Nous poursuivons les travaux de notre commission d'enquête sur les mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur les grands projets d'infrastructures avec l'audition du Conseil national d'expertise foncière et agricole (CNEFAF). Je rappelle que nos travaux s'intéressent en particulier aux conditions de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des mesures de compensation de quatre projets - l'autoroute A65, la LGV Tours-Bordeaux, l'aéroport Notre-Dame-des-Landes et la réserve d'actifs naturels de Cossure, en plaine de la Crau.
Le CNEFAF est une organisation qui gère les professions d'experts fonciers et agricoles et d'experts forestiers. Davantage que sur les projets précédemment évoqués, nous sommes particulièrement intéressés par vos méthodes d'expertise de la bonne application de la séquence « éviter, réduire, compenser » (ERC).
Messieurs, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, je vais vous demander de prêter serment. Je vous rappelle que tout faux témoigne et toute subordination de témoin est passible de peines inscrites au code pénal.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. François Paliard, Alban le Cour Grandmaison, Gilles Barreau, Thierry Routier et Philippe Gourmain prêtent successivement serment.
Avant que nous commencions, je vous demande de bien vouloir nous préciser les liens d'intérêts que vous pourriez avoir avec les différents projets concernés par notre commission d'enquête.
J'ai travaillé sur le projet de TGV Bretagne-Pays de Loire, avec le groupe Eiffage.
Je n'ai aucun lien d'intérêts.
Aucun lien d'intérêt non plus de mon côté.
Créé par décret en 2006, le CNEFAF est une structure de type ordinal regroupant l'intégralité des experts fonciers et agricoles et des experts forestiers français. Il a en particulier pour mission d'agréer les nouveaux experts et d'établir la liste nationale des experts fonciers et agricoles, et des experts forestiers. Seules les personnes inscrites sur cette liste nationale peuvent porter le titre d'expert.
Les membres du CNEFAF sont des professionnels compétents, responsables et indépendants. Leurs compétences professionnelles sont vérifiées par le CNEFAF, qui assure par ailleurs pour chaque membre une formation continue obligatoire. Ensuite, les experts sont responsables car ils interviennent à titre personnel et sous leur propre responsabilité. Ils doivent respecter le code des devoirs professionnels et être obligatoirement titulaires d'une assurance responsabilité civile professionnelle. Enfin, l'exercice de la profession est incompatible avec toute fonction susceptible de porter atteinte à son indépendance, et les experts sont soumis au secret professionnel.
Par ailleurs, le législateur a doté le CNEFAF d'un pouvoir disciplinaire lui donnant rang de juridiction administrative, les recours éventuels s'exerçant devant le Conseil d'État.
Les membres du CNEFAF interviennent sous forme d'expertise, de conseil ou d'études, dans un cadre amiable, précontentieux ou judiciaire. Trois domaines sont particulièrement concernés par ces missions : l'expertise forestière, l'expertise foncière, et l'expertise agricole.
Le titre d'expert est ouvert aux diplômés de formations en environnement, car les membres du CNEFAF participent à la prévention des risques d'inondation - ce qui inclut la gestion des massifs forestiers pour la maîtrise des eaux de pluie, l'identification des zones d'expansion de crue, les études de bien fondé de la construction de bassins de rétention - et à la prévention des incendies.
Nous avons écouté certaines des auditions de votre commission d'enquête, et une question est revenue régulièrement : a-t-on assez de personnel ? Est-il suffisamment formé ?
C'est notre coeur de métier. Nous possédons un véritable savoir-faire, qui va de la dissection technique des sujets et de l'analyse des facteurs à la proposition de scenarii en fonction des comparaisons que nous avons pu faire avec des projets existants dans nos bases de données. Notre approche est pluridisciplinaire, et s'intéresse autant aux facteurs environnementaux que techniques et économiques. Nous privilégions d'ailleurs les interactions avec d'autres spécialistes de terrain, comme les écologues et les ingénieurs en génie environnemental.
En tant que gestionnaires de projets, les experts ont deux missions : un rôle d'assistant à maîtrise d'ouvrage, tout d'abord. L'expert favorise la concertation avec les acteurs locaux, assure la coordination des acteurs et propose des unités de compensation. Parallèlement, l'expert joue un rôle dans la maîtrise foncière : il assure l'identification et la gestion des terrains, réalise la négociation et élabore les contrats. La spécialité de nos membres est la gestion des projets sur le long, voire le très long terme : nos domaines de compétences nous prédisposent à travailler sur des temps longs, de 10 à 100 ans.
Nous intervenons à la fois sur des grands projets d'infrastructures comme les projets de LGV, d'autoroutes ou de lignes électriques à haute tension, et sur des projets locaux d'urbanisme. La dichotomie que l'on crée entre ces deux types de projets est en réalité artificielle, car il existe toujours des interactions entre les grands et les petits projets.
Leur connaissance aiguë du terrain et des acteurs locaux permettent aux experts d'adapter au mieux les projets à la société.
Nous intervenons dans toutes les phases du projet : en amont, durant la réalisation, et en aval.
Préalablement à la réalisation des projets, nous intervenons avec d'autres acteurs de l'environnement pour identifier les zones à préserver, évaluer les impacts et préjudices environnementaux du projet et déterminer la valeur des terrains. Cela nous permet de proposer et de hiérarchiser des solutions alternatives afin d'éviter un maximum d'impacts, mais également des mesures de réduction et de compensation pour les impacts qui n'auraient pu être évités.
Je prendrai l'exemple d'un projet dont l'enjeu était une évolution du plan local d'urbanisme (PLU) pour permettre de créer un couloir pour les batraciens entre leur zone d'hivernage et leur zone de reproduction. Pour cela, la parcelle d'un particulier, qui avait un potentiel de 4 terrains à bâtir, devait être classée en « zone naturelle ». Ce dossier n'est pas allé jusqu'à l'enquête publique, mais nous avons assisté le maître d'ouvrage dans la recherche de solutions.
Pendant la conduite du projet, nous avons un rôle d'assistant au maître d'ouvrage : nous assurons la coordination des actions de mise en oeuvre des mesures d'évitement, de réduction et de compensation. Cela passe notamment par l'élaboration de grilles d'indemnisation pour les propriétaires fonciers et exploitants agricoles. Nous conduisons également les négociations foncières, élaborons des propositions contractuelles durables, en particulier à travers la rédaction des clauses environnementales figurant dans les baux ruraux, documents qui génèrent parfois des tensions entre preneurs et bailleurs.
Cette fois, nous pouvons prendre l'exemple d'un aménagement de la RN 162 entre Laval et Mayenne, lors duquel nous avons assuré les missions de recherche et de sécurisation foncière des terrains destinés à accueillir les mesures compensatoires. Ce projet, qui a fait l'objet d'une collaboration avec un cabinet spécialisé dans le génie écologique, s'est déroulé en trois temps : tout d'abord, l'élaboration d'un système d'information géographique (SIG) pour les mesures compensatoires en faveur des zones humides et des espèces protégées, ainsi que pour certaines mesures de réduction. Ensuite, la recherche de foncier et la réalisation des diagnostics d'exploitation agronomique et écologique de chaque terrain ; celle-ci conduit à la formulation de propositions de compensations. Enfin, l'élaboration du programme des travaux et des plans de gestions, ainsi que la sécurisation effective des terrains - par le biais de conventionnements, de baux emphytéotiques ou d'acquisitions foncières. Nous assurons, tout au long du projet, le suivi des conséquences environnementales et des mesures de compensation mises en oeuvre. Ces actions passent notamment par la collecte et l'archivage de données sur les actions réalisées, ainsi que par la mise à jour régulière du SIG.
Nous avons les plus grandes difficultés à obtenir des informations sur l'aspect financier des projets. Pour le réaménagement routier que vous venez de présenter, quelle était l'enveloppe ? Comment était-elle définie ? Devez-vous travailler dans un montant global qui vous est donné par le maître d'ouvrage, ou vous donne-t-on pour consigne une obligation de résultat sans limite budgétaire ?
Sur ce projet, nous n'en sommes qu'aux prémices du protocole d'indemnisation, sur lequel nous sommes toujours en phase d'échanges avec la chambre d'agriculture. La base de ces échanges est le protocole régional, ainsi que sa déclinaison départementale. Je n'ai pas d'éléments chiffrés à vous communiquer aujourd'hui.
Vous nous les donnerez par écrit. Nous avons besoin de disposer d'éléments précis sur les montants des enveloppes et la part qui est dédiée aux mesures compensatoires sur chaque projet.
En termes de calendrier, il y a eu une première réunion publique pour présenter le projet ; les discussions sur l'établissement du protocole sont en cours. Les négociations seront conduites durant les prochains 3 à 6 mois. A l'issue de cette période, nous serons en mesure de vous fournir les éléments que vous demandez.
Oui, c'est la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL).
Aujourd'hui, aucune enveloppe n'est déterminée ; cela est justement l'objet de nos échanges avec la chambre d'agriculture.
Je vais partager mon expérience, qui est peut-être plus ancienne que celle de mes collègues sur ces sujets. Le maître d'ouvrage ne donne jamais une enveloppe d'entrée de jeu, et comme nous sommes des conseils raisonnables, nous évitons l'emballement des chiffres.
Sur tous les dossiers sur lesquels j'ai travaillé, notamment sur l'installation de lignes à très haute tension, les mesures de compensation - défrichement, déplacement de zones humides - représentent moins de 1 % du montant total de l'ouvrage.
Je travaille actuellement sur un projet routier : je n'ai aucune consigne. Cependant, je peux d'ores et déjà vous dire que les mesures compensatoires ne dépasseront pas quelques pourcents du coût global du projet.
Cela étant dit, je pense que nos donneurs d'ordres sont en train de découvrir la réalité du sujet, de l'application de la loi pour la reconquête de la biodiversité. Sur certains projets, comme le déplacement d'une carrière, les donneurs d'ordre sont vraiment debout sur le frein au niveau des dépenses. C'est également notre rôle de leur transmettre notre réalisme sur le dossier, et de les convaincre de l'importance de la présentabilité des dossiers devant les services administratifs qui vont les analyser. C'est tout l'intérêt de notre rôle d'assistance à maître d'ouvrage en amont du projet : il faut identifier et éviter les points durs le plus tôt possible. Après, c'est souvent trop tard.
Vous êtes experts fonciers. Vous travaillez presque systématiquement avec des écologues.
La compensation vise la perte de foncier. Mais que comporte ce foncier ? C'est parfois de la forêt, parfois des zones humides, parfois des terres agricoles. Il est évident que la compensation et la restauration ne peuvent pas être de même nature sur ces différents terrains. Qui vous aide à apprécier ce paramètre ? À apprécier la restauration des fonctions écosystémiques particulièrement complexes d'une zone humide, par exemple ? La restauration est un exercice difficile, même sur des terres arables dites « classiques », en raison des nécessaires interactions entre les différents écosystèmes.
Ce qui est formidable, c'est que vous nous apportez des éléments concrets. La loi pour la reconquête de la biodiversité nous fait entrer dans un nouveau système, avec une obligation de résultat. Certains ont pointé une totale méconnaissance des interactions que l'on essaie de compenser. Comment fait-on, dans ce cas ?
Je peux vous parler d'un exemple à Abbeville, où était prévue la construction d'un immeuble en zone humide. Il s'agissait de rechercher la compensation. Nous avons rencontré les différentes administrations locales, et notamment la mairie d'Abbeville qui nous a proposé un terrain pour la compensation. Je me suis rendu sur place ; le terrain était situé dans les marais de la Somme et j'ai pu constater visuellement qu'il y avait un remblai de gravats de matériaux de destruction inertes déposés sur des zones humides. La surface dudit terrain correspondait à celle du projet. La solution retenue a donc été de débarrasser tous les gravats pour rétablir une zone humide. C'est donc en se déplaçant sur le terrain, en analysant les situations, que l'on peut trouver des modèles de compensation.
Autre exemple de compensation, dans un dossier récent : il a suffi d'installer des supports dans une zone pour permettre aux rapaces de venir nicher dans le secteur.
Vous avez dit qu'il fallait repérer les points durs le plus en amont possible pour mieux les éviter, ce qui semble effectivement la sagesse et l'évidence. Pouvez-vous être plus précis sur cette notion de l'amont ?
Lorsque le maître d'ouvrage fait appel à nous dès la naissance du projet, il attend un regard d'expert qui sait reconnaître les points durs comme une zone humide, une lande sèche, une caverne à chauve-souris... Notre approche, notre formation, nous amènent à savoir lire le terrain. On ne lit pas ça sur les cartes ! C'est l'oeil exercé sur le terrain qui est indispensable. Pour expliquer notre fonction, j'ai coutume d'utiliser la métaphore de la pellicule : notre éducation nous amène à avoir une certaine sensibilité qui nous permet de détecter les zones dures. Nous ne sommes pas des écologues spécialistes des espèces rares, mais nous sommes des généralistes qui avons une vision horizontale des problèmes, ce qui nous permet de déceler la lande à truffes, ou la zone de montagne à coq de bruyère, ou encore la lande à drosera, etc...
Monsieur Bignon, lorsque c'est un peu plus compliqué, notre métier est de disséquer un système complexe et de le traduire en équation plus simple. Lors de la « dissection », nous observons les organes, leur importance et leur poids dans l'écosystème. Puis, à partir d'un jeu de critères - quantitatif, pour des mares par exemple, ou linéaire pour des haies - mais aussi qualitatifs, car tous les mètres linéaires de haie n'ont pas la même valeur. C'est ainsi que l'on objective les choses. En 1995, nous avions beaucoup de dossiers sur les arbres d'agrément. Estimer la valeur d'un arbre d'agrément peut paraître très subjectif. Mais après y avoir travaillé, nous avons pu rendre la notion d'agrément relativement objective, avec une approche qui permet de réduire au maximum la marge d'erreur et d'obtenir finalement un consensus sur la valeur de l'objet. Il en est de même en matière d'environnement, mais il faut pour cela déceler, diagnostiquer, quantifier et discuter. Si le principe en lui-même est assez simple, l'approche est toutefois assez complexe et subtile.
Vous avez donc aussi des ratios économiques dans votre expertise ? Par exemple, pouvez-vous nous donner votre estimation d'un linéaire de haie ?
En effet, à côté de l'écologie, on place obligatoirement l'économie. Personnellement, je ne sais pas faire une expertise forestière sans associer l'économie, la biodiversité et la notion d'agrément. Si on néglige l'un de ces trois aspects, l'expertise est incomplète. La valeur économique est donc incontournable.
Pouvez-vous nous donner une fourchette de prix du mètre linéaire de haie, d'une mare ? Nous cherchons à alimenter notre réflexion, et aurions besoin de ces précisions pour pouvoir recouper ce que nous disent les uns et les autres.
Je suis expert forestier et je préside le syndicat professionnel des experts forestiers, qui compte 130 adhérents : nous gérons un million d'hectares de forêts en France sur 11 millions d'hectares de forêt privée. Nous sommes donc des praticiens de la gestion au quotidien et, à ce titre, mandatés par des propriétaires privés ou des collectivités pour gérer des espaces forestiers tant dans leur dimension écologique qu'économique.
S'agissant des coûts, j'ai l'exemple d'une expertise sur des petits bois qui nous a été commandée par un département : on m'a demandé de dépenser 500 000 euros sur 20 hectares pour la compensation, « même si ce n'est pas rentable, même si ce n'est pas utile ». Ce à quoi j'ai répondu que je ne savais pas faire. Pour une telle somme, il vaut mieux acheter autre chose, mener des actions plus pertinentes d'un point de vue environnemental et dont le ratio efficacité/coût est bien meilleur. Nous avons les compétences techniques et n'hésitons pas à faire appel à des spécialistes sur certains sujets, et nous avons, bien évidemment, le souci du coût.
C'est bien ce qui est au coeur de nos travaux. Nous devons sortir de l'irrationnel. Lorsque vous dites, par exemple, qu'il faut trois kilomètres de haie, vous avez un prix dans la tête ?
Je fais, pour ma part, plutôt du boisement. Un boisement coûte de 3 000 euros pour des résineux, à 6 000 euros pour des feuillus. C'est pourquoi je n'aime pas que l'on me dise qu'il faut dépenser 15 000 euros l'hectare ; il vaut parfois mieux traiter davantage de surface, entreprendre des actions différentes, plutôt que de dépenser 15 000 euros à tout prix.
Il est un peu réducteur de vouloir donner un prix du kilomètre de haie, car l'écart-type est assez grand.
Un kilomètre de haie coûte en moyenne 4 000 euros. Tout dépend de sa composition : une haie avec des très beaux chênes vaudra plus qu'une haie de chênes pubescents. La notion de barème est un peu perverse. Par exemple, pour l'installation de lignes électriques en Normandie, afin de faciliter le travail des ingénieurs, nous avons réalisé un barème établi à partir de quatre critères d'entrée et ponctuellement adapté à la situation de la Normandie.
Nous avons bien compris qu'il y a un écart-type et qu'il existe des variantes selon les contraintes... les variations ne sont toutefois pas de un à mille ?
Pouvez-vous également nous renseigner sur le prix d'un hectare de zone humide ?
Selon qu'il s'agit d'un terrain agricole, d'une ancienne carrière ou d'une zone humide abimée, les coûts sont différents, mais ils se chiffrent en tous cas en dizaines de milliers d'euros.
Pourrez-vous nous procurer un document de synthèse de l'ensemble des coûts principaux de l'ingénierie environnementale, tenant compte des écarts-types selon la diversité des situations, ce qui nous permettrait de faire des recoupements avec les nombreux chiffres que nous avons entendu ?
Cet échange est très intéressant. Vous avez dit « quand c'est extrêmement compliqué, il vaut mieux éviter » : est-ce que cela vous arrive ? Par exemple, si un maître d'ouvrage vous demande de créer une zone humide pour compenser, vous arrive-t-il de lui répondre que c'est impossible ou délirant par rapport au coût du projet ? Cela vous arrive-t-il de conseiller l'évitement ?
J'ai vu des cas où on ne pensait pas beaucoup à l'évitement et où on intégrait directement au projet un prix de compensation, quel qu'il soit.
Les maîtres d'ouvrage viennent nous voir parce qu'ils ont conscience du problème et, s'ils sollicitent notre conseil, c'est pour en tenir compte. En principe, nous avons une relation régulière avec ces donneurs d'ordres qui savent qu'ils peuvent nous faire confiance. En revanche, ceux qui se sont « plantés » dans une zone humide n'avaient en général pas demandé conseil préalablement...
Avez-vous rencontré des exemples où, sur des grandes infrastructures, le tracé a bougé au profit de l'évitement, en raison d'un coût trop élevé ? Nous avons le sentiment que, même à 100 000 euros l'hectare, le coût de la compensation est moindre comparé à celui d'une modification de tracé.
Notre rencontre est intéressante en ce qu'elle montre la diversité de votre travail. Comment intervenez-vous plus particulièrement pour ce qui concerne les terrains agricoles productifs ? Avez-vous un rôle auprès des maîtres d'ouvrage pour préserver les bonnes terres agricoles ?
Effectivement, nous intervenons sur ce point, car nous sommes des experts généralistes. Lorsque nous travaillons sur des dossiers, nous regardons les aspects économiques, sociaux et environnementaux et ne nous cantonnons pas à la biodiversité. C'est la réunion de ces trois aspects qui permet de réaliser des projets durables et l'ensemble ces paramètres sont intégrés à notre réflexion.
Oui, cela peut arriver chez les experts forestiers. Pour l'aménagement foncier forestier, nous intervenons pour déterminer les valeurs, ce qui est le coeur de notre métier, en tenant compte des potentialités agronomiques, qu'elles soient agricoles ou forestières.
Est-ce vous qui intervenez pour le choix des terrains destinés à la compensation ?
Nous traduisons ce que l'écologue a décrit et si nous butons sur un problème technique nous faisons appel à un spécialiste.
En définitive, pour qui travaillez-vous : le maître d'ouvrage, l'État, l'exproprié ? Et, si vous êtes sollicité par deux parties, comment faites-vous, pour préserver l'intérêt de chacune d'elles ? Sur quels critères objectifs pouvez-vous traiter les demandes ?
Le coût des haies peut aller de moins de 1 000 à plus de 3 000 euros du kilomètre, selon leur qualité. Comment, dans ces conditions, tient-on compte de la valeur d'avenir d'un bois pour indemniser le propriétaire ? Avez-vous une marge de manoeuvre dans la compensation ou agissez-vous sur instruction de l'État ?
Pour la partie forestière, nous travaillons toujours en valeur d'avenir. Si une haie est constituée d'arbres de diamètre moyen mais avec des perspectives de croissance et de récoltes futures, nous en tenons évidemment compte, c'est notre métier. Nous employons des méthodes d'actualisation financière intégrant des estimations recettes futures, selon la nature de la haie.
En tant qu'experts, notre déontologie est stricte et exige avant tout l'indépendance. Lorsqu'un donneur d'ordre, quel qu'il soit, nous confie un dossier, nous avons l'obligation de le refuser dès lors qu'il nous met dans la position d'être juge et partie. C'est la base même du métier d'expert forestier et d'expert foncier agricole. L'un des principaux critères du CNEFAF est précisément l'indépendance de l'expert. Cela ne nous empêche en rien d'être indifféremment tantôt du côté de l'expropriant, tantôt de celui de l'exproprié, mais, encore une fois, jamais dans la double position de juge et partie.
En matière agricole, nous tenons évidemment compte de la valeur d'avenir, mais aussi d'autres préjudices comme par exemple les problèmes la suppression des zones d'ombrage des troupeaux. C'est sa bonne connaissance du terrain qui permet à l'expert d'inventorier l'ensemble des aspects à prendre en considération.
Vous savez évaluer la compensation économique, mais comment réussissez-vous à assurer la compensation paysagère et environnementale ? Si on fait disparaître une haie avec des arbres de quarante ans, il est impossible de reproduire une haie de même nature.
Il n'est pas forcément nécessaire de reconstituer à l'identique. Il faut surtout calculer la valeur de ce qui va être détruit et mettre en oeuvre les moyens de le rétablir ailleurs. Par exemple, si une haie a une valeur considérable et que son linéaire est court, on peut reconstituer une haie ailleurs avec un linéaire plus long, en jouant sur la valeur financière ou sur l'indice pour aboutir à une équivalence. Le point que vous soulevez est important, mais ne constitue pas une difficulté technique pour nous.
Nous sommes hélas pris par le temps et n'avons pas pu aborder avec vous toutes les questions qui nous préoccupent. Cette audition est très intéressante et je vous demanderais de bien vouloir nous apporter, par écrit, les éléments sur les fourchettes financières pour les principales interventions (mares, les zones humides, les espaces forestiers, etc...). Votre expérience vous permettra de détailler ces données, que nous considérerons, pour notre part, avec la prudence nécessaire.
La grande question que nous n'aurons pas le temps de traiter, et qui fait écho à ce que vient de dire notre collègue Alain Vasselle, est celle de la disponibilité du foncier aujourd'hui. Pourrez-vous nous expliquer par écrit votre stratégie vis-à-vis de cet enjeu majeur : faut-il aller chercher des terrains plus intéressants en termes de valeur écologique, même s'ils sont plus éloignés de l'ouvrage ? Est-il possible d'être plus souple sur cette question de la proximité, qui revient de manière récurrente ? Essayez-vous de mettre votre stratégie en cohérence avec une stratégie régionale comme le schéma régional de cohérence écologique (SRCE), le schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) ou la trame verte et bleue ? Quel est votre sentiment sur la manière dont le monde agricole perçoit la compensation ? Sur le SIG, en quoi la géolocalisation change-t-elle les choses ? Votre guide méthodologique d'expertise va-t-il dans le sens de l'équivalence écologique ? Allez-vous vers des grilles d'équivalence écologique ?
Nous sommes désolés de vous demander de travailler par écrit, mais nous sommes tenus par le temps.
Merci, Messieurs, de cet échange très intéressant.
La réunion est suspendue à 15 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.