Nous poursuivons nos travaux sur les agences régionales de santé (ARS) en recevant les représentants des organisations syndicales présentes au comité national de concertation (CNC).
Ce comité a été créé par une loi du 5 juillet 2010 relative à la fonction publique. Il complète les deux organismes consultatifs institués dans chaque agence par la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST), à savoir le comité d'agence et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Présidé par les ministres compétents ou par le secrétaire général des ministères sociaux, il est composé de 17 représentants des personnels des agences outre des représentants de l'administration centrale, de l'assurance maladie et des directeurs généraux. Selon le code de la santé publique, il « connait des questions communes relatives aux ARS et relatives à leur organisation, à leurs activités ainsi qu'aux conditions de travail, d'hygiène et de sécurité et d'emploi de leur personnels ».
La Mecss du Sénat a commencé en février dernier un travail d'évaluation de la mise en place des ARS. Nous clôturerons nos auditions à la fin du mois. Au préalable, nous souhaitions entendre les représentants du personnel sur les questions suivantes : dans quelles conditions les ARS se sont-elles mises en place du point de vue des personnels ? Quel bilan tirent-ils de la création de ces agences ? Quelles sont les difficultés actuelles ? Comment fonctionne le Comité national de concertation ?
L'Unsa est le syndicat majoritaire dans les ARS au niveau du collège de l'Etat. Nous sommes présents dans la totalité des ARS.
Pour nous, les ARS appartiennent de plein droit à l'administration sanitaire et sociale de l'Etat ; elles ne sont pas en dehors du champ d'action étatique. La loi HPST les a d'ailleurs dotées d'un statut d'établissements publics et leur a affecté des fonctionnaires, régis par les statuts et règlements de la fonction publique.
La loi HPST et la révision générale des politiques publiques (RGPP) ont fait disparaître les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (Ddass) et les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (Drass) et, du même coup, ont dissocié les champs sanitaire et social. Ce changement s'est opéré au détriment de la cohérence, de la transparence et de la lisibilité de l'action sanitaire et sociale et des politiques publiques. Il a entraîné un accroissement des inégalités territoriales en matière de santé.
Vous avez récemment auditionné les syndicats de médecins inspecteurs de santé publique et de pharmaciens inspecteurs de santé publique. Nos observations complèteront les leurs.
La succession ininterrompue de réorganisations des ARS depuis leur création génère des inquiétudes persistantes au sein des personnels. En l'absence de doctrine officielle claire, ils sont placés dans l'ignorance des rôles respectifs des directions métiers des sièges et des délégations territoriales. Chaque ARS suit ses règles de fonctionnement propres, ce qui nuit à l'efficacité du dispositif. Les missions des anciennes Ddass et Drass subsistent mais elles reposent sur des personnels de moins en moins nombreux. L'an dernier, les effectifs ont diminué de 3 % ; en 2014, 150 emplois seront supprimés. Au total, en quatre ans, le chiffre est de 700 emplois perdus sur 9 600.
La situation des personnels s'est dégradée au fil du temps, l'absence totale de reconnaissance professionnelle, de réflexion sur les parcours et les identités professionnelles débouche sur une perte de sens du travail et un immense gâchis. Beaucoup d'agents cherchent à quitter les ARS mais ont peu de perspective ailleurs.
On a promis aux directeurs des ARS qu'ils disposeraient d'une grande latitude dans la gestion du personnel. Le résultat est qu'ils cherchent à s'affranchir des règles de la fonction publique, par exemple des règles relatives aux commissions paritaires d'avancement (CAP), ce qui est inacceptable. Les directions favorisent une hyperspécialisation des personnels alors que la polyvalence est nécessaire. Face aux difficultés de gestion des ressources humaines, le recours aux contractuels, plus dociles, est privilégié. Dans ce contexte, le mal-être au travail touche l'ensemble des catégories de personnel.
Les ARS ont regroupé des personnels de l'Etat et des personnels de l'assurance maladie régis par les conventions collectives. Les différences de culture et de statut créent des tensions, notamment en matière d'organisation du temps de travail.
Si les droits syndicaux sont globalement respectés, on constate localement des cas de discrimination, parfois volontaire, parfois due à la méconnaissance des règles de la fonction publique.
Nous revendiquons la possibilité, refusée jusqu'à présent, pour le comité technique ministériel de donner son avis sur toutes les questions relatives aux personnels de l'Etat des ARS.
Nous déplorons que les services de communication des ARS bénéficient de dotations généreuses tandis que les services assurant les missions régaliennes, par exemple les missions d'inspection, sont sous-dotés.
Nous vous avons adressé en septembre dernier un document synthétisant nos positions. Nous vous le renverrons accompagné d'un exemplaire du bilan social des ARS qui contient de nombreuses données chiffrées intéressantes.
Nous approuvons ce qui vient d'être dit sur la souffrance au travail des personnels et le fonctionnement global des ARS.
Pour nous, le constat est simple : les ARS ne fonctionnent pas. Elles étaient condamnées à l'échec dès l'origine car elles résultent d'un meccano administratif. Rassembler des services sous l'autorité d'un directeur général nommé en conseil des ministres ne peut résoudre des problèmes de santé publique. Le préfet Bur s'est réjoui devant vous qu'avec les ARS, une administration dotée d'une vision large en matière sanitaire, sociale et environnementale, pourrait enfin annoncer des mauvaises nouvelles et dire non. Il n'en est rien.
Les ARS ne résistent pas à la pression politique. Lorsque M. Jean-Pierre Bel a demandé le maintien de l'hôpital de Lavelanet, le directeur général chargé de dire non a dit oui ! Les ARS devraient apprécier la réalité des besoins et tracer des plans d'action adaptés.
Avoir une vision large ce n'est pas avoir une compétence large. La vision doit exister sur le terrain, alors que l'organisation des ARS ne le permet pas. Les directeurs d'ARS se plaignent de recevoir une circulaire par jour mais cela a toujours été ; c'est la conséquence du tronçonnage des politiques publiques. La difficulté réside dans le partage des compétences entre la région et les départements. Généralement, et pour des raisons historiques, le sanitaire relève de la région et le médico-social, du département. Que se passe-t-il pour les établissements médico-sociaux rattachés à un établissement de santé ? Il n'y a pas de réponse claire ni de coopération entre les services. Des millions d'euros gérés en région échappent au contrôle et des opérations simples ne peuvent plus être réalisées. C'est le syndrome de la valise qui doit être transportée d'un établissement sanitaire à un établissement médico-social. Le directeur général de l'ARS maîtrise la procédure à suivre mais ne s'occupe pas de ce genre de question mineure. Résultat : la valise attend six mois, alors qu'à l'époque des Ddass/Drass, le transfert aurait pris trois jours !
Je voudrais évoquer aussi les problèmes des services de santé-environnement. Ils ont souvent servi de variable d'ajustement et souffert de réductions d'effectifs car leur action n'a pas d'impact direct sur les dépenses d'assurance maladie. Assurant des missions régaliennes pour le compte du préfet, leurs agents se trouvent souvent en porte-à-faux entre celui-ci et le directeur général de l'ARS.
Vous direz, voici un discours de syndicaliste qui noircit le tableau. Lorsque nous avons publié nos conclusions sur les ARS en septembre, M. Jacquinet, président du collège des directeurs généraux des ARS, nous a répondu dans l'heure qui a suivi. Cela est inédit et démontre la pertinence de nos analyses.
FO dispose de 4 sièges sur les 17 du CNC et représente à la fois les agents de l'Etat et les agents régis par les conventions collectives. Mon propos d'aujourd'hui portera sur les conséquences de la création des ARS sur les personnels. Il constitue l'occasion de réitérer nos revendications, qui n'ont rencontré aucun écho depuis l'installation du gouvernement. La ministre des affaires sociales s'est distinguée par son silence.
Nous constatons un malaise au sein des ARS et de nombreux dysfonctionnements. L'Etat abandonne ses missions et ses agents au profit d'opérateurs extérieurs qui n'apportent pas de réelle plus-value. La condition des agents se dégrade à mesure que les attaques contre leurs garanties personnelles se multiplient. L'autonomie de gestion octroyée aux directeurs généraux des ARS au détriment des services de gestion des ressources humaines ministériels s'est traduite par des inégalités de traitement entre agents et par la progression du recrutement de contractuels au détriment de celui d'agents statutaires. Les attributions des institutions représentatives du personnel sont méconnues : récemment, la ministre a refusé de réunir un CHSCT après un suicide !
Le Gouvernement actuel continue dans les dérives du précédent. Près de 8 000 agents de l'Etat voient leurs liens avec le ministère insidieusement coupés et leurs règles statutaires remises en cause. Des discriminations sont constatées en matière de rémunération, d'hygiène et de sécurité. L'égalité n'a pas droit de cité au sein des ARS, selon la logique ministérielle.
Les effectifs sont en forte baisse : la suppression de 700 équivalents temps plein sur quatre ans correspond à la disparition des effectifs moyens de deux ARS. M. Piveteau, ancien secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales, avait souligné en son temps que les ARS étaient créées dans l'instabilité juridique. Aujourd'hui, les représentants du personnel rencontrent de graves difficultés pour faire fonctionner les institutions représentatives et exercer leurs mandats syndicaux. Les règles d'établissement des ordres du jour des réunions des comités d'agence et CHSCT et les délais règlementaires de transmission des documents ne sont pas respectés. Les directeurs refusent d'adapter les fiches de postes des représentants du personnel, rognent les crédits d'heure de délégation. Certains directeurs généraux ne président pas les instances... Les représentants du personnel sont en première ligne sur le front de la souffrance au travail des agents des ARS. Le but recherché est-il de décourager les derniers volontaires ?
Il est difficile d'obtenir des informations sur les rémunérations accessoires des agents de l'Etat alors que des dérives existent. En Champagne-Ardenne, une dotation de 60 500 euros destinée à ce poste a été transférée sur des dépenses de fonctionnement. Les réorganisations continuelles compliquent encore la situation.
La ministre se désintéresse du CNC : elle ne l'a jamais présidé, a refusé de recevoir les représentants du personnel qui y siègent et de leur communiquer les informations qu'ils sollicitent sur le budget des ARS, le recours à l'intérim, les conditions de rémunération des membres des Comex, etc... Ce bilan n'est pas exhaustif. La ministre n'est pas revenue sur les réformes dévastatrices qu'elle avait autrefois vilipendées.
Dans ce contexte, nos revendications sont nombreuses : réactivation du lien entre les agents et le ministère quelle que soit leur affectation, traitement égalitaire des agents d'un même corps, rétablissement d'un comité ministériel de plein exercice compétent pour veiller au respect du statut pour tous les agents des ARS, affirmation de la compétence des instances nationales - comité national d'action sociale, CHSCT du ministère - vis-à-vis des agents des ARS, application du statut de la fonction publique à tous les agents de l'Etat, octroi d'un véritable pouvoir de décision à la DRH nationale... Enfin, nous demandons la réalisation d'un audit sur le fonctionnement des ARS, préalable à leur disparition et à l'abrogation de la loi HPST.
Les personnels de l'assurance maladie transférés aux ARS continuent dans ce cadre de bénéficier des trois conventions collectives nationales qui leur étaient antérieurement applicables. Ils représentent 15 % des effectifs, autant dire que je parle aujourd'hui au nom d'une minorité... qui a fortement conscience de sa situation minoritaire. Le statut de l'établissement public ne facilite pas l'exécution des contrats de travail. Certaines inégalités de fait sont vécues comme des mesquineries.
Le bon fonctionnement du CNC est parfois entravé par des ordres du jour démesurés. A côté de la concertation, nous souhaiterions un pilotage national fort des personnels, conformément aux engagements pris dans le passé. Cela permettrait de résoudre certaines difficultés ou situations délicates.
Le sentiment d'abandon par les institutions d'origine est prégnant parmi les personnels que je représente. Le transfert s'est réalisé dans des conditions hétérogènes, parfois excellentes, parfois douloureuses. Les personnels sont attachés à la mobilité et souhaiteraient bénéficier d'un droit au retour dans les organismes d'origine. Cela est plus particulièrement nécessaire pour les praticiens-conseils. Alors qu'ils étaient historiquement gérés par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnam), celle-ci refuse de reconnaître leur parcours au sein des ARS. Cette situation constitue un motif d'inquiétude.
A côté d'un pilotage national, il convient également de mettre en place un pilotage local.
Enfin, les agents ont souvent le sentiment d'être des variables d'ajustement.
Ce sentiment, couplé à celui d'abandon que j'ai évoqué et aux difficultés de la mobilité, fait naître des risques psychosociaux. Pour les éradiquer, les personnels issus de l'assurance maladie souhaiteraient que l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (Uncass) joue pleinement son rôle au sein du CNC.
Je m'exprime au nom de la fédération CFDT de la fonction publique et de celle des agents de l'assurance maladie.
La CFDT aimerait être reçue ès-qualité par votre mission pour un autre temps de débat. Vous avez reçu individuellement les syndicats de médecins et de pharmaciens de la fonction publique, nous demandons à bénéficier d'un traitement équivalent.
La CFDT a soutenu la mise en place des ARS, conçues comme un outil de modernisation et de territorialisation de l'action publique.
Aujourd'hui le malaise du personnel, la perte de sens du travail, source de souffrance, sont indéniables. Comment en est-on arrivé là ? Les ARS souffrent de deux péchés originels.
Elles ont été installées aux forceps, dans la rudesse et la précipitation, sans dialogue préalable avec les personnels transférés qui ont eu le sentiment d'être traités comme des pions. Telle était la méthode du précédent gouvernement ! Aucune réflexion n'a été menée sur l'adéquation entre les missions et les moyens.
Après le vote de la loi, le politique a démissionné au profit des technocrates. Ils ont transformé le projet voulu par la représentation nationale en un meccano administratif qui ne peut fonctionner. En fait, les ARS constituent 26 petites entreprises indépendantes les unes des autres, sans vision stratégique... Un contractuel de droit public en poste dans une ARS ne peut envisager sa mutation dans une autre ARS. Les structures sont très hiérarchisées. Trois ans après, il n'y a ni gestion coordonnée, ni vision stratégique, ni pilotage national. Le comité national de concertation (CNC) et le conseil national de pilotage (CNP) sont défaillants. Nous avons demandé la constitution d'un comité central des agences et d'un délégué syndical central.
Le pilotage technocratique a également abouti à une remise en cause de la territorialisation réclamée par la CFDT. Nous ne voulons pas d'une centralisation régionaliste ; nous souhaitons une politique nationale mise en oeuvre au plus près des territoires de santé.
Aujourd'hui les inégalités sanitaires se sont accrues mais il n'est pas trop tard pour redonner du sens à la réforme.
Je suis praticien-conseil en charge des questions de santé à la CFE-CGC. Je suis d'accord avec le constat pessimiste dressé par mes collègues. Pour autant, je ne demande pas l'avortement des ARS quand bien même la grossesse pourrait-elle être considérée comme pathologique...
Je vais me faire le porte-parole des personnels de l'assurance maladie transférés : sur 214 praticiens-conseils, 31 ont quitté les ARS, soit un taux de fuite de 15 %. Près de 60 % de ceux qui restent ont plus de 55 ans. Pour remédier à la situation, le ministère vient de décider de ponctionner les effectifs des reçus au concours au profit des ARS. Cette mesure est inadaptée car les agences ont besoin de personnels expérimentés et non d'ersatz de médecins-conseils.
Des solutions existent, nous les avons soutenues : elles passent par le recours aux mises à dispositions de personnel, autorisées par la convention collective.
J'en viens à la question du déroulement de carrière. Sur 63 agents de direction, 43, soit 68 % de l'effectif, siègent aux Comex et aux Codir des ARS. En revanche, 18 praticiens-conseils seulement participent à ces comités, soit 7 % de l'effectif. Ces chiffres révèlent une inadéquation entre les qualifications et les classifications, les grades et les responsabilités. Au moment du transfert de personnel, aucune réflexion n'a été menée sur ce sujet. En matière de gestion des ressources humaines, les ARS ressemblent à un bateau ivre, sans pilote. Il est impératif de motiver les personnels en adoptant une ligne de direction claire.
Les praticiens-conseils assurent des missions de prévention et de planification de l'offre de soins. Les premières étaient peu développées au sein de l'assurance maladie et suscitent l'intérêt des médecins. La réalisation des secondes est source de difficultés pour les praticiens qui subissent un choc culturel. Ils travaillaient sur la mesure comptable des dépenses et de leur efficience. Il leur est demandé de réfléchir à des questions théologiques de santé publique. Les bases de données du secteur hospitalier et de l'assurance maladie diffèrent. Enfin, les praticiens étaient habitués à un dialogue entre les personnels de l'Etat et les personnels des anciennes agences régionales d'hospitalisation (ARH). Alors que les ARS devaient constituer une maison commune, le dialogue a disparu pour céder la place à la compartimentation. Une mission de l'inspection générale sur ce point serait donc opportune.
L'efficacité des nouvelles structures nous préoccupe. La loi HPST devait créer une maison commune à l'Etat et à l'assurance maladie afin d'optimiser l'offre de soins. Or les déficiences sont nombreuses. Les bases de données sont insuffisamment exploitées et incomplètes : dans le secteur public, elles ne recensent pas qui prescrit quoi, à qui, quand et pourquoi, alors que ces informations sont collectées dans le secteur privé. L'Objectif national des dépenses d'assurance maladie (Ondam) n'a été atteint que grâce au secteur des soins de ville et aux actions de contrôle de chaque professionnel de santé qui y ont été menées, et qu'il faut donc généraliser. Le pilotage national fait défaut. Les dix priorités sont déclinées dans chaque région sans concertation. Par exemple, les contrôles effectués par l'assurance maladie sur les arrêts de travail devraient avoir une influence sur la politique des structures qui dépendent de l'Etat. Certaines structures sont dotées par l'ARS de personnels salariés, et prescrivent des prestations payées par l'assurance maladie, sans que ce coût soit intégré dans le calcul de leur dotation : mieux vaudrait créer des emplois en leur sein. Les ARS ne fonctionnent pas, faute de culture de la gestion du risque, et de pilotage national en la matière. Leurs interlocuteurs de l'assurance maladie, les directions de caisse, ne sont pas les bons car ils n'ont pas accès aux données pertinentes. C'est un dialogue de sourd.
Je recommande donc d'encourager la mise à disposition des personnels ; de renforcer l'attractivité de toutes les professions présentes dans les ARS ; d'y mettre en adéquation les grades et les métiers ; de mettre les PRS en conformité avec la loi ; d'uniformiser les paramètres d'enregistrement des dépenses dans le public et dans le privé, comme le recommandera le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie ; de faciliter, sous réserve des exigences de confidentialité, l'utilisation des bases de données par les organismes en charge de la gestion du risque ; de mettre en place un pilotage national de la gestion du risque, articulé autour d'une autorité de maîtrise d'ouvrage et d'une maîtrise d'oeuvre dotée d'un corps national de contrôle, qui devra rester indépendant et n'être surtout pas rattaché aux organismes payeurs locaux.
Les agents de l'assurance maladie transférés dans les ARS regrettent leur identité perdue. Leurs missions sont galvaudées, et les services de ressources humaines ne connaissent pas leurs conventions collectives. Protéger leurs acquis et faire respecter nos droits est donc une lutte permanente. Le recrutement d'agents non issus de l'assurance maladie sous notre convention collective menace notre identité. Nous avions demandé, lors de la mise en place des ARS, qu'il n'y ait pas de transferts mais des détachements. Le ministère a refusé. Minoritaires, nous nous sentons mis en minorité.
La multiplicité des conventions collectives dans le privé, pour une population peu nombreuse, ne simplifie pas la gestion pour les ARS. Les cadres, les praticiens-conseils, les agents provenant du RSI et ceux provenant de la MSA ont chacun leur convention collective. Nous avions proposé à M. Piveteau de réduire le nombre de conventions collectives à deux, que le RSI et la MSA participent au financement sous forme d'une soulte et que les salariés embauchés le soient sous le régime général. Cette idée est inscrite à l'ordre du jour du prochain CNC.
Merci de vos exposés, qui ont mis en évidence les difficultés rencontrées. Vous exprimez tous une souffrance, un sentiment de perte de sens et de repères. Dans cette maison commune créée par la loi, il y a encore beaucoup de compartiments. L'objectif était pourtant de substituer aux anciens acteurs - ARH, services extérieurs de l'Etat et assurance maladie - une organisation plus efficiente regroupant un large champ de métiers. Vous êtes unanimes à dire qu'il n'a pas été atteint. Notre volontarisme nous a-t-il conduits à vouloir faire embrasser trop vite un ensemble trop large de missions aux 26 ARS ? Chacune a dû s'organiser à sa manière... Comme on dit au bridge, ce ne fut pas un fit. Si c'était à refaire, quelles missions devrions-nous distraire des ARS ? Faut-il au contraire élargir leur champ d'action et y inclure la veille environnementale et sanitaire ? Devons-nous, pour assurer leur pérennité, revoir leur champ d'intervention ?
Vous êtes, en effet, unanimes. J'ai été rapporteur de cette loi : les problèmes ne découlent pas du texte mais de sa mise en oeuvre précipitée. Je précise toutefois qu'il n'a jamais été question de créer une structure unique entre l'Etat et l'assurance maladie, qui ne sauraient être placés sur un pied d'égalité ! Il s'agit simplement de mettre en commun certaines de leurs compétences.
Secrétaire générale du syndicat national des personnels de santé environnementale, je vous ai interrogés le 15 novembre par courrier sur la place de la santé environnementale dans les ARS. Lors de la RGPP, le ministère de la santé avait décidé de transférer les quelque 1 500 personnels de santé environnementale dans les ARS, sans discussion préalable. Le débat que nous réclamions sur l'organisation nationale des missions de santé environnementale n'a pas eu lieu. Pourtant, la sécurité alimentaire relève du ministère de l'agriculture pour les produits animaux, du ministère de la consommation pour les produits végétaux, l'inspection des installations polluantes revient au ministère de l'écologie, le contrôle sanitaire des eaux destinées à la consommation humaine est fait, contrairement aux autres pays européens, par l'Etat... Nous exerçons nos missions pour les préfets de département, selon des protocoles prévus par la loi, que la régionalisation induite par les ARS rend difficiles à appliquer. Pour des raisons budgétaires, nous allons de moins en moins sur le terrain, ce qui nous transforme en personnels administratifs. Sans véhicule pour aller en montagne contrôler un captage d'eau, comment faire de la prévention ? Formés à l'école des hautes études de santé publique, nous n'avons plus de réunion professionnelle nationale.
Les ARS sont sans cesse chargées de nouvelles missions alors que leurs effectifs diminuent. Ils sont désormais comptabilisés par ETP, ce qui conduit à privilégier le recrutement d'agents de catégorie A, au détriment des catégories C, et ces agents coûtent très cher ! Les directeurs généraux des ARS veulent que les ARS soient opérationnelles 24 heures sur 24, ce dont nos collègues issus de l'assurance maladie n'avaient pas l'habitude.
Avons-nous trop élargi le champ des missions ? La question est plutôt de définir les objectifs et la manière de les atteindre en définissant l'échelle territoriale optimale. L'Etat doit contrôler tous les paramètres qui guident l'organisation de la santé et de la dépense. Le problème n'est pas de réduire le nombre de conventions collectives : l'Etat n'a pas à s'embarrasser de telles questions, mais il doit donner la direction et identifier, dans chaque institution, les personnels les mieux à même d'atteindre les objectifs qu'il a fixés. L'erreur a été d'autoriser certaines institutions à décliner les objectifs.
La question n'est pas de savoir si le champ est trop large. Le problème est à la fois dans la loi et dans son application. Les déterminants de la santé sont sociaux et environnementaux, mais la création des ARS nous l'a fait perdre de vue et nous prive des moyens d'agir sur les causes. La CGT, au risque de vous étonner, ne réclame pas un retour en arrière mais souhaite que chacun retrouve la place qui lui revient. C'est l'Etat qui a la légitimité pour conduire une politique de santé publique. Cela ne remet pas en cause les prérogatives de l'assurance maladie, notamment en matière de gestion du risque. Le niveau régional doit être celui de l'analyse, de l'expertise et de la coordination, voire des décisions sur les grandes orientations. La présence sur le terrain doit être organisée au niveau départemental. L'enchevêtrement actuel des compétences interdit toute efficacité.
Nous ne sommes pas unanimes sur l'expression d'une souffrance et d'une perte de repères : ne confondons pas le symptôme et la cause ! Certaines organisations syndicales veulent faire respecter les conventions collectives et le statut de la fonction publique, d'autres aggraver ce que nous considérons comme les causes du problème. A nos yeux, la régionalisation, pas plus que la gestion centralisée du personnel, ne préserveront les statuts. Ce qu'il faut, c'est maintenir les prérogatives de chaque département ministériel ; un statut unique ne serait pas une solution. La loi qui nous a mis dans cette situation ne parle pas de délégation départementale mais uniquement de délégation territoriale. Force Ouvrière est viscéralement attachée à la forme de notre République, fondée sur l'existence des départements. Nous souhaitons donc le rétablissement d'un service de l'Etat dans chaque département. Notre ministère est le seul qui en soit dépourvu : il doit s'en remettre à 26 établissements publics indépendants.
Le problème n'est pas celui du périmètre d'action, mais celui de l'absence de pilotage national. L'ARS n'est peut-être pas un service de l'Etat, mais c'est un de ses opérateurs, et son directeur général est nommé en conseil des ministres, comme un préfet, et participe au comité de l'administration régionale auprès du préfet de région. Il pilote une politique d'Etat. L'ARS n'est certes pas une maison commune entre l'Etat et l'assurance maladie, mais un lieu de mise en commun des compétences et de construction d'une culture commune. Il faut simplement insuffler aux 26 ARS un esprit commun d'application des politiques nationales en fonction des réalités territoriales. Le législateur doit se préoccuper aussi de l'application des lois qu'il vote !
Justement, comment articuler les politiques régionales de santé avec une politique nationale ?
J'ai vécu la phase de préfiguration, participé aux travaux du CNC provisoire : plutôt que de vitesse, il faut parler de précipitation. Le débat a vite porté sur les astreintes effectuées par les agents issus de l'assurance maladie, et est devenu très confus. Une réunion a clarifié les choses : dans la fonction publique, les astreintes sont normales, mais les enjeux de pouvoirs locaux ont conduit les ARS à vouloir faire trop pour les moyens dont elles disposaient. Les transferts de poste ont parfois abouti à des inadéquations entre les personnels transférés et les missions qui leur étaient confiées. Il est même arrivé que certains restent six mois sans mission ! Ce n'est pas un modèle de bonne gestion des ressources humaines...
La gestion des ressources humaines de l'Etat n'est pas toujours meilleure... Le bilan de la RGPP fait par les trois inspections générales en 2012 soulignait une conduite du changement défaillante, l'absence d'accompagnement des réformes par une gestion adaptée des ressources humaines et une communication stigmatisante à l'égard des agents publics. Au même moment, le rapport de la Cour des comptes qui a traité de la mise en place des ARS donnait un satisfecit au secrétaire général du ministère des affaires sociales, saluant « une mise en place rapide et maîtrisée des ARS, sans aucune rupture avec les institutions qu'elle fusionnait ». Il est vrai que son rédacteur était un proche de celui-ci...
La préconisation n° 27 était d'élargir les possibilités, pour les directeurs généraux, de recruter le personnel sur contrat.
Au même moment, le Gouvernement faisait adopter la loi Sauvadet pour la titularisation des agents contractuels de l'Etat, y compris des ARS !
La santé publique doit être une politique nationale. Les inégalités sociales ne concernent pas que la santé. Les ARS ont-elles vocation à s'occuper de l'ensemble des problèmes sociaux ? Non ! Elles doivent se mettre au service d'autres politiques publiques. La RGPP a retiré la santé humaine du champ de la cohésion sociale, tout en y incluant celle des animaux... Mme Touraine est ministre des affaires sociales et de la santé, même si les affaires sociales semblent ne l'intéresser que modérément. La mobilité des personnels aidera à conjuguer les deux dimensions : les ARS ne doivent pas s'enfermer dans le seul domaine de la santé, surtout si c'est pour tout y subordonner à des considérations budgétaires.
Depuis la mise en place des ARS, nous réclamons le renforcement des services de l'Etat, comme la majorité des autres organisations syndicales. Le ministère n'a pas voulu nous communiquer le montant des émoluments des directeurs généraux d'ARS. Cette revendication unanime est pourtant bien légitime dans le secteur public ! Nous dénonçons également depuis trois ans l'opacité des primes versées aux agents. A qui pouvons-nous nous adresser ? Nous n'avons jamais vu de ministre participer au CNC...
Nous sommes en effet souvent interpellés sur l'opacité de certains émoluments, qui se situent d'ailleurs en marge des conventions collectives.
En 2005, la question de l'articulation des différents niveaux s'étaient déjà posée. Les conséquences de tel cancer étaient étudiées séparément à Brest, Marseille, Strasbourg... Une semblable cacophonie existe toujours. Un pilotage national est donc nécessaire. Il s'agit de déterminer les priorités nationales et de les faire décliner par un organisme spécifique. Les ARS veilleront au suivi du volet national et s'assureront que les spécificités régionales soient réelles et pertinentes.
L'idée d'un pilotage national respectant les spécificités des régions me séduit. Dans ma région, montagneuse, l'ambition de développer une politique régionale se heurte aux impératifs budgétaires. Le directeur général d'une ARS a un pouvoir considérable, mais les élus s'opposent parfois à ses décisions. Sa nomination en conseil des ministres en fait l'équivalent d'un préfet, mais il manque la coordination entre ces 26 décideurs, tout comme la concertation avec les élus locaux, même si ceux-ci ont tendance à formuler des demandes excessives. Cette puissance me paraît trop importante.
Comment les élus locaux peuvent-ils être des partenaires de la politique sanitaire et sociale d'un territoire ? Le malaise des personnels de l'assurance maladie est réel. Que faire ?
Les directeurs généraux des ARS n'ont pas trop de missions, ils ont trop de pouvoir. Avec leur Comex, ils décident de tout. Au lieu de cantonner les équipes à des tâches d'application, ils devraient les mettre en situation de formuler des propositions. Certains directeurs du Comex n'ont aucune idée de la réalité du travail quotidien de leurs agents, quand toute une partie du personnel est exclue de la prise de décision. Les personnels de l'Etat des catégories B et C et ceux de l'assurance maladie des niveaux 3, 4 et 5 ne sont pas écoutés. Parfois, ils n'ont rien à faire, car leur travail est vampirisé par la concentration régionale. Certains centres régionaux, à l'inverse, sont débordés... A quoi bon, du point de vue des agences, demander l'avis des partenaires, y compris des élus ? Celui-ci n'est que consultatif et n'influe pas sur la décision.
La concentration de tant de pouvoirs sur une personne, fût-elle un surhomme, conduit nécessairement à des dérives.
Les personnels de l'assurance maladie se sentent isolés et abandonnés, notamment de la part de l'Union des caisses nationales de sécurité sociale (Ucanss) : je le ressens dans mon ARS. La loi surpondère pourtant leurs voix dans la représentation du personnel : les agents de l'Etat, avec 80 % des effectifs, disposent de 60 % des sièges. Leur culture n'est pas la nôtre : leur point de vue assurantiel diffère de notre préoccupation de couverture universelle. Leurs salaires aussi sont différents : à qualification égale, la variation de salaire pour un même travail peut aller jusqu'à un tiers. Un statut commun n'arrangerait rien et coûterait très cher à l'Etat, les différences salariales étant trop importantes. Les directeurs des ressources humaines issus du secteur privé ne connaissent pas les droits de leur personnel. C'est choquant !
Comment a-t-on pu confier autant de pouvoirs à une seule personne ? La prétendue « démocratie sanitaire » n'a de démocratie que le nom : ses organes sont fantoches, et les contre-pouvoirs inexistants. La répartition du pouvoir au sein des agences est déséquilibrée : tout va au niveau régional, ce qui prive les élus locaux d'interlocuteurs. Ce n'est pas un hasard : cette administration est faite pour dire non. Il faut rendre à chacun la place qui lui revient et conjuguer expertise de terrain et hauteur de vue afin que les élus locaux disposent d'un interlocuteur valable. Certains directeurs généraux ont du mal à travailler avec les conseils généraux.
Dans ma région, des discussions homériques sur les conditions d'accès aux établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (Ehpad) n'ont pas abouti, faute d'accord avec les conseils généraux. Or, sur cette articulation, la loi est muette.
Le pouvoir du directeur général d'ARS est renforcé par le défaut de pilotage national, l'absence d'exploitation des bases de données et la faiblesse des institutions de démocratie sanitaire.
Il y a surtout un problème de gestion des ressources humaines, même si les instances de représentation du personnel ont toutes les pouvoirs d'un comité d'entreprise. Un contre-pouvoir devrait exister : nous disposons des outils de contrôle de la démocratie sanitaire ; il convient de les utiliser.
La réforme de l'Etat est nécessaire mais insuffisante ; d'autres acteurs publics sont concernés. Les ARS comptent un conseil de surveillance. C'est inédit - il n'existait pas dans les Drass -, mais il n'exerce pas sa mission de contrôle du fait d'un manque de volonté politique. Faisons-le fonctionner !
Aujourd'hui, il est présidé de droit par le préfet de région. Ce pourrait être un élu, par exemple le président du conseil régional.
Nous pourrions aussi prévoir une articulation avec le Conseil économique, social et environnemental régional. L'usager devrait avoir droit de parole.
Comment remédier à la souffrance des personnels de l'assurance maladie ? L'Ucanss doit être le garant du respect de nos droits. Elle devrait organiser chaque trimestre une réunion avec les représentants des agents de l'assurance maladie afin d'exposer les problèmes et rechercher les solutions. C'est tout simple. Nous le demandons depuis longtemps.
J'approuve la proposition de Madame Oliva.
Au niveau des ARS, le super directeur a-t-il trop de super pouvoirs ? Il convient sans doute de former l'encadrement à l'application du droit conventionnel. Le transfert des personnels de l'assurance maladie s'est accompagné de celui de dotations budgétaires dont l'utilisation n'est pas claire.
Au niveau national, il faut reconnaître que le CNC ne constitue pas la structure la plus appropriée compte tenu de sa composition. De ce point de vue, l'intervention de l'Ucanss pourrait représenter un signal fort en direction du personnel.
Nous avons auditionné M. Piveteau, ancien secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales. Nous entendrons son successeur, M. Bras. Nous lui soumettrons quelques-unes des questions posées aujourd'hui, non pas pour l'accabler, mais pour dégager des pistes de réponse.
Le projet d'arrêté organisant le concours d'ingénieur sanitaire prévoit la participation au jury d'un directeur général d'ARS. Est-ce son rôle ? N'est-ce pas plutôt celui du secrétaire général ?
Le turn-over des personnels de certaines ARS est élevé. On en est parfois au troisième directeur général en quatre ans ! M. Lagarde a rejoint le cabinet de Mme Bachelot en une nuit. Du jour au lendemain, des personnels qui suivaient des dossiers complexes ont dû tout recommencer.
Je signale un article intéressant paru dans la revue Santé publique intitulé : « ARS, deux après : une autonomie de façade ? ». Ainsi, à partir d'un diagnostic commun, on peut tirer des conclusions opposées... La Mecss peut-elle entendre la ministre ? Nous serions curieux de connaître sa position.
MM. Jean-Noël Cardoux et Jean-Pierre Godefroy sont désignés rapporteurs sur le régime social des indépendants (RSI).