Commission d'enquête Compensation des atteintes à la biodiversité

Réunion du 18 janvier 2017 à 15h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • biodiversité
  • concessionnaire
  • environnementale
  • maître
  • ouvrage

La réunion

Source

La réunion est ouverte à 15 heures 35.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Nous espérons compléter les informations que la direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature (DGALN) nous a transmises, en entendant François Poupard, directeur général de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM).

Notre commission d'enquête s'est fixé pour objectif d'analyser les conditions de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation des grands projets d'infrastructures en attachant une importance particulière à quatre projets : la construction de l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et la réserve d'actifs naturels de Cossure, en plaine de la Crau. Ces projets sont à des stades différents de mise en oeuvre des mesures de compensation, ce qui nous permettra d'apprécier l'efficacité et l'effectivité du système compensatoire existant, et d'identifier les obstacles éventuels à l'application de la séquence éviter-réduire-compenser.

Nous recevons François Poupard, accompagné de Mmes Nora Susbielle, cheffe du bureau de la politique de l'environnement à la sous-direction de l'aménagement du réseau routier national, et Nancy Canoves Fuster, directrice de cabinet.

Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin seraient passibles des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Poupard et Mmes Nora Susbielle et Nancy Canoves Fuster prêtent successivement serment.

Ils déclarent aussi ne pas avoir de lien d'intérêt avec aucun des quatre projets mentionnés ci-dessus.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

La DGITM a pour première mission d'écrire les articles de loi, les règlements, décrets et arrêtés qui régissent les transports terrestres, maritimes, fluviaux, ferroviaires et routiers. En plus de cette compétence de cadrage, la DGITM anime des centres d'études et siège à leur conseil d'administration. Nous travaillons en concertation avec l'Institut français des sciences et technologies des transports de l'aménagement et des réseaux (IFSTTAR) et le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) pour constituer des guides et des méthodes. Enfin, nous collaborons avec des établissements scientifiques comme le Muséum national d'histoire naturelle (MNHN).

Nous sommes concédant de grandes infrastructures, lorsqu'elles sont réalisées par des tiers, concessionnaires ferroviaires ou autoroutiers, par exemple. Nous sommes maître d'ouvrage pour les opérations sur le réseau routier national. Et nous sommes opérateur du réseau routier national par l'intermédiaire des directions interdépartementales des routes (DIR), structures déconcentrées du ministère qui exploitent le réseau routier national non concédé.

Les grandes infrastructures décidées et engagées dans notre pays sont intégrées dans un schéma national d'infrastructures des transports, élaboré en application de la loi Grenelle de l'environnement entre 2009 et 2011. Ce schéma a fait l'objet d'une évaluation environnementale, conformément au code de l'environnement, et un avis de l'Autorité environnementale a été rendu le 22 septembre 2010. Très exhaustif, il prévoit sur le long terme des projets qui se chiffrent à plus de 250 milliards d'euros d'investissement. En début de législature, la commission Mobilité 21, présidée par le député Philippe Duron, a engagé une sélection des projets et prévu un phasage de leur réalisation. La hiérarchisation s'est opérée selon trois échéances et quatre critères, dont le critère de performance écologique qui prend en compte l'empreinte environnementale, la contribution à la transition énergétique, les effets sur les émissions de gaz à effet de serre et le développement des transports collectifs, en application des lois visant à réduire le trafic routier.

Pour les travaux de modernisation des réseaux, chaque contrat de plan État-région fait également l'objet d'une évaluation environnementale soumise à l'avis de l'Autorité environnementale. Cette évaluation s'appuie sur un référentiel national d'éco-conditionnalité. La prise en compte de l'environnement s'intègre ainsi dans l'ensemble du processus, depuis la phase d'identification des infrastructures jusqu'à leur sélection et leur phasage dans le temps. Au fil de ces étapes, la concertation facilite l'acceptabilité globale du projet et son insertion dans l'environnement. Le processus, itératif, s'appuie sur le choix du meilleur tracé pour définir et hiérarchiser les enjeux tout en évaluant de plus en plus précisément les impacts. Une définition précise des mesures de compensation à mettre en oeuvre serait contre-productive et impossible à tenir, si elle intervenait trop en amont.

Les maîtres d'ouvrage regrettent qu'il n'existe pas de méthode d'évaluation objective des impacts et des compensations, fonctionnant sur des ratios d'équivalence écologique et laissant la place à la différenciation locale, au cas par cas ou selon les espèces. La méthode de ratios utilisée aujourd'hui n'est pas assez fine et n'est pas non plus suffisamment documentée espèce par espèce. Cette méthode d'évaluation surfacique des compensations a parfois des conséquences dommageables : elle provoque notamment des tensions foncières dans certaines zones à forte qualité agricole ou dans certaines zones périurbaines. Lorsque les ratios sont de un pour quatre, d'autres usages du sol prévalent, ce qui peut aboutir à une impossibilité matérielle de mobiliser les surfaces nécessaires.

La DGITM a engagé plusieurs études, en partenariat avec le Cerema, le Muséum, mais aussi d'autres organismes comme la DGALN. Elle a publié un guide, des rapports, des notes d'information incitant les maîtres d'ouvrage à prendre en compte les obligations environnementales et à favoriser des méthodologies homogènes au sein des services instructeurs.

Une autre difficulté vient de ce que pour garantir la maîtrise foncière des terrains nécessaires à la compensation, nous devons faire des choix sans connaître à l'avance les décisions politiques qui détermineront les infrastructures à réaliser demain. L'incertitude prévaut, dans la mesure où nous ne connaissons pas le lieu où la compensation devra s'appliquer. Il faudrait faire évoluer les outils mis à disposition des maîtres d'ouvrage, en osant aller jusqu'à l'affichage de la possibilité de recourir à l'expropriation, car parfois, les concurrences d'usage du sol empêchent de mobiliser les terrains nécessaires. Le sujet est compliqué : on ne peut pas avoir recours à l'expropriation sans une déclaration d'utilité publique (DUP). Or les terrains nécessaires à la compensation ne sont pas toujours inclus dans cette déclaration. D'autant que les terrains les plus pertinents pour la reconstruction de la biodiversité ne sont pas toujours dans la contiguïté de l'infrastructure ou de son fuseau.

La DGITM est favorable aux politiques de protection de l'environnement. Il y va de l'application des lois, de la réalisation de projets conformes aux politiques mises en oeuvre dans notre pays, et de l'acceptabilité de ces projets, trop souvent bloqués en fin de parcours. Il est indispensable de réaliser un travail en amont.

Nous sommes également favorables au développement d'une offre de compensation qui permettrait aux maîtres d'ouvrage de remplir leurs obligations de manière plus satisfaisante sur le plan environnemental. Cette offre devrait se caractériser par une plus grande souplesse pour ce qui est des critères de proximité entre le site impacté par l'infrastructure et la localisation des mesures de compensation.

Les obligations en matière environnementale sont largement décrites pour chaque projet, tant par la DUP et son annexe ERC que par les articles L. 122-1 et L. 122-14 du code de l'environnement. Pour les projets les plus importants, ces obligations figurent dans le dossier des engagements de l'État.

De nombreux projets d'infrastructures sont réalisés dans le cadre de contrats délégués, confiés à des concessionnaires ou à des partenaires privés. La responsabilité d'obtenir les autorisations administratives utiles pour réaliser le projet, qu'il s'agisse de celles à produire au titre de la loi sur l'eau ou des dérogations sur les espèces protégées, est portée par le maître d'ouvrage privé ou le concessionnaire. Ce maître d'ouvrage est alors soumis aux obligations de l'annexe ERC de la DUP, à celles qui figurent dans le dossier des engagements de l'État, ainsi qu'aux dispositions du contrat de partenariat qui prévoient des pénalités en cas de non-respect de ces obligations. Le contrôle exercé par la personne publique délégante n'a en revanche pas vocation à se substituer à la police de l'environnement qui a en charge le contrôle du respect des obligations environnementales du maître d'ouvrage privé ou délégué.

En ce qui concerne les dépendances vertes du réseau routier national non concédé dont les DIR assurent l'exploitation et la gestion, l'administration a fixé un plan d'action en faveur des insectes pollinisateurs. Elle travaille également à la diminution drastique de l'utilisation des produits phytosanitaires, avec pour objectif le zéro phyto, la lutte contre les espèces exotiques envahissantes, ainsi que le traitement de l'eau. Cette politique s'inscrit dans une démarche globale de préservation de la biodiversité sur les infrastructures de transport existantes gérées par l'État.

La restauration des continuités écologiques sur les infrastructures construites avant 2009 a donné lieu à de nombreuses études dans le but d'améliorer la connaissance et de définir des actions prioritaires d'intervention sur ces réseaux existants. Ces approches mettent en évidence la nécessité de réfléchir à la stratégie de financement de la requalification environnementale du réseau routier national à moyen terme. Cela vaut aussi pour les autoroutes concédées dont certaines ne sont pas aux normes actuelles. La DGITM a signé tout récemment une convention avec la DGALN pour permettre le cofinancement par les agences de l'eau d'opérations de restauration des continuités écologiques des cours d'eau, dits de liste 2, qui constituent une obligation légale. Un soutien similaire serait nécessaire pour des opérations de rétablissement de la trame verte et bleue sur le réseau, qui iraient au-delà des exigences réglementaires compte tenu des contraintes budgétaires qui pèsent sur le réseau.

Parmi les guides et les documents que la DGITM a établis, je citerai une note d'information sur le retour d'expérience sur les mesures compensatoires, réalisée en 2014 ; un guide didactique sur l'impact des projets d'infrastructures linéaires, publié en 2016 ; une note d'information sur le retour d'expérience sur les mesures compensatoires en zone humide, en cours de réalisation. Avec la direction de l'eau et de la biodiversité, nous avons rédigé une note de cadrage méthodologique visant à favoriser la planification des opérations de dragage et de gestion des sédiments associés sur l'ensemble du littoral. Dans la continuité du guide Espèces protégées, aménagement et infrastructures publié en septembre 2012, nous avons élaboré une étude de sécurisation juridique des projets sur les volets eau et espèces protégées, avec l'aide du CGDD et de la DGALN. Cette étude sera disponible très prochainement. Enfin, nous avons passé une convention avec le Muséum national d'histoire naturelle pour financer des travaux de recherche et développement afin de faciliter la prédiction des espèces présentes dans un secteur géographique et d'élaborer une base de données générale, comme le recommande la loi sur la biodiversité. Nous participons à de nombreuses journées d'étude, réalisons des fiches, développons des protocoles dans des domaines techniques qui nécessitent un soutien méthodologique pour les maîtres d'ouvrage.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Nous avons noté vos propositions d'amélioration avec intérêt. Vous avez mentionné votre collaboration avec le MHNH. Participez-vous à la cartographie nationale des enjeux de la biodiversité ? Et, plus largement, avez-vous une vision des enjeux de biodiversité au niveau national, ou bien procédez-vous au cas par cas ?

Vous avez insisté sur les contrats délégués. Croyez-vous que l'État joue son rôle de contrôle ? Des affaires récentes se sont terminées au tribunal, notamment sur le projet LGV. L'État a-t-il les moyens d'exercer son contrôle ou bien est-il surtout soucieux d'entretenir de bonnes relations avec les concessionnaires ?

Enfin, les pénalités sont-elles suffisamment dissuasives ? Considérez-vous qu'aujourd'hui les coûts de la compensation sont intégrés dans les projets ?

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

Nous menons un travail approfondi pour acquérir la meilleure connaissance possible des espèces et des milieux impactés. Nous tentons de devenir plus compétents en matière d'enjeux globaux. Cependant, nous restons une direction technique qui s'occupe de transports et nous ne nous élevons pas au-dessus de notre condition. La DGITM et la DGALN ont collaboré à la cartographie que vous mentionnez. Le travail est en cours.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Cela signifie-t-il que, lorsque l'État discutera de grands projets, vous serez en mesure de signaler les difficultés qui risquent de mettre en péril leur mise en oeuvre ? Disposons-nous de cette vision systémique ?

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

La DGITM s'est dotée d'un bureau spécifique en charge de cette question. Nous ne sous-traitons pas cette matière, même si nous ne disposons pas des mêmes moyens que d'autres organismes. Cela fait partie du travail du maître d'ouvrage.

Le contrôle de l'État s'exerce par le biais de la police de l'environnement qui relève davantage de l'ONEMA que de la DGITM. Cependant, nos inspecteurs des pêches assurent une forme de contrôle au service des directions interrégionales de la mer (DIRM) et des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) en faisant des patrouilles et en vérifiant l'application des réglementations du littoral, côté mer : braconnage, dégazage, etc. Nous sommes en discussion avec l'Agence française de la biodiversité (AFB) pour réunir nos forces de police.

L'État contrôle avec attention aussi la réalisation des concessions, et il le fait... sans concession. Les relations avec les concessionnaires sont parfois tendues. Les contrats de concession, souvent longs, sont pour beaucoup antérieurs aux réglementations environnementales. Nous essayons de les faire évoluer de manière à ce qu'ils intègrent une préoccupation environnementale, mais aussi des notions telles que la qualité de service pour les usagers. Ce n'est pas facile, car la renégociation des contrats donne lieu à des demandes d'indemnités. À titre d'exemple, les grands contrats sur les concessions d'autoroutes ont été renégociés au cours de l'année 2015, au terme d'un débat national. Ils sont désormais beaucoup plus exigeants.

Dans les contrats les plus récents, les mesures compensatoires et la conformité au cahier des charges sont soumises à des pénalités qui sont effectivement appliquées s'il y a lieu. La livraison d'une concession comme celle de la LGV SEA donnera lieu à un travail de vérification qui durera plusieurs mois.

Les pénalités sont-elles dissuasives ? Quoi qu'il en soit, un concessionnaire cherchera toujours à éviter de payer des pénalités. Il commencera par présenter des réclamations sur les travaux et ainsi de suite. Les pénalités en matière d'environnement sont lourdes. Il faudrait s'adresser directement aux intéressés pour savoir si elles sont vraiment dissuasives.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Les pénalités dans les contrats de concession sont lourdes. Les amendes pénales sont encore souvent très modestes.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

Je parle bien des pénalités contractuelles. S'agissant de votre question concernant le coût de la compensation, dans la mesure où le concessionnaire doit répondre au cahier des charges, il intègre systématiquement les coûts de compensation dans son contrat. Nous tentons d'évaluer ces surcoûts, qui pourraient varier de 10 à 15 % selon les projets.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Jusqu'à présent, on nous a plutôt dit qu'ils variaient entre 5 et 10 %.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

Certains projets sont plus sensibles que d'autres. Effectivement, en moyenne, on tourne autour de 10 %.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Inscrire dans la loi sur la biodiversité l'obligation de résultat avec zéro perte nette pour la biodiversité peut-il contribuer à changer l'approche de certains maîtres d'ouvrage ? Se dirige-t-on vers un système de provisions pour risques ?

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

La compensation n'est pas totalement documentée espèce par espèce, de sorte qu'elle se fera surtout sous forme de mesures foncières, ce qui revient à remplacer de la biodiversité par des hectares. D'une part, la méthode n'est pas forcément efficace. D'autre part, elle soulève des difficultés matérielles et de pression foncière. Il faut approfondir notre analyse pour mieux comprendre ce qu'implique une compensation intégrale.

Le temps pose également problème. Le maître d'ouvrage met en place des mesures. Que deviendront-elles dix ou vingt ans plus tard ? Ce n'est pas le métier du maître d'ouvrage que de gérer des réserves écologiques. On commence à reconstituer des zones humides. Jusqu'où et comment faut-il les gérer ? Quel type d'opérateurs impliquer ? C'est un vrai métier. Il faut également pouvoir financer ces projets dans la durée. Pour l'instant c'est un non-dit. La question finira forcément par se poser.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

C'est un non-dit dont personne ne nous avait parlé jusque-là. Cela signifie-t-il qu'il faut intégrer un coût de fonctionnement dédié à la biodiversité dans les projets ? D'après vous, ce coût resterait un non-dit.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

En tout cas, ce coût n'est pour l'instant pas assumé comme tel. Il n'est ni chiffré, ni matérialisé. Dans les zones portuaires, certaines zones Natura 2000 sont gérées par le port avec l'aide d'ONG, et leur coût de fonctionnement est chiffrable. On sait l'identifier dans l'économie portuaire. Aucun opérateur n'intervient dans les grands projets d'infrastructures. Ce n'est ni le métier de Vinci, ni celui des DIR. Cette question doit encore être expertisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Merci pour votre exposé, très clair. Est-il facile d'avoir une application et des exigences identiques sur l'ensemble du territoire, ou bien avez-vous constaté des applications diverses et variées que vous essayez de corriger en développant une politique commune nationale ? Les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) réagissent-elles toutes de la même manière ?

Les évaluations environnementales imposées aux concessionnaires sont des exigences nouvelles de l'État qui supposent un avenant au contrat. Ne sont-elles pas forcément compensées ?

L'ONEMA exerce un contrôle pour l'eau. Qui réalise les autres types de contrôle ?

Lorsqu'il y a une zone de compensation, qui est propriétaire ? Une concession n'est en réalité rien d'autre qu'un système financier. Elle a forcément une durée, même si certaines concessions sont très longues, comme celles des autoroutes. In fine, ces zones de compensation reviennent-elles à l'État ? Qui en demeure propriétaire ?

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

Plus que des variations entre Nord et Sud ou la pratique des DREAL ou des maîtres d'ouvrage, c'est la fragilité des milieux traversés qui détermine le niveau de précaution.

Les mesures prises à ce titre génèrent des surcoûts, dont vous demandez s'ils sont compensés par une augmentation des tarifs. La réponse est oui. La concession est un système de financement mêlant ressources budgétaires, via des subventions d'équilibre versées par les régions et l'État, et recettes issues des tarifs appliqués pendant toute la durée du contrat. Si une mesure de compensation n'est pas prévue par le contrat initial, le concessionnaire peut demander que son financement soit garanti par une subvention ou par une hausse des tarifs. C'est ainsi que les contrats de plan autoroutiers, comme le Plan Vert, ont prévu des compensations tarifaires des mesures écologiques. Quoi qu'il en soit, l'argent provient soit de l'impôt, soit des tarifs.

Outre l'ONEMA, la police de l'environnement est exercée par les DREAL. Je crois que l'AFB va unifier les corps de contrôle...

Quant à la propriété des terrains concédés, elle revient in fine au concédant, sachant que le concessionnaire doit les gérer de manière à les lui restituer en bon état.

Par nature, les concessionnaires ne sont pas des gestionnaires d'espace écologique. Doivent-ils le devenir ? Faut-il faire émerger des opérateurs spécialisés ? Dans l'affirmative, ceux-ci doivent-ils être créés de toutes pièces, ou est-il préférable de s'appuyer sur des institutions existantes, comme la Caisse des dépôts et consignations ? En tout cas, un nouveau métier apparaît, et il n'est pas sûr que Vinci soit le mieux placé pour l'exercer, même si des opérateurs compétents apparaissent parmi ses sous-traitants. La DGITM n'est pas non plus l'acteur idoine.

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Lors d'une précédente audition, nous avons été alertés sur le manque de compétences en matière de biodiversité et de compensation. Qu'en pensez-vous ?

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

Chez les maîtres d'ouvrage, ce manque est patent, et il est naturel, puisque ce n'est pas leur métier. Mes propres moyens sont affectés en priorité à l'exploitation des routes : si je prélève des ressources pour les consacrer à ces questions, je ne pourrai plus assurer le salage hivernal. Des pôles de compétence peuvent-ils émerger sur notre territoire ? Mis à part le Muséum, qui dispose d'une expertise pointue et diffuse guides et recommandations, la question se pose. Or la conception, la construction et la gestion des hectares de zones écologiques que nous créons requièrent de la main-d'oeuvre !

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Nous sommes à un point de basculement : la loi a imposé la compensation, et les opérateurs ne disposent pas encore de tous les savoir-faire nécessaires. L'État est-il prêt à la financer ? Le modèle économique de la mobilité impose de maintenir les prix à un niveau raisonnable. Certes, il suffirait d'accroître les tarifs de péage ou le taux de la taxe aéroportuaire.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

La question du financement des transports, que vous soulevez, est complexe. Il n'y a que deux sources : le tarif et l'impôt. La situation des finances publiques nous conduit à rechercher des économies dans la construction et la gestion. Quant à la hausse des tarifs, nous savons bien que les usagers veulent des petits prix, qu'il s'agisse de la SNCF ou des péages autoroutiers. En fait, chacun veut une baisse des impôts et des tarifs tout en réclamant davantage de services et de compensations. Il faut pourtant faire les comptes et prendre conscience qu'une diminution des ressources couplée à une hausse des exigences ne peut que conduire à des impasses.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Est-ce ce qui nous attend ? La solution n'est-elle pas l'évitement ? Je sais bien que les coûts évités sont difficiles à évaluer... L'État passera-t-il en force sur des projets qu'il considère comme essentiels, mais ne sait pas comment compenser ?

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

Le rôle de l'administration est d'élaborer un catalogue de projets utiles et susceptibles d'être financés. C'est aux responsables politiques qu'il revient de décider quelles infrastructures construire, et selon quel calendrier. En la matière, l'inertie est considérable : nous terminons actuellement des projets lancés il y a six ans et, entre la décision et la mise à disposition, il peut s'écouler jusqu'à une vingtaine d'années. Une vision dynamique est donc indispensable.

Oui, l'État est attentif aux coûts. Nos débats avec la direction du budget sont très nourris et même créatifs. L'opportunité de chaque projet d'infrastructure est scrutée de près. Notre ministère a d'ailleurs révisé sa méthode d'évaluation des projets pour prendre en compte les critères environnementaux. Y a-t-il un niveau maximal de coût environnemental acceptable ? Il est difficile de répondre dans l'absolu, puisque l'on compare toujours les coûts aux avantages d'un projet pour la collectivité. Si l'intérêt est très fort, des coûts compensatoires importants doivent être assumés.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Vous faites bien de nous rappeler que l'enquête sur les coûts et bénéfices, qui suscite bien des débats, intègre les coûts environnementaux. On a parfois l'impression que les mesures compensatoires arrivent après coup, ce qui pose des problèmes aux maîtres d'ouvrage.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

Nous appliquons des décisions prises par nos prédécesseurs - et leurs prédécesseurs - alors que de telles mesures n'existaient pas. D'où les coûts supplémentaires. Jeune ingénieur, je devais respecter la deuxième version de la circulaire dite « Boiteux ». Il s'agissait de généraliser l'analyse des coûts et des avantages, selon des critères quantitatifs, à tous les projets d'infrastructures de transport. Nous en sommes désormais à la septième ou à la huitième version de cette circulaire, et l'analyse économétrique froide a cédé la place à une réflexion selon de multiples critères, qui va jusqu'à prendre en compte les effets globaux, comme le réchauffement de la planète. Le Commissariat général à l'investissement, qui réfléchit beaucoup aux méthodes d'évaluation des projets, a reconnu que notre ministère était en pointe en matière de prise en compte de critères multiples. D'ailleurs, ce sont parfois les projets eux-mêmes qui servent d'appui à une avancée réglementaire. Ce fut le cas, par exemple, de l'A 51.

Debut de section - PermalienPhoto de Évelyne Didier

Certes, une durée de quinze ou vingt ans laisse à la réglementation le temps d'évoluer. La décision politique ne devrait intervenir que lorsqu'on dispose d'éléments suffisants. Je ne suis pas sûre que ce soit toujours le cas... En effet, votre direction a anticipé certaines évolutions, mais ce sont les responsables politiques qui décident en dernière analyse. Or, les projets de TGV qui concurrençaient directement l'entretien et la rénovation du réseau ferroviaire auraient dû être reportés. Cela montre que, du point de vue de la mobilité ferroviaire globale, les priorités n'ont pas été fixées de manière raisonnable.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

La décision des responsables politiques est-elle suffisamment éclairée ? Question complexe. Tout notre processus d'élaboration d'un projet, du débat public à la signature du contrat, fonctionne par entonnoir : on commence à réfléchir de manière très large, donc relativement imprécise, et progressivement, avec le débat, les avis, l'enquête publique, on devient plus précis. C'est pourquoi la DGITM n'est pas favorable à ce que les évolutions de réglementation conduisent à mettre en cause l'opportunité d'un projet lorsque celui-ci est déjà bien avancé. Devoir déplacer de quatre kilomètres un fuseau de 300 mètres nous contraint à reprendre le processus dix ans en arrière ! Convergentes, nos procédures sont très vulnérables à des décisions divergentes tardives. Pour autant, il n'est pas possible de faire l'inventaire des espèces sur un fuseau de vingt kilomètres. Il faut donc trouver un équilibre pour que l'étude des mesures d'évitement se fasse à une échelle adaptée. Par définition, le tracé d'une infrastructure linéaire doit être assez rectiligne... Nous nous réjouissons que la décision finale revienne aux responsables politiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Il est bon que cela nous soit rappelé par votre administration.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

La décision de faire une ligne rapide entre Tours et Bordeaux relève d'une politique d'aménagement du territoire, et ne peut évidemment pas être prise par les seuls ingénieurs. Une décision politique ne correspond jamais totalement à une analyse économétrique froide, ce qui est bien naturel. Certes, elle ne doit pas non plus être irrationnelle : lorsque des milliards d'euros sont en jeu, la rationalité prend une place considérable - nous y veillons.

L'arbitrage entre investissements nouveaux et maintenance est une vraie question, qui a des conséquences aussi sur l'environnement : si l'on engage de nouveaux projets coûteux, le parc existant n'est pas adapté. Du point de vue technique, il est possible de sacrifier la maintenance pendant un ou deux ans. Au-delà, le coût du rattrapage dépasse celui de l'entretien régulier. Nous le voyons bien avec notre réseau ferroviaire, pour lequel il faudra investir 30 milliards d'euros en dix ans. Et il en va de même de notre réseau navigable et routier - hors les zones concédées, qui sont bien entretenues.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Bailly

La compensation est importante, et son coût est de mieux en mieux compris et accepté. Nous avons parlé de la faune et de la flore, mais quid des êtres humains ? J'ai bien vu lors du tracé de l'A 39 ou de la LGV Rhin-Rhône que l'on prenait la peine de déplacer les travaux de quatre kilomètres pour préserver la nature. Prend-on un soin équivalent des personnes ? A raison de 12 000 ou 15 000 passages par jour, à multiplier par le nombre de jours travaillés par an, combien ces quatre kilomètres surnuméraires représentent-ils de moments qui auraient pu être passés en famille ? Et je ne parle pas du carburant supplémentaire consommé. Pour l'A 51, a-t-on pensé à ceux qui doivent prendre la route Napoléon pour rentrer chez eux, dans les Hautes-Alpes ou les Alpes-de-Haute-Provence ? Bref, se soucie-t-on autant des hommes que de l'environnement ? La question est d'importance, surtout pour les habitants des zones rurales.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

En effet, et elle est au coeur de l'analyse des coûts et bénéfices de chaque projet. Par bénéfice, nous n'entendons pas un résultat financier, mais bien un avantage pour la collectivité. Ce que doit faire gagner un projet d'infrastructure, ce n'est pas de l'argent, c'est du temps.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

Nous évaluons le coût de ce temps gagné et, pour un projet autoroutier, il constitue 80 % des bénéfices pris en compte.

Debut de section - Permalien
François Poupard, directeur général de la DGITM

La pondération des effets externes sur la qualité de vie, le bruit ou la pollution, diminue un peu celle du gain de temps, mais celle-ci reste le principal critère - dans la deuxième version de la circulaire Boiteux, c'était le seul...

Debut de section - PermalienPhoto de Ronan Dantec

Pourriez-vous nous faire parvenir la dernière version de cette circulaire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Sophie Primas

Je vous remercie.

La réunion est close à 16 heures 47.