termes peuvent être utilisés. Chacun fera comme il l'entend.
Pour ce qui est de la résolution au Conseil de sécurité, un certain nombre ont déjà été déposées. Ce n'est pas ce qui va bouleverser les choses. J'ai toutefois bien compris le sens de votre question. C'est nous qui tenons la plume, et nous allons le faire de façon que tout le monde puisque voter cette résolution anti-Daech, qui sera très claire et qui doit afficher un rassemblement dans un esprit de coalition.
Il fallait le faire, mais ce n'est pas ce qui va bouleverser les choses...
Oui.
Quid de l'article 42-7 du traité de Lisbonne, qui n'a encore jamais été utilisé ? Jean-Yves Le Drian, après que le président Hollande en ait fait l'annonce, l'a expliqué à ses collègues ministres de la défense, qui ont trouvé l'idée très bonne. L'invocation de cette clause relève de deux ordres : tout d'abord, c'est la première fois que cet article est utilisé. La France ayant bel et bien été attaquée, le cadre s'applique bien, beaucoup plus que l'article 5 de l'OTAN, qui vise d'autres circonstances et qui, si on l'appliquait, risquerait d'être en contradiction avec la prétention de rassembler tout le monde. Politiquement et symboliquement, il s'agit donc d'une affaire importante.
Vous avez vu ce qui s'est passé à l'issue du discours du Président de la République. On verra ce que cela donne, mais la Commission européenne, dans ses déclarations, a laissé entendre, la France étant à peu près la seule à dépenser de l'argent pour la défense, et étant attaquée, qu'il faudrait en tenir compte.
Ce n'est pas non plus une raison pour faire n'importe quoi du point de vue économique...
Les ministres de la défense ont annoncé ce matin qu'ils étaient disposés à apporter une aide à la France. Que va-t-on leur demander ? On est en train d'y travailler avec le ministre de la défense. Cela peut être une participation aux frappes en Syrie et en Irak - certains peuvent l'accepter, d'autres non - des contributions en effectifs et en moyens à la MINUSMA, car ce qu'on n'aura pas à faire d'un côté, on pourra le faire de l'autre, des contributions aux missions européennes d'entraînement et de formation, que ce soit EUTM Mali ou l'EUMAM RCA, même si nous ne sommes pas seuls, ou encore la mise à disposition de nos forces, au Sahel essentiellement, des moyens de soutien dont nous manquons : avions ravitailleurs, avions de transport, hélicoptères lourds notamment.
La défense est en train d'en faire le recensement, et nous allons envoyer les lettres.
Certains ont quand même des éléments, même si, c'est parfois difficile. Les Anglais s'appuient sur le drame français. On en a parlé hier avec David Cameron, Ils essaient de changer de position. Il faut toutefois qu'ils présentent l'affaire au Parlement. Il semble que les attentats français les aient vraiment touchés très profondément. Les Anglais sont également menacés. M. Perrin m'a interrogé sur l'Arabie saoudite. Nous parlons bien sûr beaucoup avec les Saoudiens ; j'ai rencontré encore hier le roi et le ministre de la défense. Mon interrogation porte plus sur l'Iran. Peut-on mettre d'accord l'Iran, l'Arabie saoudite, et quelques autres ? Il faut le souhaiter, mais c'est très compliqué. Ce conflit remonte à bien longtemps, et les solutions ne peuvent être les mêmes que celles que la France a trouvées en adoptant la laïcité, qui est ici, sans mauvais jeu de mots, une bénédiction.
La France a connu depuis le Moyen âge des guerres de religion épouvantables, qui ont duré jusqu'au XVIIIe siècle et qui n'ont été réglées que lorsque nous avons pu faire le départ entre l'ordre du religieux et l'ordre du politique ou du civil, avec la création de l'État par les philosophes, Hobbes, etc., et, bien plus tard, avec la séparation de l'Église et de l'État. Ce concept, dans les pays dont nous parlons, est inconcevable. Il existe une confusion entre le religieux et le politique depuis des siècles, qui est en train d'être réactivé.
Le rôle de la France, je le répète ici, indépendante, est de parler avec tout le monde et d'essayer, tout en défendant nos propres intérêts, de trouver des solutions de paix. Nous allons continuer en ce sens, tout en sachant que c'est très difficile.
M. Dufau m'a demandé quel doit être le périmètre de la coalition internationale. Le plus vaste possible ! De ce point de vue, il n'y a pas de contradiction entre ce que nous avons dit il y a quelques semaines, ce qu'ont dit les Russes et ce que veulent les Américains.
Jusqu'à présent, la coalition consistait seulement à se prévenir mutuellement lorsqu'on envoyait des avions dans les airs, afin qu'ils ne se considèrent pas comme ennemis les uns les autres. Si on échange des renseignements, si on peut avoir des capacités d'attaques communes, c'est autre chose.
L'un des participants au G20 disait une chose simple, que doivent penser beaucoup de nos concitoyens : Daech est certes constitué de monstres, mais ne représente que 30 000 ou 40 000 personnes. Si l'ensemble des nations du monde coalisées ne sont pas capables de les anéantir, il y a quelque chose qui ne va pas ! Ce n'est évidemment jamais si simple, mais il faut de temps en temps revenir à des considérations assez basiques.
Monsieur Myard, la sanction à l'égard de la Russie est un autre débat. Il s'agit de la question ukrainienne. On a déjà traité le sujet. J'entends des critiques sur notre politique étrangère, mais quel pays arrive à faire en sorte que les uns discutent avec les autres ? C'est bien la France ! Dans le format Normandie, nous avons deux problèmes ; celui du cessez-le-feu avance quelque peu ; quant au problème politique pour l'application des accords de Minsk, les Russes affirment qu'ils ne bougeront pas tant que nous n'aurons pas réglé la question constitutionnelle, et les Ukrainiens, qui sont de plus en plus anti-Russes, alors que M. Porochenko a besoin d'une majorité au Parlement, ne veulent pas se plier à ce que demandent les Russes.
Dès lors qu'on ira dans le sens du processus de Minsk - auquel on ne parviendra pas avant la fin de l'année - on pourra évidemment alléger les sanctions, mais encore faut-il que ledit processus soit respecté.
Qu'en est-il de la présence au sol ? Qui va y aller ? Les Kurdes, les Iraniens, les Turcs, les Américains ?
Hier, lors du discours du Président de la République devant le Congrès du Parlement, nous avons relevé une évolution manifeste de la position de la France concernant la situation en Syrie.
Vous étiez précédemment en contact avec l'opposition syrienne et l'armée syrienne libre, et vous ne vouliez pas entendre parler de Bachar el-Assad. Vous nous dites aujourd'hui qu'il faut parler avec tout le monde. Je le pense, mais pourquoi écarter Bachar el-Assad des discussions ? Pourquoi ne pas parler avec un adversaire ?
En second lieu, le nombre de réfugiés est aujourd'hui important. Ils éprouvent toutes les difficultés à rejoindre notre pays. Nous sommes prêts à les accueillir, mais il est pratiquement impossible d'obtenir des visas : il faut aller soit à Ankara, soit à Beyrouth. Ne peut-on trouver une solution pour que ceux qui le souhaitent puissent obtenir un visa en Syrie ?
Nous avons tout un dispositif en matière de visas. Je ne puis vous donner les chiffres, que je n'ai pas revus récemment, mais il existe un dispositif pour accueillir un nombre important de réfugiés syriens. Certes, leur nombre est très faible par rapport au nombre total de réfugiés. Vous avez eu l'occasion d'en accueillir certains ; je l'ai fait aussi. Dès lors qu'ils ont une attache avec la France...
Il s'agit de pays en guerre. Il y a en outre, vous le comprendrez - et je pense que personne ne le contestera - quelques vérifications à effectuer. Chacun comprend de quoi je veux parler : il ne s'agit pas de faire venir des Syriens qui auraient pour objectif de s'en prendre à la France. Les instructions politiques sont d'être ouvert, sans être naïf.
Si vous avez des cas particuliers, vous pouvez me les signaler. Je l'ai dit également à nos consulats et à nos ambassades.
Je n'en ai pas parlé, mais nous avons évidemment pris les dispositions pour renforcer notre personnel et les protections extérieures, et je veux rendre hommage aux personnels du Quai. Dans les attentats, ce sont eux qui ont les contacts avec les familles. Vous imaginez à quel point c'est difficile. C'est un travail très pénible et les fonctionnaires le font de manière formidable, avec tact et efficacité. Je veux leur rendre ici hommage.
S'agissant de la question de la présence au sol, nous n'y sommes vraiment pas favorables pour ce qui nous concerne. Je sais qu'un grand homme disait qu'on parle toujours des leçons de l'Histoire, mais que l'Histoire n'apporte jamais de leçons. Peut-être, mais quand même, les leçons récentes de l'Histoire rappellent qu'une présence au sol se transforme très vite en armée d'occupation et, du même coup, par un rejet de la population. On aboutit donc exactement à l'inverse du but poursuivi. Vous avez tous des exemples à l'esprit.
Il faut toutefois des personnes au sol. Qui sont-ils ? Soit des Syriens, soit des Arabes proches. Il existe - et ce n'est pas négligeable - une armée syrienne libre. Certains groupes armés, ou qui peuvent l'être, ne sont pas des groupes terroristes.
On peut aussi compter sur les Kurdes, qui sont des combattants extrêmement courageux. On trouve aussi d'autres populations, qui sont voisines, mais pas de troupes au sol des pays de l'ouest. Le Président de la République et moi-même considérons que des troupes au sol constitueraient une grave erreur politique.
Enfin, vous évoquez le fait de parler avec tout le monde. Je ne voudrais pas qu'il y ait de confusion dans votre esprit, même si je crains de vous décevoir. Nous n'avons pas changé d'avis sur le fait, au bout du compte, qu'il n'existe pas de Syrie, au sens de Vienne, avec Bachar el-Assad comme perspective. Il est le principal responsable de la mort d'une grande partie de son peuple ! Mettez-vous un instant à la place des Syriens dont la famille a été victime de Bachar el-Assad à qui on va expliquer que c'est lui qui va diriger le pays pour la décennie à venir : c'est inacceptable ! Par souci d'efficacité, il faut un gouvernement d'union. Avec qui le composer ? Je vous le répète depuis longtemps, au point de vous lasser : il faut faire appel à des éléments du régime et de l'opposition dite modérée.
Les éléments du régime ne sont pas nécessairement des anges, mais si nous ne voulons pas assister à un écoulement des institutions et arriver à la situation irakienne, il faudra bien s'entourer. Il faudra également adjoindre des éléments de l'opposition.
Dans la discussion, lorsqu'il s'agira de composer le gouvernement, il y aura bien évidemment des représentants de Bachar el-Assad. Une chose est de discuter, une autre est de dire à quelqu'un qu'il sera, de toute éternité, le dirigeant de son pays.
J'ai entendu un député échanger avec Bachar el-Assad. Vous avez lu la déclaration de ce dernier qui, au-delà de quelques zakouski, dit en gros que la France n'a qu'à s'en prendre à elle-même concernant les actes terroristes. Un député français ne peut l'accepter ! Je ne peux partager cette conception.
Ne confondons pas tout ! Les parlementaires sont libres. La discussion a lieu avec les différentes parties prenantes, mais il faut arriver à la paix en Syrie, à la liberté et à un régime qui permette à chacun de vivre et de coexister. Nous ne croyons pas un instant que l'on puisse y arriver en disant, comme l'Iran, que c'est à Bachar el-Assad de présider aux destinées de son pays. L'opinion fait l'amalgame, et c'est notre rôle, aux uns et aux autres, me semble-t-il, dans une matière aussi compliquée, de dire où nous voulons aller.
Le Président de la République l'a dit avec beaucoup de force hier : il ne faut pas cacher les difficultés, qui sont grandes, ni le fait que les risques continuent à exister. Le Premier ministre insiste souvent sur ce point, d'où les décisions qui sont proposées. Il ne faut pas non plus cacher que les autres pays courent également des risques, mais il convient de tracer la piste.
Il faut accepter de s'adapter, et des modifications peuvent survenir. M. Poutine, jusqu'à hier, frappait à 80 % l'opposition modérée, et envoie aujourd'hui ses bombardiers sur Raqqah. C'est très bien ! Cela prouve que la France n'a pas eu tort d'y envoyer ses propres avions, ni de dire qu'elle était prête à se rapprocher de tous ceux qui désirent travailler dans un sens positif.
Merci à tous. (Applaudissements).
La commission examine le rapport pour avis de MM. Alain Gournac et Michel Boutant sur le programme 152 - Gendarmerie nationale - de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2016.
Monsieur le Président, mes chers collègues, en 2016, la gendarmerie nationale sera dotée d'environ 8,3 milliards d'euros en autorisations d'engagement, en augmentation de + 2,4 % par rapport à 2015. Les crédits de paiement s'élèveront quant à eux à 8,1 milliards d'euros, en hausse de + 0,8 %.
Les crédits de titre 2 pour rémunérations et charges sociales, qui représentent comme en 2015 environ 85 % des crédits du programme, se montent en 2016 à près de 6,9 milliards d'euros, soit une hausse de + 0,7 % par rapport à 2016.
Au sein du « hors titre II », les dépenses de fonctionnement s'établiront en 2016 à 1,1 milliard d'euros en crédits de paiement, en baisse de 0,16 % par rapport à 2015.
Par ailleurs, les dépenses d'investissement s'élèveront à 103 millions d'euros, soit + 18,5 millions d'euros par rapport à 2015.
Enfin, les députés ont adopté un amendement du Gouvernement traduisant le plan de lutte contre l'immigration clandestine et qui prévoit environ 19,8 millions d'euros supplémentaires en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement ainsi que 370 postes supplémentaires. Au cours d'une seconde délibération, l'Assemblée nationale a toutefois adopté un amendement du Gouvernement, qui prévoit une baisse de 20 millions d'euros des crédits des programmes police nationale et gendarmerie nationale afin de contribuer au respect de la norme de dépense en valeur de l'État.
Au total, la hausse des crédits de paiement demandés pour la gendarmerie sera de +1 %, contre +0,8 % avant adoption des deux amendements. Cette hausse reste modérée et ne traduit pas encore selon moi un effort suffisant, à la hauteur de la situation exceptionnelle que nous vivons.
Certes, le directeur général de la gendarmerie nationale, le général Favier, nous a quelque peu rassurés sur la question du dégel de la réserve.
Comme vous le savez, le taux de mise en réserve est passé à 8 % en 2015. S'appliquant à l'ensemble des dépenses hors titre II, la réserve se montera ainsi à 98 millions d'euros environ pour la gendarmerie, soit 1,2 % des crédits de la mission en 2016. Or, les dépenses hors titre II de la gendarmerie nationale sont très rigides. À titre d'exemple, les loyers se monteront à eux seuls à plus de 500 millions d'euros en 2016, les dépenses d'énergie et fluides à 84 millions d'euros, etc. Au total, les dépenses de fonctionnement et d'investissement de la gendarmerie sont à 75 % des dépenses obligatoires, loyers et paiements contractuels.
Dès lors, la levée de la réserve est essentielle pour assurer le paiement des nouveaux équipements indispensables aux activités des forces de la gendarmerie.
Or, le ministre de l'Intérieur a précisé, lors de son audition devant notre commission le 3 novembre dernier, en ce qui concerne l'exercice 2015, qu'un dégel de 38 millions d'euros a eu lieu le 23 septembre permettant de couvrir les dépenses de la gendarmerie mobile et d'acquérir des véhicules et des munitions, des discussions étant en cours pour le déblocage du solde. Ensuite, en ce qui concerne l'exercice 2016, il a annoncé que le dégel des crédits aurait lieu dès le début de l'année afin que les moyens nécessaires à l'acquisition des véhicules, des protections, des armes et des munitions soient disponibles.
Un effort est certes également accompli en ce qui concerne les effectifs.
Après une augmentation de 162 postes en 2015, le projet de loi de finances pour 2016 prévoit une augmentation de 554 nouveaux postes. Aux 184 postes prévus par le PLF 2016 initial s'ajoutent en effet 370 postes prévus par le plan de lutte contre l'immigration clandestine.
Il faut cependant tenir compte de l'écart entre le plafond d'emplois et les effectifs réels. Le programme gendarmerie se caractérise en effet par une sous-exécution particulièrement importante de ce plafond d'emploi, écart de près de 2 000 emplois souligné par la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution budgétaire 2014.
Cette sous-exécution est due à un écart persistant entre la masse salariale prévue et le plafond d'emplois et a tendance à fausser quelque peu la discussion budgétaire. Il conviendra donc de le réduire autant que possible à l'avenir.
Au total, le budget de la gendarmerie, comme celui de l'ensemble des forces de sécurité, tel qu'il est prévu par le PLF 2016 dans son état actuel, ne me semble pas répondre de manière adéquate au terrible défi qui nous est lancé.
D'abord, bien que les augmentations d'effectifs ne soient pas négligeables, elles ne seront pas suffisantes à elles seules pour rendre la gendarmerie plus efficace compte tenu de l'affaiblissement qui se poursuit des moyens de fonctionnement. Cet affaiblissement touche tous les aspects du fonctionnement courant de la gendarmerie ainsi que les véhicules. En fait, ce budget accentue l'évolution qui fait du programme 152 un budget de plus en plus consacré aux crédits de personnels, qui dépassent 85 % du total. Parallèlement, les moyens de fonctionnement et d'investissement qui seraient nécessaires pour renouveler les véhicules, moderniser les systèmes informatiques et donner aux enquêteurs les moyens de répondre aux immenses défis qui se posent à eux aujourd'hui, ne sont pas assurés.
Avant de conclure, je voudrais évoquer le sujet des associations professionnelles de militaires (APNM). Nous avons en effet reçu l'association « Gend XXI ». Comme vous le savez, c'est la loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire qui a permis la constitution de ces nouveaux organismes.
Aujourd'hui, l'association Gend XXI s'est donc constituée en APNM. Elle est actuellement en discussion avec des associations des autres armées pour créer une fédération. L'association « Gendarmes et citoyens » a également modifié ses statuts et est désormais dirigée par des gendarmes actifs. Elle devrait rapidement se transformer en APNM. Enfin, l'association de défense des droits des militaires-gendarmerie (ADEFDROMIL) est également en cours de constitution en APNM.
Je note que l'association que nous avons entendue a tenu un langage modéré et respectueux de l'institution. Je pense, à titre personnel, que les associations peuvent être utiles en permettant une meilleure remontée des difficultés rencontrées par les gendarmes, ce qui est positif : ils ont parfois tendance à être excessivement silencieux ! Il faudra toutefois rester vigilant. Les représentants de Gend XXI nous ont ainsi dit que si les associations estimaient ne pas être assez associées au dialogue interne, elles seraient naturellement tentées de parler davantage aux médias, ce qui ne serait pas forcément une bonne chose !
Pour conclure, le budget qui nous est présenté ne me semble pas, en l'état, à la hauteur de la menace, en particulier de la menace terroriste dont nous avons malheureusement pu mesurer l'intensité vendredi. Le Président de la République a annoncé des moyens supplémentaires en personnel pour l'ensemble des forces de sécurité. Il est nécessaire que les moyens de fonctionnement suivent ! En l'absence de précisions suffisantes à ce stade sur la manière dont cet effort supplémentaire sera intégré au PLF 2016, je vous propose que la commission donne un avis de sagesse aux crédits du programme 152. Nous pourrons ensuite nous déterminer à titre personnel, en fonction des précisions qui nous seront données par le ministre de l'Intérieur en séance, selon que nous jugerons l'effort prévu suffisant ou non.
Je laisse maintenant la parole à Michel Boutant.
Monsieur le Président, mes chers collègues, je souligne d'abord que, par rapport au budget initialement présenté, de nouvelles annonces ont été faites à la suite des attentats du 13 novembre, dont la création de 5 000 postes supplémentaires pour les forces de sécurité dans les deux prochaines années. En ce qui concerne le fort taux de dépenses de personnel du programme, il en a toujours été ainsi et c'est une situation normale. Quant aux fortes dépenses de loyer, elles sont la contrepartie de l'obligation de disponibilité des gendarmes.
Je souhaite ensuite évoquer deux sujets pour lesquels un effort budgétaire particulier a été engagé.
En premier lieu, comme les autres forces de sécurité, la gendarmerie nationale est, depuis les attentats du mois de janvier, en première ligne pour lutter contre le terrorisme.
Dans le cadre du plan global de lutte contre le terrorisme du 21 janvier 2015, le décret d'avance du 9 avril 2015 a ainsi permis un effort budgétaire particulier.
En ce qui concerne la gendarmerie nationale, le décret a prévu 35 millions d'euros pour le programme 152, dont 12 millions d'euros pour les dépenses de personnel. Il a ainsi permis de financer 18,9 millions d'euros de nouveaux équipements : véhicules, armements et équipements de protection, notamment pour intensifier la lutte contre les drones malveillants et renforcer les moyens du Groupement d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) et des pelotons d'intervention de la gendarmerie nationale (PSIG) ; 2 millions d'euros dans le cadre d'un plan de renforcement et de modernisation technologique des services ; 2,1 millions d'euros de dépenses liées aux recrutements.
En outre, les dépenses de personnel supplémentaires ont permis d'augmenter les effectifs de la gendarmerie nationale de 100 ETPT au titre du renseignement territorial et d'unités opérationnelles des services spécialisés ainsi que de mobiliser les réserves civile et opérationnelle, qui vont sans doute être encore plus mobilisées à l'avenir.
L'effort budgétaire au titre de la lutte anti-terroriste se poursuivra en 2016 avec un montant de 5,2 millions d'euros notamment consacrés à la modernisation informatique de la gendarmerie.
En matière de lutte anti-terroriste, je souhaite souligner le travail accompli par la sous-direction à l'anticipation opérationnelle (SDAO), créée en 2012 pour doter la gendarmerie d'un niveau de centralisation du renseignement recueilli par les brigades sur le terrain. La SDAO coordonne ainsi le renseignement opérationnel, notamment à travers le service spécialisé de veille et d'exploitation de l'information d'alerte. Elle enrichit le dispositif anti-terroriste national et transmet les informations obtenues en zone gendarmerie aux services spécialisés, en concertation avec le service central du renseignement territorial (SCRT).
Lors de son audition du 3 novembre, le ministre de l'Intérieur nous a ainsi indiqué que la gendarmerie a été à l'origine de 41 signalements de départ vers les zones de djihad et qu'elle avait recueilli et partagé 25 notes de renseignement en lien avec les investigations à l'occasion de l'enquête sur les attentats de Charlie Hebdo. Enfin, les opérations de lutte contre la cybercriminalité, désormais basées au nouveau pôle de Pontoise, complètent l'éventail de la lutte anti-terroriste.
Le décret désignant le « deuxième cercle » des services de renseignement, prévu par la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, a d'ailleurs été examiné par la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). La SDAO pourra ainsi utiliser une grande partie des techniques ouvertes aux services de la communauté du renseignement, à l'exclusion, notamment, de certains algorithmes utilisés dans le cadre de la lutte anti-terroriste.
Deuxième sujet d'actualité qui a des conséquences importantes pour le budget de la gendarmerie, la gestion de la « crise migratoire » que nous connaissons depuis quelques mois.
Un total de 900 ETPT supplémentaires vont ainsi être recrutés dans les unités de forces mobiles de la police et de la gendarmerie et au sein de la police de l'air et des frontières, dont 370 pour la gendarmerie mobile. En effet, les forces mobiles sont déjà particulièrement utilisées depuis le début de l'année, soit dans le cadre du plan Vigipirate, soit aux frontières (Calais, Vintimille).
Je voudrais ensuite évoquer l'effort positif accompli pour préserver les « fondamentaux » de la gendarmerie nationale dans un contexte budgétaire globalement restrictif.
Les crédits hors titre 2 augmenteront de 1,36 %. Le programme Gendarmerie contribue à l'effort de redressement des finances publiques mais son caractère prioritaire est ainsi manifeste. Le directeur général de la gendarmerie nationale nous a fait part de sa satisfaction à cet égard même s'il a également indiqué que les crédits demeureront un peu inférieurs aux niveaux de renouvellement optimal des moyens.
À titre d'exemple, un montant de 40 millions d'euros sera consacré en 2016 au renouvellement du parc automobile, soit les crédits nécessaires à l'acquisition de 2 000 véhicules supplémentaires. Ce nombre n'atteint toujours par le seuil de 3 000 véhicules permettant d'assurer un renouvellement normal des voitures mais il traduit un effort certain par rapport aux années précédentes.
Il convient également de souligner l'importance du plan triennal d'urgence pour le traitement des logements les plus délabrés du parc domanial, dont la mise en oeuvre a débuté en 2015 et dont la déclinaison pour 2016 prévoit 70 millions d'euros en autorisation d'engagement pour réhabiliter environ 5 000 logements. Ce plan d'urgence est essentiellement destiné à l'entretien et la réhabilitation des logements en vue de supprimer les « points noirs ». Le plan prévoit ainsi d'engager une trentaine d'opérations de réhabilitation lourde et de mise aux normes de casernes ainsi que les secondes phases de réfection du clos et du couvert des casernes de Bouliac et de Gap.
Enfin, le déploiement du projet NEOGEND permettra de doter les gendarmes d'outils mobiles d'accès aux systèmes d'information, dans une logique de proximité et de souplesse dans l'emploi des forces, en particulier en milieu rural. Le directeur général de la gendarmerie nationale nous a ainsi fait part du projet de doter l'ensemble des gendarmes de terrain d'une tablette informatique permettant d'automatiser de nombreuses tâches répétitives. A ce plan centré sur la mobilité, s'ajoutera le volet 2016 du plan de modernisation technologique de la gendarmerie qui permettra de développer des dispositifs de pré-plaintes en ligne ou encore d'aide à la décision s'appuyant sur les données de masse (Big Data).
Enfin, je voudrais évoquer le bilan selon moi très positif de l'utilisation de la réserve opérationnelle de la gendarmerie. De toutes les réserves militaires, c'est celle qui fonctionne le mieux. En 2014, environ 23 000 réservistes ont été mobilisés pour 468 452 jours d'activités. Les réservistes ont été intégrés en 2015 dans le dispositif opérationnel de lutte anti-terroriste mis en place par la gendarmerie nationale. Ils ont ainsi renforcé les unités territoriales sous forme de détachements autonomes (détachements de surveillance et d'intervention), participé à la sécurité et à la surveillance des sites sensibles et apporté de manière permanente un soutien au dispositif de renseignement et d'information de la gendarmerie. Ils jouent en effet, grâce à la diversité de leur recrutement, le rôle de « capteurs » auprès de leurs lieux de résidence et des milieux socioprofessionnels auxquels ils appartiennent.
En conclusion, même si la situation budgétaire reste tendue et malgré certains points noirs persistants comme l'immobilier domanial, pour lequel un effort important sera toutefois fait en 2016, les crédits de la gendarmerie nationale sont préservés et même renforcés dans certains domaines. En outre, la posture de la gendarmerie a été dûment adaptée au contexte sécuritaire issu des événements de janvier dernier et la récente crise migratoire a également été réellement prise en compte. Dès lors, nous avons toutes les raisons de donner un avis favorable à ce budget.
S'agissant des crédits de la gendarmerie, il ne faut pas aller jusqu'à la caricature ! Combien d'escadrons de gendarmes ont été supprimés entre 2002 et 2012 ? Cela donnera la mesure de l'effort accompli cette année !
La situation que nous vivons est exceptionnelle. Après les événements du mois de janvier, je n'ai pas eu le sentiment que la menace était suffisamment prise au sérieux, notamment dans le monde rural. On aurait souhaité un effort beaucoup plus important. Les moyens, notamment informatiques, sont très insuffisants !
Pour répondre à Daniel Reiner, ce sont 15 escadrons de gendarmerie qui ont été supprimés entre 2002 et 2012.
Les crédits hors titre II sont en hausse ; je voterai donc ce budget. Si j'étais dans l'opposition, aurais-je la sagesse de le voter aussi ? Je l'espère !
Le rapport de notre collègue Philippe Dominati sur le renseignement a suggéré que les services souffraient sans doute d'un certain manque de coopération et de coordination. Dans le contexte actuel, il conviendrait peut-être de renforcer la fonction renseignement au sein de la gendarmerie pour obtenir davantage de résultats.
Si le Président de la République a annoncé hier des mesures nouvelles pour la gendarmerie, c'est bien parce que le budget présente en l'état des lacunes par rapport à l'état de la menace aujourd'hui. Si les annonces sont concrétisées avant le vote en séance, nous serons sans doute amenés à prendre une position différente.
Nos rapporteurs ont travaillé sur un projet de budget qui va être modifié. Le Président de la République et le Premier ministre ont annoncé des amendements améliorant les effectifs ; dans ces conditions je préconise que notre groupe s'abstienne. Si les amendements attendus sont présentés, nous pourrons voter en faveur des crédits de la gendarmerie nationale, à laquelle nous sommes tous attachés.
Si ce budget était celui d'une entreprise, un tel rapport entre les frais de personnel et les dépenses d'investissement ne laisserait pas d'inquiéter !
Pour répondre à Mme Conway-Mouret, les gendarmes sont toujours aussi sollicités dans leurs fonctions de prévôts auprès de nos forces armées en opérations extérieures.
Je comprends parfaitement la volonté de faire pression pour que le Gouvernement dépose les amendements qu'il a annoncés. Si in fine le budget de la gendarmerie est celui que le Président de la République a évoqué, nous l'adopterons. Je mets donc aux voix le texte.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », les membres du groupe Les Républicains s'abstenant.
Présidence de M. Christian Cambon, vice-président -
La commission examine le rapport pour avis de MM. Jean-Marie Bockel et Jean-Pierre Masseret sur le programme 129 - Coordination du travail gouvernemental - de la mission « Direction de l'action du Gouvernement » du projet de loi de finances pour 2016.
Au sein du programme 129 - « Coordination du travail gouvernemental», votre commission s'intéresse exclusivement à l'action n° 2 « Coordination de la sécurité et de la défense » dotée, en 2016, de 289,46 millions d'euros en autorisations d'engagement et de 283,94 millions d'euros en crédits de paiement. Cette action regroupe en effet : les crédits du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) , les subventions pour charges de service public de l'Institut des Hautes études de défense nationale (IHEDN) et l'Institut national des Hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), la dotation en fonds spéciaux et enfin une partie des crédits du Groupement interministériel de contrôle (GIC).
Par rapport à 2015, la dotation de cette action enregistre une diminution de 3,2 % en CP (- 9,3 millions d'euros). Cette évolution est liée, pour l'essentiel, à une diminution des dépenses d'investissement (- 11,5 millions d'euros). En revanche, la dotation progresse de 10,7 % en autorisations d'engagement (+ 27,9 millions d'euros), ce qui devrait permettre une remontée du niveau de ces investissements en crédits de paiement dans les prochaines années.
L'évolution du budget du SGDSN continue de s'inscrire principalement dans la priorité, portée par l'ANSSI, de montée en puissance de la politique de sécurité des systèmes d'information et de protection des intérêts nationaux contre la cybercriminalité.
Je vais vous présenter les crédits destinés à l'ANSSI et son activité, Jean-Pierre Masseret ceux alloués aux autres entités.
Première observation : la menace cyber ne cesse de s'accroître. La France est classée au 14ème rang des pays où la cybercriminalité est la plus active. Selon l'ANSSI, on dénombre une attaque majeure en moyenne tous les quinze jours à l'image de ce qu'a subi TV5Monde, en début d'année. La cyberdéfense reste dans ce contexte une priorité nationale.
Deuxième observation : les dispositions prévues dans la LPM sont mises en place progressivement. Les décrets ont été publiés en mars 2015. Parallèlement, une concertation avec les Opérateurs d'importance vitale a été engagée début 2015. Les premiers arrêtés devraient être publiés avant la fin de l'année. C'est un progrès majeur que les opérateurs soient dans l'obligation de déclarer leurs incidents et acceptent de se faire aider par l'ANSSI.
Un premier bilan de la mise en oeuvre de la « Politique de sécurité des systèmes d'information de l'État » publiée en juillet 2014 est en cours, en vue de son actualisation.
L'ANSSI a engagé un travail d'élaboration d'une « stratégie nationale de sécurité du numérique » présentée par le Premier ministre le 16 octobre. Elle constitue une nouvelle feuille de route.
Pour protéger les communications de l'État, des outils et des réseaux sécurisés ont été déployés. Le réseau de données interministériel Confidentiel Défense ISIS poursuit sa modernisation et son extension. Au total, 230 sites sont raccordés et on comptabilise 2 300 abonnés, sur 900 postes.
L'ANSSI développe une capacité de détection des attaques informatiques des systèmes d'information de l'État. Elle continue d'industrialiser les solutions et d'améliorer ses capacités afin d'anticiper de nouvelles menaces. Les développements ont principalement porté sur l'intégration de techniques de détection innovantes et sur la conception de sondes haut-débit destinées à la supervision du Réseau interministériel de l'État.
Elle dispose d'un « centre opérationnel de cyberdéfense » et a affiné son organisation de crise suite aux attentats survenus à Paris en janvier et à la résolution de l'attaque contre TV5 Monde.
Elle poursuit son action de sensibilisation auprès des administrations, des acteurs économiques et du grand public par ses publications et va déployer des correspondants dans les régions.
Elle attribue un label attestant de la sécurité des produits qui lui sont soumis et a initié une politique de certification de prestataires compétents techniquement et de confiance. Le développement d'un écosystème privé est indispensable car l'ANSSI n'a ni la vocation, ni les moyens de tout faire. Nous avons de belles entreprises, notamment dans le domaine militaire, qui ont été les premières à s'engager dans ce domaine et des PME innovantes, il faut les protéger.
Enfin, le développement de nouveaux usages et des objets connectés ouvre un nouveau champ de recherche pour l'ANSSI.
Troisième observation : L'ANSSI représente désormais plus de la moitié des effectifs budgétaires, et des efforts d'investissement ainsi que 70 % des crédits de fonctionnement du SGDSN. Cette proportion augmentera avec sa montée en puissance.
La poursuite des créations d'emplois est confirmée. Le plafond d'effectifs fixé à 455 ETPT en 2015 est porté à 507 en 2016. Cette montée en puissance constitue un défi structurel pour l'ANSSI qui doit également pourvoir au turn over relativement important de ses agents. Recruter en nombre et maintenir le niveau qualitatif est compliqué compte tenu de la faiblesse du vivier et du niveau des rémunérations offertes par le secteur privé lorsqu'il s'agit de cadres expérimentés. Le départ d'agents de l'ANSSI peut favoriser l'émergence d'un réseau lorsque les industriels et les prestataires de services de cybersécurité qui embauchent ces personnels sont considérés comme de confiance. Mais paradoxalement plus son action de sensibilisation est efficace, plus la concurrence sur le marché du travail est vive.
Nous estimons que face à ces difficultés spécifiques, l'ANSSI doit être soutenue, en pérennisant d'une année sur l'autre les emplois autorisés mais non pourvus en fin d'année afin de lui permettre de lisser les recrutements et par le maintien d'une certaine souplesse au niveau des rémunérations susceptibles d'être servies. À plus long terme, une politique active de développement de filières de formation doit être conduite.
Hors titre 2, les dotations de l'ANSSI sont passées de 25,3 millions d'euros en 2009 à 68,8 millions en 2016. Par rapport à 2015 elles progressent en crédits de paiement (+1,5 %) comme en autorisations d'engagement (+29 %).
La réalisation d'un data center sécurisé représente le principal investissement : 16,1 millions d'euros en AE et 8,5 en CP lui est consacré. Il sera cofinancé avec le ministère de l'intérieur, et livré en 2019. Le coût global de l'opération immobilière est estimé à 24,2 millions d'euros et la quote-part à la charge du SGDSN à 18,2 millions.
Je commencerai par quelques observations concernant le SGDSN. Jean-Marie Bockel vous a exposé les missions exercées par l'ANSSI, service à compétence nationale placé auprès du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, et qui en gère les moyens. Ceci mis à part, le SGDSN assure des missions de coordination interministérielle comme le secrétariat des conseils de défense et de sécurité nationale. Il participe à l'analyse des crises internationales. Il élabore la planification interministérielle et veille à sa mise en oeuvre. C'est à ce titre qu'il procède à l'évaluation du plan Vigipirate rénové en 2014 et à la préparation du rapport sur les conditions d'emploi des armées sur le territoire national qui nous sera présenté en janvier. Il faudra que puissent être pris en compte les évènements que nous venons de vivre, la semaine dernière. Il organise les moyens de commandement et de communication nécessaires. Il veille à la cohérence des actions en matière de recherche et développements des projets technologiques intéressant la défense et la sécurité et contrôle les exportations d'armement comme les transferts de technologie sensible. C'est à ce titre qu'il a préparé la sortie du contrat de vente des BPC à la Russie et a eu à connaître du rapprochement industriel entre KMW et Nexter. Il appuie l'action du coordonnateur du renseignement. Enfin, il assure la tutelle de l'IHEDN et de l'IHESJ.
Pour exécuter ses missions, il dispose de moyens en personnels, 204 ETPT pour 2016, auxquels il convient d'ajouter les 184 militaires qui servent le centre de transmission gouvernemental. Le plafond d'emplois du SGDSN (hors ANSSI), subira une diminution de 1 emploi chaque année sur la période 2015-2017.
Hors titre 2, le SGDSN dispose de 96,6 millions d'euros en crédits de paiements pour 2016, soit une diminution sensible de 10,8 %. On observe une évolution inverse pour les autorisations d'engagement qui progressent de 10 % et s'élèvent à 96,4 millions d'euros. Au sein de cette enveloppe, les crédits destinés au soutien et à l'administration générale du SGDSN, c'est-à-dire ceux consacrés effectivement à son fonctionnement, s'élèvent à 9,2 millions d'euros. Ils subissent une érosion sensible. Les écarts sont essentiellement la conséquence de l'évolution des crédits consacrés à la poursuite de projets interministériels concourant à la défense et à la sécurité nationale (70,5 millions d'euros en 2016) qui sont transférés en cours d'exercice vers le ministère de la défense.
Enfin, les subventions destinées à l'IHEDN et à l'INHESJ sont prévues à hauteur de 16,8 millions d'euros pour 2016 à comparer avec 17,4 millions d'euros prévus en 2015.
Quelques observations sur ces opérateurs. Ils sont en pleine restructuration. Après l'élaboration d'orientations stratégiques, ils vont entrer en phase de négociation d'un contrat de performance avec l'État. L'un des objectifs principaux est la mutualisation des moyens et le développement de synergies entre les deux établissements qui seront désormais tous les deux installés sur le site de l'École militaire. Les années 2013, 2014 et 2015 ont vu un amoindrissement de leur financement public, avec l'obligation de développer leurs ressources propres.
Nous mesurons la portée de ce rapprochement dont la cohérence avec le continuum entre la défense et la sécurité nationale doit être soulignée, mais en conservant la personnalité propre de chacun des deux établissements. Il doit être l'un des axes des contrats de performance qui seront approuvés au premier semestre 2016. Il serait d'ailleurs souhaitable qu'à l'instar de ce qui se pratique dans d'autres domaines, les rapporteurs pour avis puissent en avoir communication avant qu'il soit soumis aux conseils d'administration afin de formuler des observations.
J'en viens maintenant à quelques brèves observations sur les fonds spéciaux qui s'élèvent à 47,3 millions d'euros. Ils sont attribués aux services de renseignement et au Groupement interministériel de contrôle. Je rappelle que le contrôle de leur exécution est confié à la commission de vérification des fonds spéciaux placée au sein de la délégation parlementaire au renseignement.
Ce groupement, et ce sera ma dernière observation, est un service du Premier ministre chargé des interceptions de sécurité et du recueil des données de connexion. La loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement prévoit un éventail de techniques de renseignement, dont le processus d'autorisation et de mise en oeuvre devra faire l'objet d'une traçabilité et d'une centralisation par le GIC. En vue de répondre à ses nouvelles missions, le GIC devra augmenter ses capacités et renforcer ses effectifs. Pour tenir compte de ce besoin, le plafond d'emplois du GIC est établi à 80 ETPT.
Sous le bénéfice de ces observations, nous émettons une appréciation positive sur les crédits inscrits, pour le programme 129, dans le projet de loi de finances pour 2016 et proposons en conséquence à la Commission de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du gouvernement ».
Je tiens à souligner l'importance du travail de coordination du SGDSN et rappeler la production d'une étude récente sur l'usage malveillant des drones de loisir.
À l'issue de ce débat, la commission a donné un avis favorable, pour ce qui concerne le programme 129, à l'adoption des crédits de la mission « Direction de l'action du Gouvernement ».
La réunion est levée à 19 h 52