La réunion est ouverte à 16 heures.
Nous entendons M. Patrick Lantrès, président du comité « TGV réaction citoyenne ». Ce comité regroupe des associations actives sur le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, qui fait partie des quatre projets sur lesquels nous avons choisi de nous concentrer, avec pour objectif d'étudier la définition et la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et l'effectivité des mesures compensatoires existantes et identifier les obstacles éventuels à la bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).
Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Lantrès prête serment.
Pouvez-vous nous indiquer si vous entretenez des liens d'intérêt avec l'un des quatre projets sur lesquels nous enquêtons ?
Aucun, si ce n'est que j'habite dans une commune traversée par la LGV et que je suis président d'un comité qui a déposé un recours auprès du Conseil d'État pour annuler la mise en oeuvre de cette ligne.
Je tiens à vous remercier de m'avoir proposé d'exposer les vues du comité « TGV réaction citoyenne ». Créé il y a 17 ans, ce comité originellement composé de cinq associations en a réuni jusqu'à 38 au fil des années. Il a été déclaré en préfecture en 2000 et j'en suis président depuis 2003. Voilà donc dix-sept ans que nous travaillons à faire valoir la biodiversité, mais aussi l'humain et le socio-économique. Comme je l'ai mentionné, nous avons déposé un recours en annulation auprès du Conseil d'État.
Le but commun de toutes les associations réunies dans notre comité était initialement de lutter contre le projet de la LGV et de proposer une autre politique de transport. Les années passant et le rouleau compresseur de Réseau ferré de France (RFF) oeuvrant, nous sommes passés du « non » au « non, sauf si... » tout en restant guidés par les principes du développement durable des territoires concernés, avec la confluence des trois piliers, social, écologique et économique.
Le comité a exposé ses vues auprès des ministres, en particulier MM. Bussereau et Perben. Nous avons eu de nombreux entretiens avec M. Raffarin et nous avons défendu nos arguments devant certains députés, maires etc. Nous avons travaillé d'arrache-pied avec toutes les communes concernées. Les associations de notre comité implantées sur la partie nord du projet de LGV ont pu acquérir une forme de renommée, synonyme de professionnalisme.
Nous avons travaillé sur toutes les composantes des impacts environnementaux de la LGV. Même si nous avons acquis une réputation de professionnalisme, nous sommes loin d'être des spécialistes, car la formation professionnelle des présidents d'association n'entretient pas forcément de rapport avec l'environnement. Nous nous sommes donc entourés d'experts.
J'en viens à la mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser sur laquelle vous m'interrogez. Pour la LGV L'Océane, de quoi s'agit-il ? Les aménageurs, et RFF en particulier, sont à mille lieues d'appliquer les principes de la séquence ERC. Les projets sont dans les tuyaux depuis 1992 et le comité ministériel a été créé en 1998. À l'époque, les aménageurs étaient bien loin de ces préoccupations.
Aux différents stades des études - car, vingt ans pour construire une ligne, c'est extrêmement long - au fil de l'avant-projet sommaire (APS) et de l'enquête d'utilité publique (EUP) de 2000 à 2005 pour le tronçon Angoulême-Bordeaux, puis en 2007, pour le tronçon Tours-Angoulême, l'impression des élus et de la population était que tout était joué d'avance. A-t-on cherché à éviter ? Non. À réduire ? Oui, mais au strict minimum et quand cela ne coûtait pas trop cher. À compenser ? Oui, mais au strict minimum légal.
Dans les analyses multicritères - soit 11 critères - pour évaluer des variantes de tracé, même si une majorité de critères était favorable ou assez favorable, qu'il s'agisse de la faune, de la flore, de l'environnement humain, etc., il suffisait que le critère du coût soit défavorable ou très défavorable pour que la variante soit abandonnée. A-t-on cherché à éviter ? Non. Combien de fois ai-je entendu le patron du projet dire en réunion devant le préfet que RFF était là « pour construire des lignes et rien d'autre » ! Lors de notre recours en annulation auprès du Conseil d'État, le rapporteur public a en substance proposé dans ses conclusions que les aménageurs prennent en compte les alternatives possibles au projet mais également l'aménagement de la voie existante plutôt que la construction d'une nouvelle ligne. Même si nous n'avons finalement pas eu gain de cause, je peux en déduire que l'évitement, dans le cadre de cette ligne, n'a pas été mis en oeuvre.
A-t-on cherché à réduire ? Oui. Sur beaucoup de sites l'abaissement du profil en long a été obtenu ou bien des banquettes sous les ponts ont été élargies à destination des animaux. Cependant, toutes ces initiatives s'appuient sur des études purement techniques, voire technocratiques, sans que les experts aillent sur le terrain. En témoigne la gestion des eaux de ruissellement. De nombreux débordements et des inondations ont été constatés, lors de pluies abondantes, il y a deux ou trois ans. Le fait est que RFF n'a pas tenu compte des avertissements répétés des « anciens », qui connaissent le terrain.
S'il y a bien eu des compensations, elles ont d'abord été a minima. Pour moi qui, sans être néophyte en matière de biodiversité, ne suis pas un professionnel, la compensation est un droit à détruire. Ou du moins un moyen de dire « je paie donc j'ai le droit ».
Le dossier de la LGV-SEA est mal parti, car lorsqu'il a été lancé, RFF ne connaissait pas la séquence ERC et était déterminé à faire valoir sa vérité sur le tracé de la ligne. « RFF, c'est l'État dans l'État », ai-je dit à un préfet.
Il suffit de citer l'outarde canepetière, dans une zone de protection spéciale (ZPS) de la Vienne que la ligne devait traverser : les experts de RFF ont fait des comptages uniquement sur la population mâle, en se limitant à un périmètre de 500 mètres autour de la ligne. Ils n'ont pas tenu compte de la réalité du terrain. L'État a dû nommer des experts pour trouver un accord a minima en prenant en compte la population entière et en élargissant le périmètre de 500 à 1 000 mètres. Sans ces mesures, l'outarde aurait disparu.
Que penser, dans la Vienne, du remplacement d'un arbre arraché par deux arbres replantés quand ces deux arbres le sont à 20, 30 ou 40 kms de la LGV, sous prétexte qu'il n'existe pas suffisamment de terres pour replanter ? Sauf que deux ans après, pour compenser l'arrachage d'arbres effectué sur le site « Center Parc », à une quarantaine de kilomètres du tracé de la ligne, on a trouvé une vaste zone près de la LGV. N'aurait-on pas pu aller jusqu'au bout du processus de compensation au moment où les études ont été réalisées ?
Des spécialistes vous expliqueraient cela mieux que moi, comme Poitou-Charentes Nature par exemple. Ils ont beaucoup travaillé avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).
Nous avons prévu une audition de naturalistes à propos de la LGV. D'après ce que vous nous dites, les premiers experts, mandatés par les maîtres d'ouvrage, se sont contentés de recenser uniquement les mâles de l'espèce sur un périmètre de 500 mètres autour de la ligne. L'État a dû faire appel à d'autres experts pour exercer son contrôle.
Il y a été poussé par le tollé des associations.
Des spécialistes m'ont assuré que les mesures prises étaient un moindre mal. Bien présomptueux serait l'expert qui pourrait nous dire ce qu'il adviendra dans dix ans. D'autant que le problème a été aggravé par les effets du remembrement foncier.
L'accord sur l'outarde et l'affaire des arbres arrachés et replantés ont constitué les points de tension les plus vifs entre les associations et l'État. On a constaté d'autres carences dans les études préalables au projet, une dizaine d'espèces animales, notamment, n'étant pas comptabilisées. Si ces espèces avaient été répertoriées dès l'origine, le tracé de la ligne aurait peut-être été différent.
Le maître d'ouvrage a-t-il mandaté un bureau d'études au sujet de ces espèces protégées ?
Oui. Quand les associations ont constaté qu'une dizaine d'animaux ne figuraient pas dans le dossier d'avant-projet sommaire, le maître d'ouvrage l'a repris. Si l'étude préalable avait été correctement menée, on aurait évité certaines erreurs. Mais il fallait passer à cet endroit-là. Et pas autre part.
Vous m'avez interrogé sur les rapports avec l'État. Heureusement que les DREAL étaient là pour revoir les dossiers. Elles ont effectué un important travail et n'ont pas manqué d'appuyer là où cela faisait mal dans les études plus ou moins bien faites de RFF, qui m'a paru peu soucieux de préserver la biodiversité.
Tel n'est pas le cas du concessionnaire LISEA, qui a rattrapé pas mal d'erreurs de RFF et comblé un bon nombre de ses lacunes. Cela mérite d'être souligné.
On le note, car il est rare qu'un collectif d'opposants dise du bien du maître d'ouvrage !
LISEA n'est pas exempt de défauts. Nous avons eu d'âpres discussions. Disons, pour résumer, que RFF, c'est : « J'ai raison » et que LISEA, c'est : « On a raison, mais on vous écoute et on se parle ».
Ce n'est pas anodin. Pourquoi, selon vous, le concessionnaire a-t-il fait plus attention ? A-t-il juste eu envie de vous être agréable ? A-t-il eu peur d'un éventuel blocage du projet et des pertes financières qui auraient pu résulter d'un retard ? A-t-il eu des craintes pour son image ? Je rappelle qu'un certain nombre d'associations ont intenté un procès à LISEA et que deux filiales de Bouygues et de Vinci ont été condamnées.
Au risque de me faire des ennemis, je rappelle que chez RFF, on a affaire à des fonctionnaires, dont le raisonnement est borné. Chez LISEA, ce sont des professionnels de la négociation. C'est le jour et la nuit.
Il est possible de parler avec les gens de LISEA. Peut-être est-ce parce qu'ils n'ont pas peur du Comité TGV, quoique... Nous avons bloqué des TGV à plusieurs reprises, nous aurions pu recommencer. Peut-être notre lobbying auprès des élus et de certaines personnes a-t-il porté ses fruits ? Le fait est que LISEA a abordé les problèmes de manière positive. Par ailleurs, RFF devait imposer le projet, tandis que LISEA n'avait plus de questions à se poser à cet égard : elle avait à se débrouiller avec le projet. Peut-être aussi cette société a-t-elle une certaine culture de l'environnement ? Ce projet n'était pas son coup d'essai. Enfin, ayant l'habitude d'être « embêtée » par les associations, peut-être sait-elle les caresser dans le sens du poil ?
RFF a aussi l'habitude de traiter avec les associations, mais les discussions ne sont pas sereines. Pour ma part, j'ai horreur de telles discussions. Même si LISEA n'est pas irréprochable, au moins nous ont-ils écoutés. C'est important.
Je vais maintenant faire le vilain petit canard. J'avoue que cela me contrarie que l'homme soit exclu de la biodiversité. Lorsque j'essaie d'expliquer notre action, je m'entends souvent demander : « Et l'homme dans tout cela ? ».
À aucun moment le public n'a été associé aux décisions, contrairement aux associations. Dans l'étude d'avant-projet sommaire, dans les enquêtes d'utilité publique, lors des réunions organisées à notre demande, à celles des communes, lors des réunions des commissaires enquêteurs, il n'a jamais été question de biodiversité. Ce n'était pas le problème.
En réunion publique, lorsqu'on dit à la population qu'on va lui accorder un double-vitrage et qu'on lui explique par ailleurs que l'on va dépenser telle somme pour acheter de nouveaux terrains pour l'outarde, elle nous répond : « Et nous ? ». Un habitant m'a fait remarquer que les dossiers des enquêtes publiques comprenaient dix à quinze fois plus de pages consacrées aux animaux qu'à l'homme. Comment la population pourrait-elle adhérer à un projet sachant que les dossiers d'enquête publique peuvent compter 2 000 pages et peser 18 kilos ?
Pour notre part, nous faisons de l'information. Pour attirer le public, il faut prendre en compte l'homme dans la biodiversité, de façon officielle.
Prévoir des compensations importantes en cas d'atteinte à la biodiversité est une bonne chose, mais ce n'est pas assez : pourquoi ne pas en prévoir un minimum pour l'homme ? Comment le public peut-il s'intéresser à la préservation de la biodiversité alors qu'on lui demande de se taire, qu'on lui dit que la ligne se fera, mais qu'on n'en fera qu'un minimum pour lui ?
J'ai lu les comptes rendus des travaux de votre commission d'enquête sur la biodiversité. Ils me confortent dans l'idée que l'homme doit être au coeur de la biodiversité. Si je ne me trompe pas, cinq hominidés sont en voie de disparition. Dans l'arbre de vie, l'homme se situe juste à côté. Pourquoi s'intéresserait-on aux hominidés et pas à l'homme ? D'aucuns penseront que je suis hors sujet, mais je ne le suis pas. On n'intéresse l'homme à ces problèmes qu'à la maternelle, où l'on fait faire des herbiers aux enfants. Ensuite, c'est fini !
Ce que vous dites est intéressant pour une bonne compréhension des mesures de préservation de la biodiversité.
C'est primordial !
Nous nous sommes partagé les tâches. Il eut été improductif que chaque association travaille autant sur la biodiversité que sur l'homme. Certaines associations travaillent à 80 % sur l'homme et à 20 % sur la biodiversité, d'autres font l'inverse. Il n'y a pas d'associations de protection de la nature au sein du Comité, car ces associations étaient déjà organisées en associations nationales. Il valait mieux que les associations de protection de la nature oeuvrent dans leur domaine en se préoccupant un peu de l'humain et que nous nous intéressions de notre côté surtout à l'humain et un peu à la préservation de la biodiversité et de l'environnement.
C'est intéressant. Dans d'autres dossiers, un collectif réunissait tout le monde. Chez vous, il y a deux groupes, d'un côté les associations de protection de l'environnement, de l'autre le Comité.
Les associations environnementales oeuvrent sans aucun rapport avec le Comité, et ce pour des raisons pratiques. Il y a une quinzaine d'années, nous étions tous en activité et le Comité nous prenait beaucoup de temps. Nous ne pouvions pas en plus prévoir du travail en commun avec les associations de protection de la nature.
La Ligue de protection des oiseaux, la SEPANSO, Poitou-Charentes nature sont les plus impliquées sur le dossier. Cette dernière association est d'ailleurs tout à fait prête à vous rencontrer si vous le désirez.
Pour ma part, je vous livre davantage un témoignage qu'une analyse technique. Je le répète, je pense que tant qu'on ne prendra pas l'homme en compte dans la préservation de la biodiversité, même si c'est beaucoup plus lourd à gérer, il y aura un problème.
Je vais faire un parallèle osé : pourquoi les écologistes ne recueillent-ils que 2 % ou 3 % des votes lors des scrutins ?
C'est entre autres parce qu'ils s'occupent des animaux, de la préservation de la biodiversité, mais pas de l'homme. Or, il faut prendre en compte l'ensemble. Je sais bien qu'à chaque jour suffit sa peine, mais peut-être votre commission pourrait-elle se pencher sur cette question !
Vous m'avez demandé ce que l'on pouvait faire pour améliorer la séquence « éviter, réduire, compenser ». En France, on a une propension à créer de nouvelles lois sans appliquer celles qui existent. Commençons par appliquer les lois votées !
Ensuite, tout passera par l'évolution des mentalités des aménageurs. Aujourd'hui, ils commencent à s'engager dans la phase «réduire » ; ils compensent également, mais ils sont loin d'avoir intégré la phase « éviter ». J'ai lu le rapport « Corridors en infrastructures, corridors écologiques ? » de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B). Il y est annoncé une « volonté et une capacité réelle d'améliorer les pratiques des entreprises ». Cela fait plaisir de lire cela. LISEA fait partie de ce club, pas RFF, sauf erreur de ma part.
Il faut inculquer aux entreprises, aux aménageurs non pas ce qu'est la biodiversité, car ils commencent à le savoir, mais ce qu'est une culture d'entreprise dans le domaine de la biodiversité. La préservation de la biodiversité doit être considérée non pas comme une mesure inflationniste, mais comme un projet d'entreprise. Le jour où les entreprises incluront dans leur projet la défense de la biodiversité, y compris de l'homme, le jour où elles auront une charte réelle, on pourra travailler sur le « éviter ». On n'aura plus tellement besoin de compenser. Le « compenser », c'est le gendarme. Il est facile de compenser, mais il est beaucoup plus difficile d'éviter.
Certes, il est question de préservation de la biodiversité dans les dossiers d'enquête publique. De nombreuses communes ont ainsi été très heureuses d'apprendre que tel ou tel animal vivait sur leur territoire. Certaines d'entre elles ont même nommé des responsables biodiversité. La LGV a de bons côtés... Cela étant dit, globalement, les entreprises n'ont pas cette préoccupation à l'esprit. Là est le problème. Avant de parler de compensation, faisons donc de l'éducation et incitons les entreprises à avoir de réels projets en matière de préservation de la biodiversité.
Après avoir entendu hier M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau, nous recevons M. Romain Dubois, directeur général adjoint de SNCF Réseau et auteur d'un rapport intitulé « Améliorer la séquence Éviter - Réduire - Compenser », remis à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer le 3 avril 2015.
Les conclusions de ce rapport intéressent notre commission d'enquête à plus d'un titre puisque je vous rappelle que nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).
J'indique à notre intervenant que nous étudions, de manière plus spécifique, quatre projets d'infrastructures, qui chacun mettent en lumière un stade différent de la mise en oeuvre ou du contrôle des mesures de compensation : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.
Notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié.
Je vais maintenant demander à M. Romain Dubois de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romain Dubois prête serment.
Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?
Je n'ai aucun lien d'intérêts à titre personnel et plus de liens d'intérêts - si tant est qu'il en ait existé - en qualité de président du groupe de travail sur l'amélioration de la séquence ERC. En tant que directeur général adjoint de SNCF Réseau, mes liens d'intérêts sont les mêmes que ceux exposés hier par Patrick Jeantet, si ce n'est que, s'agissant de la LGV SEA, je n'interviens pas au titre de l'autorité concédante mais plutôt pour le partage de capacités de circulation des trains.
Notre groupe de travail, mis en place à la suite des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement, a travaillé à partir d'une lettre de mission dont l'objet, volontairement réduit, était en même temps porteur d'un paradoxe sur lequel je reviendrai. Il s'agissait, pour répondre aux difficultés que rencontrent les maîtres d'ouvrage, de formuler des propositions concrètes et opérationnelles d'amélioration de la séquence ERC, à droit constant. Au-delà de la séquence ERC, nous nous sommes également intéressés à des sujets connexes tels que le bruit, les pollutions ou les atteintes sanitaires. Compte tenu des délais contraints qui nous étaient impartis - trois réunions plénières entre septembre et décembre 2014 - le rapport ne visait pas l'exhaustivité. Il ne recherchait pas non plus à tout prix le consensus et des opinions divergentes ont pu être exprimées en annexe. Pour autant, les six propositions phares issues du rapport n'ont pas été contestées par les membres du groupe de travail. Le paradoxe dont je vous ai parlé tient au fait qu'un grand nombre de représentants au sein du groupe de travail étaient des juristes, qui ont par conséquent dû lutter contre leur volonté de faire davantage de droit pour formuler des propositions à droit constant.
Les travaux se sont bien déroulés. Nous avons examiné des expériences concrètes, en France comme à l'étranger, notamment sur la base d'informations fournies par les ministères de l'écologie - le Commissariat général au développement durable (CGDD) a été très investi - et de l'agriculture.
Notre groupe de travail a poursuivi deux objectifs. En premier lieu, celui de simplifier les procédures applicables, notamment par une meilleure coordination des nombreux régimes d'autorisation ou de déclaration. Nous avons considéré que l'administration pouvait être aidante sur ce point grâce à un meilleur dialogue et à la mise en place de réponses davantage coordonnées et que la séquence ERC ne pouvait pas s'appliquer de la même façon pour les grands et pour les petits projets. Le second objectif était l'efficacité. Nous avons notamment rappelé la hiérarchie entre les trois volets de la séquence ERC, aujourd'hui consacrée dans la loi pour la reconquête de la biodiversité. Notre sentiment est que les maîtres d'ouvrage ne savent pas suffisamment documenter l'évitement ni communiquer sur la notion d'intérêt public majeur, deux points qui doivent également être portés par la puissance publique. La question a été posée de savoir si le meilleur évitement ne consistait pas finalement à éviter le projet en lui-même mais elle nous a semblé dépasser l'objet du groupe de travail.
Notre première proposition consistait à améliorer le partage de la connaissance pour tous et de regrouper l'ensemble des connaissances au sein d'un centre de ressources unique. Cela suppose notamment que les maîtres d'ouvrage mettent à disposition les données contenues dans leurs études d'impact. Cette proposition d'un centre de ressources a été reprise par le Président de la République fin 2014, dans son discours de conclusion des assises de l'environnement. Le Président a dans le même temps rappelé l'objectif selon lequel un bon projet doit pouvoir aller vite tandis qu'un mauvais projet doit pouvoir s'arrêter - le sentiment général étant parfois inverse. Le CGDD s'est depuis attelé à la tâche de construire ce centre de ressources.
La deuxième proposition était d'améliorer la formation de l'ensemble des parties prenantes sur la séquence ERC, notamment des bureaux d'études. Sur ce point, nous avons repris une proposition formulée en 2010 par Mme Chantal Jouanno, alors ministre de l'environnement, qui était de faire signer par les bureaux d'études une charte d'engagements. Cette proposition a été fortement débattue au sein du groupe de travail. Certains membres voulaient en effet aller plus loin que la signature d'une charte, à travers une certification ou une labellisation. Il m'a paru préférable de s'engager dans un premier temps sur la signature d'une charte avant d'envisager la mise en place de systèmes risquant de générer des difficultés de fonctionnement et des barrières à l'entrée.
Sur deux des dossiers qu'étudie notre commission d'enquête, des espèces protégées n'ont été découvertes qu'après la réalisation des études d'impact. Est-ce que les moyens mis en oeuvre par les maîtres d'ouvrage auprès des bureaux d'études sont suffisants ? Avez-vous proposé, par exemple de faire travailler les bureaux d'études sur des périodes de temps suffisamment longues, afin qu'ils aient une vision de l'ensemble des saisons sur un site ?
Sur cette question précise, le groupe de travail n'a pas fait de proposition. En revanche, je peux vous parler de notre pratique chez SNCF Réseau. Nous avons fait le choix de faire travailler les bureaux d'études sur des périodes relativement longues. La difficulté qui découle de ce choix est de ne pas créer de rentes de situations qui empêcheraient les bureaux d'études les moins expérimentés de rentrer sur le marché.
Je comprends votre crainte de voir quelques bureaux d'études dominer le marché s'il y avait certification. L'argument me semble moins valable s'agissant simplement du renforcement des moyens alloués aux bureaux d'études et de leurs cahiers des charges.
Il y a deux sujets différents en effet.
Je suis étonné que votre commission n'ait pas cherché à renforcer le cahier des charges des bureaux d'études.
J'en prends acte. Le groupe de travail avait bien mesuré la nécessité de disposer d'une certaine profondeur dans le temps mais cela n'a pas été décliné sous forme de proposition.
Notre troisième proposition, qui se retrouve également dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, était de mieux mutualiser les mesures ERC. Cette possibilité est ouverte en droit européen. L'espoir serait d'avoir un nombre plus réduit de régimes d'autorisations et de déclarations.
La quatrième proposition était de rendre plus lisibles les actions des maîtres d'ouvrage, y compris en en faisant un argument de communication. L'application de la séquence ERC peut être valorisée, à la fois en termes de démocratie participative et de communication par les entreprises. S'agissant de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), SNCF Réseau a créé « Carticipe », un outil de participation en ligne qui comprend une carte permettant de voir les évitements et les différents tracés envisagés.
Je comprends bien mais comment rendre l'action plus lisible s'agissant de l'évitement ? Est-il possible de quantifier ou de valoriser économiquement une mesure d'évitement ou de réduction ?
La valorisation économique est compliquée. En revanche, la vision géographique est facile. Sur le tronçon entre Mantes et Evreux de la LNPN, il est très facile de voir que tous les tracés envisagés évitent une zone Natura 2000 : on peut communiquer sur ce point. Autre exemple, la LGV Méditerranée a été tracée de façon à éviter un nid d'aigle sauvage : le surcoût lié à la construction de deux kilomètres supplémentaires est chiffrable. Les choses sont parfois difficiles : déplacer la construction d'un ouvrage d'art pour maintenir la continuité écologique peut engendrer un surcoût mais ce surcoût ne correspond qu'à une partie du coût de la construction de l'ouvrage d'art.
Est-il raisonnable de construire deux kilomètres de lignes supplémentaires pour protéger un nid d'aigle ? Un raisonnement plus rationnel ne conduirait-il pas à payer le prix de la destruction de ce nid d'aigle, le cas échéant pour permettre aux associations de disposer de moyens supplémentaires pour défendre les aigles ailleurs en France ?
La réflexion peut évoluer, en particulier s'agissant des ouvrages existants. Je pense en particulier à la découverte de cigognes sur la ligne Bordeaux-Dax : il n'est pas envisagé de fermer la ligne ni de ne pas rénover la caténaire « midi » ; en revanche, au moment de la rénovation de celle-ci, nous prévoirons des solutions pour faciliter la nidification des cigognes.
Notre cinquième proposition était de développer des éléments méthodologiques sur la compensation. Nous avions en effet constaté que la connaissance scientifique sur les mesures de compensation était encore partielle. Les choses se sont améliorées depuis.
Nous avons en effet regardé l'expérience américaine, sans pour autant y voir un modèle à reproduire. Les grands maîtres d'ouvrage et les représentants du monde agricole se sont émus du recours trop systématique à la compensation surfacique. Mais il nous a paru nécessaire de prolonger la réflexion sur d'autres modes de compensation avant de proposer des solutions.
La sixième proposition était de permettre la mutualisation des mesures compensatoires entre différents projets et différents maîtres d'ouvrage, notamment pour éviter qu'un maître d'ouvrage ne vienne contredire les actions de compensation menées quelques années auparavant par un autre maître d'ouvrage. L'idée du centre de ressources est à ce titre importante, tout comme la valorisation géographique et cartographique, notamment auprès du public.
Quelques pistes d'approfondissement avaient également été envisagées par le groupe de travail, certaines d'ordre juridique telles que la consolidation en un même endroit du code de tous les éléments de la séquence ERC. Je crois que c'est aujourd'hui le cas s'agissant de la biodiversité. D'autres sujets nous ont semblé mériter un approfondissement : l'application de la séquence ERC au bruit, sujet pour lequel la compensation peut s'avérer difficile ; l'utilisation des friches industrielles, agricoles ou commerciales pour la compensation. Le monde agricole a beaucoup insisté sur le fait que le foncier disponible qui est le plus systématiquement regardé pour la mise en oeuvre de mesures compensatoires est le foncier agricole quand d'autres éléments du foncier, notamment les friches, pourraient être utilisés.
Des questions demeuraient sur la façon dont devraient être traitées ces friches et il n'était pas évident qu'un consensus pourrait être trouvé sur ce point. Le CGDD continue cependant d'y réfléchir.
Au fil de nos auditions sont déjà apparues un grand nombre de questions que vous n'abordez pas : la question des trames écologiques par exemple, celle de l'équivalence écologique ou encore celle des flux financiers. Quels étaient les points de blocage pour construire des consensus au sein de votre groupe de travail sur ces sujets ? Qu'est-ce qui vous a empêché d'aller plus loin que les propositions que vous énoncez ? Les opérateurs se méfient-ils d'un système qui risque de les amener demain à des coûts financiers plus importants ? Les associations étaient-elles réticentes à s'engager dans des équivalences qui auraient entraîné la mise en oeuvre de mesures compensatoires plus loin qu'à proximité immédiate du projet ? Où sont les difficultés pour trouver les consensus ?
Je rappelle tout d'abord que le groupe de travail s'est réuni pendant trois mois seulement, avec une demande de la Ministre de faire quelques propositions concrètes et opérationnelles. Notre groupe de travail s'est donc inscrit dans une séquence de réflexion sur le triptyque « éviter-réduire-compenser » beaucoup plus longue, qui a commencé dans les années 2000 et qui se prolonge encore aujourd'hui. Par ailleurs, au sein du groupe de travail, tous les membres n'avaient pas le même niveau de connaissances sur des questions comme l'équivalence écologique : un certain nombre de séances ont été consacrées à la précision des concepts. J'ajoute que la lettre de mission de la Ministre ciblait spécifiquement les difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage. Enfin, certains sujets n'étaient alors probablement pas assez mûrs : c'est le cas par exemple de la question des garanties financières.
Je le redis, le mandat confié au groupe de travail était de faire des propositions concrètes pour remédier aux difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage pour la mise en oeuvre de la séquence « éviter-réduire-compenser ». J'ai l'impression que le groupe de travail a répondu à la commande.
Certaines dispositions de la loi pour la reconquête de la biodiversité, comme par exemple la géolocalisation, viennent donc de propositions que vous avez formulées. Cette idée d'aller vers davantage de méthodologie commune, décrite par le Commissariat général au développement durable (CGDD), se retrouve aussi dans vos propositions. Retrouve-t-on d'autres de vos recommandations dans la loi ou dans les travaux actuels ?
De toute évidence, oui, sur la mutualisation des mesures compensatoires entre différents projets ou entre différents régimes d'autorisation. Les représentants des maîtres d'ouvrage et des grands gestionnaires d'infrastructures linéaires au sein du groupe de travail étaient RTE et LISEA, au titre du club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B). LISEA avait fait valoir les difficultés rencontrées par le maître d'ouvrage. Aujourd'hui en surfacique, on a près de 3 500 hectares de compensation pour la LGV SEA ; mais si l'on avait additionné tous les régimes, sans pouvoir mutualiser les mesures compensatoires, on arrivait, je crois, à entre 22 000 et 25 000 hectares pour une ligne de 300 kms.
Non, mais les maîtres d'ouvrage avaient du mal à mettre cela en place. Je comprends que la loi pour la reconquête de la biodiversité a finalement permis d'ancrer juridiquement certaines pratiques. Autre exemple, la mise en commun des données, y compris par le biais du Muséum national d'histoire naturelle, ne nécessitait pas forcément de passer par la loi. La loi a pourtant réglé des questions sous-jacentes de propriété de données des maîtres d'ouvrage.
En ce qui concerne la façon de contrôler ou d'apprécier le suivi de ces mesures de réduction et de compensation, nous avions clairement mis en évidence que les maîtres d'ouvrage ne suivaient pas bien eux-mêmes leur projet une fois celui-ci mis en route. Finalement, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) ancre cette nécessité de contrôler et de mieux suivre les actions des maîtres d'ouvrage.
Je continue à penser que certaines actions auraient pu exister sans la loi mais celle-ci leur a apporté une traduction plus juridique, et accessoirement plus opposable, qui sécurise l'ensemble des acteurs.
Sur des points comme la maîtrise foncière ou les obligations de longue durée, vous n'aviez pas non plus de consensus ?
Si. Aucun maître d'ouvrage n'a jamais contesté au sein de notre groupe les obligations de longue durée. Mais c'était la façon de le faire qui était compliquée. Nous avons évoqué la question du contrat-type dès lors qu'il s'agit de confier une zone de compensation à un agriculteur, dans la mesure où le risque est alors grand de se retrouver dans un conflit du fort au faible, avec un grand maître d'ouvrage face à un petit agriculteur : le contrat passé pour entretenir une zone de compensation peut en effet être déséquilibré. J'ai le sentiment que ces sujets ont continué à être travaillés.
Oui, nous avions regardé comment l'État pouvait améliorer sa réponse. Une des propositions portant sur la formation visait d'ailleurs en premier lieu les agents de l'État. Le sujet de la qualité du dossier d'étude d'impact et de la capacité à discuter avec l'État en amont sur les études d'impact avait également fait consensus dans le groupe de travail. Je vois que l'évolution des missions de l'autorité environnementale a consacré cette ambition. Le rôle de l'autorité environnementale sur les études d'impact ou encore la saisine automatique au lieu d'une saisine au cas par cas sont des pistes que l'on avait tracées.
Il est certain que ce groupe a permis de faire décanter certaines tensions. En 2013 étaient parues les lignes directrices de la doctrine « éviter-réduire-compenser » : au sein du groupe de travail, plusieurs positions se sont affrontées sur la valeur réglementaire ou non de ces lignes directrices. Certains représentants de l'administration considéraient que ces lignes directrices avaient quasiment valeur réglementaire ; les maîtres d'ouvrage considéraient, eux, qu'elles étaient seulement des lignes directrices, qui nécessitaient d'ailleurs d'être déclinées par secteur. Des expérimentations de déclinaisons, pour le secteur des carrières par exemple, ont été envisagées depuis par l'administration.
Ce groupe de travail a représenté un moment, court, où les maîtres d'ouvrage ont admis la nécessité de la séquence « éviter-réduire-compenser » et où l'administration a admis qu'elle pouvait parfois faire preuve de rigidité dans sa capacité à aider les maîtres d'ouvrage, tout cela en présence de parties prenantes soucieuses de la préservation de l'environnement.
Nous entendons M. Patrick Lantrès, président du comité « TGV réaction citoyenne ». Ce comité regroupe des associations actives sur le projet de ligne à grande vitesse (LGV) Tours-Bordeaux, qui fait partie des quatre projets sur lesquels nous avons choisi de nous concentrer, avec pour objectif d'étudier la définition et la mise en oeuvre des mesures compensatoires. Nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et l'effectivité des mesures compensatoires existantes et identifier les obstacles éventuels à la bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).
Je rappelle que tout faux témoignage et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Patrick Lantrès prête serment.
Pouvez-vous nous indiquer si vous entretenez des liens d'intérêt avec l'un des quatre projets sur lesquels nous enquêtons ?
Aucun, si ce n'est que j'habite dans une commune traversée par la LGV et que je suis président d'un comité qui a déposé un recours auprès du Conseil d'État pour annuler la mise en oeuvre de cette ligne.
Je tiens à vous remercier de m'avoir proposé d'exposer les vues du comité « TGV réaction citoyenne ». Créé il y a 17 ans, ce comité originellement composé de cinq associations en a réuni jusqu'à 38 au fil des années. Il a été déclaré en préfecture en 2000 et j'en suis président depuis 2003. Voilà donc dix-sept ans que nous travaillons à faire valoir la biodiversité, mais aussi l'humain et le socio-économique. Comme je l'ai mentionné, nous avons déposé un recours en annulation auprès du Conseil d'État.
Le but commun de toutes les associations réunies dans notre comité était initialement de lutter contre le projet de la LGV et de proposer une autre politique de transport. Les années passant et le rouleau compresseur de Réseau ferré de France (RFF) oeuvrant, nous sommes passés du « non » au « non, sauf si... » tout en restant guidés par les principes du développement durable des territoires concernés, avec la confluence des trois piliers, social, écologique et économique.
Le comité a exposé ses vues auprès des ministres, en particulier MM. Bussereau et Perben. Nous avons eu de nombreux entretiens avec M. Raffarin et nous avons défendu nos arguments devant certains députés, maires etc. Nous avons travaillé d'arrache-pied avec toutes les communes concernées. Les associations de notre comité implantées sur la partie nord du projet de LGV ont pu acquérir une forme de renommée, synonyme de professionnalisme.
Nous avons travaillé sur toutes les composantes des impacts environnementaux de la LGV. Même si nous avons acquis une réputation de professionnalisme, nous sommes loin d'être des spécialistes, car la formation professionnelle des présidents d'association n'entretient pas forcément de rapport avec l'environnement. Nous nous sommes donc entourés d'experts.
J'en viens à la mise en oeuvre de la séquence éviter-réduire-compenser sur laquelle vous m'interrogez. Pour la LGV L'Océane, de quoi s'agit-il ? Les aménageurs, et RFF en particulier, sont à mille lieues d'appliquer les principes de la séquence ERC. Les projets sont dans les tuyaux depuis 1992 et le comité ministériel a été créé en 1998. À l'époque, les aménageurs étaient bien loin de ces préoccupations.
Aux différents stades des études - car, vingt ans pour construire une ligne, c'est extrêmement long - au fil de l'avant-projet sommaire (APS) et de l'enquête d'utilité publique (EUP) de 2000 à 2005 pour le tronçon Angoulême-Bordeaux, puis en 2007, pour le tronçon Tours-Angoulême, l'impression des élus et de la population était que tout était joué d'avance. A-t-on cherché à éviter ? Non. À réduire ? Oui, mais au strict minimum et quand cela ne coûtait pas trop cher. À compenser ? Oui, mais au strict minimum légal.
Dans les analyses multicritères - soit 11 critères - pour évaluer des variantes de tracé, même si une majorité de critères était favorable ou assez favorable, qu'il s'agisse de la faune, de la flore, de l'environnement humain, etc., il suffisait que le critère du coût soit défavorable ou très défavorable pour que la variante soit abandonnée. A-t-on cherché à éviter ? Non. Combien de fois ai-je entendu le patron du projet dire en réunion devant le préfet que RFF était là « pour construire des lignes et rien d'autre » ! Lors de notre recours en annulation auprès du Conseil d'État, le rapporteur public a en substance proposé dans ses conclusions que les aménageurs prennent en compte les alternatives possibles au projet mais également l'aménagement de la voie existante plutôt que la construction d'une nouvelle ligne. Même si nous n'avons finalement pas eu gain de cause, je peux en déduire que l'évitement, dans le cadre de cette ligne, n'a pas été mis en oeuvre.
A-t-on cherché à réduire ? Oui. Sur beaucoup de sites l'abaissement du profil en long a été obtenu ou bien des banquettes sous les ponts ont été élargies à destination des animaux. Cependant, toutes ces initiatives s'appuient sur des études purement techniques, voire technocratiques, sans que les experts aillent sur le terrain. En témoigne la gestion des eaux de ruissellement. De nombreux débordements et des inondations ont été constatés, lors de pluies abondantes, il y a deux ou trois ans. Le fait est que RFF n'a pas tenu compte des avertissements répétés des « anciens », qui connaissent le terrain.
S'il y a bien eu des compensations, elles ont d'abord été a minima. Pour moi qui, sans être néophyte en matière de biodiversité, ne suis pas un professionnel, la compensation est un droit à détruire. Ou du moins un moyen de dire « je paie donc j'ai le droit ».
Le dossier de la LGV-SEA est mal parti, car lorsqu'il a été lancé, RFF ne connaissait pas la séquence ERC et était déterminé à faire valoir sa vérité sur le tracé de la ligne. « RFF, c'est l'État dans l'État », ai-je dit à un préfet.
La définition de la compensation et de ses modalités pourrait être améliorée. Le groupe de travail avait par exemple constaté que d'un expert à l'autre, le traitement d'une mare ou d'une zone humide ne se faisait pas de la même façon, ou que d'une administration à l'autre, la réponse n'était pas la même.
Lorsque l'on compare deux projets, on observe de grandes différences : ainsi, en compensation surfacique, sur SEA, le ratio est de un pour un de compensation puisque l'empreinte foncière du nouveau linéaire est de 3 000 hectares et que l'on aura 3 500 hectares de compensation ; mais sur la ligne nouvelle de contournement de Nîmes-Montpellier, on a plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'hectares de compensation pour une ligne qui fait 90 kilomètres, au motif de la préservation de l'outarde canepetière.
Avec ma casquette de maître d'ouvrage, je vous dirais que cette insécurité dans la réponse opérationnelle de l'administration pose des difficultés.
À droit non constant, la recommandation principale serait une plus grande sécurisation juridique des porteurs de projets.
Nous sommes sur une question essentielle. Votre commission ne s'est pas orientée vers un transfert de la responsabilité du résultat vers un opérateur, qui pourrait sécuriser le maître d'ouvrage. J'ai l'impression qu'il y a une ambiguïté. Si l'on raisonne en équivalence écologique, un peu à l'américaine, c'est-à-dire si on définit les équivalences, le maître d'ouvrage regarderait ses coûts, même au niveau de son tracé, et il aurait le droit de faire un chèque, pour parler franchement, à un opérateur qui, lui, assumerait la responsabilité du résultat. Cela sécuriserait le maître d'ouvrage mais on a l'impression qu'il a tout de même peur du montant du chèque et qu'il ne souhaite pas dépasser un ratio de 3 à 5 % du coût du projet pour les mesures compensatoires alors que l'État souhaiterait l'amener à 10 %.
Il suffit de citer l'outarde canepetière, dans une zone de protection spéciale (ZPS) de la Vienne que la ligne devait traverser : les experts de RFF ont fait des comptages uniquement sur la population mâle, en se limitant à un périmètre de 500 mètres autour de la ligne. Ils n'ont pas tenu compte de la réalité du terrain. L'État a dû nommer des experts pour trouver un accord a minima en prenant en compte la population entière et en élargissant le périmètre de 500 à 1 000 mètres. Sans ces mesures, l'outarde aurait disparu.
Que penser, dans la Vienne, du remplacement d'un arbre arraché par deux arbres replantés quand ces deux arbres le sont à 20, 30 ou 40 kms de la LGV, sous prétexte qu'il n'existe pas suffisamment de terres pour replanter ? Sauf que deux ans après, pour compenser l'arrachage d'arbres effectué sur le site « Center Parc », à une quarantaine de kilomètres du tracé de la ligne, on a trouvé une vaste zone près de la LGV. N'aurait-on pas pu aller jusqu'au bout du processus de compensation au moment où les études ont été réalisées ?
Des spécialistes vous expliqueraient cela mieux que moi, comme Poitou-Charentes Nature par exemple. Ils ont beaucoup travaillé avec les directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).
Ce serait une sécurisation mais peut-être aussi une déresponsabilisation du maître d'ouvrage. Ce serait un peu comme le droit à polluer avec les crédits CO2. Pour en avoir discuté avec Patrick Jeantet, que vous avez auditionné, lui est plutôt favorable à une responsabilité du maître d'ouvrage quitte à avoir un porteur de projet qui assure la continuité. Pourquoi pas l'offre de compensation, mais pas forcément systématiquement. Acheter des unités dans la plaine de Crau si on trace une ligne en Bretagne...
Nous avons prévu une audition de naturalistes à propos de la LGV. D'après ce que vous nous dites, les premiers experts, mandatés par les maîtres d'ouvrage, se sont contentés de recenser uniquement les mâles de l'espèce sur un périmètre de 500 mètres autour de la ligne. L'État a dû faire appel à d'autres experts pour exercer son contrôle.
Là il n'y a pas d'équivalence écologique, ce n'est pas le débat.
Je n'ai pas la réponse à ma question. J'essaye de comprendre. Vous voulez de la sécurisation. Or, la sécurisation la plus simple, c'est le flux financier. Mais on sent malgré tout une résistance. Est-ce parce que vous considérez que vous allez faire du meilleur travail en proximité ? Mais la loi vous astreint aujourd'hui à une obligation de résultat. Transférer la responsabilité vous sécurise donc. Mais vous ne voulez tout de même pas être déresponsabilisés. Je vais poser la question crûment : n'est-ce pas tout simplement parce que les coûts seraient plus importants ? Parce que vous vous retrouveriez dans un rapport de force modifié avec un risque de surcoût et d'inflation ? À l'inverse, si vous restez en proximité, votre risque d'inflation des coûts est lié à la pression foncière. Je n'ai pas de position. Je vous pose simple des questions par rapport à un tel système à l'américaine. Quelle est donc votre proposition de sécurisation ?
Il y a été poussé par le tollé des associations.
Je ne suis pas sûr que le frein soit financier. S'il l'était, on aurait déjà commencé à mieux documenter ces coûts. La somme des mesures de l'ensemble de la séquence ERC pour un projet est entre 5 et 10 %. Sur les compensations strictement, le CGDD a calculé le coût à 2,5 % environ. Peut-être que les maîtres d'ouvrage ne sont pas suffisamment mûrs dans leur réflexion aujourd'hui sur ces sujets.
Je reprends ma casquette SNCF Réseau. Nous sommes un maître d'ouvrage aménageur du territoire. Nous sommes en grande proximité avec l'ensemble des élus locaux, notamment les régions, qui sont autorités organisatrices de transports et les métropoles. Nous avons beaucoup d'actions de proximité. Je crois que nous assumons l'idée que nous continuions à être responsabilisés sur ce sujet. Peut-être que si l'équivalence écologique était très encadrée, nous pourrions évoluer dans cette pratique.
Des spécialistes m'ont assuré que les mesures prises étaient un moindre mal. Bien présomptueux serait l'expert qui pourrait nous dire ce qu'il adviendra dans dix ans. D'autant que le problème a été aggravé par les effets du remembrement foncier.
L'accord sur l'outarde et l'affaire des arbres arrachés et replantés ont constitué les points de tension les plus vifs entre les associations et l'État. On a constaté d'autres carences dans les études préalables au projet, une dizaine d'espèces animales, notamment, n'étant pas comptabilisées. Si ces espèces avaient été répertoriées dès l'origine, le tracé de la ligne aurait peut-être été différent.
Oui, et nous ne sommes pas non plus fermés à l'idée de l'offre de compensation. Il y a un panel d'outils qui peut être mis à disposition du maître d'ouvrage. La plupart de nos zones de compensation, nous ne les gérons pas nous-mêmes. Nous les avons confiés à un parc naturel ou autre dans le cadre de contrats. Nous n'avons pas la prétention de pouvoir tout faire bien tous seuls.
Oui. Quand les associations ont constaté qu'une dizaine d'animaux ne figuraient pas dans le dossier d'avant-projet sommaire, le maître d'ouvrage l'a repris. Si l'étude préalable avait été correctement menée, on aurait évité certaines erreurs. Mais il fallait passer à cet endroit-là. Et pas autre part.
Vous m'avez interrogé sur les rapports avec l'État. Heureusement que les DREAL étaient là pour revoir les dossiers. Elles ont effectué un important travail et n'ont pas manqué d'appuyer là où cela faisait mal dans les études plus ou moins bien faites de RFF, qui m'a paru peu soucieux de préserver la biodiversité.
Tel n'est pas le cas du concessionnaire LISEA, qui a rattrapé pas mal d'erreurs de RFF et comblé un bon nombre de ses lacunes. Cela mérite d'être souligné.
La réponse est compliquée. Oui, car en tant qu'établissement public, nous sommes davantage contraints en dépenses de fonctionnement qu'en dépenses d'investissement. On le voit dans le contrat de performance approuvé par le conseil d'administration de SNCF Réseau, le gouvernement a autorisé un effort de régénération sur le réseau structurant, c'est-à-dire des investissements. C'est vrai que les coûts de fonctionnement risquent d'être importants pour un opérateur comme nous.
Nous avons interrogé les syndicats agricoles. Il semble clair aujourd'hui qu'il y a une négociation qui n'est pas aboutie sur le coût à l'Etat. Si un grand nombre d'acteurs agricoles nous disent que s'ils s'engagent dans des mesures environnementales de compensation, la valeur de leurs terrains baisse en conséquence, c'est parce qu'ils n'ont pas le sentiment qu'intégrer cette contrainte leur crée une ressource qui valorise leurs champs. Si, à l'inverse, ils peuvent démontrer qu'ils gagnent quelques milliers d'euros par an par hectare garantis sur 55 ans, leurs terrains gagnent en valorisation.
LISEA n'est pas exempt de défauts. Nous avons eu d'âpres discussions. Disons, pour résumer, que RFF, c'est : « J'ai raison » et que LISEA, c'est : « On a raison, mais on vous écoute et on se parle ».
C'est pour cela que le groupe de travail avait beaucoup plaidé, en dehors des propositions que nous avons formulées, pour un contrat-type pour protéger l'agriculteur face au grand maître d'ouvrage.
Ce n'est pas anodin. Pourquoi, selon vous, le concessionnaire a-t-il fait plus attention ? A-t-il juste eu envie de vous être agréable ? A-t-il eu peur d'un éventuel blocage du projet et des pertes financières qui auraient pu résulter d'un retard ? A-t-il eu des craintes pour son image ? Je rappelle qu'un certain nombre d'associations ont intenté un procès à LISEA et que deux filiales de Bouygues et de Vinci ont été condamnées.
Au risque de me faire des ennemis, je rappelle que chez RFF, on a affaire à des fonctionnaires, dont le raisonnement est borné. Chez LISEA, ce sont des professionnels de la négociation. C'est le jour et la nuit.
Il est possible de parler avec les gens de LISEA. Peut-être est-ce parce qu'ils n'ont pas peur du Comité TGV, quoique... Nous avons bloqué des TGV à plusieurs reprises, nous aurions pu recommencer. Peut-être notre lobbying auprès des élus et de certaines personnes a-t-il porté ses fruits ? Le fait est que LISEA a abordé les problèmes de manière positive. Par ailleurs, RFF devait imposer le projet, tandis que LISEA n'avait plus de questions à se poser à cet égard : elle avait à se débrouiller avec le projet. Peut-être aussi cette société a-t-elle une certaine culture de l'environnement ? Ce projet n'était pas son coup d'essai. Enfin, ayant l'habitude d'être « embêtée » par les associations, peut-être sait-elle les caresser dans le sens du poil ?
RFF a aussi l'habitude de traiter avec les associations, mais les discussions ne sont pas sereines. Pour ma part, j'ai horreur de telles discussions. Même si LISEA n'est pas irréprochable, au moins nous ont-ils écoutés. C'est important.
Je vais maintenant faire le vilain petit canard. J'avoue que cela me contrarie que l'homme soit exclu de la biodiversité. Lorsque j'essaie d'expliquer notre action, je m'entends souvent demander : « Et l'homme dans tout cela ? ».
À aucun moment le public n'a été associé aux décisions, contrairement aux associations. Dans l'étude d'avant-projet sommaire, dans les enquêtes d'utilité publique, lors des réunions organisées à notre demande, à celles des communes, lors des réunions des commissaires enquêteurs, il n'a jamais été question de biodiversité. Ce n'était pas le problème.
En réunion publique, lorsqu'on dit à la population qu'on va lui accorder un double-vitrage et qu'on lui explique par ailleurs que l'on va dépenser telle somme pour acheter de nouveaux terrains pour l'outarde, elle nous répond : « Et nous ? ». Un habitant m'a fait remarquer que les dossiers des enquêtes publiques comprenaient dix à quinze fois plus de pages consacrées aux animaux qu'à l'homme. Comment la population pourrait-elle adhérer à un projet sachant que les dossiers d'enquête publique peuvent compter 2 000 pages et peser 18 kilos ?
Pour notre part, nous faisons de l'information. Pour attirer le public, il faut prendre en compte l'homme dans la biodiversité, de façon officielle.
Prévoir des compensations importantes en cas d'atteinte à la biodiversité est une bonne chose, mais ce n'est pas assez : pourquoi ne pas en prévoir un minimum pour l'homme ? Comment le public peut-il s'intéresser à la préservation de la biodiversité alors qu'on lui demande de se taire, qu'on lui dit que la ligne se fera, mais qu'on n'en fera qu'un minimum pour lui ?
J'ai lu les comptes rendus des travaux de votre commission d'enquête sur la biodiversité. Ils me confortent dans l'idée que l'homme doit être au coeur de la biodiversité. Si je ne me trompe pas, cinq hominidés sont en voie de disparition. Dans l'arbre de vie, l'homme se situe juste à côté. Pourquoi s'intéresserait-on aux hominidés et pas à l'homme ? D'aucuns penseront que je suis hors sujet, mais je ne le suis pas. On n'intéresse l'homme à ces problèmes qu'à la maternelle, où l'on fait faire des herbiers aux enfants. Ensuite, c'est fini !
Non.
C'est primordial !
SNCF Réseau pourrait essayer de vous apporter une réponse sur le coût moyen à l'hectare de gestion, de fonctionnement.
Finalement, j'ai été un témoin ponctuel de cette séquence. Deux ans après, j'ai le sentiment que certaines des propositions de notre groupe de travail ont été traduites dans la loi ou que l'administration s'en est emparée. Si notre rapport manque peut-être d'ambition, certaines mesures ont été directement mises en oeuvre. Le Président de la République et la ministre de l'écologie ont demandé à l'administration de s'en saisir. Même sur la question de l'absence de connaissance de ces coûts, identifiée dans nos conclusions, le CGDD a lancé une enquête qui est en cours.
Après, il faut continuer de faire bouger les lignes, stabiliser le droit et les pratiques, inciter les maîtres d'ouvrages à continuer à être responsables une fois l'infrastructure construite. En effet, chez un maître d'ouvrage public, l'équipe-projet qui a construit l'ouvrage n'existe plus six mois après la fin des travaux et la connaissance des enjeux disparaît. Ainsi, confier à un porteur de projet les mesures compensatoires me paraît de bon aloi.
Nous nous sommes partagé les tâches. Il eut été improductif que chaque association travaille autant sur la biodiversité que sur l'homme. Certaines associations travaillent à 80 % sur l'homme et à 20 % sur la biodiversité, d'autres font l'inverse. Il n'y a pas d'associations de protection de la nature au sein du Comité, car ces associations étaient déjà organisées en associations nationales. Il valait mieux que les associations de protection de la nature oeuvrent dans leur domaine en se préoccupant un peu de l'humain et que nous nous intéressions de notre côté surtout à l'humain et un peu à la préservation de la biodiversité et de l'environnement.
Les associations environnementales oeuvrent sans aucun rapport avec le Comité, et ce pour des raisons pratiques. Il y a une quinzaine d'années, nous étions tous en activité et le Comité nous prenait beaucoup de temps. Nous ne pouvions pas en plus prévoir du travail en commun avec les associations de protection de la nature.
La Ligue de protection des oiseaux, la SEPANSO, Poitou-Charentes nature sont les plus impliquées sur le dossier. Cette dernière association est d'ailleurs tout à fait prête à vous rencontrer si vous le désirez.
Pour ma part, je vous livre davantage un témoignage qu'une analyse technique. Je le répète, je pense que tant qu'on ne prendra pas l'homme en compte dans la préservation de la biodiversité, même si c'est beaucoup plus lourd à gérer, il y aura un problème.
Je vais faire un parallèle osé : pourquoi les écologistes ne recueillent-ils que 2 % ou 3 % des votes lors des scrutins ?
C'est entre autres parce qu'ils s'occupent des animaux, de la préservation de la biodiversité, mais pas de l'homme. Or, il faut prendre en compte l'ensemble. Je sais bien qu'à chaque jour suffit sa peine, mais peut-être votre commission pourrait-elle se pencher sur cette question !
Vous m'avez demandé ce que l'on pouvait faire pour améliorer la séquence « éviter, réduire, compenser ». En France, on a une propension à créer de nouvelles lois sans appliquer celles qui existent. Commençons par appliquer les lois votées !
Ensuite, tout passera par l'évolution des mentalités des aménageurs. Aujourd'hui, ils commencent à s'engager dans la phase «réduire » ; ils compensent également, mais ils sont loin d'avoir intégré la phase « éviter ». J'ai lu le rapport « Corridors en infrastructures, corridors écologiques ? » de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et du Club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B). Il y est annoncé une « volonté et une capacité réelle d'améliorer les pratiques des entreprises ». Cela fait plaisir de lire cela. LISEA fait partie de ce club, pas RFF, sauf erreur de ma part.
Il faut inculquer aux entreprises, aux aménageurs non pas ce qu'est la biodiversité, car ils commencent à le savoir, mais ce qu'est une culture d'entreprise dans le domaine de la biodiversité. La préservation de la biodiversité doit être considérée non pas comme une mesure inflationniste, mais comme un projet d'entreprise. Le jour où les entreprises incluront dans leur projet la défense de la biodiversité, y compris de l'homme, le jour où elles auront une charte réelle, on pourra travailler sur le « éviter ». On n'aura plus tellement besoin de compenser. Le « compenser », c'est le gendarme. Il est facile de compenser, mais il est beaucoup plus difficile d'éviter.
Certes, il est question de préservation de la biodiversité dans les dossiers d'enquête publique. De nombreuses communes ont ainsi été très heureuses d'apprendre que tel ou tel animal vivait sur leur territoire. Certaines d'entre elles ont même nommé des responsables biodiversité. La LGV a de bons côtés... Cela étant dit, globalement, les entreprises n'ont pas cette préoccupation à l'esprit. Là est le problème. Avant de parler de compensation, faisons donc de l'éducation et incitons les entreprises à avoir de réels projets en matière de préservation de la biodiversité.
Après avoir entendu hier M. Patrick Jeantet, président de SNCF Réseau, nous recevons M. Romain Dubois, directeur général adjoint de SNCF Réseau et auteur d'un rapport intitulé « Améliorer la séquence Éviter - Réduire - Compenser », remis à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer le 3 avril 2015.
Les conclusions de ce rapport intéressent notre commission d'enquête à plus d'un titre puisque je vous rappelle que nous souhaitons pouvoir apprécier l'efficacité et surtout l'effectivité du système de mesures compensatoires existant, et identifier les difficultés et les obstacles éventuels qui aujourd'hui ne permettent pas une bonne application de la séquence « éviter-réduire-compenser » (ERC).
J'indique à notre intervenant que nous étudions, de manière plus spécifique, quatre projets d'infrastructures, qui chacun mettent en lumière un stade différent de la mise en oeuvre ou du contrôle des mesures de compensation : l'autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de la plaine de la Crau.
Notre réunion d'aujourd'hui est ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié.
Je vais maintenant demander à M. Romain Dubois de prêter serment. Je rappelle que tout faux témoignage devant la commission d'enquête et toute subornation de témoin serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, soit cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour un témoignage mensonger.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Romain Dubois prête serment.
Pouvez-vous nous indiquer à titre liminaire les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête ?
Je n'ai aucun lien d'intérêts à titre personnel et plus de liens d'intérêts - si tant est qu'il en ait existé - en qualité de président du groupe de travail sur l'amélioration de la séquence ERC. En tant que directeur général adjoint de SNCF Réseau, mes liens d'intérêts sont les mêmes que ceux exposés hier par Patrick Jeantet, si ce n'est que, s'agissant de la LGV SEA, je n'interviens pas au titre de l'autorité concédante mais plutôt pour le partage de capacités de circulation des trains.
Notre groupe de travail, mis en place à la suite des états généraux de la modernisation du droit de l'environnement, a travaillé à partir d'une lettre de mission dont l'objet, volontairement réduit, était en même temps porteur d'un paradoxe sur lequel je reviendrai. Il s'agissait, pour répondre aux difficultés que rencontrent les maîtres d'ouvrage, de formuler des propositions concrètes et opérationnelles d'amélioration de la séquence ERC, à droit constant. Au-delà de la séquence ERC, nous nous sommes également intéressés à des sujets connexes tels que le bruit, les pollutions ou les atteintes sanitaires. Compte tenu des délais contraints qui nous étaient impartis - trois réunions plénières entre septembre et décembre 2014 - le rapport ne visait pas l'exhaustivité. Il ne recherchait pas non plus à tout prix le consensus et des opinions divergentes ont pu être exprimées en annexe. Pour autant, les six propositions phares issues du rapport n'ont pas été contestées par les membres du groupe de travail. Le paradoxe dont je vous ai parlé tient au fait qu'un grand nombre de représentants au sein du groupe de travail étaient des juristes, qui ont par conséquent dû lutter contre leur volonté de faire davantage de droit pour formuler des propositions à droit constant.
Les travaux se sont bien déroulés. Nous avons examiné des expériences concrètes, en France comme à l'étranger, notamment sur la base d'informations fournies par les ministères de l'écologie - le Commissariat général au développement durable (CGDD) a été très investi - et de l'agriculture.
Notre groupe de travail a poursuivi deux objectifs. En premier lieu, celui de simplifier les procédures applicables, notamment par une meilleure coordination des nombreux régimes d'autorisation ou de déclaration. Nous avons considéré que l'administration pouvait être aidante sur ce point grâce à un meilleur dialogue et à la mise en place de réponses davantage coordonnées et que la séquence ERC ne pouvait pas s'appliquer de la même façon pour les grands et pour les petits projets. Le second objectif était l'efficacité. Nous avons notamment rappelé la hiérarchie entre les trois volets de la séquence ERC, aujourd'hui consacrée dans la loi pour la reconquête de la biodiversité. Notre sentiment est que les maîtres d'ouvrage ne savent pas suffisamment documenter l'évitement ni communiquer sur la notion d'intérêt public majeur, deux points qui doivent également être portés par la puissance publique. La question a été posée de savoir si le meilleur évitement ne consistait pas finalement à éviter le projet en lui-même mais elle nous a semblé dépasser l'objet du groupe de travail.
Notre première proposition consistait à améliorer le partage de la connaissance pour tous et de regrouper l'ensemble des connaissances au sein d'un centre de ressources unique. Cela suppose notamment que les maîtres d'ouvrage mettent à disposition les données contenues dans leurs études d'impact. Cette proposition d'un centre de ressources a été reprise par le Président de la République fin 2014, dans son discours de conclusion des assises de l'environnement. Le Président a dans le même temps rappelé l'objectif selon lequel un bon projet doit pouvoir aller vite tandis qu'un mauvais projet doit pouvoir s'arrêter - le sentiment général étant parfois inverse. Le CGDD s'est depuis attelé à la tâche de construire ce centre de ressources.
La deuxième proposition était d'améliorer la formation de l'ensemble des parties prenantes sur la séquence ERC, notamment des bureaux d'études. Sur ce point, nous avons repris une proposition formulée en 2010 par Mme Chantal Jouanno, alors ministre de l'environnement, qui était de faire signer par les bureaux d'études une charte d'engagements. Cette proposition a été fortement débattue au sein du groupe de travail. Certains membres voulaient en effet aller plus loin que la signature d'une charte, à travers une certification ou une labellisation. Il m'a paru préférable de s'engager dans un premier temps sur la signature d'une charte avant d'envisager la mise en place de systèmes risquant de générer des difficultés de fonctionnement et des barrières à l'entrée.
Sur deux des dossiers qu'étudie notre commission d'enquête, des espèces protégées n'ont été découvertes qu'après la réalisation des études d'impact. Est-ce que les moyens mis en oeuvre par les maîtres d'ouvrage auprès des bureaux d'études sont suffisants ? Avez-vous proposé, par exemple de faire travailler les bureaux d'études sur des périodes de temps suffisamment longues, afin qu'ils aient une vision de l'ensemble des saisons sur un site ?
Sur cette question précise, le groupe de travail n'a pas fait de proposition. En revanche, je peux vous parler de notre pratique chez SNCF Réseau. Nous avons fait le choix de faire travailler les bureaux d'études sur des périodes relativement longues. La difficulté qui découle de ce choix est de ne pas créer de rentes de situations qui empêcheraient les bureaux d'études les moins expérimentés de rentrer sur le marché.
Je comprends votre crainte de voir quelques bureaux d'études dominer le marché s'il y avait certification. L'argument me semble moins valable s'agissant simplement du renforcement des moyens alloués aux bureaux d'études et de leurs cahiers des charges.
Il y a deux sujets différents en effet.
Je suis étonné que votre commission n'ait pas cherché à renforcer le cahier des charges des bureaux d'études.
J'en prends acte. Le groupe de travail avait bien mesuré la nécessité de disposer d'une certaine profondeur dans le temps mais cela n'a pas été décliné sous forme de proposition.
Notre troisième proposition, qui se retrouve également dans la loi pour la reconquête de la biodiversité, était de mieux mutualiser les mesures ERC. Cette possibilité est ouverte en droit européen. L'espoir serait d'avoir un nombre plus réduit de régimes d'autorisations et de déclarations.
La quatrième proposition était de rendre plus lisibles les actions des maîtres d'ouvrage, y compris en en faisant un argument de communication. L'application de la séquence ERC peut être valorisée, à la fois en termes de démocratie participative et de communication par les entreprises. S'agissant de la ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN), SNCF Réseau a créé « Carticipe », un outil de participation en ligne qui comprend une carte permettant de voir les évitements et les différents tracés envisagés.
Je comprends bien mais comment rendre l'action plus lisible s'agissant de l'évitement ? Est-il possible de quantifier ou de valoriser économiquement une mesure d'évitement ou de réduction ?
La valorisation économique est compliquée. En revanche, la vision géographique est facile. Sur le tronçon entre Mantes et Evreux de la LNPN, il est très facile de voir que tous les tracés envisagés évitent une zone Natura 2000 : on peut communiquer sur ce point. Autre exemple, la LGV Méditerranée a été tracée de façon à éviter un nid d'aigle sauvage : le surcoût lié à la construction de deux kilomètres supplémentaires est chiffrable. Les choses sont parfois difficiles : déplacer la construction d'un ouvrage d'art pour maintenir la continuité écologique peut engendrer un surcoût mais ce surcoût ne correspond qu'à une partie du coût de la construction de l'ouvrage d'art.
Est-il raisonnable de construire deux kilomètres de lignes supplémentaires pour protéger un nid d'aigle ? Un raisonnement plus rationnel ne conduirait-il pas à payer le prix de la destruction de ce nid d'aigle, le cas échéant pour permettre aux associations de disposer de moyens supplémentaires pour défendre les aigles ailleurs en France ?
La réflexion peut évoluer, en particulier s'agissant des ouvrages existants. Je pense en particulier à la découverte de cigognes sur la ligne Bordeaux-Dax : il n'est pas envisagé de fermer la ligne ni de ne pas rénover la caténaire « midi » ; en revanche, au moment de la rénovation de celle-ci, nous prévoirons des solutions pour faciliter la nidification des cigognes.
Notre cinquième proposition était de développer des éléments méthodologiques sur la compensation. Nous avions en effet constaté que la connaissance scientifique sur les mesures de compensation était encore partielle. Les choses se sont améliorées depuis.
Nous avons en effet regardé l'expérience américaine, sans pour autant y voir un modèle à reproduire. Les grands maîtres d'ouvrage et les représentants du monde agricole se sont émus du recours trop systématique à la compensation surfacique. Mais il nous a paru nécessaire de prolonger la réflexion sur d'autres modes de compensation avant de proposer des solutions.
La sixième proposition était de permettre la mutualisation des mesures compensatoires entre différents projets et différents maîtres d'ouvrage, notamment pour éviter qu'un maître d'ouvrage ne vienne contredire les actions de compensation menées quelques années auparavant par un autre maître d'ouvrage. L'idée du centre de ressources est à ce titre importante, tout comme la valorisation géographique et cartographique, notamment auprès du public.
Quelques pistes d'approfondissement avaient également été envisagées par le groupe de travail, certaines d'ordre juridique telles que la consolidation en un même endroit du code de tous les éléments de la séquence ERC. Je crois que c'est aujourd'hui le cas s'agissant de la biodiversité. D'autres sujets nous ont semblé mériter un approfondissement : l'application de la séquence ERC au bruit, sujet pour lequel la compensation peut s'avérer difficile ; l'utilisation des friches industrielles, agricoles ou commerciales pour la compensation. Le monde agricole a beaucoup insisté sur le fait que le foncier disponible qui est le plus systématiquement regardé pour la mise en oeuvre de mesures compensatoires est le foncier agricole quand d'autres éléments du foncier, notamment les friches, pourraient être utilisés.
Des questions demeuraient sur la façon dont devraient être traitées ces friches et il n'était pas évident qu'un consensus pourrait être trouvé sur ce point. Le CGDD continue cependant d'y réfléchir.
Au fil de nos auditions sont déjà apparues un grand nombre de questions que vous n'abordez pas : la question des trames écologiques par exemple, celle de l'équivalence écologique ou encore celle des flux financiers. Quels étaient les points de blocage pour construire des consensus au sein de votre groupe de travail sur ces sujets ? Qu'est-ce qui vous a empêché d'aller plus loin que les propositions que vous énoncez ? Les opérateurs se méfient-ils d'un système qui risque de les amener demain à des coûts financiers plus importants ? Les associations étaient-elles réticentes à s'engager dans des équivalences qui auraient entraîné la mise en oeuvre de mesures compensatoires plus loin qu'à proximité immédiate du projet ? Où sont les difficultés pour trouver les consensus ?
Je rappelle tout d'abord que le groupe de travail s'est réuni pendant trois mois seulement, avec une demande de la Ministre de faire quelques propositions concrètes et opérationnelles. Notre groupe de travail s'est donc inscrit dans une séquence de réflexion sur le triptyque « éviter-réduire-compenser » beaucoup plus longue, qui a commencé dans les années 2000 et qui se prolonge encore aujourd'hui. Par ailleurs, au sein du groupe de travail, tous les membres n'avaient pas le même niveau de connaissances sur des questions comme l'équivalence écologique : un certain nombre de séances ont été consacrées à la précision des concepts. J'ajoute que la lettre de mission de la Ministre ciblait spécifiquement les difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage. Enfin, certains sujets n'étaient alors probablement pas assez mûrs : c'est le cas par exemple de la question des garanties financières.
Je le redis, le mandat confié au groupe de travail était de faire des propositions concrètes pour remédier aux difficultés rencontrées par les maîtres d'ouvrage pour la mise en oeuvre de la séquence « éviter-réduire-compenser ». J'ai l'impression que le groupe de travail a répondu à la commande.
Certaines dispositions de la loi pour la reconquête de la biodiversité, comme par exemple la géolocalisation, viennent donc de propositions que vous avez formulées. Cette idée d'aller vers davantage de méthodologie commune, décrite par le Commissariat général au développement durable (CGDD), se retrouve aussi dans vos propositions. Retrouve-t-on d'autres de vos recommandations dans la loi ou dans les travaux actuels ?
De toute évidence, oui, sur la mutualisation des mesures compensatoires entre différents projets ou entre différents régimes d'autorisation. Les représentants des maîtres d'ouvrage et des grands gestionnaires d'infrastructures linéaires au sein du groupe de travail étaient RTE et LISEA, au titre du club infrastructures linéaires et biodiversité (CIL&B). LISEA avait fait valoir les difficultés rencontrées par le maître d'ouvrage. Aujourd'hui en surfacique, on a près de 3 500 hectares de compensation pour la LGV SEA ; mais si l'on avait additionné tous les régimes, sans pouvoir mutualiser les mesures compensatoires, on arrivait, je crois, à entre 22 000 et 25 000 hectares pour une ligne de 300 kms.
Non, mais les maîtres d'ouvrage avaient du mal à mettre cela en place. Je comprends que la loi pour la reconquête de la biodiversité a finalement permis d'ancrer juridiquement certaines pratiques. Autre exemple, la mise en commun des données, y compris par le biais du Muséum national d'histoire naturelle, ne nécessitait pas forcément de passer par la loi. La loi a pourtant réglé des questions sous-jacentes de propriété de données des maîtres d'ouvrage.
En ce qui concerne la façon de contrôler ou d'apprécier le suivi de ces mesures de réduction et de compensation, nous avions clairement mis en évidence que les maîtres d'ouvrage ne suivaient pas bien eux-mêmes leur projet une fois celui-ci mis en route. Finalement, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) ancre cette nécessité de contrôler et de mieux suivre les actions des maîtres d'ouvrage.
Je continue à penser que certaines actions auraient pu exister sans la loi mais celle-ci leur a apporté une traduction plus juridique, et accessoirement plus opposable, qui sécurise l'ensemble des acteurs.
Sur des points comme la maîtrise foncière ou les obligations de longue durée, vous n'aviez pas non plus de consensus ?
Si. Aucun maître d'ouvrage n'a jamais contesté au sein de notre groupe les obligations de longue durée. Mais c'était la façon de le faire qui était compliquée. Nous avons évoqué la question du contrat-type dès lors qu'il s'agit de confier une zone de compensation à un agriculteur, dans la mesure où le risque est alors grand de se retrouver dans un conflit du fort au faible, avec un grand maître d'ouvrage face à un petit agriculteur : le contrat passé pour entretenir une zone de compensation peut en effet être déséquilibré. J'ai le sentiment que ces sujets ont continué à être travaillés.
Y a-t-il d'autres points sur lesquels vous voudriez insister, notamment sur la question du contrôle par l'État ?
Oui, nous avions regardé comment l'État pouvait améliorer sa réponse. Une des propositions portant sur la formation visait d'ailleurs en premier lieu les agents de l'État. Le sujet de la qualité du dossier d'étude d'impact et de la capacité à discuter avec l'État en amont sur les études d'impact avait également fait consensus dans le groupe de travail. Je vois que l'évolution des missions de l'autorité environnementale a consacré cette ambition. Le rôle de l'autorité environnementale sur les études d'impact ou encore la saisine automatique au lieu d'une saisine au cas par cas sont des pistes que l'on avait tracées.
Il est certain que ce groupe a permis de faire décanter certaines tensions. En 2013 étaient parues les lignes directrices de la doctrine « éviter-réduire-compenser » : au sein du groupe de travail, plusieurs positions se sont affrontées sur la valeur réglementaire ou non de ces lignes directrices. Certains représentants de l'administration considéraient que ces lignes directrices avaient quasiment valeur réglementaire ; les maîtres d'ouvrage considéraient, eux, qu'elles étaient seulement des lignes directrices, qui nécessitaient d'ailleurs d'être déclinées par secteur. Des expérimentations de déclinaisons, pour le secteur des carrières par exemple, ont été envisagées depuis par l'administration.
Ce groupe de travail a représenté un moment, court, où les maîtres d'ouvrage ont admis la nécessité de la séquence « éviter-réduire-compenser » et où l'administration a admis qu'elle pouvait parfois faire preuve de rigidité dans sa capacité à aider les maîtres d'ouvrage, tout cela en présence de parties prenantes soucieuses de la préservation de l'environnement.
Quels sont selon vous les points qui mériteraient d'être améliorés à droit non constant ?
La définition de la compensation et de ses modalités pourrait être améliorée. Le groupe de travail avait par exemple constaté que d'un expert à l'autre, le traitement d'une mare ou d'une zone humide ne se faisait pas de la même façon, ou que d'une administration à l'autre, la réponse n'était pas la même.
Lorsque l'on compare deux projets, on observe de grandes différences : ainsi, en compensation surfacique, sur SEA, le ratio est de un pour un de compensation puisque l'empreinte foncière du nouveau linéaire est de 3 000 hectares et que l'on aura 3 500 hectares de compensation ; mais sur la ligne nouvelle de contournement de Nîmes-Montpellier, on a plusieurs centaines voire plusieurs milliers d'hectares de compensation pour une ligne qui fait 90 kilomètres, au motif de la préservation de l'outarde canepetière.
Avec ma casquette de maître d'ouvrage, je vous dirais que cette insécurité dans la réponse opérationnelle de l'administration pose des difficultés.
À droit non constant, la recommandation principale serait une plus grande sécurisation juridique des porteurs de projets.
Nous sommes sur une question essentielle. Votre commission ne s'est pas orientée vers un transfert de la responsabilité du résultat vers un opérateur, qui pourrait sécuriser le maître d'ouvrage. J'ai l'impression qu'il y a une ambiguïté. Si l'on raisonne en équivalence écologique, un peu à l'américaine, c'est-à-dire si on définit les équivalences, le maître d'ouvrage regarderait ses coûts, même au niveau de son tracé, et il aurait le droit de faire un chèque, pour parler franchement, à un opérateur qui, lui, assumerait la responsabilité du résultat. Cela sécuriserait le maître d'ouvrage mais on a l'impression qu'il a tout de même peur du montant du chèque et qu'il ne souhaite pas dépasser un ratio de 3 à 5 % du coût du projet pour les mesures compensatoires alors que l'État souhaiterait l'amener à 10 %.
Ce serait une sécurisation mais peut-être aussi une déresponsabilisation du maître d'ouvrage. Ce serait un peu comme le droit à polluer avec les crédits CO2. Pour en avoir discuté avec Patrick Jeantet, que vous avez auditionné, lui est plutôt favorable à une responsabilité du maître d'ouvrage quitte à avoir un porteur de projet qui assure la continuité. Pourquoi pas l'offre de compensation, mais pas forcément systématiquement. Acheter des unités dans la plaine de Crau si on trace une ligne en Bretagne...
Là il n'y a pas d'équivalence écologique, ce n'est pas le débat.
Je n'ai pas la réponse à ma question. J'essaye de comprendre. Vous voulez de la sécurisation. Or, la sécurisation la plus simple, c'est le flux financier. Mais on sent malgré tout une résistance. Est-ce parce que vous considérez que vous allez faire du meilleur travail en proximité ? Mais la loi vous astreint aujourd'hui à une obligation de résultat. Transférer la responsabilité vous sécurise donc. Mais vous ne voulez tout de même pas être déresponsabilisés. Je vais poser la question crûment : n'est-ce pas tout simplement parce que les coûts seraient plus importants ? Parce que vous vous retrouveriez dans un rapport de force modifié avec un risque de surcoût et d'inflation ? À l'inverse, si vous restez en proximité, votre risque d'inflation des coûts est lié à la pression foncière. Je n'ai pas de position. Je vous pose simple des questions par rapport à un tel système à l'américaine. Quelle est donc votre proposition de sécurisation ?
Je ne suis pas sûr que le frein soit financier. S'il l'était, on aurait déjà commencé à mieux documenter ces coûts. La somme des mesures de l'ensemble de la séquence ERC pour un projet est entre 5 et 10 %. Sur les compensations strictement, le CGDD a calculé le coût à 2,5 % environ. Peut-être que les maîtres d'ouvrage ne sont pas suffisamment mûrs dans leur réflexion aujourd'hui sur ces sujets.
Je reprends ma casquette SNCF Réseau. Nous sommes un maître d'ouvrage aménageur du territoire. Nous sommes en grande proximité avec l'ensemble des élus locaux, notamment les régions, qui sont autorités organisatrices de transports et les métropoles. Nous avons beaucoup d'actions de proximité. Je crois que nous assumons l'idée que nous continuions à être responsabilisés sur ce sujet. Peut-être que si l'équivalence écologique était très encadrée, nous pourrions évoluer dans cette pratique.
Vous êtes tout de même favorables à ce que l'on aille vers des grilles d'équivalence ?
Oui, et nous ne sommes pas non plus fermés à l'idée de l'offre de compensation. Il y a un panel d'outils qui peut être mis à disposition du maître d'ouvrage. La plupart de nos zones de compensation, nous ne les gérons pas nous-mêmes. Nous les avons confiés à un parc naturel ou autre dans le cadre de contrats. Nous n'avons pas la prétention de pouvoir tout faire bien tous seuls.
Les coûts de fonctionnement dans la longue durée ne vous inquiètent-ils pas plus que les coûts d'investissement d'ouvrages d'évitement ?
La réponse est compliquée. Oui, car en tant qu'établissement public, nous sommes davantage contraints en dépenses de fonctionnement qu'en dépenses d'investissement. On le voit dans le contrat de performance approuvé par le conseil d'administration de SNCF Réseau, le gouvernement a autorisé un effort de régénération sur le réseau structurant, c'est-à-dire des investissements. C'est vrai que les coûts de fonctionnement risquent d'être importants pour un opérateur comme nous.
Nous avons interrogé les syndicats agricoles. Il semble clair aujourd'hui qu'il y a une négociation qui n'est pas aboutie sur le coût à l'Etat. Si un grand nombre d'acteurs agricoles nous disent que s'ils s'engagent dans des mesures environnementales de compensation, la valeur de leurs terrains baisse en conséquence, c'est parce qu'ils n'ont pas le sentiment qu'intégrer cette contrainte leur crée une ressource qui valorise leurs champs. Si, à l'inverse, ils peuvent démontrer qu'ils gagnent quelques milliers d'euros par an par hectare garantis sur 55 ans, leurs terrains gagnent en valorisation.
C'est pour cela que le groupe de travail avait beaucoup plaidé, en dehors des propositions que nous avons formulées, pour un contrat-type pour protéger l'agriculteur face au grand maître d'ouvrage.
Avez-vous une idée du coût de fonctionnement moyen à l'hectare par an ?
C'est pour nous un point important, même si nous avons conscience que les situations sont différentes.
SNCF Réseau pourrait essayer de vous apporter une réponse sur le coût moyen à l'hectare de gestion, de fonctionnement.
Finalement, j'ai été un témoin ponctuel de cette séquence. Deux ans après, j'ai le sentiment que certaines des propositions de notre groupe de travail ont été traduites dans la loi ou que l'administration s'en est emparée. Si notre rapport manque peut-être d'ambition, certaines mesures ont été directement mises en oeuvre. Le Président de la République et la ministre de l'écologie ont demandé à l'administration de s'en saisir. Même sur la question de l'absence de connaissance de ces coûts, identifiée dans nos conclusions, le CGDD a lancé une enquête qui est en cours.
Après, il faut continuer de faire bouger les lignes, stabiliser le droit et les pratiques, inciter les maîtres d'ouvrages à continuer à être responsables une fois l'infrastructure construite. En effet, chez un maître d'ouvrage public, l'équipe-projet qui a construit l'ouvrage n'existe plus six mois après la fin des travaux et la connaissance des enjeux disparaît. Ainsi, confier à un porteur de projet les mesures compensatoires me paraît de bon aloi.
Je suis d'accord, on retrouve une partie de vos conclusions dans la loi et dans l'évolution des pratiques.
Merci pour votre éclairage. Nous attendons donc un retour de SNCF Réseau sur la question des coûts.
La réunion est close à 18 h 45