La commission des affaires économiques, en commun avec la commission des affaires sociales, a lancé un cycle d'auditions dans le but d'éclairer ce que les médias appellent désormais l'affaire Lactalis, c'est-à-dire la commercialisation de laits infantiles infectés par des salmonelles.
Ce cycle n'a pas vocation à faire du Sénat un tribunal alors que des actions devant les juridictions pénales ont été initiées par les parents des nourrissons contaminés. Notre démarche vise davantage à comprendre les dysfonctionnements intervenus dans ce dossier afin d'éviter qu'ils ne se reproduisent. En 2018, les consommateurs français attendent une sécurité alimentaire sans faille, qui se doit d'être d'autant plus stricte pour les produits industriels destinés à des publics fragiles comme les très jeunes enfants.
Dans le cadre de ce cycle, nous entendons toute la chaîne des acteurs, depuis le producteur, l'entreprise Lactalis, que nous avons déjà reçue, jusqu'aux distributeurs, que nous recevrons demain, et aux représentants des consommateurs.
Si les entreprises sont les premières responsables de la sécurité des produits qu'elles mettent sur le marché, l'État a lui aussi un rôle de contrôle à jouer. Après avoir reçu la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), Santé publique France ainsi que la Direction générale de la Santé, c'est tout naturellement à ce titre que nous vous recevons, monsieur le directeur général.
La Direction générale de l'alimentation (DGAL) est chargée notamment de vérifier la qualité et la sécurité des aliments à tous les maillons de la chaîne du producteur au consommateur. Cette mission se traduit par l'élaboration, d'une part, de la réglementation relative à la sécurité sanitaire des aliments et, d'autre part, à la définition de la politique de contrôle des installations concernées au regard de l'agrément sanitaire qu'elles ont reçu. Ces inspections sont conduites par les agents des directions départementales interministérielles en charge de la protection des populations ainsi que par les directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt, sur une fréquence qu'elles déterminent en fonction de leur analyse des risques.
Mme Virginie Beaumeunier nous a expliqué que vos missions et celles de la DGCCRF sont complémentaires. Aussi vais-je vous poser des questions similaires.
La chronologie des faits, présentée par la presse, indique que l'autorité administrative a agi une fois la crise sanitaire déclenchée. Mais la question centrale s'énonce différemment : l'autorité administrative a-t-elle agi suffisamment en amont ?
La première contamination du site de Craon à la salmonelle en 2005 aurait dû en faire un site à risque particulièrement inspecté par les services compétents. Aussi, souhaiterions-nous que vous nous rappeliez quelles actions mènent vos services sur le terrain dans le but d'assurer la sécurité sanitaire des denrées alimentaires. Vous nous préciserez comment s'articulent ces actions avec la procédure d'autocontrôle, par les producteurs, de la conformité de leur lieu de fabrication aux normes d'hygiène sanitaire.
Au cas d'espèce, quelles ont été les actions menées par les services du ministère de l'agriculture et de l'alimentation depuis le premier épisode d'infection à la salmonelle du site de Craon en 2005 ?
Enfin, selon vous, comment s'expliquent les défaillances constatées et quelles voies d'évolution pourraient être mises en place pour qu'elles puissent être évitées à l'avenir ?
Quelques mots complémentaires pour souligner l'importance de ce cycle d'auditions que nos deux commissions ont décidé de mener conjointement.
Après avoir entendu, la semaine dernière, les autorités sanitaires de l'État, j'ai la conviction que le dispositif mis en place pour agir en cas d'alerte sanitaire a montré son efficacité : dans le cas qui nous intéresse, la chaîne allant de la transmission des premiers signalements à la mobilisation des opérateurs sanitaires a fonctionné. En revanche, vous l'avez dit madame la Présidente, s'agissant des contrôles opérés en amont, en particulier des autocontrôles, des marges de progrès existent pour mieux garantir la sécurité sanitaire de nos concitoyens.
Aussi, souhaiterions-nous connaître votre appréciation, Monsieur Dehaumont, sur cette question. Quelles sont les améliorations que vous jugeriez utiles d'apporter au dispositif de contrôles afin d'éviter de nouveaux dysfonctionnements ?
Merci pour votre invitation.
La DGAL au sein du ministère de l'agriculture est une direction régalienne, en charge de missions de sécurité sanitaire dans le domaine des aliments mais aussi des productions végétales et animales. La DGAL négocie et élabore les règlementations qui sont souvent d'origine communautaire. Ensuite, elle demande aux services de l'État de réaliser les inspections et les contrôles pour s'assurer que les professionnels satisfont bien à leurs obligations. Ce dispositif repose sur des agents de l'administration centrale, qui travaillent avec d'autres départements ministériels comme la Direction générale de la santé, la DGCCRF, Santé publique France. Nous sommes également sur le terrain, puisque l'intervention de l'État implique d'avoir des agents formés et compétents. En outre, une chaîne de commande est nécessaire pour agir et donner des instructions. Dans le domaine des denrées animales, les directions départementales de protection des populations (DDPP) sont sous l'autorité des préfets de département. Dans le domaine végétal, nous travaillons avec les directions générales de l'agriculture, de l'alimentation et de la forêt (Draaf), sous l'autorité des préfets de région.
Nous élaborons les plans de surveillance et de contrôle (PSPC) afin de prélever des échantillonnages de différentes productions sur tout le territoire pour estimer le niveau des contaminations microbiologiques, chimiques et physiques. Au sein de la DGAL, nous avons une unité spécifique de gestion des urgences sanitaires : il y a certes l'affaire Lactalis, mais on a aussi beaucoup parlé de la contamination d'oeuf au fipronil en août dernier.
La DGAL compte aussi en son sein la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP) qui lance des investigations de nature administrative à ma demande, et de nature judiciaire dans le cadre de fraudes organisées. Cette brigade est intervenue à l'occasion de l'affaire Lactalis.
Pour effectuer ces différentes missions, nous disposons d'un peu plus de 200 agents au niveau de l'administration centrale. Sur le terrain, au sein des Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), le programme 206 permet d'allouer environ 4 600 ETP pour assurer l'ensemble des missions de contrôle et d'inspection. Le Sénat, la Cour des comptes et la Commission européenne se penchent régulièrement sur la capacité d'intervention de nos services. De manière constante, les deux derniers gouvernements ont donné la priorité à la sécurité sanitaire. Les trois années passées, nous avons enregistré une augmentation des effectifs qui avaient fondu durant une dizaine d'années. Nous avons bénéficié de 60 postes supplémentaires par an pendant trois ans. M. Travert a défendu le maintien des effectifs tout en soulignant qu'il conviendrait de les augmenter à moyen et long termes. Compte tenu des crises que nous avons traversées, notre budget d'intervention a augmenté de 12 % afin de renforcer la prévention et la surveillance.
Nous avons aussi réalisé des benchmarking pour comparer nos moyens à ceux de différents États membres.
Pour la DGAL, la santé publique est le premier enjeu. Mais n'oublions pas qu'il en va aussi de la compétitivité des entreprises qui doivent toutes répondre aux mêmes normes. En outre, nos contrôles permettent une certification reconnue dans le monde entier. L'affaire Lactalis nous pose donc quelques problèmes, notamment sur le marché chinois, car les autorités de ce pays veulent comprendre ce qui s'est passé. Leur confiance est écornée, d'autant que ce pays a connu une crise majeure avec la mélanine. Notre filière d'excellence est ainsi mise à mal.
En raison du Paquet hygiène - ensemble de règlements communautaires pour rationaliser les textes des différents pays membres - publié le 1er janvier 2006, le professionnel est devenu le premier responsable de la sécurité sanitaire de ses produits. Il existe sept types de règlements, à commencer par celui qui pose le principe de la sécurité alimentaire, puis viennent ceux qui ont trait aux obligations des exploitants et ceux qui définissent les contrôles exercés par les autorités, notamment celui qui pose les règles d'indépendance et d'impartialité de l'intervention de l'État. Enfin, des règlements spécifiques ont trait aux denrées animales et d'origine animale, avec le principe de l'agrément. Pour disposer de cet agrément, un établissement doit posséder des installations conformes, respecter des règles de fonctionnement et de procédure, disposer de personnels compétents. Enfin, le professionnel doit mettre en oeuvre un plan de maîtrise sanitaire (PMS) qui définit les règles de sécurité et les autocontrôles, qu'il faut bien distinguer des contrôles officiels. Les autocontrôles comprennent notamment des analyses de produits et d'environnement. Le PMS définit également des mesures d'intervention lorsque des anomalies sont identifiées. Les services d'inspection vérifient l'état de l'établissement, son fonctionnement au quotidien, sa documentation et doivent constater que le PMS est bien appliqué.
J'en arrive à l'intervention des services de l'État. Pour définir les fréquences d'inspection, nous procédons à une analyse des risques de chaque établissement ce qui permet de déterminer une pression de contrôle, tout en tenant compte des moyens disponibles. Les établissements les plus contrôlés sont les abattoirs d'animaux de boucherie : chaque carcasse fait l'objet d'une inspection spécifique et d'un estampillage, ce qui mobilise environ 1 400 agents. La fréquence d'inspection varie de six mois à deux ans en fonction du niveau de risque d'un établissement sous agrément. Nous procédons à des audits internes pour nous assurer du respect de nos procédures. Nous faisons aussi l'objet d'audits externes par les services d'inspection de la Commission européenne et par les services d'inspection des pays tiers, comme la Chine. Notre dispositif est réputé conforme au niveau européen, ce qui permet d'exporter en toute confiance.
Les résultats de nos contrôles sont transparents et accessibles à tous les Français.
Dans le domaine alimentaire, nous devons inspecter 400 000 établissements dont 22 000 agréés. Nous effectuons 55 000 inspections par an. En matière de PSPC, 62 000 prélèvements sont réalisés donnant lieu à 800 000 données analytiques par an.
J'en arrive à l'usine de Craon. Je ne suis pas tenu par le secret de l'instruction puisque ma direction n'est pas impliquée dans la procédure judiciaire en cours. Cette usine a connu en 2005 un accident important avec 146 cas de contamination humaine. La première tour de séchage datait de 1963. L'épisode de 2005 a été géré par la DGCCRF. Les agréments sont pilotés par la DGAL mais les produits infantiles relèvent de la DGCCRF en ce qui concerne leur suivi, les retraits et rappels par exemple. Aucun dysfonctionnement n'avait été mis en évidence à l'époque et les autocontrôles s'étaient révélés négatifs. Des prélèvements avaient néanmoins permis de révéler la présence de salmonelles dans l'environnement. Une boîte fabriquée en 2004 avait été retrouvée contaminée. Diverses inspections ont ensuite eu lieu et l'usine a redémarré en octobre 2005. Le 1er janvier 2006, le Paquet hygiène est entré en application. En 2006 et 2007, deux contrôles par an ont été effectués, sans compter les contrôles de première mise sur le marché réalisés par la DGCCRF. La conformité de fonctionnement de la salle blanche a été notifiée à l'entreprise en 2007. Un contrôle a été fait en 2009 et un autre en 2011, puis quatre en 2013. De nouveaux contrôles ont eu lieu en 2014, en 2015 et en 2017. Au total, seize interventions ont eu lieu en dix ans, soit un nombre d'inspections supérieur finalement à une fois tous les deux ans tel que prévu dans les textes. Des autocontrôles non conformes n'ont jamais été portés à notre connaissance lors de ces inspections.
En septembre, une inspection a été réalisée dans le nouvel atelier réservé aux céréales pour valider les processus et certifier les exportations. Dans la mesure où les autocontrôles qui nous étaient présentés étaient conformes, nous estimions que l'entreprise ne présentait pas de risques.
Nous constatons un décalage entre les éléments dont nous disposons au niveau de l'inspection et les autocontrôles que nous avons récupérés, à la suite de la crise. Des salmonella agona avaient été trouvées en 2009 et en 2014. Une salmonelle avait été retrouvée sur des produits en 2011 et d'autres sérotypes en 2013 et 2014.
Nous devons donc nous assurer de la transmission de tous les autocontrôles par l'entreprise, ce qui est d'ailleurs une obligation règlementaire si des résultats défavorables sont constatés sur un produit fini mis sur le marché. Nous devrions aussi disposer des autocontrôles d'environnement positifs. Il est regrettable que l'entreprise ne se soit pas interrogée sur la présence de salmonella agona pendant plusieurs années alors qu'on en avait trouvé en 2005.
Pendant toutes ces années, il y a eu des autocontrôles d'environnement positifs aux salmonelles qui ne vous ont pas été transmis alors que vous les aviez demandés ?
C'est bien cela. Lors de l'inspection des établissements, la remise des autocontrôles est un des éléments de vérification du PMS.
Les services ont fait leur travail par rapport aux instructions données, car les fréquences d'inspection ont été respectées. Lorsque la crise est survenue, l'alerte de Santé publique France a été lancée le vendredi 1er décembre. Dès la fin de l'après-midi, les services du préfet demandaient des informations sur les données de contrôles. Il y a une réactivité forte à mon avis des services du préfet à ce moment-là. Une investigation judicaire a été lancée, une perquisition a eu lieu, et j'ai dépêché la BNEVP pour m'assurer que toutes les mesures de sécurisation étaient prises. Dans la mesure où le préfet avait signé un arrêté pour suspendre l'activité de l'entreprise, j'ai considéré que la sécurité était assurée. Il y a quelques semaines, j'ai dépêché une inspection de la BNEVP avec l'Anses : je ne peux imaginer donner le feu vert à la reprise de l'activité de l'usine si le déroulé des faits n'est pas clairement établi et si je ne dispose pas de toutes les mesures décidées pour éviter la réitération de ces événements. La complexité du dossier fait que M. Besnier a déclaré que la tour n° 1 ne redémarrerait pas. J'ai un questionnement sur la tour n° 2... Lactalis devrait nous fournir un dossier détaillé très prochainement.
Lors de l'inspection que nous avons faite avec l'Anses, nous avons constaté que le lait qui entre dans l'usine fait l'objet de trois pasteurisations assez fortes, une atomisation est ensuite réalisée pour produire la poudre. Il est a priori établi que la poudre qui sort de la tour d'atomisation est exempte de salmonelles. Elle est donc contaminée dans les salles de réception ou de conditionnement, d'où l'importance des contrôles environnementaux. Des prélèvements sur les personnels ont été réalisés et ils sont tous revenus négatifs. Il n'est donc pas impossible que l'origine de la souche soit restée dans l'usine durant toutes ces années et qu'elle se soit développée à l'occasion de nettoyages et de désinfections, puisque les salmonelles se multiplient au contact de l'eau.
Je tire de cette crise cinq enseignements. D'abord, nous devons revisiter le dispositif de maîtrise du danger salmonelle dans les poudres de lait, notamment infantiles. Le traitement thermique donne un sentiment de sécurité mais la contamination ultérieure est possible. Nous avons lancé un processus d'inspection d'ici fin mai de toutes les usines françaises qui fabriquent des poudres de lait, infantiles ou non. J'ai d'ailleurs réuni les directeurs départementaux concernés il y a une dizaine de jours. Nous allons revérifier l'ensemble des installations et des PMS. L'Anses nous aidera à modifier, si nécessaire, certains processus de production afin de protéger les salles en sortie de poudre. Ainsi, il faudra s'interroger sur d'éventuels locaux en surpression.
Deuxième enseignement : il convient de renforcer l'obligation d'information des autorités lorsque des anomalies sont constatées, y compris lorsqu'il s'agit d'autocontrôles d'environnement. M. le ministre a souhaité qu'à l'occasion du prochain projet de loi, cette transmission soit obligatoire alors que tel n'est pas le cas aujourd'hui pour des produits qui ne sont pas mis sur le marché ou pour les autocontrôles d'environnement positifs.
Troisième enseignement : nous nous sommes rendu compte que la traçabilité des produits devait être améliorée, car nous avons constaté des déficiences lors du rappel des produits dans la grande distribution.
Vous avez raison.
Quatrième point : nous devrons améliorer l'information des consommateurs. Nous devrons aussi procéder à un retour d'expérience. Le ministre a souhaité que le Conseil national de l'alimentation soit mis à contribution.
Dernier point : la répartition des compétences doit être clarifiée entre les administrations. La DGAL devrait s'assurer du suivi de la qualité sanitaire des produits au moins au niveau microbiologique. Avec la DGCCRF, nous sommes bien conscients que nous pouvons encore améliorer le dispositif.
Il est toujours difficile pour des parlementaires d'intervenir dans ce type de dossier en sachant que la santé est en jeu, mais aussi qu'il en va de la compétitivité d'entreprises qui subissent une concurrence effrénée.
En outre, vous devez assurer des contrôles rigoureux alors que vos effectifs ont diminué.
En dix ans, vous avez réalisé seize contrôles qui se sont révélés négatifs. Des autocontrôles ont en revanche révélé la présence de salmonelles, mais ces résultats n'ont pas été communiqués à vos services. Avez-vous demandé ces autocontrôles ? Ne vous ont-ils pas été transmis sciemment ?
Le partage de compétences entre la DGCCRF et la DGAL nous apparaît abscons. Est-il pertinent ?
En 2014, la Cour des comptes avait pointé le conflit d'intérêt de votre administration à la fois chargée du développement et du contrôle. Vos contrôles ne risquent-ils pas d'être trop bienveillants ?
Le service des enquêtes de la DGCCRF et celui de la DGAL ne mériteraient-ils pas d'être mutualisés ?
Merci pour la clarté de votre exposé qui permet, même aux néophytes, de comprendre les enjeux de ce débat. Il est surprenant que l'entreprise n'ait pas pris de mesures énergiques alors que ses autocontrôles démontraient la présence de salmonelles. Cette entreprise était Iso9000, Iso14000, Iso22000 : elle aurait dû tendre vers l'excellence et la transparence. Vous trouverez certainement les causes de cet incident qui aurait pu avoir des conséquences beaucoup plus graves.
Comment faire pour retirer les lots dans la grande distribution ? Allez-vous vérifier si les procédures ont été bien appliquées et s'il ne faut pas les renforcer ?
Le CETA, accord commercial entre l'Union européenne et le Canada, est entré en vigueur à titre provisoire le 21 septembre dernier : un contingent annuel de 65 000 tonnes de viande bovine sera importé en Europe. Au-delà de l'aspect concurrentiel, c'est bien la qualité de la viande qui est menacée. Les bêtes françaises sont nourries à 85 % d'herbe tandis que les bêtes canadiennes et brésiliennes sont nourries dans des parcs industriels à 80 % de maïs OGM, souvent assortis de farines animales, sans compter les compléments hormonaux. Pas moins de six stimulateurs de croissance hormonaux sont homologués au Canada. Comment la DGAL compte-t-elle protéger les consommateurs, les éleveurs et la qualité de la viande dans un tel contexte de libéralisation du marché européen ?
Vous avez évoqué un travail de benchmarking. Pourriez-vous donner des éléments de comparaison avec d'autres États, notamment en matière de contrôle ?
Merci pour votre intervention. Je voudrais rendre hommage aux équipes sur le terrain qui assurent la sécurité sanitaire des aliments que consomment nos compatriotes. Beaucoup de pays envient notre système. Comment contrôlez-vous les produits que nos concitoyens consomment et qui viennent de l'Union européenne et du reste du monde ?
Vous voulez renforcer la surveillance des autocontrôles d'ambiance : jusqu'où voulez-vous aller ? Jusqu'aux manches à balais ?
La traçabilité entre l'usine et le premier client ne pose pas de problème. Mais le produit peut connaître jusqu'à quatre clients successifs avant d'arriver au consommateur : il conviendrait d'assurer la traçabilité de toute la chaîne.
Vous avez annoncé que toutes les usines de poudre de lait allaient être contrôlées. Cela signifie-t-il que l'affaire Lactalis pourrait se reproduire dans d'autres établissements ? Savez-vous si les autres fabricants ont renforcé leurs contrôles ?
Combien de contrôles avez-vous effectué auprès du personnel et s'agit-il de contrôles réguliers ? Les contaminations sont sans doute manu-portées, d'autant que les sérotypes retrouvés chez Lactalis sont plutôt rares. Plusieurs lots ayant été contaminés, la contamination a certainement eu lieu à différentes reprises, ce qui pourrait signifier que des personnes sont porteuses de ces salmonelles.
Renforcer les contrôles d'ambiance, certes, mais alors il faut aller jusque chez les consommateurs, n'est-ce pas ?
Toutes les personnes que nous avons reçues déclarent avoir fait correctement leur travail, y compris le directeur de Lactalis, qui affirme avoir prévenu tous ses clients, les distributeurs, la DGCCRF et la DGAL.
Les difficultés rencontrées lors du retrait des lots dans la grande distribution mais aussi chez les pharmaciens viennent aussi du fait que les consommateurs ne savaient pas exactement où trouver les informations complètes. Le dispositif « Alerte enlèvement » est efficace : ne conviendrait-il pas de créer une « Alerte sanitaire » avec un seul numéro, un seul site Internet où les consommateurs trouveraient toutes les informations ?
Je n'ai pas dit que nous avions fait correctement notre travail, j'ai simplement expliqué ce que nous faisions et j'ai indiqué qu'à mon avis, la DDPP avait rempli ses obligations. Je vous ai exposé notre méthode et décrit les contrôles auxquels nous sommes soumis.
La vérification des autocontrôles fait partie des points d'inspection. Nous avons repris l'ensemble des rapports d'inspection, qui concluaient tous à la conformité. Je n'irai pas jusqu'à dire que l'entreprise a enlevé de la pile d'autocontrôles les résultats positifs. En fait, il est difficile pour un inspecteur de contrôler des centaines, voire des milliers d'analyses : quand l'entreprise, à la demande de la DDPP, a commencé à transmettre par voie informatique l'ensemble des données, il a fallu que la DDPP lui demande de ne transmettre que ce qui n'était pas conforme, sans quoi il aurait été impossible de faire le tri.
C'est une question extrêmement importante. Nous confirmez-vous que tous les autocontrôles avaient été transmis par l'entreprise ?
Les rapports d'inspection indiquent que tous les autocontrôles transmis étaient conformes. Tous les autocontrôles ont-ils été fournis ? Je l'ignore. L'investigation judiciaire le dira. En 2017, non, ils n'ont pas été fournis puisqu'il a fallu les réclamer.
Le partage des compétences, que vous avez qualifié d'abscons, reste-t-il pertinent ? Nous en discutons, et il est question de réviser le dispositif et le protocole de 2006.
Vous avez parlé de conflit d'intérêts potentiel.
Je lui avais écrit, et je rappelle, que la DGAL ne fait pas du développement. Direction régalienne, elle conduit en toute indépendance des missions d'inspection et de contrôle : nous ne sommes pas là pour faire du conseil ! Je demande avec force aux préfets d'être très attentifs à la suite donnée à nos inspections. Et la brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires nous amène à travailler beaucoup avec la Justice.
Mutualiser ? Les champs ne sont pas exactement les mêmes. Les services de la DGCCRF se préoccupent de concurrence, de loyauté de la transaction et effectuent les contrôles de première mise sur le marché ; nous nous focalisons plutôt sur l'aspect sanitaire. Dans l'investigation initiale, la DGCCRF était en charge du rappel des produits, et l'enquête judiciaire a été ouverte car des anomalies ont été identifiées par Santé publique France. En revanche, l'agrément sanitaire en tant que tel dépend de nous, comme la capacité à conduire les inspections correspondantes. Sans doute faut-il revisiter cette ligne de partage pour rendre plus cohérente la répartition des compétences. Nous n'avons pas de compétences liées au code du commerce ou aux règles de concurrence, et la DGCCRF n'en a pas sur l'aspect sanitaire - comme elle l'a rappelé à plusieurs reprises.
Oui, il est choquant que l'entreprise n'ait pas pris de mesures de transparence. Quant à la grande distribution, elle s'est montrée fortement défaillante : un rappel avait été exigé à la suite d'un problème de santé publique ! Certes, c'était à une période de boom commercial, quelques jours avant Noël, mais cela n'excuse pas que le tri n'ait pas été fait dans les rayons. Vu le nombre limité de boîtes qui y étaient et compte tenu du risque, il suffisait, quitte à enlever trop, d'enlever tout. Cette incompréhensible défaillance ne doit pas se reproduire. Un retrait de produits est quelque chose d'assez courant ! Et la liste des lots avait été mise sur Internet.
Comment protéger le consommateur dans le cadre des accords internationaux ? Ces accords sont négociés par les États membres et par la Commission européenne. Les règles sanitaires sont européennes et il nous appartiendra de vérifier par des contrôles à l'importation, selon des règles européennes, que les produits respectent bien les standards que l'on impose aux pays concernés.
Un cabinet privé a étudié pour le compte des autorités néerlandaises les moyens consacrés à l'inspection dans les différents États-membres pour les contrôles en remise directe. La France y consacre 0,3 euro par habitant et par an ; les Pays-Bas, 1,5 euro par habitant et par an ; la Belgique, 1,7 euro et le Danemark, 2,4 euros.
Des contrôles aux frontières sont réalisés sur les points d'entrée des produits ou des animaux vivants sur le territoire de l'Union européenne. Il s'agit des postes d'inspection aux frontières (PIF). C'est là qu'un produit est contrôlé et dédouané, avant d'être mis en libre circulation - mais le Brexit nous amènera peut-être à remettre en place des contrôles aux frontières avec le Royaume-Uni.
Les autocontrôles d'ambiance ou d'environnement sont très intéressants : en sortie de tour, le produit est généralement stérile. C'est après qu'il est contaminé, dans la salle de conditionnement, pour peu que de la poudre tombe de la tour d'atomisation. On a donc beaucoup plus de chances de trouver des salmonelles en faisant des contrôles d'environnement : sur des manches à balai, par des prélèvements en surface, etc. Par exemple, on a trouvé des salmonelles sur les roues d'un Fenwick ! Même, il serait intéressant d'effectuer des contrôles dans les élevages : on trouve des salmonelles dans les élevages de bovins comme dans les élevages de volailles. Les salmonelles sont des entérobactéries, et si du lait est contaminé, les produits de transformation le seront aussi. En fait, moins de 3 % des élevages sont porteurs de salmonelles, et il y a peu de vaches contaminées. Il s'agit d'identifier ces vaches pour les éliminer de la chaîne de production. Il faut aussi mettre en place des procédures : le chauffeur ne doit pas pouvoir accéder à la salle où la poudre est conditionnée, etc. Il en va de la maîtrise de la qualité sanitaire des produits ; à cet égard, nous avons besoin de l'expertise scientifique de l'Anses.
Contrôlons-nous l'ensemble des établissements ? Pas question d'attendre un deuxième accident ! Une grosse trentaine d'usines fabriquent de la poudre, soit un maximum de trois ou quatre dans un département donné. Il importe que nous vérifiions chacune, et que nous nous assurions que les autocontrôles y sont bien effectués - mais je suis sûr que les industriels ont déjà renforcé leurs dispositifs. Nous devons enfin collecter des données pour améliorer notre évaluation scientifique.
Le contrôle du personnel est toujours un peu traumatisant, car les personnes contrôlées se sentent peu ou prou mises en cause. Tous les résultats étaient négatifs. Je ne crois pas que de tels contrôles doivent être systématisés : l'enjeu est plutôt de maîtriser les procédures d'hygiène.
Dans les salles, ce sont les surfaces qui sont contrôlées. Il n'est pas très utile de réaliser des contrôles de poudre à la sortie de la tour d'atomisation. Mieux vaut faire ces contrôles après conditionnement.
Oui, il faut renforcer le dispositif de traçabilité vis-à-vis du consommateur. Les numéros de lots ne permettent pas de retracer suffisamment l'origine. Nous pourrions sans doute, à l'avenir, exploiter les données des tickets de caisse et des codes-barres.
Merci pour ces propos très clairs et très enrichissants.
La réunion est close à 17 h 45.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.