La réunion est ouverte à 16 h 35.
La commission procède à l'examen du rapport de Mme Marie-France Beaufils, rapporteure spéciale, sur la mission « Remboursements et dégrèvements ».
La mission « Remboursements et dégrèvements » présente deux spécificités.
D'une part, il s'agit de la mission la plus importante du budget de l'État : en 2017, près de 110 milliards d'euros de crédits sont demandés. Dans la mesure où elle couvre l'ensemble de la fiscalité, elle reflète tous les grands enjeux de la première partie du projet de loi de finances.
D'autre part, ses crédits sont évaluatifs et non limitatifs : ils correspondent à une prévision et non à un plafond de dépenses autorisées, ce qui conduit à prêter davantage attention à la logique des dispositifs fiscaux qui sont à l'origine des restitutions, au-delà du commentaire des évolutions prévisionnelles dont le caractère est incertain.
Le montant global des crédits de la mission, 110 milliards d'euros, est en hausse sensible par rapport aux crédits inscrits dans la loi de finances initiale pour 2016 : 9 milliards d'euros supplémentaires sont demandés. Par rapport à l'estimation 2016 révisée, la hausse est de 5 milliards d'euros environ.
Au total, les remboursements et dégrèvements devraient ainsi représenter en 2017 près de 27 % des recettes fiscales brutes. En moins de dix ans, cette part a crû de 5 points. La politique fiscale menée année après année n'en est que plus difficilement lisible, pour nous parlementaires, mais aussi pour les citoyens.
J'ajoute que les contours de la mission « Remboursements et dégrèvements » et sa maquette budgétaire demeurent cette année encore inchangés, contrairement aux recommandations que je formule chaque année, appuyée sur ce point par la Cour des comptes. Les dépenses liées à la mécanique de l'impôt sont ainsi toujours artificiellement inscrites en dépenses d'intervention.
Les dégrèvements d'impôts d'État devraient s'élever en 2017 à près de 97 milliards d'euros, soit un record absolu de crédits demandés à ce titre depuis 2001. La hausse par rapport au montant révisé 2016 est de 4,5 milliards d'euros. Elle s'explique notamment par le coût croissant du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), dispositif que j'ai eu l'occasion d'étudier en détail dans mon rapport d'information présenté au mois de juillet. Au total, le coût global du CICE en 2017 - qui dépasse le périmètre de la présente mission - sera supérieur de 3 milliards d'euros à celui de 2016.
La hausse des crédits demandés sur la mission s'explique par le fonctionnement même de ce crédit d'impôt : les entreprises qui n'ont pu ni imputer, ni se voir restituer la totalité de leur créance peuvent demander le remboursement du reliquat à l'issue du troisième exercice. Ainsi, en 2017, il faudra pour la première fois rembourser les parts restantes de créances de l'année N-4, c'est-à-dire de l'année 2013. Cette charge s'alourdira encore à partir de 2018 : le taux du CICE ayant été relevé de 4 % à 6 % à compter de 2014, les reliquats versés à partir de 2018 seront encore plus importants.
Par ailleurs, le Gouvernement propose à l'article 44 du présent projet de loi de finances de relever d'un point le taux du CICE pour le porter à 7 % à partir de l'année 2017. Cela aura pour conséquence d'augmenter de près de 17 % les créances de CICE des millésimes 2017 et suivants. Au total, ce relèvement induira à lui seul 3,1 milliards d'euros de créances supplémentaires par millésime, qui ne commenceront toutefois à être comptabilisées qu'à partir de l'exercice budgétaire 2018. Je m'inquiète de ce choix, alors même que le rapport 2016 du comité de suivi souligne, tout comme mon rapport de juillet dernier, l'efficacité incertaine de ce dispositif.
L'autre partie de la hausse des dégrèvements d'impôts d'État, à hauteur de 2 milliards d'euros, s'explique par une augmentation prévue des remboursements liés à la mécanique de l'impôt, en matière d'impôt sur les sociétés ou de TVA.
J'en viens maintenant aux remboursements et dégrèvements d'impôts locaux. En 2017, les crédits demandés s'élèvent à près de 12 milliards d'euros, en baisse de près de 360 millions d'euros par rapport au montant 2016 révisé.
Le montant des dégrèvements d'impôts économiques appelle peu d'observations. Certes, le montant est légèrement en hausse, mais cette évolution est en ligne avec celle du produit de ces impositions. Ainsi, le dégrèvement barémique de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) a augmenté de 12,5 % - soit 460 millions d'euros - entre 2013 et 2016 mais, parallèlement, le produit de la CVAE a augmenté dans les mêmes proportions. Par ailleurs, on peut noter que la part des impôts locaux économiques prise en charge par l'État a fortement baissé, passant de 44 % en 2009 à 21 % en 2015, notamment en raison de la réforme de la taxe professionnelle.
Les dégrèvements en faveur des ménages connaissent en revanche des évolutions significatives, qui tiennent pour l'essentiel à l'extinction du dégrèvement exceptionnel mis en place en urgence l'an dernier.
La suppression de la « demi-part des veuves » et la fiscalisation des majorations de pension ont conduit à augmenter le revenu fiscal de référence et fait perdre à de nombreux contribuables le bénéfice des exonérations de taxe d'habitation et de taxe foncière en fonction des revenus. Pour éviter cela, le Parlement a adopté l'an dernier des mesures maintenant les exonérations pour certains ménages et mettant en place une sortie dite « en sifflet » en cinq ans pour les autres redevables.
De façon exceptionnelle, le maintien des exonérations sur les impositions 2015 s'est fait, en 2016, par un dégrèvement entièrement pris en charge par l'État. À compter de 2017, ce dispositif redeviendra une exonération classique, compensée aux collectivités territoriales à travers les prélèvements sur recettes et non plus sur la mission « Remboursements et dégrèvements ». C'est pourquoi le montant des dégrèvements de taxe d'habitation et de taxe foncière a augmenté de 300 millions d'euros en 2016 et diminue tout aussi fortement en 2017.
Par ailleurs, il est toujours aussi difficile de mesurer les effets de la minoration des variables d'ajustement sur les budgets locaux : j'espère que nos collègues Claude Raynal et Charles Guené, rapporteurs spéciaux de la mission « Relations avec les collectivités locales », pourront obtenir davantage d'informations.
Pour terminer, j'ai souhaité faire le point sur les quatre contentieux communautaires les plus importants, tant en termes de dossiers que de montants. Pour celui qui concerne le « précompte mobilier », l'intégralité des litiges a été tranchée dans un sens favorable à l'administration. Ainsi, aucun décaissement n'a été effectué par le Trésor depuis 2014. Cependant, un recours en manquement a été introduit devant la Commission européenne, rendant l'issue de ce contentieux incertaine.
Pour ce qui est du contentieux « OPCVM » les restitutions opérées à la suite de l'arrêt rendu en 2014 par la Cour de justice de l'Union européenne se sont élevées à près de 800 millions d'euros en 2014 et 715 millions d'euros en 2015. Le montant projeté pour 2017 s'établit à un milliard d'euros.
Concernant le contentieux dit « Steria », relatif à la quote-part de frais et charges afférente aux dividendes de source communautaire, la loi de finances rectificative pour 2015 a modifié le dispositif qui posait problème. Le coût prévu pour 2017 est de 300 millions d'euros.
Enfin, le contentieux relatif à la « contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués » - qui est prévue à l'article 235 ter ZCA du code général des impôts - comporte deux volets : un problème de conformité à la Constitution, que le Conseil constitutionnel a tranché et que le projet de loi de finances rectificative devrait nous proposer de résoudre ; et un volet communautaire qui ne sera vraisemblablement pas tranché avant 2018. Le rendement de cette taxe étant de l'ordre de 1,8 milliard d'euros par an, le risque global est élevé pour l'État.
D'un point de vue budgétaire global, les principaux contentieux communautaires représentent, pour la seule année 2017, un coût estimé à près de 1,5 milliard d'euros.
Compte tenu du choix fait par le Gouvernement de relever le taux du CICE, alors même que son efficacité n'est pas démontrée, et des analyses critiques contenues dans mon rapport et dans celui de France Stratégie, je vous invite à rejeter les crédits de cette mission.
Les crédits de cette mission sont très importants, même s'ils ne sont que les conséquences des dispositifs fiscaux existants. Par ailleurs, le million de réclamations contentieuses enregistré sur l'impôt sur le revenu m'interpelle.
Merci à notre rapporteure spéciale d'avoir mis en lumière le « tour de passe-passe » concernant le CICE. Voilà un poids supplémentaire que nous aurons, si les élections en décident ainsi, à supporter. Ce n'est pas le seul et c'est pourquoi nous n'approuverons pas non plus les crédits de cette mission.
C'est à nos yeux un rapport à charge, qui ne surprend pas au regard de votre position sur le CICE. Vous ne reconnaissez pas l'utilité de ce dispositif pour les entreprises, à travers l'amélioration de leurs marges, et donc pour l'économie française, un résultat que personne, en dehors de vous peut-être, madame la rapporteure spéciale, ne conteste. Il faut au contraire se féliciter du CICE et du fait que le Gouvernement tienne ses engagements vis-à-vis des entreprises. Mon collègue Philippe Dallier aurait dû le signaler. La question du lissage du dispositif entre 2017 et 2018 est tout à fait secondaire. Et puisque vous parlez de « tour de passe-passe », n'oubliez pas que les reports de 2012 sur 2013 étaient bien supérieurs...
Il faut vous rafraîchir la mémoire. Nous ne suivrons pas la rapporteure spéciale et voterons les crédits.
Je ne suis pas surpris des conclusions de Marie-France Beaufils, évidentes au vu de son récent rapport d'information sur le CICE. Ce dispositif offre une lisibilité sans commune mesure avec, par exemple, une augmentation de deux ou trois points de la TVA couplée à une baisse des charges sociales. Il est possible d'en évaluer les effets.
Selon France Stratégie, les marges des entreprises ont été améliorées, ce qui était la première chose à faire. La hausse des marges se répercute sur la valeur ajoutée, puis sur l'excédent brut d'exploitation, sur le résultat de l'entreprise et enfin sur les investissements dans un cercle vertueux. Pour un même effet, il aurait fallu distribuer 20, 30, voire 40 milliards d'euros aux entreprises pour qu'elles retrouvent leur niveau de marge d'aujourd'hui...
Au moins, le CICE nous donne les moyens, à nous législateurs, de contrôler l'action gouvernementale. C'est le minimum en démocratie. Il est très difficile au contraire d'évaluer l'impact des baisses de charges et leur répercussion sur les TPE, les entreprises exportatrices, en tenant compte des autres avantages accordés aux entreprises.
Votre rapport est à charge, en particulier sur le CICE ; pour le reste, vous semblez suivre les conclusions du Gouvernement. Nous ne suivrons pas les vôtres et nous voterons les crédits de la mission.
La rapporteure spéciale a indiqué que les collectivités territoriales ne connaissaient pas le coût qu'elles supportent au titre des exonérations. En effet, depuis 2010, les compensations ont été progressivement minorées, ce qui pèse sur les budgets locaux. Les députés ont adopté un amendement à l'article 14 du projet de loi de finances pour 2017 qui prévoit un rapport annuel du Gouvernement sur le coût net de ces allègements pour les collectivités territoriales. C'est une avancée utile pour l'information des parlementaires et des élus locaux.
Concernant le CICE : il est vrai que les marges des entreprises ont progressé d'environ 2 points. Mais seul un quart de cette augmentation, soit 0,5 point, est imputable au CICE ; le reste s'explique par trois facteurs : la baisse du coût de l'énergie, le gain de compétitivité lié à la baisse de l'euro, descendu au niveau du dollar, et enfin les milliards déversés par la Banque centrale européenne...
Mario Draghi donne aux banques des liquidités - entre 60 milliards et 70 milliards d'euros par mois - et reprend du papier. C'est une nouvelle forme d'inflation qui est, comme chacun sait, un amortisseur social, et que nous en avons besoin.
L'effet de ces trois phénomènes est très supérieur à celui du CICE qui, en outre, est partiellement reporté d'une année sur l'autre. C'est la Banque publique d'investissement - ses représentants nous l'ont confirmé - qui fait le relais au niveau financier du CICE. Or ce n'est pas son rôle...
Enfin, la rapporteure spéciale souligne à juste titre que les principaux bénéficiaires du dispositif, qui était initialement ciblé sur l'industrie, ont été, dans cet ordre, la grande distribution, le bâtiment et les travaux publics et la Poste.
L'impôt sur le revenu fait l'objet, chaque année, d'un nombre important de réclamations. Celles qu'il convient de suivre sont les recours juridictionnels, peu nombreux mais dont les montants sont plus élevés.
Je ne reprends pas à mon compte l'expression de « tour de passe-passe » employée par Philippe Dallier. Dès la mise en oeuvre du dispositif, il était prévu que la consommation de la créance par les entreprises puisse s'étaler sur trois ans, par exemple lorsque celles-ci n'étaient pas soumises à l'impôt sur les sociétés pour l'exercice considéré.
Mon rapport, tout comme celui de France Stratégie sur le sujet, souligne que les marges des entreprises se sont améliorées grâce au CICE ; mais ce n'était pas l'objectif initial du dispositif. J'ai également mis en évidence l'absence d'impact à court terme sur l'investissement, la recherche-développement et les exportations, pourtant essentiels à la compétitivité. En matière d'emploi, le Comité de suivi du CICE a souligné l'incertitude des effets estimés ; il évalue en effet cependant « probable un effet direct de l'ordre de 50 000 à 100 000 emplois créés ou sauvegardés sur la période 2013-2014 ».
Soulignons que l'intervention de Bpifrance fait, dans le cas des petites créances, suite au refus des banques d'accorder les préfinancements. Bpifrance a alloué 1,7 milliard d'euros de crédits en 2015 au titre du préfinancement, qui ont principalement permis aux entreprises dont la trésorerie était fragilisée de se maintenir à flot. Ceci pose la question des outils de financement et de trésorerie à disposition des entreprises aujourd'hui. Voici ce qu'écrivait le Comité de suivi dans son rapport 2016 : « les mesures de financement du CICE (hausse de la TVA, fiscalité écologique, réduction de la dépense publique ou hausse de l'endettement public) ont également eu un impact macroéconomique, nécessairement défavorable. En effet, la hausse de la fiscalité et la baisse de la dépense ont diminué le pouvoir d'achat des ménages et la demande adressée aux entreprises, pesant en retour sur l'emploi et l'investissement. »
Ainsi les rapports, auxquels le Sénat est traditionnellement hostile, ont parfois l'utilité d'évaluer l'impact de certaines mesures.
De même, le rapport sur le coût des exonérations d'impôts pour les collectivités adopté par l'Assemblée nationale me semble bienvenu. Je rappelle que les compensations peuvent être minorées lorsqu'elles sont variables d'ajustement et que par ailleurs les taux pris en compte sont ceux de 1991. Nous aurons, je l'espère, davantage d'éléments quand Claude Raynal et Charles Guené nous présenteront leur rapport sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales ».
À l'issue de ce débat, la commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements ».
La réunion est levée à 17 h 05.
- Présidence de Mme Michèle André, présidente, puis de M. Richard Yung, vice-président -
Enfin, la commission entend une communication de M. Dominique de Legge, rapporteur spécial, et procède à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes transmise en application de l'article 58-2° de la loi organique relative aux lois de finances, sur les opérations extérieures du ministère de la défense (OPEX) (sera publié ultérieurement).
Le compte rendu de cette réunion sera publié ultérieurement.