La réunion est ouverte à 14 heures.
Mes chers collègues, nous recevons aujourd'hui M. Stéphane Carcillo, économiste à la direction de l'emploi, du travail et des affaires sociales de l'Organisation de coopération et de développement économiques, l'OCDE.
Cette audition doit permettre aux membres de la commission de mieux appréhender les politiques de l'emploi mises en oeuvre dans les pays européens.
Il serait en effet intéressant, Monsieur Carcillo, que vous nous présentiez les études relatives aux politiques de lutte contre le chômage réalisées par l'OCDE. Nous souhaiterions plus précisément connaître votre analyse s'agissant de l'efficacité des mesures prises en faveur de l'emploi par certains pays européens ces dernières années.
Je vous précise que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle sera captée et diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera également l'objet d'un compte rendu publié.
Je vous donne maintenant la parole pour un exposé liminaire d'une quinzaine de minutes, à la suite duquel le rapporteur, M. Philippe Dallier, ainsi que les autres membres de la commission, vous poseront leurs questions.
Je présenterai, dans un premier temps, la situation du marché du travail dans différents pays européens et du G7 - tout l'intérêt de l'OCDE est de pouvoir réaliser des comparaisons avec les autres grands pays développés - et, dans un second temps, les principales réformes relatives au marché du travail intervenues dans un certain nombre de pays européens et l'effet possible induit sur l'emploi - tout en sachant qu'il faut être assez prudent, ces réformes étant très récentes (M. Carcillo commente des slides projetées).
Dans un plusieurs pays européens, l'emploi n'a pas retrouvé son niveau d'avant la crise de 2008-2009. C'est notamment le cas de la France, dont le taux d'emploi est relativement faible par rapport aux autres pays européens et aux pays du G7, c'est-à-dire qu'une moindre proportion de la population en âge de travailler est en emploi.
La courbe d'employment gap, c'est-à-dire du manque d'emplois, montre bien que l'emploi a diminué dans beaucoup de pays, dont la France, par rapport à 2007. Les projections dont nous disposons jusqu'en 2017 nous laissent penser que cette situation perdurera encore quelque temps...
Il faut tout de même rappeler que 2007, année qui précède la crise, est un point de comparaison très exceptionnel : nous étions alors dans un point haut du cycle économique des pays du G7, 2006 et 2007 ayant été des années de forte croissance. Comparer la situation actuelle avec ce qu'elle était alors est donc un peu compliqué.
Si nous n'avons pas retrouvé le niveau d'emploi d'avant la crise, il en va de même du taux de chômage. Les projections dont nous disposons pour 2017 montrent que la situation de la France n'est pas très favorable : nous sommes encore loin des 7,5 % de 2007.
La France connaît un des taux de chômage les plus élevés des pays européens et des grands pays de l'OCDE. Dans certains pays du sud de l'Europe - Italie, Portugal, Espagne et Grèce -, qui ont beaucoup souffert de la crise, le taux de chômage a commencé à reculer, sans pour autant retrouver les niveaux de 2007.
La part du chômage de longue durée dans ce taux de chômage élevé est préoccupante. Depuis 2007, le chômage de longue durée a augmenté, notamment en France.
Si ces chiffres doivent être pris avec précaution, le chômage de longue durée est un phénomène inquiétant : plus il y a de chômeurs de longue durée, plus il est difficile de faire baisser le chômage rapidement. Toutes sortes de raisons peuvent expliquer cette situation : perte de qualification des personnes concernées, « effet de stigma »...
Toutefois, certains pays ayant des taux de chômage très faibles, je songe à l'Allemagne, par exemple, ont aussi une part élevée de chômeurs de longue durée. C'est qu'ils sont les derniers à faire sortir du chômage, ce qui est très difficile.
Le taux de chômage des jeunes est également inquiétant. Il est encore plus éloigné de ses niveaux d'avant la crise que le taux de chômage global.
Le taux de chômage des jeunes en France est de l'ordre de 24 %, soit juste en dessous des niveaux observés dans les pays du sud de l'Europe. Ce taux élevé est d'autant plus préoccupant qu'il emporte de nombreuses conséquences sociales - il peut même atteindre 50 % dans certaines zones.
S'il s'agit d'un indicateur intéressant, il faut noter que de nombreux jeunes ne sont pas sur le marché du travail. Les taux de chômage sont également difficilement comparables en raison des pratiques de chaque pays en matière de cumul emploi-études. Dans les pays du Nord, par exemple, les jeunes travaillent souvent, ce qui veut dire qu'ils sont également souvent au chômage pour de petites périodes, alors même qu'ils suivent des études. Cette situation est de nature à gonfler potentiellement les chiffres du chômage par rapport aux pays qui n'ont pas cette tradition.
L'OCDE a développé un autre indicateur, le taux de NEET - Neither Employed in Education or Training. Il s'agit des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en éducation, ni en formation. Pour dire les choses autrement, ce sont des jeunes au chômage, ou inactifs, qui ne se forment pas.
Cet indicateur permet d'aller plus loin que le taux de chômage en ce qu'il inclut aussi les inactifs, c'est-à-dire ceux qui ne vont même pas à Pôle emploi. Il est calculé à partir de l'ensemble de la population des jeunes de 15 à 29 ans, et non sur la seule base des jeunes actifs. La population NEET atteint en moyenne 12 % à 15 % dans les pays de l'OCDE ; elle est de 15 % en France, soit environ 1,7 million de jeunes Français qui ne sont ni dans l'emploi, ni scolarisés, ni en en formation...
Plus de la moitié de ces jeunes sont inactifs - ils ne sont même pas enregistrés à Pôle emploi - et environ un tiers d'entre eux n'a aucun diplôme.
Les pays connaissant les plus faibles taux de NEET disposent en général de très bons systèmes de formation. C'est le cas, par exemple, de l'Allemagne, de l'Autriche et de la Suisse, où l'apprentissage est très développé.
À l'inverse, les taux de NEET sont très élevés dans les pays du sud de l'Europe, en Espagne, en Grèce, en Italie et, malheureusement, en France.
À partir de 25 ans, ces jeunes peuvent ou non bénéficier du RSA. Mais comment dénombrer ceux qui, n'ayant pas encore 25 ans, ne viennent pas dans les Missions locales et ne sont pas inscrits à Pôle emploi ?
Tous ces chiffres sont issus d'enquêtes. L'OCDE n'utilise pas de chiffres administratifs pour la simple raison qu'ils ne sont pas comparables entre pays.
Dans certains pays, par exemple, les prestations chômage sont très faibles et les gens ne voient pas l'intérêt d'aller s'inscrire. Pourtant, ils cherchent un travail et sont chômeurs.
C'est la raison pour laquelle nous préférons utiliser des enquêtes. Les personnes sont interrogées sur leur activité, sur le fait de savoir si elles cherchent un travail ou non... Nous leur posons aussi les fameuses questions qui permettent de définir de façon homogène le chômage ou l'inactivité à travers les pays.
La question de la progression des salaires est aussi assez intéressante. Elle s'est fortement ralentie avant la crise puis a retrouvé son dynamisme en sortie de crise. Dans certains pays - je pense à la Grèce, à l'Espagne et au Portugal -, nous avons constaté de très forts ajustements des salaires à la baisse. J'y reviendrai tout à l'heure à propos des réformes menées dans ces pays.
Les emplois créés en sortie de crise sont essentiellement des emplois de services. Nous ne retrouvons pas les emplois des secteurs manufacturiers, par exemple, qui ont connu d'énormes restructurations. Les services, qu'il s'agisse de services sociaux - éducation, santé, services publics - ou de services aux entreprises et aux particuliers sont des sources de croissance importantes des pays de l'OCDE en sortie de crise.
Mesurez-vous également le degré de stabilité de l'emploi ? Ces emplois de services relèvent-ils davantage de contrats de court terme ou de CDI ?
Dans la mesure où il s'agit d'emplois de services, nous avons constaté une légère hausse, eu égard aux énormes stocks d'emplois concernés, de la part de l'emploi temporaire, c'est-à-dire des CDD. Nous avons également constaté une légère hausse de l'emploi à temps partiel, mas je n'aborderai pas cette question.
L'emploi temporaire, notamment en France, augmente à la faveur de la création d'emplois dans les services. Ces derniers ne sont toutefois pas les seuls à générer des emplois temporaires. Les employeurs, qui ne sont pas totalement certains de la pérennité de leur carnet de commandes, ont aussi tendance à privilégier les CDD aux CDI...
Au sein de l'OCDE, 10 % à 12 % du stock d'emplois sont des emplois en CDD. En France, cette part est un peu plus élevée. Nous faisons partie des pays où le dualisme du marché du travail - entre contrats permanents, protégés, et contrats à durée déterminée - est relativement important.
Ce dualisme est inhérent à la nature de certains contrats de travail. Il est également très fortement déterminé par la législation de protection de l'emploi, la fameuse réglementation sur les licenciements.
Dans les pays où la réglementation relative aux licenciements est très stricte, on observe des taux de CDD très élevés, sans pour autant avoir des taux de chômage plus faibles.
En effet, le CDD a le défaut de générer beaucoup de rotations sur les mêmes emplois et de pousser plus souvent les gens vers le chômage. Or, une fois au chômage, il leur faut un certain temps pour retrouver un emploi. Étendre les contraintes et faciliter le recours au CDD n'est donc pas l'outil le plus efficace pour faire baisser le chômage.
J'en viens aux réformes récentes.
Je voudrais en souligner deux aspects intéressants : d'une part, la question de la protection de l'emploi, c'est-à-dire de la réglementation relative aux licenciements ou aux contrats à durée déterminée ; d'autre part, la question de la négociation collective et de la capacité des partenaires sociaux à négocier, au niveau des entreprises, des accords plus adaptés eu égard à la situation locale.
Les réformes conduites principalement dans les pays du sud de l'Europe ont tourné autour de ces deux aspects : assouplir à la marge le contrat à durée indéterminée tout en restreignant l'accès au contrat à durée déterminée ; faciliter les négociations au niveau de l'entreprise pour mieux adapter les grilles salariales et certaines conditions de travail au marché local des petites entreprises.
L'OCDE a développé un indicateur - actualisé tous les deux à trois ans - spécifique à la protection de l'emploi : l'indicateur de législation de la protection de l'emploi, le LPE.
Cet indicateur, qui s'intéresse aussi aux autres pays hors OCDE, recouvre tous les aspects du licenciement. Il s'appuie essentiellement sur la législation des États, mais aussi, quand elle est connue, sur la jurisprudence.
De nombreux pays ont réformé leur système de protection de l'emploi pendant la crise. Cet indicateur nous permet de voir que l'Italie, la Grèce, le Portugal, l'Espagne, l'Estonie et la Slovénie ont mené des réformes en vue d'assouplir leur réglementation.
Toutefois, réformer la protection de l'emploi peut avoir des effets ambigus sur le niveau de l'emploi. Le fait de faciliter les licenciements pour motif économique - c'est l'enjeu principal - peut avoir des effets différents selon le moment où l'on se situe dans le cycle économique. À court terme, cela favorisera à la fois les destructions et les créations d'emploi.
En effet, si le chef d'entreprise sait qu'il pourra ajuster ses effectifs lorsque le carnet de commandes baissera, il aura tendance à se montrer plus audacieux en termes d'embauches, notamment en CDI.
Bien évidemment, si l'on engage une telle réforme dans un cycle économique bas, c'est l'effet destructeur qui prédomine : au bout de quatre ans, on aura détruit davantage d'emplois qu'on en aura créés.
Au contraire, si l'on conduit cette réforme lorsque l'économie redémarre, les créations d'emplois l'emporteront au bout d'un an, voire de deux ou trois ans.
Il est important d'avoir cela en tête lorsqu'on essaie de mesurer l'efficacité des réformes sur l'emploi. Il faut tenir compte du moment du cycle où se situaient les pays au moment d'engager leurs réformes et attendre de disposer du recul nécessaire, ce qui n'est pas forcément le cas aujourd'hui.
La presse a beaucoup parlé de la réforme conduite en Italie. Le fameux Jobs Act de Matteo Renzi en 2014 s'est fait en deux temps, dans le sillage de la réforme de Fornero de 2012.
En Italie, contrairement en France, il n'y a pas d'indemnité légale de licenciement. Une personne qui perd son emploi ne reçoit aucune indemnité. Par contre, il existe bien une obligation de reclassement, comme en France.
Par ailleurs, la définition du licenciement pour motif objectif est très vague en Italie. Il s'agit d'un motif inhérent au fonctionnement de l'entreprise, laquelle n'a pas besoin d'éprouver des difficultés économiques pour licencier. Cela tient notamment au fait que l'Italie n'est pas signataire de la convention OIT de 1958, contrairement à la France ou à l'Espagne, par exemple.
La réforme de Fornero en 2012 a mis fin au dispositif de réintégration du salarié en cas de licenciement jugé non fondé par la justice. Il s'agit d'un point très important, car cette réintégration obligatoire faisait très peur aux employeurs au moment d'embaucher.
C'est en 2015 que le fameux CDI à droits progressifs est entré en vigueur. Désormais, il existe un barème d'indemnités progressives auquel le juge doit faire référence.
Ce barème est fixe et ne constitue pas un maximum : deux mois de salaires par année d'ancienneté, plafonné à vingt-quatre mois pour douze ans d'ancienneté. Il s'agit d'un barème généreux, plus élevé que le barème indicatif dont il a été récemment question en France, sans doute parce qu'il n'existe pas d'indemnités légales en Italie.
Par ailleurs, ce barème a été doublé par un second barème, moins généreux, mais totalement défiscalisé : si l'employeur et le salarié se mettent d'accord, au moment du licenciement, pour ne pas aller devant le tribunal et transiger, l'employeur doit verser un montant fixé par la loi. Le salarié a une semaine pour accepter cette offre, la somme perçue n'étant pas fiscalisée.
Il s'agit donc d'une sorte de transaction, de procédure express afin de désengorger les tribunaux, employeur et salarié considérant sans doute tous deux qu'il y a un risque à se présenter devant le juge...
Deux autres points méritent d'être relevés : l'assurance chômage, qui était très faible, a été étendue afin de compléter la réforme portant sur le licenciement économique ; la mise en place du nouveau CDI à droits progressifs s'est accompagnée d'une subvention aux entreprises de 8 000 euros pendant trois ans, avant d'être ramenée dès l'année suivante à 3 500 euros.
Les données très récentes de l'institut statistique italien montrent que le nombre de nouveaux contrats permanents - le fameux nouveau CDI - a fortement augmenté juste après la réforme. Ce qui est troublant, c'est de ne pas savoir si cet effet positif trouve sa source dans l'existence d'un nouveau barème fixe qui permet aux employeurs de mieux prévoir le coût d'un licenciement ou dans cette importante subvention à l'embauche.
Il faut donc être prudent dans l'analyse de ces données longitudinales. Il faudrait pouvoir étudier ce qui se serait passé en l'absence de réforme, ce que nous ne pouvons faire.
Entre décembre 2015 et janvier 2016, au moment où la subvention est passée de 8 000 euros à 3 500 euros, nous remarquons un pic d'embauches - il s'agit sans doute d'un effet d'aubaine. Passé cette date, les chiffres baissent parce que les employeurs ont un peu anticipé sur leurs besoins. La question est de savoir si les courbes de l'emploi vont retourner sur un plateau correspondant à l'effet du nouveau contrat en lui-même.
Cela étant, il est probable que la combinaison de ces deux éléments - mise en place d'un barème fixe et instauration du nouveau CDI - contribue à l'effet favorable de la réforme sur le niveau d'emploi en Italie.
La réforme conduite en Espagne est d'autant plus importante qu'elle a inspiré certains aspects du fameux projet de loi « Travail » actuellement en cours de discussion au Parlement.
Il était essentiel de mieux définir ce qu'était un licenciement économique justifié. La réglementation espagnole en la matière était très proche de celle de la France, c'est-à-dire peu claire et reposant pour une grande part sur la jurisprudence.
L'Espagne a donc inscrit dans la loi que le licenciement pour motif économique était justifié en cas de baisse du chiffre d'affaires pendant quatre trimestres. La réforme proposée dans le cadre du projet de loi « Travail » va plus loin en retenant également les notions de baisse du carnet de commandes et de pertes.
Cette baisse du chiffre d'affaires est-elle limitée au périmètre national ?
La France est l'un des seuls grands pays de l'OCDE à retenir pour périmètre le monde entier. Même l'Espagne s'en tenait au périmètre national.
La France est l'un des trois grands pays de l'OCDE - avec l'Espagne et l'Italie - à considérer le groupe auquel appartient l'entreprise et non uniquement l'entité pour évaluer les difficultés. Je crois que l'Espagne est également revenue sur cette dimension.
La France est donc le seul pays à prendre en compte à la fois le groupe et le périmètre international pour apprécier des difficultés économiques ayant conduit à un licenciement.
Oui, à l'instar du périmètre international.
L'Espagne a également réduit de 25 % le montant des indemnités en cas de licenciement non fondé, qui était très élevé.
De plus, elle a supprimé la possibilité de rappeler les salaires. En effet, si le juge décidait que le licenciement n'était pas fondé, il pouvait ordonner le rappel des salaires sur quatre ans, soit des sommes considérables. Dès lors, on comprend mieux pourquoi les employeurs ont autant recours au travail temporaire, le CDD représentant 30 % des emplois en Espagne.
Par ailleurs, il n'existe plus d'autorisation administrative pour les licenciements économiques et collectifs et un nouveau CDI avec période d'essai prolongée a été mis en place pour les PME.
S'agissant de la négociation collective, l'Espagne - c'est aussi l'une des propositions du fameux projet de loi « Travail » français - a donné priorité aux accords d'entreprise sur les accords de branche et les accords sectoriels. Elle a également facilité, pour les entreprises, la possibilité de sortir des accords de branche pour mener des négociations à leur niveau.
Enfin, elle a réduit l'extension automatique d'une année des accords de branche expirés afin d'inciter au dialogue social.
Il est difficile de dire quel est l'impact de la réforme espagnole sur l'emploi. Ce que l'on sait de ces réformes, au regard de la littérature d'évaluation économique, c'est que le fait de clarifier ou d'assouplir les règles du licenciement économique a des effets positifs sur la productivité des entreprises. Cela leur permet de s'ajuster plus rapidement aux nouvelles conditions de marché et aux nouvelles technologies, ce qui profite, in fine, à la richesse nationale.
Cela permet également de réduire le dualisme du marché du travail en stimulant les embauches en CDI au détriment des CDD, ce qui profite aux personnes en marge - les jeunes, les personnes les moins qualifiées et les femmes ayant interrompu leur activité. Le marché du travail devient donc plus égalitaire, plus juste.
Les effets de cette réforme sur l'emploi sont plus difficiles à évaluer. Comme je l'ai souligné, il faut disposer d'un certain recul pour apprécier l'effet net de ces réformes sur l'emploi.
En revanche, une étude de l'OCDE, basée sur des données d'entreprises, a clairement montré que les embauches en CDI ont davantage augmenté - de l'ordre de 300 000 contrats -après la réforme espagnole de 2012 que s'il ne s'était rien passé. Ce sont les TPE-PME qui ont le plus profité de la réforme.
Cette dernière a sans doute permis des sorties du chômage, notamment du chômage de longue durée, vers l'emploi permanent plus que vers le CDD.
Toutefois, il va encore falloir attendre un peu pour pouvoir mesurer l'effet net de ces réformes sur l'emploi.
C'est une phrase que nous avons souvent entendue ! Combien de temps faut-il attendre selon vous ?
En Espagne, il est intéressant de noter que les destructions d'emplois ont diminué dans les deux ans suivant la réforme, sans doute en raison du caractère moins attractif du CDD.
La moindre création de CDD, qui connaissaient une forte rotation, induit une moindre destruction d'emplois. Au final, l'emploi est donc plus stable.
C'est un peu ce qui se passe en Italie...
Vous dites que le CDI a été rendu plus attractif, mais le CDD a-t-il été pénalisé ? Cette idée était dans l'air en France il n'y a pas si longtemps...
Seule la Slovénie, dont je parlerai dans quelques instants, a pénalisé le CDD. Pénaliser le CDD a l'inconvénient d'alourdir le coût du travail de certaines entreprises.
Le Portugal a également mené des réformes très importantes : le licenciement pour motif économique a été facilité ; l'obligation de reclassement préalable à un licenciement a été supprimée ; la valeur des indemnités de licenciement a été fortement réduite...
Le Portugal a surtout mené l'une des plus importantes réformes en matière de négociation collective, rendant la main aux entreprises.
L'extension automatique administrative des accords de branche, sans se soucier de qui avait négocié ni du degré de représentativité des signataires, a été supprimée. Le Portugal exige maintenant un certain degré de représentativité des signataires, tant du côté patronal que du côté salarial. L'accord doit bien représenter les intérêts d'une majorité.
Le Portugal a également fixé de nouvelles règles s'agissant de la période de validité des conventions collectives. Les négociations doivent être plus régulières pour ne pas laisser en place trop longtemps des règles déjà obsolètes.
Enfin, le Portugal a permis aux entreprises de déroger, par accords d'entreprise, aux accords collectifs de branche, un peu comme le fameux article 2 du projet de loi « Travail. ».
En outre, les entreprises ont la possibilité de suspendre la portée des conventions collectives lorsqu'elles se trouvent en situation de crise économique et de négocier des accords de substitution.
La réforme conduite au Portugal est probablement celle qui est allée le plus loin en matière de négociation collective.
Les réformes menées en Grèce ont davantage porté sur la durée du préavis et le montant des indemnités de licenciement que sur la définition du licenciement économique.
La Grèce a ainsi supprimé toute indemnité et toute notion de préavis avant un an d'ancienneté dans l'entreprise. Elle a créé une sorte de « super période d'essai ». Elle a également augmenté le seuil de déclenchement des procédures de licenciement collectif.
À l'instar du Portugal, la Grèce a adopté d'importantes réformes en matière de négociation collective : elle a mis fin au monopole syndical pour la négociation des accords et a autorisé les représentants du personnel, au niveau de l'entreprise, à négocier des accords.
Elle a également mis fin, comme au Portugal, à l'extension automatique des accords par l'administration.
La Slovénie est l'un des rares pays à avoir touché en même temps au CDD et au CDI.
La réforme slovène de 2013 a réduit les périodes de préavis en fonction de l'ancienneté du CDI, modifié le système des indemnités de licenciement et mis fin à l'obligation de reclassement. Elle a surtout restreint le nombre de renouvellements de CDD et tenté d'aligner, sans y parvenir complètement, la prime de précarité versée à l'issue d'un CDD sur les indemnités dues à un salarié en CDI en cas de licenciement.
Le marché du travail slovène se caractérisait par un dualisme très marqué entre contrats permanents protégés et forte incidence de l'emploi temporaire. Après cette réforme, l'essentiel de la croissance en emplois s'est fait via le CDI.
Les réformes menées dans les pays les plus touchés par la crise ont permis de modifier le logiciel du marché du travail, et notamment la répartition entre CDD et CDI, au profit des derniers.
Ces réformes ont également porté sur la question de la négociation collective. Elles sont toutes allées dans le même sens : laisser les entreprises décider, à leur niveau, des règles les plus adaptées au lieu d'appliquer une toise commune.
Nous allons maintenant passer aux questions. La parole est à M. le rapporteur ?
Vous avez déjà répondu à beaucoup des questions que nous souhaitions vous poser.
Vous avez parlé à plusieurs reprises des indemnités de licenciement. À votre connaissance, certains pays ont-ils agi sur l'indemnisation du chômage, avec ou sans dégressivité ? Et si oui, a-t-on constaté un effet sur la reprise d'emploi ?
Je ne pourrai pas vous répondre précisément. À ma connaissance, peu de réformes vont dans ce sens.
Certains pays ont allongé la durée d'indemnisation du chômage à la faveur de la crise, avant de revenir sur ces allongements avec le retour de la croissance. C'est notamment le cas des États-Unis qui ont mis en place des extensions automatiques en fonction de la situation du marché du travail.
Certains pays ont créé des régimes qui n'existaient pas, à l'instar de la Grèce, qui a étendu son régime d'assurance chômage. L'Italie a aussi suivi cette voie. Ces réformes allaient dans le sens d'une meilleure protection des salariés en contrepartie d'une simplification des procédures de licenciement économique.
Je ne connais pas d'exemple de réforme portant sur une baisse importante des droits.
Certains pays, je songe notamment à l'Allemagne, qui avaient réalisé des réformes avant la crise, se sont remis beaucoup plus vite que d'autres.
Nous avons déjà réalisé de nombreuses auditions et beaucoup d'intervenants nous ont dit, comme vous, qu'il était difficile de corréler une mesure particulière avec des résultats tangibles en matière d'emploi.
Cela étant dit, l'Allemagne, qui avait connu des réformes d'ampleur et mis en place une politique de modération salariale relativement forte, a beaucoup mieux que nous traversé la crise. Je crois d'ailleurs que c'est l'un des seuls pays à être quasiment revenu à son niveau d'avant la crise, alors que nous en sommes encore très loin.
Les pays qui se décident à mener des réformes, y compris le nôtre, ne sont-ils pas répartis en deux catégories : ceux qui, comme l'Italie, accompagnent leurs mesures de grain à moudre, notamment pour les salariés, et ceux qui se passent de grain à moudre, comme l'Espagne, et qui semblent réussir moins bien ?
Enfin, lors d'une table ronde, des économistes nous ont expliqué qu'une réforme globale offrait de meilleurs résultats qu'une série de mesures particulières, comme nous le faisons en ce moment en France. Qu'en pensez-vous ?
Il est certainement préférable et plus efficace de mener une réforme globale du fonctionnement du marché du travail en s'attaquant aux questions de protection de l'emploi, d'assurance chômage, de formation et de rémunération.
Comme vous l'avez souligné, la réforme sera d'autant mieux acceptée que l'indemnisation sera satisfaisante au moment du licenciement et, par la suite, via l'assurance chômage.
Par ailleurs, il me semble important de mettre en place un système de formation permettant aux salariés de retrouver un emploi dans les nouveaux secteurs en croissance.
Il est également essentiel de sécuriser les conditions du licenciement pour offrir de la visibilité aux employeurs. La question des subventions sur les bas salaires, pour les personnes peu qualifiées, ne doit pas non plus être éludée.
La France a abordé ces différents aspects à des degrés divers et à des moments différents. Nous avons d'abord eu la réforme de la formation, puis, en début d'année, des annonces sur les subventions et, aujourd'hui, c'est aux règles relatives au licenciement et à la négociation collective que s'attaque le Gouvernement à travers le projet de loi « Travail ».
Un projet d'ensemble nous aurait offert une meilleure visibilité, mais les choses ne sont pas si simples. D'abord, tous les gouvernements n'ont pas forcément la main sur l'assurance chômage. En France, par exemple, les partenaires sociaux ont un rôle déterminant. Il est donc difficile de bouger les lignes, à moins de changer la loi en profondeur sur des aspects tout à fait fondamentaux.
Dans les faits, un gouvernement peut difficilement tout mettre sur la table au même moment. L'Italie, dans une certaine mesure, y est arrivée : le Jobs Act est une réforme d'ensemble.
Oui, pour tout le monde ! Le barème d'indemnisation des personnes qui perdent leur emploi est très généreux et assez protecteur. Il l'est même davantage qu'en France.
Peut-on opérer une distinction entre les réformes conduites dans le cadre d'une concertation et celles qui ont été plus contraintes, en raison de la crise économique ou des pressions de la communauté européenne ?
Les pays qui ont mené ces réformes sont ceux dans lesquels le chômage avait le plus fortement monté. Ils ont donc eu à subir une forte pression.
Le degré de négociations avec les partenaires sociaux n'est pas le même selon les pays. Je pense que l'acceptabilité suppose une période de négociation.
Cela étant, à un moment donné, il a toujours fallu que le gouvernement et le Parlement, c'est-à-dire les représentants du peuple, prennent le taureau par les cornes pour défendre leur vision de l'intérêt général.
On a parlé à deux reprises d'acceptabilité. En tant qu'observateur averti, pensez-vous que les réformes menées en Italie et en Espagne ont provoqué autant de réactions que le projet de loi « Travail » ?
Une fois encore, il est un peu tôt pour faire la part des choses.
Nous avons constaté un très fort rebond de l'emploi dans ces deux pays en 2015 qui peut s'expliquer non seulement par les réformes, mais aussi par des raisons plus techniques.
D'un point de vue macroéconomique, un pays est comme un ballon : plus on le jette de haut, plus il tombe bas, et plus il rebondit haut !
Ces pays, tombés très bas pendant la crise, rebondissent aujourd'hui très haut. Une part de ce rebond est certainement à chercher dans les réformes, mais il est encore difficile de faire la part des choses.
Rapprochons-nous encore de l'actualité : faute de réforme globale, le contenu du fameux article 2 du projet de loi « Travail » constitue-t-il, selon vous, une priorité pour essayer de faire repartir la machine ?
On peut regretter l'absence, dans ce projet de loi, d'un certain nombre d'aspects que nous avons abordés : subvention à certains emplois, formation, assurance chômage...
Toujours est-il que le contenu de l'article 2 et les dispositions visant à clarifier le licenciement économique vont clairement dans le bon sens au regard de la position de la France vis-à-vis des autres pays de l'OCDE.
Il nous semble approprié, notamment pour les PME et TPE, de permettre aux entreprises d'adapter, sous certaines conditions et dans certaines limites, la réglementation à leur situation, notamment en matière de temps de travail.
Ces dispositions très importantes sont de nature à redynamiser le dialogue social en France, même si cela risque de ne pas être suffisant, le taux de syndicalisation de notre pays étant l'un des plus faibles de l'OCDE. Encore faut-il s'assurer qu'il y aura des gens pour négocier !
Aujourd'hui, la définition du licenciement économique est peu claire et la jurisprudence varie beaucoup, car le juge n'a pas forcément les moyens de trancher certaines situations très diverses. La position de la France est donc tout à fait extrême par rapport aux autres pays de l'OCDE. Tout ce qui permettra d'y voir plus clair me semble donc aller dans le bon sens.