Commission des affaires économiques

Réunion du 19 octobre 2016 à 9h30

Résumé de la réunion

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  • Île-de-france

La réunion

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La réunion est ouverte à 9 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Nous examinons la proposition de loi, déposée par notre collègue Christian Favier, que je salue, et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, visant à garantir la mixité sociale aux abords des gares du Grand Paris Express.

Je donne la parole à la rapporteure, Mme Sophie Primas.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous restons dans la thématique de l'égalité et de la citoyenneté...

Quelques éléments de contexte sur la présente proposition de loi, tout d'abord.

Le « Grand Paris » est un projet urbain, social et économique, qui porte sur de multiples domaines, dont le logement. Il s'appuie sur la création d'un réseau de transport public de voyageurs, le Grand Paris Express, qui comprend 68 gares, et sur des contrats de développement territorial.

La loi relative au Grand Paris a fixé un objectif de construction, chaque année, de 70 000 logements « géographiquement et socialement adaptés en Île-de-France ». Leur répartition territoriale a été précisée dans les documents de planification ou de contractualisation. Le schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) a été modifié en conséquence et a fixé la part de logements sociaux à atteindre à 30 % du parc d'ici à 2030. Le schéma régional de l'habitat et de l'hébergement (SRHH) en Île-de-France doit, quant à lui, répartir plus finement l'effort de production des logements et des logements sociaux pour chaque établissement public de coopération intercommunale (EPCI). En outre, les contrats de développement territorial doivent concourir à la réalisation de l'objectif précité, chaque document précisant tant le nombre que le pourcentage de logements sociaux à réaliser dans son périmètre. Or la quasi-totalité des périmètres autour des gares du Grand Paris Express sont couverts par un contrat de développement territorial.

Lors de l'examen de la loi sur le Grand Paris, le Sénat, conscient des enjeux liés aux emprises foncières qui pourraient se libérer autour des gares et être utilisées pour construire des logements sociaux, a adopté des dispositions spécifiques précisant, que dans les communes soumises aux obligations de la loi SRU, les actions ou opérations d'aménagement et les projets d'infrastructures prévues autour des gares devaient prévoir la réalisation de logements, afin de contribuer à atteindre les objectifs de construction de logements sociaux.

La Société du Grand Paris, chargée d'élaborer le schéma d'ensemble du réseau de transport public du Grand Paris et d'en assurer la réalisation, peut conduire des opérations d'aménagement ou de construction. En l'absence de contrat de développement territorial, c'est d'ailleurs elle qui réalise les opérations d'aménagement situées dans un rayon inférieur à 400 mètres autour des gares nouvelles du Grand Paris Express, après avis des communes et EPCI concernés.

Dans l'exposé des motifs de leur proposition de loi, nos collègues font part de leur crainte que l'objectif de 70 000 logements par an ne soit pas atteint en raison des « bouleversements institutionnels en cours » et de la réduction des financements publics. En outre, ils souhaitent limiter les « risques spécifiques liés à la spéculation foncière autour des gares », ayant constaté « l'appétit des promoteurs immobiliers pour construire des logements d'un standing non accessible au plus grand nombre ». Afin de garantir l'accessibilité des logements construits dans ces quartiers aux personnes aux revenus les plus modestes, ils proposent d'affirmer explicitement que les contrats de développement territorial contribuent à l'objectif de mixité sociale. C'est pourtant ce qui ressort des dispositions actuelles, qui prévoient que ces contrats doivent concourir à la construction de logements « socialement » adaptés et indiquer le taux de logements, en particulier sociaux, à construire dans le périmètre concerné. Les objectifs sont redondants.

Nos collègues proposent également que dans un périmètre de 400 mètres autour des nouvelles gares du Grand Paris toute opération de construction d'immeubles collectifs de plus de 12 logements ou de plus de 800 mètres carrés de surface de plancher, comprenne obligatoirement au moins 30 % de logements locatifs sociaux, hors logements financés avec un prêt locatif social (PLS).

Si je peux entendre leurs craintes sur les risques d'une éventuelle spéculation foncière ou d'une construction de logements haut de gamme ou de bureaux dans ces périmètres, il me semble cependant que la réponse proposée n'est pas adaptée ; elle pourrait même, dans certains cas, produire l'effet inverse de celui qui est recherché.

Tout d'abord, le dispositif proposé est très contraignant. Très proche de celui qui est prévu pour les communes carencées en application de la loi SRU, il en diffère sur deux aspects. D'une part, il ne distingue pas les périmètres situés dans les communes carencées des autres. De fait, il conduit à appliquer partout des dispositions actuellement prévues à titre de sanction pour les communes carencées. D'autre part, il ne reprend pas la possibilité pour l'État de déroger, sur demande motivée de la commune, à l'obligation de respecter la part de 30 % de logements sociaux hors PLS, afin de tenir compte de la typologie des logements situés à proximité de l'opération. Le dispositif conduit donc à une différence de traitement entre quartiers d'une commune carencée : dans le périmètre des gares, la commune ne pourra pas tenir compte de la typologie des logements situés à proximité de l'opération, tandis qu'elle pourra le faire dans le reste de son territoire.

En n'autorisant aucune dérogation, le dispositif proposé pourrait dans certains cas se révéler contraire à l'objectif recherché et ne pas favoriser la mixité sociale. En effet, seuls 25 périmètres sur les 68 gares comptent moins de 25 % de logements sociaux. Dans les autres périmètres, le taux varie entre 25 % et 83 %. Ainsi, la disposition proposée conduirait à augmenter le nombre de logements sociaux dans les périmètres des gares où il est déjà très élevé, comme pour la gare d'Aulnay, où il est de 83 %, pour la gare Bagneux M4, où il est de 47 %, ou pour la gare La Courneuve Six Routes, où il est de 56 %.

De même, la proposition de loi augmenterait le nombre de logements sociaux dans les périmètres des gares situés dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ou à proximité. Tel serait le cas de treize gares situées dans les périmètres de quartiers prioritaires, comme Clichy-Montfermeil, Les Agnettes, pour les communes de Gennevilliers et d'Asnières-sur-Seine, ou encore Chevilly Trois communes, à L'Haÿ les Roses, et de huit autres situées à moins de 800 mètres d'un tel périmètre. La présence de ces gares à proximité de quartiers prioritaires de la politique de la ville est une chance de désenclavement. Ajouter de nouveaux logements sociaux, en particulier des logements financés par des prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) et des prêts locatifs à usage social (PLUS) ayant vocation à accueillir les demandeurs de logements sociaux aux revenus très modestes, est en contradiction avec l'objectif recherché de mixité sociale. Il me semble, au contraire, que la construction de logements locatifs intermédiaires ou de logements en accession à la propriété doit y être privilégiée.

En outre, la mesure proposée pourrait empêcher la réalisation de logements. En effet, lorsque la Société du Grand Paris est maître d'ouvrage, l'opération foncière doit être équilibrée sur le plan financier. Ses représentants m'ont donné l'exemple du projet de construction de 120 logements à La Courneuve, qui ne verrait pas le jour si la proposition était adoptée.

Par son caractère uniforme, le dispositif proposé est en contradiction avec les dispositions actuelles qui privilégient l'adaptation aux réalités locales par le biais du SDRIF, du SRHH ou par la conclusion de contrats de développement territorial.

Les élus, grâce à leur connaissance du territoire, sont les mieux à même de proposer des aménagements urbains garantissant la mixité sociale, comme le montrent les choix opérés par trois communes à propos d'opérations d'aménagement en cours de réalisation autour de ces gares : à Créteil, la commune a choisi de ne pas construire de logements sociaux autour de ce périmètre, mais d'apporter un terrain et d'utiliser les recettes de cet apport pour réhabiliter des logements sociaux situés dans d'autres quartiers ; à Bagneux, la commune a privilégié l'accession sociale maîtrisée à la propriété afin que les habitants puissent devenir propriétaires à des coûts maîtrisés ; à Issy-les-Moulineaux, une opération mixte de logements privés et sociaux a été décidée, la commune n'ayant pas atteint son taux de logements sociaux, comme chacun le sait.

S'il est vrai que nous n'atteignons pas encore l'objectif de 70 000 logements, je ne pense pas que la proposition de loi de nos collègues apporte une solution adaptée. Cependant, il me paraît important d'être vigilant sur la construction de bureaux et sur les phénomènes de spéculation foncière.

Bien que la mixité sociale et fonctionnelle, c'est-à-dire la création de bureaux et de logements, soit régulièrement souhaitée par un certain nombre d'entre nous, nous devons surveiller ses effets. Les représentants de la Société du Grand Paris m'ont dit être attentifs aux projets de constructions de bureaux dans les périmètres des gares du Grand Paris Express, afin d'éviter des effets de vases communicants entre villes d'Île-de-France qui conduiraient à construire des bureaux sans considération des besoins et donc à créer de la vacance sur d'autres sites.

Par ailleurs, nos collègues ont mis en avant la question, légitime, de la spéculation foncière dans les périmètres de ces gares. Les membres du comité stratégique de la Société du Grand Paris, qui regroupe notamment les maires de toutes les communes desservies par le futur réseau de transport, l'ont aussi soulevée. Pour répondre à leur demande, un observatoire chargé d'analyser les variations des prix de tous les types de biens fonciers et immobiliers aux abords des gares du Grand Paris a été mis en place afin que les élus, les décideurs et le public puissent disposer d'informations régulières sur l'évolution des valeurs foncières et immobilières dans ces quartiers. Ses premiers résultats - ils datent un peu, car ils remontent à janvier 2014- révèlent une stabilité des prix ; le projet du Grand Paris Express n'a donc pas influé, pour le moment, sur le prix des transactions.

L'établissement public foncier d'Île-de-France vient de déterminer une nouvelle stratégie d'action très offensive, dont l'objectif est une accélération de la construction et la lutte contre la spéculation financière, grâce, notamment, à la mobilisation de 1,8 milliard d'euros sur les cinq prochaines années. L'objectif est de vendre les terrains à prix coûtant sans spéculation, d'alléger les contraintes pour les maires bâtisseurs et d'augmenter de 25 % les acquisitions autour des grands projets d'infrastructure, notamment les gares du Grand Paris Express.

Pour l'ensemble des raisons que je viens d'évoquer, il ne me paraît pas souhaitable de renforcer les contraintes en matière de construction autour des gares du Grand Paris Express. Je vous propose, à regret, monsieur Favier, de ne pas adopter votre proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Favier

Cette proposition de loi est née d'un double constat : d'une part, celui de la création d'un réseau exceptionnel de métro dans la zone la plus dense de la région parisienne, un réseau non pas radial vers Paris, mais de banlieue à banlieue - c'est une nouveauté -, qui double le réseau actuel, le faisant passer de 200 à 400 kilomètres, avec quatre nouvelles lignes et 68 gares, pour un investissement total de 22 milliards d'euros ; d'autre part, celui de l'exceptionnelle gravité de la situation du logement en Île-de-France, région où l'on compte plus de 600 000 demandeurs de logements sociaux alors que, chaque année, 80 000 logements sociaux sont attribués.

La réalisation du nouveau réseau de transports entraîne un bouleversement urbain. Dans chaque ville concernée, les élus élaborent des projets de logement, de développement économique, d'équipements publics afin de dynamiser leur territoire et de faire profiter la population de ce réseau, qui pourrait mettre fin à de très longs temps de déplacement entre le domicile et le travail. Cette perspective positive peut malheureusement avoir deux conséquences négatives.

Première conséquence, on risque un renchérissement du foncier. Le phénomène n'a pas encore été constaté, mais nous ne sommes qu'en 2016. Pour l'instant, les habitants et les commerçants perçoivent surtout les nuisances provoquées par les chantiers, les déviations de réseau et les démolitions, mais, en 2022 et 2023, à l'ouverture des lignes, tout sera différent. Les promoteurs immobiliers indiquent d'ores et déjà la proximité des futures gares dans leur documentation, afin de mieux vendre leurs produits. Le risque de spéculation, avéré, a d'ailleurs entraîné la création de l'observatoire du foncier, souhaité par la Société du Grand Paris elle-même.

Seconde conséquence, les populations modestes qui habitent aujourd'hui à proximité des futures gares risquent l'éviction, au profit de constructions nouvelles offertes à des prix inaccessibles. Il est paradoxal que la construction d'un réseau destiné à faciliter le transport des personnes en recherche d'emploi et des salariés modestes provoque leur éloignement. Ce phénomène a déjà été constaté en Île-de-France : des Parisiens ou des habitants de la première couronne qui veulent accéder à la propriété sont contraints de s'installer en Seine-et-Marne, voire au-delà, pour y trouver un foncier moins élevé. Il faut remédier à cette situation, qui est déjà connue.

J'ajoute que le Grand Paris Express est payé par tous les Franciliens, qui acquittent, dans leurs impôts locaux, une taxe spéciale d'équipement. Il serait paradoxal que les plus modestes paient pour un réseau de transport dont ils ne pourront pas bénéficier et, finalement, soient contraints de s'éloigner encore de Paris quand l'idée était de les en rapprocher. Il y a là un véritable enjeu social.

Notre proposition de loi n'ajoute pas de nouveaux objectifs, mais s'inscrit dans ceux du SDRIF. Je rappelle que l'objectif des 70 000 logements avait été fixé par M. Nicolas Sarkozy, qui jugeait insuffisants les 60 000 logements par an que proposait le président de la région de l'époque, M. Jean-Paul Huchon. Nous ne modifions pas le taux de 30 % de logements sociaux fixé par le SDRIF, mais nous nous assurons qu'il est également appliqué aux constructions nouvelles élevées autour des gares dont nous parlons. Nous n'aggravons rien pour les sites très au-delà de cette proportion, au contraire, puisque, mécaniquement, 70 % des logements ne seront pas sociaux - je rappelle que dix-huit sites comptent moins de 20 % de logements sociaux. Et même dans les zones comptant 80 % de logements sociaux, il reste des demandeurs, à Aulnay ou ailleurs, dont certains ne peuvent prétendre qu'à du logement social. Ils seraient empêchés de rester dans leur propre ville ? Cette politique d'exclusion est inacceptable.

Notre proposition de loi est extrêmement simple : elle impose un tiers de logements sociaux pour toute opération de construction d'immeubles collectifs de plus de 12 logements ou de plus de 800 mètres carrés de surface de plancher, dans le périmètre d'intervention de la Société du Grand Paris de 400 mètres autour des gares, afin de répondre aux besoins des populations.

Madame la rapporteure, vous dites que notre proposition de loi rendra difficile la réalisation des programmes. En petite couronne, par exemple à Saint-Ouen ou à Vitry, les promoteurs signent des conventions avec les villes, aux termes desquelles ils s'engagent à réserver une part de logements sociaux. Cet engagement ne les freine pas. Ils arrivent à équilibrer leur programme, tout en apportant une réponse aux populations modestes.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Claude Lenoir

Merci à M. Christian Favier d'avoir présenté sa proposition de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Sido

La définition du logement social est extrêmement restrictive, puisqu'un bien qui répondait aux critères est exclu dès lors que son occupant l'achète. Monsieur Favier, incluez-vous les logements sociaux vendus par leurs bailleurs ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bosino

Dans notre pays, 80 % des salariés gagnent moins de 2 300 euros par mois, dont 50 % gagnent moins de 1 500 euros par mois. Dans leur grande majorité, les salariés sont donc éligibles à un logement social, ce qui explique le nombre considérable de demandes.

Le phénomène d'éviction existe déjà. Dans l'Oise, à une demi-heure de Paris à peine, on recense 30 000 demandes de logement social, dont 5 000 pour la seule agglomération creilloise. Nombre d'entre elles émanent d'habitants d'Île-de-France repoussés de plus en plus au nord ou au sud, dans les départements limitrophes.

Le sens de la proposition de loi est d'aider les ménages modestes à rester là où ils habitent, près des gares qui desservent leur lieu de travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous avons un désaccord de fond. Vous voulez inscrire dans la loi ce que nombre de collectivités territoriales font contractuellement avec l'État, notamment dans le cadre du SDRIF, suivant une analyse précise des besoins quartier par quartier. Nous en avons longuement discuté pendant l'examen du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté. Comme M. Sido, je pense que le logement social doit être défini par la qualité de ses occupants plutôt que par son mode de financement.

Vous parliez, mon cher collègue, de la contractualisation entre les maires bâtisseurs et les promoteurs privés. Mais elle est monnaie courante, et il n'est nul besoin d'inscrire dans la loi une pratique qui repose sur le bon sens des maires, soumis aux obligations du SDRIF.

Il est paradoxal que vous excluiez l'accession sociale à la propriété de votre dispositif, alors qu'elle aide précisément les personnes concernées à rester dans leur quartier. Laissons les maires atteindre les objectifs qui leur sont assignés, dans les meilleures conditions de mixité sociale, car, si je lis bien l'intitulé de votre proposition de loi, c'est la mixité sociale que vous cherchez à garantir et non pas la construction de logements sociaux.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Martial Bourquin est nommé rapporteur sur le projet de loi n° 16 (2016-2017), adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, ratifiant les ordonnances n° 2016-301 du 14 mars 2016 relative à la partie législative du code de la consommation et n° 2016-351 du 25 mars 2016 sur les contrats de crédit aux consommateurs relatifs aux biens immobiliers à usage d'habitation et simplifiant le dispositif de mise en oeuvre des obligations en matière de conformité et de sécurité des produits et services.

La réunion est levée à 10 h 05.