Mes chers collègues, pour l'instruction de notre étude sur les risques naturels majeurs dans les outre-mer, nous poursuivons ce matin notre cycle de visioconférences avec les territoires et nous partons pour Wallis-et-Futuna où il est déjà 19h30. Je remercie nos interlocuteurs d'avoir accepté notre proposition de rencontre en dépit de l'heure tardive. Je dois en outre excuser notre collègue Robert Laufoaulu qui, victime de la rareté des vols et de la discontinuité territoriale, n'a pu se joindre à nous.
Compte tenu du décalage horaire, les occasions sont rares d'entrer en contact directement avec vous, mais nous avons à coeur de prendre en compte l'ensemble de nos territoires. Wallis-et-Futuna n'est pas l'un des moins exposés aux risques naturels majeurs, nous avons encore pu le vérifier récemment avec la dépression cyclonique Gita. Les vulnérabilités de Wallis-et-Futuna ne sont pas exactement les mêmes et notre étude embrasse non seulement le risque cyclonique mais également le risque sismique, le risque de submersion ou encore les risques d'inondation ou de glissement de terrain. Nous souhaitons donc, sur la base de la trame que nous vous avons transmise, examiner concrètement avec vous les questions de prévention, de déclenchement de l'alerte et de gestion de crise, problématiques traitées dans le cadre du premier volet d'une étude qui comprendra ultérieurement un volet centré sur les problématiques de reconstruction et d'organisation de la résilience de nos territoires.
À ma droite se tient le sénateur de Saint-Martin, M. Guillaume Arnell, sénateur de Saint-Martin, coordonnateur de l'ensemble de l'étude. Notre collègue Mathieu Darnaud, sénateur de l'Ardèche, qui ne peut être parmi nous, et Mme Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, sont les deux rapporteurs de ce premier volet. Mme Vivette Lopez, sénatrice du Gard, est également présente à nos côtés.
Nous aimerions que vous nous présentiez les risques naturels majeurs identifiés sur votre territoire, ainsi que la chaîne d'alerte, la répartition des rôles et les moyens humains et matériels dont vous disposez.
Je représente M. Jean-Francis Treffel, le préfet, administrateur supérieur des îles Wallis-et-Futuna qui est en mission en métropole. M. Gaël Rousseau, chef des services du cabinet du préfet, qui supervise la politique de sécurité civile va se charger de la présentation que vous nous avez demandée.
Je souhaite tout d'abord vous rappeler la situation particulière du territoire qui, régi par un système terrien coutumier, ne dispose ni de cadastre ni de règles d'urbanisme. Il n'y a pas, à Wallis-et-Futuna, de schéma de cohérence territoriale (SCOT), de plan local d'urbanisme intercommunal (PLUI) ou de plan local d'urbanisme et de l'habitat (PLUH). Le préfet, contrairement aux autres départements ou aux autres territoires, ne peut pas exproprier ou obliger les propriétaires à procéder à des aménagements aux abords des voiries ou en bord de mer. Aucune mesure d'interdiction de construction, d'aménagement ou de protection ne peut être prise. Tout se fait à l'amiable, en fonction de la bonne volonté de la population. Quand les propriétaires terriens veulent faire, ils font ; quand ils ne veulent pas faire, ils ne font pas. C'est notamment le cas des zones qui, en raison de la disparition de la mangrove, sont soumises aux effets de submersion en cas de fortes marées ou de houles cycloniques.
Le même constat de carence peut être établi pour les risques liés aux cyclones, aux séismes et aux tsunamis. Il n'y a pas de bassins de rétention et les constructions de digues ne sont pas faites. Le constat est un peu dur mais c'est la réalité de choses !
Le constat que vous faites limite le champ de nos interventions mais les risques sont bien présents !
Les risques sont là et ils sont bien identifiés.
Commandant Serge Gombert, conseiller technique en sécurité civile auprès du préfet, détaché de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. - Les moyens d'alerte en cas de cyclone ou de tempête reposent sur la vigilance de Météo France qui nous envoie des bulletins météorologiques. En fonction de leur contenu, nous sommes amenés à mettre en place - ou pas - notre cellule de crise et à déclencher des niveaux d'alerte.
En ce qui concerne les risques de séisme ou de tsunami, nous sommes en relation avec l'Institut de recherche et de développement (IRD) de la Nouvelle-Calédonie et avec le Pacific tsunami warning center d'Hawaï qui nous envoient des alertes par mail. Les communications téléphoniques sont parfois difficiles car ces sites n'ont pas la possibilité de nous téléphoner directement. Nous avons demandé que les informations transitent par l'état-major de zone, situé à Nouméa, à charge pour lui d'appeler les services du cabinet chargés de la sécurité civile pour le déclenchement de l'alerte interne sur le territoire.
Nous avons également une difficulté : nous avons été sollicités récemment par le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) pour payer l'entretien des deux marégraphes installés, l'un sur Wallis et l'autre sur Futuna. Nous ne sommes pas en mesure de le faire.
Pour les autres risques naturels, comme les glissements de terrain, l'alerte se fait directement par une chaîne d'alerte spécifique qui est décrite dans le dispositif d'organisation de la réponse de sécurité civile (ORSEC), à savoir une chaîne d'alerte interne pour Futuna et une autre pour Wallis. Le cabinet du préfet reçoit les informations et les retransmet aux services de gendarmerie et de pompiers. Ensuite, la cellule de crise est activée.
Nous avons mis en place récemment un système d'alerte et d'information des populations via un système de messagerie par téléphonie mobile. Ce système local est fragile car nous n'avons pas la main dessus. Des messages-types préformatés pour chaque événement particulier, limités en nombre de caractères ont été rédigés par les services du cabinet du préfet. Ils sont adressés au chef du service des télécommunications qui les envoie aux abonnés, soit à Wallis, soit à Futuna, soit vers les deux îles. Ce dispositif est testé tous les premiers mercredis du mois, à chaque essai de sirène. Le délai moyen pour que le dernier abonné reçoive le message d'alerte est de quinze minutes.
Les sirènes tsunami, 9 à Futuna et 7 à Wallis sont notre dernier moyen d'alerte. Mais la moindre panne du système de déclenchement des sirènes nous paralyse car nous n'avons aucune compétence technique et ne disposons ni de technicien, ni de contrat de maintenance.
Je voudrais ajouter une précision sur le recours à l'alerte par sms. La particularité du territoire est que le service des postes et télécommunications est un service de la collectivité. Son chef est un agent placé sous l'autorité du préfet, chef du territoire ; il n'y a donc pas de difficulté pour obtenir la transmission de messages, de réticence de la part de l'opérateur, mais la difficulté vient de la couverture sur l'ensemble des îles, notamment celle de Futuna, et du taux d'équipement des populations en téléphones mobiles. Le service des téléphones mobiles a été mis en place à Wallis-et-Futuna en décembre 2015 et toute la population n'est pas encore équipée.
À la suite des événements climatiques sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et à notre demande, le président Gérard Larcher a privilégié la création d'une mission d'information plutôt qu'une mission d'enquête, forcément accusatrice. Nous avons pour ambition d'écouter les témoignages et de faire des préconisations. À la lueur de ce que nous venons d'entendre et qui est inédit par rapport à l'ensemble des autres territoires, j'espère qu'elles auront des conséquences positives pour votre collectivité. La quasi-absence de tout nous interpelle fortement. Notre rapport devra insister sur le fait que l'ensemble du territoire national devrait disposer de conditions de sécurité équivalentes.
Je suis étonnée de constater que vous ne disposez pas de service d'urbanisme, de mesures de protection ou de prévention identiques à celles de nos îles. Cette situation est-elle le résultat d'une volonté de maintenir les choses en l'état ou est-il possible d'envisager une mise en conformité progressive par rapport à la législation française ?
Quels sont vos principaux besoins en matière de prévention et de protection des habitants ?
La problématique de foncier - et notamment le fait que le droit coutumier soit le principal droit applicable pour la gestion des terres et des biens sur le territoire -, est bien connue de la délégation qui en a fait l'objet d'une de ses études.
Pourriez-vous nous confirmer que vous ne disposez pas d'un plan de prévention des risques naturels (PPRN) ?
Vous avez dit que vous vous basiez sur les informations données par Météo France. Lorsque Météo France est chargée de donner l'alerte, qui fabrique les bulletins météo, qui suit les cyclones ? De quels moyens dispose Météo France ? J'ai compris que vous étiez en relation avec Nouméa, - mais Nouméa c'est loin - et exceptionnellement avec Hawaï. Vous n'avez que deux marégraphes. Vous avez parlé d'une chaîne d'alerte et d'un dispositif ORSEC. Je suppose qu'il s'agit d'un document écrit qui pourrait nous être communiqué.
Pourriez-vous confirmer que votre système d'alerte téléphonique n'est pas seulement constitué de sms mais qu'un message est diffusé ? Ce message programmé touche-t-il la totalité de la population ? Dans certaines autres îles, même si le mobile s'impose de plus en plus, on passe aussi par les téléphones fixes avec des messages et un rappel systématique tant que vous n'avez pas manifesté votre présence.
Considérez-vous que votre système d'alerte tsunami par des sirènes est satisfaisant ? Quelles préconisations souhaiteriez-vous voir reprises dans le rapport de notre délégation ?
Pour répondre à la question de Mme Jasmin concernant la compétence sur le foncier, je rappellerai que depuis la loi statutaire du 29 juillet 1961, publiée dans le contexte de la guerre d'Algérie, le texte qui organise les institutions à Wallis-et-Futuna confie au préfet, chef du territoire, énormément de pouvoirs. Le préfet est ici, par exemple, président du conseil de l'ordre des médecins. Cet équilibre institutionnel est basé sur un triptyque : le préfet, les élus de l'assemblée qui votent des délibérations que le préfet rend applicables ou non, et les chefferies des trois rois - le roi de Wallis et les deux rois de Futuna. Le statut de 1961 a confié la compétence du foncier à l'assemblée territoriale. En 1967, l'assemblée territoriale a pris une délibération pour organiser la mise en place de documents d'urbanisme. Mais pour ne pas contrarier les autorités coutumières et notamment le roi Lavelua Tomasi Kulimoetoke - qui a régné près de cinquante ans -, la délibération n'a jamais été exécutée.
Si la compétence appartient à l'assemblée territoriale, elle est de fait exercée par les coutumiers. Cette situation nuit également au développement économique du territoire. Aujourd'hui, on a l'internet des années 90, transmis par satellite. Dans les prochaines semaines un câble numérique sous-marin nous reliera à Samoa et Fidji. Il va permettre au territoire d'entrer dans l'ère du numérique. Mais, en dépit d'une fiscalité intéressante, tant que le foncier ne sera pas sécurisé, il sera difficile d'attirer des entreprises.
Sur le papier, les élus ont la compétence pour délibérer sur la création d'un droit de l'urbanisme, mais ils ne l'exercent pas.
Wallis-et-Futuna est le seul territoire de la République sur lequel la décentralisation n'a pas eu lieu. Lors de sa visite en décembre 2016, le président Hollande avait déclaré que l'État était prêt à accompagner les Wallisiens et les Futuniens dans une réforme statutaire, à condition que les élus expriment leurs souhaits. Nous sommes toujours dans cet équilibre où les coutumiers veulent garder la gestion du foncier et ne pas confier trop de compétences aux élus. Ces derniers voudraient récupérer l'exécutif tout en laissant le foncier aux coutumiers. À l'heure actuelle, les décisions sont prises à l'amiable. Ainsi, pour installer des panneaux d'alerte tsunami, il a fallu négocier longuement avec les chefs du village et les coutumiers qui, finalement, ont bien compris l'intérêt de la chose.
Il en est de même en matière de protection de l'environnement. Les îles de Wallis et de Futuna ont une population de 12 000 à 13 000 habitants. Nous sommes dans l'incapacité d'établir des règlements pour lutter contre la pollution du lagon et des zones de captage, générée par les 35 000 cochons.
Nous espérons que les Assises de l'outre-mer et l'arrivée du haut débit nous permettront d'avancer, avec les autorités coutumières, sur la sécurisation du foncier.
Enfin, malgré l'authentification de l'administrateur supérieur de l'époque, le découpage de certains terrains vendus à l'administration dans les années 1960 commence à être remis en cause.
Depuis les années 1970-1980 il y a une séparation des services entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna. Jusqu'à très récemment le commandement de la gendarmerie se trouvait en Nouvelle-Calédonie. Désormais, s'il en dépend en matière de soutien logistique, le commandant Pascal Cwiek est le commandant pour Wallis-et-Futuna. Sur notre territoire, Météo France est l'un des derniers services encore rattaché à la Nouvelle-Calédonie.
Nous formons une petite équipe de cinq agents. À la suite de la détérioration de notre installation et dans l'attente de la construction d'un nouveau bâtiment, nous travaillons dans celui de l'aviation civile.
Lors d'un phénomène tropical, à Wallis-et-Futuna, nous suivons les prévisions en concertation quotidienne avec le centre de prévision de Nouméa. Nous faisons tous les matins un briefing de la situation en les confrontant avec ce que nous observons sur Wallis et avec les capteurs de Futuna car nous n'avons plus de présence humaine sur Maopo'Opo. Ces données sont communiquées de manière régulière par des messages envoyés sur le réseau toutes les demi-heures. Les données collectées sont suffisamment nombreuses pour permettre de faire des prévisions.
En cas de formation d'un phénomène sur un rayon de 750 kilomètres de part et d'autre de Wallis-et-Futuna, nous sommes tenus d'en informer l'administration. Nous mettons en place des contacts réguliers avec la Nouvelle-Calédonie pour suivre l'évolution du phénomène. Nous émettons des bulletins d'alerte météorologique. C'est sur la base des propositions de Météo France que sont lancées une pré-alerte, une alerte de niveau 1 ou de niveau 2. Nous sommes en relations régulières avec la préfecture pour toute prise de décision mais la décision finale appartient à l'administration supérieure.
En 2018, Météo France a mis en place quelques nouveautés avec notamment la production, depuis le 16 janvier, d'un bulletin quotidien d'activité cyclonique, avec une échéance de sept jours, sur tout phénomène susceptible de se former sur le bassin du Pacifique. Lorsqu'un phénomène se confirme, par exemple une dépression tropicale susceptible de menacer notre territoire, nous émettons également des bulletins d'information cyclonique toutes les six heures. Cette information est diffusée par mail et figure notamment sur notre page Météo NC. Nous faisons un effort pour mettre l'information à disposition de la population de Wallis et de Futuna.
Nous émettons également des bulletins de météo marine, accessibles par la population.
Je vous ai dépeint un tableau noir qui, certes, est la réalité des choses mais je voudrais apporter également quelques nuances. Disposant d'une barrière de corail, large et présente quasiment partout, Wallis est davantage protégée des tsunamis et des houles cycloniques. Elle est moins soumise aux aléas climatiques que Futuna. De ce fait, le nombre de sirènes y est inférieur à celui de Futuna. Je rappelle que 230 kilomètres séparent les deux îles.
Les sirènes fonctionnent dans la mesure où elles sont maintenues en état de marche, ce qui est délicat car la préfecture ne dispose pas d'un budget de sécurité civile digne de ce nom. La seule ligne est celle qui est donnée par la direction générale des outre-mer, de l'ordre de 80 000 à 100 000 euros par an alors que nos besoins en sécurité civile pour tout le territoire sont de l'ordre de 1,4 million d'euros. Il nous faut faire des choix, notamment en matière de sirènes. Ainsi, nous ne procédons pas à certaines maintenances annuelles. La conséquence en est une situation dégradée.
Depuis l'arrivée du commandant Gombert au sein de l'administration supérieure il y a deux ans, nous essayons de mettre en place une convention de maintenance. Mais cela demande du temps et de la technicité. L'absence d'un technicien sirène radio-satellitaire sur le territoire constitue un point de faiblesse important. Nous sommes en contact avec la direction générale de l'outre-mer (DGOM) et nos collègues de la Nouvelle-Calédonie, et les négociations devraient aboutir cette année ou l'an prochain.
Nous ne recevons pas de messages car le système ne le permet pas. Des sms d'alerte sont envoyés sur les mobiles à destination soit de Wallis, soit de Futuna, soit des deux îles.
Nous aimerions que soient réalisées des études chiffrées sur la protection, le déplacement des installations techniques et les phénomènes d'exposition aux risques. Nous manquons d'ingénierie territoriale. Depuis mon arrivée, il y a six mois, je me suis posé la question des glissements de terrains sur Futuna. De mémoire d'hommes, il n'y en a pas eu qui soient significatifs mais cette île a un relief accidenté. À ce jour, aucune étude n'a été faite sur ce sujet.
Nous souhaiterions un renforcement organisationnel et financier des secours en intégrant directement au sein du budget de l'administration supérieure, comme cela peut exister un peu partout ailleurs, un budget de sécurité civile.
Compte tenu de notre mobilité statutaire nous restons sur le territoire entre deux et quatre années. Nous n'avons pas forcément la mémoire des choses. Or, en matière de gestion de crises, de prévisions, cette mémoire-là est importante. Pour assurer la continuité, nous essayons, avec les moyens qui sont les nôtres, de former des cadres wallisiens.
Nous essayons d'identifier et de mettre en avant des citoyens qui deviennent acteurs de la gestion de crise. Nous n'avons pas de cadet de la sécurité civile, ni de jeunes sapeurs-pompiers ou de sapeurs-pompiers volontaires. Avec le commandant Gombert, nous travaillons à la mise en place d'une chaîne de sécurité civile. Il va vous expliquer la particularité des sapeurs-pompiers de Wallis-et-Futuna.
Commandant Serge Gombert, conseiller sécurité civile auprès du préfet. - Les sapeurs-pompiers sont gérés administrativement par la circonscription. Ils ne répondent à aucune obligation opérationnelle. Il n'y a pas de stratégie de préparation organisationnelle, pas d'obligation de résultat ou d'entraînement, pas de préparation du matériel. À mon arrivée sur le territoire, j'ai rencontré des sapeurs-pompiers pleins de bonne volonté mais qui, pour des raisons de financement, n'avaient pas suivi de recyclage en secourisme depuis 2012. Il n'y a aucune formation de spécialité. À Futuna, l'île la plus exposée à tous les risques et notamment aux glissements de terrain, il n'y a pas de chef d'équipe sauvetage-déblaiement ni de matériel adéquat.
Il y a 17 pompiers à Wallis et 12 à Futuna. Les budgets sont pris en charge par les circonscriptions d'Uvea à Wallis, d'Alo et Sigave à Futuna. En termes logistiques, les centres de secours sont des centres théoriques. À Wallis, tout a commencé dans un conteneur. Désormais, le bâtiment est encore relativement sommaire par rapport à un centre équivalent en métropole.
Le centre de secours de Futuna a encore moins de ressources. Il n'y a pas de centre de secours. Nous sommes hébergés dans un bâtiment prêté par la chefferie. Les pompiers sont hébergés dans des conditions indignes. Le garage pour le camion est en planches.
Nous avons de grandes difficultés pour les dépenses d'investissement. Si l'an passé nous avons pu acheter une ambulance à Wallis, en remplacement d'une voiture réformée, nous ne pouvons pas acheter de camion. Un camion de pompier, vieux de trente ans, est semi-opérationnel ; le second, vieux de vingt-cinq ans, est quasiment hors service. Lorsqu'un incendie survient, on essaie de protéger une ou deux maisons, puis on laisse brûler. Il n'y a pas d'autre stratégie possible. Le renouvellement des matériels est vital mais les budgets des circonscriptions sont contraints.
Il y a plusieurs années que nous n'avons pas procédé à des investissements car il n'y a pas suffisamment de ressources. La situation est encore plus difficile à Futuna où 90 % du budget est consommé par la masse salariale ; sur celle d'Alo, nous sommes à plus de 100 %. Techniquement, ce sont des circonscriptions en faillite !
Nous basculons des crédits d'investissement sur du fonctionnement pour équilibrer les comptes. Nous aurions besoin d'une dotation spécifique d'investissement.
Le statut du personnel est également une source de difficultés. Le cadre d'emploi des sapeurs-pompiers, commun aux deux îles, date de 2002. Mais il a été très mal rédigé et comporte énormément de lacunes. Les sapeurs-pompiers volontaires n'ont pas de cadre d'emploi. Nous sommes face à un millefeuille de textes juridiques dont certains, pris antérieurement à la création du cadre d'emploi sous forme d'arrêtés locaux, n'ont pas été supprimés.
Pour résumer, vous auriez besoin de personnel, de matériel et de financement, vous n'avez pas de sapeurs-pompiers volontaires et vous disposez de 29 pompiers qui dépendent de la collectivité et n'ont pas de corps professionnel.
Ils ont un cadre d'emploi qui se superpose avec le statut d'emploi local de 1976 qui est un statut d'agent public de droit privé.
Vous intervenez à la fois sur les incendies et les malaises, en complément des services d'urgence de santé. Je comprends l'immensité des besoins.
Nous assurons également les transports de corps, de malades pour l'hôpital car il n'y a pas de service d'ambulance.
Dire que nous nous plaignons sur nos territoires ! Nous avons compris l'ampleur de vos besoins. Nous relaierons les informations que vous nous transmettez et espérons être entendus. Pourriez-vous nous faire un retour d'expérience par rapport aux différents risques ?
À Wallis-et-Futuna, avez-vous des risques spécifiques et comment vivez-vous votre isolement ? Avec les 230 kilomètres qui séparent vos deux îles, vous êtes confrontés à de multiples insularités.
Autour de la table, nous avons tous vécu la dépression Gita qui n'était pas encore un cyclone lorsqu'elle est passée sur Wallis-et-Futuna. Elle a été gérée de façon cohérente avec le dispositif ORSEC dans la mesure où le phénomène avait été identifié relativement en amont par les services de Météo France. Il n'y a pas eu de montée en alerte sur Futuna car la pluie et les vents ne semblaient pas assez caractérisés pour passer en alerte cyclonique. Il n'y a pas eu de dégâts majeurs : quelques arbres et quelques poteaux électriques sont tombés. C'était durant la nuit et il n'y a pas eu de difficulté majeure de circulation. La dépression est arrivée à Wallis le matin. L'alerte a été mise en place en fin de matinée, avec le dispositif ORSEC. Une interdiction de circuler a été décidée entre la fin de la matinée et la soirée. Si l'électricité a été coupée sur les trois-quarts de l'île dès le début de l'après-midi, elle a été rétablie le lendemain en fin de journée. Les différents services de l'État et du territoire ont pu fonctionner. Durant tout le phénomène, le préfet a présidé la salle de crise. Même si tout n'a pas été parfait, la réponse apportée à la population a été adéquate par rapport au phénomène.
Le risque cyclonique est très identifié et nous arrivons à le gérer. Si des arbres tombent, nous faisons appel aux moyens locaux. S'il y avait eu des dégâts majeurs, nous aurions fait face avec les moyens locaux, ce qui n'aurait sans doute pas été suffisant. Il aurait fallu faire appel aux moyens zonaux de Nouméa. Mais pour arriver de Nouméa par voie aérienne, il aurait fallu au minimum sept heures, à condition que l'aéroport de Wallis permette l'atterrissage des avions militaires. Nous aurions également pu compter sur nos collègues australiens ou néo-zélandais mais il faut cinq jours à cinq jours et demi pour venir en bateau de Nouvelle-Zélande.
En cas d'urgence, vous pouvez faire appel à Nouméa qui se trouve à deux mille kilomètres. Avez-vous des conventions ou des accords avec Fidji ?
Fidji, qui a du mal à gérer son propre archipel, ne dispose d'aucun moyen propre lui permettant de venir nous secourir. La Nouvelle-Zélande envisage de leur donner des moyens militaires, notamment un navire, à l'horizon 2019 ou 2020. Même après cette date, les moyens, s'ils permettront peut-être d'apporter de l'eau ou de parer aux premières nécessités, ne suffiront pas en cas de cataclysme majeur sur Wallis-et-Futuna. Une collaboration existe déjà entre les États du bassin Pacifique et si accord devait être conclu, il le serait au niveau de la zone.
En termes de moyens météo, nous sommes dépendants de la zone de compétence des îles Fidji. Ce sont elles qui caractérisent le phénomène et qui le font passer de dépression tropicale à cyclone. Nous avons constaté que la décision avait été un peu tardive. Elle aurait sans doute dû intervenir entre six et douze heures plus tôt. Elle a été classifiée à 19 heures au moment où nous levions l'alerte à Wallis. Elle aurait dû l'être entre 9 heures et 11 heures. Nous n'avons pas de prise sur cette classification qui peut nous amener, parfois, à prendre des décisions tardives.
Dans la mesure où les contacts peuvent être rompus avec la Nouvelle-Calédonie, quand Météo France vous transmet son bulletin d'information cyclonique, avec un phénomène susceptible de menacer Wallis-et-Futuna, avez-vous au niveau de l'administration de l'État une organisation propre - pré-opérationnelle - avec des chefs de service pour anticiper ce qui va se passer, voir ce qu'il faudra faire immédiatement après ?
Nous avons un dispositif de pré-alerte, décrit dans le dispositif ORSEC, qui a fonctionné correctement lors du phénomène Gita. Les chefs de service viennent compléter les différentes cellules. Des zones refuges déjà pré-positionnées sur le territoire ont été définies en liaison avec les chefs coutumiers qui jouent le rôle important de courroie de transmission vis-vis de la population. Tout cela est identifié et mis en place en cas de besoin selon un schéma qui ressemble à celui de la métropole. Nous avons été jusqu'à préciser qui gère tel centre d'accueil, quel est le rôle de chaque chef de service selon le type de crise.
90 % de votre budget est consacré aux dépenses de personnel. Qu'en est-il de sa formation, de la vérification et de la maintenance des équipements ? Avez-vous un plan de formation, de gestion des emplois et des compétences ?
Ne faudrait-il pas apporter des modifications à la structure des cadres d'emplois qui ne permettent pas d'embaucher des sapeurs-pompiers volontaires ?
Dans la mesure où votre présence n'est pas inscrite dans la durée et compte tenu de votre volonté de former des emplois locaux, disposez-vous des moyens financiers nécessaires ?
Prévoyez-vous de faire l'acquisition de nouveaux matériels et notamment de véhicules de secours ?
Nous sommes sur des circonscriptions gérées par l'autorité administrative. À Uvéa, des fonctionnaires représentent le préfet. À Futuna, le délégué du préfet fait office de chef de circonscription. Dans ces circonscriptions, le conseil municipal, composé essentiellement de représentants des autorités coutumières, donne les orientations des dépenses, demande le remplacement des voitures des rois, le recrutement de personnes.... Les missions des circonscriptions sont quasiment équivalentes à celles des communes en métropole ou dans les autres outre-mer, mais les moyens ne sont pas comparables. Le territoire perd environ 1 500 habitants tous les cinq ans et la dotation globale de fonctionnement suit la diminution régulière de la population. Contrairement à d'autres territoires, Wallis-et-Futuna ne bénéficie pas de certaines dotations de l'État. Il n'y a pas de taxe d'habitation. La masse salariale est très importante et boucler un budget est un exercice difficile : c'est compliqué pour la partie fonctionnement ; ce l'est encore davantage pour la partie investissement. Les budgets ne sont pas suffisants pour répondre aux missions attendues.
Nous n'avons pas prévu actuellement de plan de formation d'un technicien car nous n'avons pas identifié la personne susceptible d'être concernée. Avec le chef de la zone maritime, nous allons essayer de trouver localement, peut-être dans les sociétés privées, quelqu'un qui serait susceptible de le faire. Nous essayons aussi de voir si le service des postes et télécommunications serait en capacité de mettre à disposition un technicien que nous pourrions former. En dernier recours, nous envisageons de demander une augmentation du plafond d'emploi pour recruter pendant un ou deux ans un technicien spécialisé en système d'information et de communication (SIC), formé sur les moyens radio-satellitaires et la gestion des sirènes afin d'apporter ce savoir-faire. La difficulté pour nous est d'identifier la personne ressource.
Par ailleurs, nous avons identifié au sein de l'administration supérieure une personne que nous formons sur la sécurité civile, mais la formation et la montée en compétence d'un cadre en sécurité civile prend plusieurs années.
Commandant Serge Gombert. - Depuis mon arrivée, j'essaie de dynamiser la formation des pompiers mais je me heurte à deux difficultés. La première est financière, car il n'y a aucune participation du territoire. Le président de l'assemblée territoriale considère que les pompiers remplissent une mission de sécurité civile et que celle-ci, conformément au statut de la loi de 1961, relève de l'État. Nous faisons avec les moyens dont nous disposons. La seconde difficulté tient au fait qu'à la suite du transfert de compétence de la sécurité civile vers le gouvernement en Nouvelle-Calédonie, les ponts ont été coupés avec Wallis-et-Futuna. Avant, la sécurité civile de Nouvelle-Calédonie aidait les pompiers de Futuna, les prenait en charge et avait mené quelques actions de formation. Depuis le transfert de compétences, Wallis-et-Futuna est seule. La sécurité civile de Wallis-et-Futuna est un client parmi d'autres de la sécurité civile de Nouvelle-Calédonie. J'essaie de remettre en place une convention de formation et de la faire prendre en charge en partie par les accords particuliers. J'ai rédigé une convention, avec un plan de formation sur cinq ans qui vise à remettre à niveau les sapeurs-pompiers, et ensuite à essayer de les rendre un peu autonomes vis-à-vis de la Nouvelle-Calédonie pour former des formateurs qui eux-mêmes pourront former des jeunes.
Le cadre d'emploi des sapeurs-pompiers dépend d'une superposition de textes plus ou moins acceptés par les personnels. Nous travaillons sur une réforme des statuts depuis 6 mois mais c'est très difficile car les personnels ont obtenu, à chaque strate de texte, de nouveaux avantages sans aucune contrepartie, notamment en matière de règlement intérieur, de règlement opérationnel. Le texte sur lequel nous travaillons contiendra un règlement intérieur, un cadre d'emplois fixant les règles, les missions, les obligations et les contraintes, le suivi des équipements de protection individuelle.
Les pompiers assurent-ils la sécurité aéroportuaire en cas d'accident d'avion ?
Commandant Serge Gombert. - À Wallis, un service de sauvetage et de lutte contre l'incendie des aéronefs (SSLIA) est assuré par les pompiers de l'aviation civile. À Futuna, pour l'aéroport de Vele, les sapeurs-pompiers appartiennent au service des travaux publics. Les pompiers des circonscriptions de Wallis et de Futuna n'assurent que les missions de secours, d'assistance à la population et de sécurité civile.
L'aéroport international de Wallis est un aéroport d'État qui dépend de la direction générale de l'aviation civile (DGAC). Les pompiers sont des agents de l'aviation civile. Celui de Futuna est un aéroport territorial, géré par la collectivité de Wallis-et-Futuna, et les pompiers relèvent du service des travaux publics. Les pompiers qui sont embauchés à l'aéroport ont le statut d'agent permanent du territoire. Parmi l'ensemble des pompiers, il y a des rattachements et des missions différentes ; plusieurs statuts coexistent : pompiers de circonscription, pompiers de l'aviation civile, pompiers du territoire.
Saint-Barthélemy est une petite île qui dispose de son propre système d'incendie et de secours, mais il y a un fonctionnement complémentaire entre le SSLIA et les pompiers professionnels et nous avons une convention de formation et de suivi de nos personnels avec la Guadeloupe.
Vous nous dites que la convention avec la Nouvelle-Calédonie n'existe plus mais, dans nos préconisations, nous pourrions souligner qu'il est indispensable que la formation des sapeurs-pompiers soit maintenue.
Compte tenu de la faible distance entre vos deux îles, est-il concevable de partager les équipements pour que l'une vienne au secours de l'autre en cas de besoin ?
La logique est implacable mais comment faire transiter les moyens entre Wallis et Futuna ? Pour pouvoir utiliser des bateaux, il faudrait procéder aux renforcements des quais ou à leur aménagement ; pour utiliser des moyens aériens, il faudrait déterminer de quels avions nous pourrions disposer et améliorer la piste de Futuna.
Nous avons le sentiment qu'il y a localement énormément de freins. Mais nous ressentons votre envie de faire évoluer la situation en dépit des difficultés et notre rapport aura pour objectif de vous aider dans cette tâche.
Vous dites que Wallis est préservée du fait de sa barrière de corail. N'y-a-t-il pas lieu de pré-positionner des secours ? Bien évidemment, les moyens lourds viendront ultérieurement en cas de catastrophe majeure.
Si nous n'étions pas animés par l'envie d'améliorer la situation, nous serions tous déjà rentrés en métropole. Je suis arrivé il y a six mois, volontairement. Je suis là pour deux ou quatre ans. Chaque jour, nous essayons de trouver des solutions. J'ai eu la chance de passer par la DGAC et c'est un monde que je connais bien. Il y a quelques mois, dans ma lettre au père Noël du territoire et de l'État, j'ai demandé 1,4 million au territoire et 1,4 million à l'État. Je veux bien que l'on puisse transférer des ambulances d'un territoire à un autre, mais quand vous n'avez pas de port ou d'aéroport digne de ce nom à Futuna, je ne vois pas comment, aujourd'hui, nous pourrions faire du pré-positionnement. Compte tenu de son état, comment pourrions-nous utiliser l'aéroport de Futuna pour le transport du matériel ? L'envie est là, le besoin est là. Nous essayons de trouver des réponses mais ce n'est pas facile. En plus, nous avons une population vieillissante et des déserts ruraux qui augmentent.
Il faut également s'interroger sur l'envie de la population de voir les choses changer. Les ATR42 ne peuvent pas se poser sur la piste de Vele, le décollage de nuit y est impossible. Il faut quitter Futuna avant 16 heures 30. Afin de disposer de la place nécessaire à la réalisation d'un balisage de nuit, les services de la préfecture ont proposé à quatre personnes d'être relogées à 300 mètres de leur habitation actuelle. Une indemnisation leur était proposée, la collectivité aurait procédé à la viabilisation de la zone et à la reconstruction de leur logement. Nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord. Quatre personnes bloquent le développement du territoire et les évacuations sanitaires ! Pour nous, apporter plus de sécurité, permettre les décollages de nuit, éviter que des gens meurent faute de transport sanitaire, développer le territoire apparaissent comme des évidences. Cet aéroport rénové permettrait des liaisons Fidji-Futuna, Futuna-Wallis, et d'améliorer la desserte régionale. Aujourd'hui, à Wallis, nous avons un avion le lundi et un avion le vendredi. Dans quelques semaines, nous aurons un avion le mercredi matin qui part de Nouméa à 1 heure du matin. C'est pour nous un projet d'intérêt général, mais les élus, les coutumiers élus de Futuna ne se sont pas mobilisés, et la population non plus.
Je comprends la singularité de votre situation. C'est un autre choix de vie. J'ai conscience que tout ne se fera pas du jour au lendemain.
Êtes-vous soumis à des risques sismiques ou de tsunamis ? Si tel est le cas, comment et par qui sont-ils gérés, avez-vous des plans d'évacuation ?
Vous avez évoqué la méconnaissance des autres risques sur le territoire. Nous avons eu la chance de nous rendre au BRGM et de voir ce qu'il a été capable de faire à La Réunion en mettant, à partir de photographies, tous les risques sur une carte. Cette solution est onéreuse mais elle est faite une fois pour toute.
Le risque de tsunami est bien identifié et des études poussées ont été réalisées à ce sujet. Nous avons un très fort risque de tsunami, autant à Wallis qu'à Futuna, avec la réserve que j'ai émise précédemment pour Wallis, protégée par sa barrière de corail. Futuna se trouve juste au-dessus d'une faille sismique qui passe entre Futuna et Alofi. Wallis en est un peu plus éloignée mais reste relativement proche.
Depuis le transfert de la sécurité civile vers le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, l'alerte tsunami ne vient plus de Nouméa. Nous recevons directement des mails de la part de l'IRD pendant les heures d'ouverture des bureaux. En dehors de ces périodes, les alertes sont transmises via internet ou Twitter à différentes personnes au sein du cabinet du préfet qui nous réveillent parfois au milieu de la nuit. Samedi dernier, il y a eu un séisme au Mexique et j'ai reçu une alerte tsunami à deux heures du matin. Ce système marche plutôt bien mais il nécessite une fiabilisation sur laquelle nous travaillons avec le haussariat de Nouvelle-Calédonie. Nous souhaitons que leurs permanents puissent nous appeler au cas où nous ne recevrions pas l'alerte sur nos mobiles personnels.
Commandant Serge Gombert. - Nous nous appuyons sur les études de l'IRD. Je me suis déplacé en Nouvelle-Calédonie pour avoir des éléments d'information complémentaires. Nous avons identifié trois risques de tsunami :
- un risque tsunami lointain, trans-Pacifique, qui viendrait du Japon ou de la côte ouest de l'Amérique du sud ; les îles de Wallis et de Futuna auraient un délai de plusieurs heures pour réagir avant d'être atteintes ;
- un risque de tsunami régional, venant du Vanuatu ou de Tonga ; le délai pour réagir serait de moins de deux heures ;
- un risque de tsunami local, notamment lié à la faille de Futuna ; le temps de réaction serait extrêmement court ; de plus, toutes les constructions de Futuna sont sur le bord de la mer et il n'y a pas de barrière de corail.
Une fois l'information transmise, nous disposons de plusieurs moyens pour alerter la population. Ce sont les sirènes déclenchées à partir de l'administration supérieure, depuis Wallis ou depuis Futuna, quand elles sont en état de fonctionner. Ensuite nous avons les hommes à pied - la gendarmerie, les pompiers qui font le tour des villages avec des mégaphones pour évacuer les populations - avec une chaîne d'alerte via le 17 et le 18. Nous utilisons également après les SMS, les médias et les réseaux sociaux. Nous utilisons tous les moyens possibles pour alerter la population rapidement. Nous avons mis des panneaux tsunami dans les zones à risques, avec des chemins identifiés d'évacuation vers les hauteurs. Les risques sont inclus dans tous les PPMS. Quand je fais les visites d'établissements recevant du public, je vérifie qu'ils sont à jour.
Nous sensibilisons tous les responsables d'établissements scolaires à l'existence des chemins d'évacuation. Une anecdote : lors d'une visite d'une école de Futuna, nous nous sommes aperçus que le chemin de repli tsunami était coupé par une tarodière d'eau. J'ai eu une réunion avec la chefferie et le prêtre - car la tarodière appartient à l'église - pour essayer d'aménager un chemin derrière l'école. Nous ne sommes pas parvenus à trouver une solution car elle était située sur un terrain cultuel. Il nous a fallu trouver une autre solution, sur un mode dégradé. Il faudrait prendre le chemin de la mer pour retraverser la route et repartir ailleurs. Nous éprouvons des difficultés à faire appliquer des règles simples.
Les Wallisiens et les Futuniens sont des catholiques très pratiquants. Il y a un désintérêt majeur de la population pour des événements liés à la sécurité civile. Ils s'en remettent traditionnellement toujours à Dieu. Si l'événement est arrivé, c'est que Dieu l'a voulu.
Le risque sismique en lui-même, sans parler de ses conséquences potentielles de tsunami, est-il réel ?
Commandant Serge Gombert. - D'après les documents dont nous disposons et l'IRD, le risque est essentiellement situé sur la faille de Futuna mais nous n'avons pas d'étude très précise. L'étude de l'IRD concerne le risque séisme-tsunamigène, c'est-à-dire un tsunami créé par un séisme dans les îles avoisinantes.
Je cède la parole à M. Patrick Chaize, spécialiste de l'aménagement numérique du territoire.
Les réseaux de communication et la fibre optique sont des facteurs de développement majeurs. Existe-t-il un projet de raccordement des deux îles ? Pourriez-vous nous dresser un état des lieux des réseaux actuels qui devraient être en cuivre ? Quels sont les taux de couverture en mobiles, en raccordement, de la population ? De quelle génération est la téléphonie mobile ?
Je comprends votre difficulté à faire évoluer les choses si vos préconisations n'intéressent pas la population. Les prêtres ne pourraient-ils pas être un relais avec la population ?
Dans le cadre de la stratégie numérique du territoire, nous sommes en train de développer un plan de déploiement terrestre du très haut débit. Mais on en revient à la problématique du foncier. Pour réaliser un déploiement terrestre, il faut installer des poteaux et des lignes mais même les routes peuvent être sujettes à des revendications foncières ; cela suppose de négocier âprement avec les autorités coutumières et les propriétaires terriens. Tout en continuant la couverture terrestre, nous étudions, avec les bureaux d'étude et les assistants techniques de l'Union européenne qui nous accompagnent dans ce projet, financé par le FED, la possibilité d'un déploiement de la 4G. Mais là encore, nous sommes contraints de négocier pour implanter chaque nouvelle antenne pour le téléphone mobile.
Nous vous transmettrons le taux de couverture par habitant. Le territoire a pris l'engagement auprès de l'Union européenne de faire en sorte que le haut débit soit accessible au plus grand nombre. Nous envisageons même de faire des zones de Wifi 100 % gratuite pour permettre à tout le monde d'accéder aux sites de l'administration, de la caisse de prestations sociales qui correspond à la caisse de retraite et d'allocations familiales.
Au lendemain du cyclone Irma, lorsque notre île a été coupée du monde, je peux vous assurer que la présence d'une dizaine de zones de Wifi gratuite, à différents endroits stratégiques, a permis aux gens de communiquer.
Notre document sur la stratégie numérique est à votre disposition. Nous pourrons vous transmettre notre plan de déploiement lorsqu'il aura été finalisé et adopté par l'assemblée territoriale.
Les responsables de l'Église catholique sont des partenaires importants sur l'ensemble de l'île. Nous passons par eux pour certaines demandes mais nous ne savons pas toujours d'où viennent les réticences.
Le câble n'est pas toujours fiable. Notre île a été coupée du monde pendant plusieurs jours car celui qui nous reliait à l'île voisine avait été coupé. L'enfouissement des fibres optiques est actuellement la meilleure solution.
Je ne voudrais pas que le tableau que nous avons dressé devant vous soit trop noir. Nous avançons à petits pas, au jour le jour, avec des solutions locales.
Sur les cyclones et les tsunamis, nous approfondissons notre connaissance des phénomènes qui se sont produits les années précédentes afin d'en tenir compte et d'améliorer la prévision de crise, la gestion de crise et le retour à la normale après la crise. Depuis mon arrivée il y a six mois, j'ai vécu deux alertes tsunami, deux séismes et un cyclone. Nous apprenons tous les jours, malgré l'absence de moyens, malgré parfois le cadre juridique. Ce n'est pas parce qu'on manque de cadre juridique qu'on ne cherche pas à en créer un ; ce n'est pas parce qu'on manque de moyens qu'on n'essaie pas de trouver d'autres solutions et parfois de réclamer aux portes du ministère de l'intérieur ou de la ministre des outre-mer quelques moyens supplémentaires qui, au vu du budget global de l'État, sont une goutte d'eau dans un océan.
Nous sommes conscients de vos réalités, de vos spécificités. Notre objectif n'est pas de faire un tableau noir mais de faire des propositions à partir de réalités du terrain. Nous continuons à militer au sein de la délégation pour que les normes soient adaptées aux territoires.
Le fait que vous soyez amenés à quitter le territoire tous les deux ou trois ans n'est-il pas trop court pour prendre conscience des réalités et mettre en place des stratégies ?
Le séjour des fonctionnaires est de deux ans, renouvelable une fois, soit au maximum quatre années. On peut avoir le sentiment que ce séjour est bref à l'aune du temps nécessaire pour s'habituer à un territoire, à une collectivité, à une météo, à un contexte culturel. Pour autant, notre action s'inscrit dans le cadre d'une équipe qui n'est pas composée uniquement de fonctionnaires. La préfecture comprend une vingtaine de fonctionnaires et quarante ou cinquante cadres locaux qui ont le statut d'agents permanents. L'objectif est de transmettre aux agents publics et aux collègues locaux ce savoir-faire, cette méthode et cette organisation. Quand on a la motivation d'agir pour un territoire, on peut faire passer des choses en quelques années ! Au-delà, on s'inscrit aussi dans une forme de routine qui n'est pas forcément très bonne.
Nous vous remercions pour le temps que vous avez consacré à cette audition et la franchise de vos propos.
Nous avons tenu un discours de franchise et vous remercions pour votre attention. Nous avons eu à coeur de vous dire les choses telles qu'elles sont et sommes très heureux d'avoir partagé ces moments avec vous.
Après notre visioconférence de ce matin avec les îles Wallis et Futuna, nous avons le plaisir d'accueillir ce soir :
- Mme Eva Quickert-Menzel, cheffe du département communication de crise et communication territoriale de l'État du Service d'information du Gouvernement (SIG),
- ainsi que M. David Julliard, sous-directeur délégué à l'information et à la communication du ministère de l'intérieur, que je connais de par de précédentes fonctions qu'il a pu exercer outre-mer, notamment dans les Antilles où il a été sous-préfet des Îles du Nord.
Madame, Monsieur, je vous remercie d'avoir répondu favorablement à notre sollicitation. L'information des populations est une donnée majeure de la gestion de crise, nous avons pu encore le vérifier lors du cyclone Irma qui a dévasté les Îles du Nord. Les services gouvernementaux exercent une responsabilité essentielle en la matière et nous souhaitons vous entendre sur la base de la trame qui vous a été communiquée par notre secrétariat.
Nous nous sommes coordonnés pour vous présenter ensemble les actions de nos deux services, qui travaillent nécessairement de concert dans la gestion des crises. Je vous présenterai le schéma général d'intervention en cas de crise et David Julliard fera ensuite un retour d'expérience sur l'épisode Irma en 2017.
Je commencerai par l'organisation de l'État en période de crise. Lors d'une crise grave, le Premier ministre peut décider du déclenchement d'une cellule interministérielle de crise (CIC). Celle-ci est coordonnée par un ministère, souvent le ministère de l'intérieur. Cette cellule est prévue par la circulaire du 2 janvier 2012 relative à l'organisation gouvernementale pour les crises majeures. Cette cellule comprend plusieurs sections : anticipation, situation, décision et communication. L'ensemble des ministères concernés sont représentés au sein de la CIC. Cette organisation a montré son efficacité lors des dernières crises - attentats de novembre 2015, de Nice en juillet 2016, ou le crash du vol Germanwings, par exemple. Elle est également régulièrement testée lors d'exercices organisés par le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) comme le NRBC 17, Pirate Mer 17, Metropirate 17 ou Séisme 2013. Le retour d'expérience de l'exercice sismique aux Antilles a d'ailleurs été très utile dans la gestion d'Irma.
Je souhaiterais développer la fonction de communication de la CIC. Dès le déclenchement de la CIC, la cellule communication du ministère pilote l'intègre. Ses missions sont d'informer sur les événements en cours, de donner des consignes comportementales tout en s'adaptant à la situation. Cette cellule communication s'articule autour de plusieurs pôles : un pôle digital - qui a pris une importance considérable - assurant, d'une part, une veille médias et réseaux sociaux et, d'autre part, l'administration des comptes ministériels et gouvernementaux avec des posts, tweets et infographies ; un pôle presse, chargé des réponses aux journalistes et de la préparation des éléments de langage tant pour la plateforme téléphonique que pour Radio France ; un pôle d'animation réseau destiné aux relations avec les préfectures. Les ministères peuvent venir renforcer ce dispositif avec leurs communicants de crise ; le service d'information du Gouvernement (SIG) par sa direction ou son département de communication de crise vient, en tant que relais du Premier ministre, assurer un conseil stratégique et apporter des outils, notamment un marché de plateforme téléphonique ou une information du grand public.
Je vais de mon côté revenir sur la gestion de l'ouragan Irma. Je vous remercie de nous offrir cette occasion de rendre compte des actions de nos différents services.
Le ministère de l'intérieur, comme dans la plupart des cas, s'est vu confier par le Premier ministre la direction de la cellule interministérielle de crise. C'est à ce titre que la délégation à l'information et à la communication du ministère (DICOM) de l'intérieur joue un rôle pilote dans la communication institutionnelle de l'État. La DICOM est ainsi intervenue sur les trois phases : anticipation, gestion et post-crise. J'insisterai dans mon propos sur les canaux utilisés et l'adaptation de la communication aux différents publics.
La gestion de la crise Irma a été anticipée. La DICOM faisait ainsi des points de situation avec la direction générale de la sécurité civile et de la gestion de crise ; la première alerte du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC) a été faite le 2 septembre 2017. La délégation était également en lien avec les météorologues de Météo France et de la société Predict. Dès le 4 septembre, une veille était assurée avec l'association Volontaires internationaux en soutien opérationnel virtuel (VISOV).
La catégorisation de l'événement s'est précisée au gré des contacts avec la préfecture de la Guadeloupe et la préfecture déléguée de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, qui ont été initiés le 2. La communication opérationnelle et institutionnelle s'articule de manière permanente avec le réseau territorial des préfectures. Les actions s'appuient sur les outils d'alerte traditionnels que sont la presse et les réseaux sociaux avec un développement des infographies.
J'en viens désormais à la gestion de l'événement en lui-même. La cellule interministérielle de crise a été activée le 6 septembre 2017 à 8 heures, heure de la métropole. Il faut souligner que la mission communication a évolué : les réseaux sociaux ont pris une importance qu'ils n'avaient pas il y a encore quatre ans ; ils sont aujourd'hui des bouches et des oreilles, permettent une réelle veille et contribuent à analyser l'état d'esprit de l'opinion, des rumeurs. La communication s'appuie sur les comptes - en particulier le réseau Twitter - du Gouvernement (@gouvernementFR) et du ministère de l'intérieur (@place_Beauvau), qui ont une audience très importante. Notre action passe par la réalisation d'infographies et de vignettes d'information du public, simples, chiffrées et pédagogiques sur les actions de l'État. Il s'agit également de mettre en cohérence les messages délivrés par les comptes du ministre et ceux du ministère, notamment lors des déplacements, communiqués ou prises de parole. Enfin, l'information du public passe également par des outils à mettre en place comme le déclenchement de la réponse téléphonique à la crise, des livrets d'information pour les rapatriés ou l'activation de la convention avec Radio France.
La DICOM a été en appui aux services de l'État à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, la préfecture déléguée étant alors en situation critique. Cinq agents ont été mobilisés et projetés sur le terrain. Ils ont notamment permis de produire des images, utiles à la presse, et de soutenir les services en Guadeloupe et à Saint-Martin dans les relations médias.
Le travail de veille est important, sur les chaînes d'information en continu, les radios, les journaux télévisés, les médias en ligne et les réseaux sociaux (hashtags et flux). Ce travail est double : il s'agit, d'une part, de connaître l'état de l'opinion, en envoyant des alertes et points de situation réguliers aux cabinets - respectivement du Premier ministre et du ministre de l'intérieur pour le SIG et la DICOM -, et de détecter les fausses informations et rumeurs, d'autre part. Ce second point n'est pas nouveau : cette problématique a été déjà rencontrée lors des attentats de 2015. Pendant Irma, nous avons notamment dû répondre aux messages selon lesquels la préfète déléguée avait pris la fuite ou annonçant des évasions de la prison de Sint-Maarten.
Oui. Guadeloupe 1ère avait aussi par exemple indiqué que les capacités logistiques étaient réservées aux touristes américains, ce qui était faux. Il était très important de répondre à ces différents éléments. Nous les croisions pour cela avec les informations issues du terrain. Les rumeurs étaient vérifiées en temps réel avec l'appui des opérationnels et des partenaires privés. Nous réfléchissons également à la stratégie à adopter, réponse ou non réponse.
La présence numérique a été puissante grâce à un maillage local et national. Au niveau local, la préfète a pu rapidement reprendre le contrôle de son compte Facebook - ce qui au début ne paraissait pas critique car le réseau GSM ne fonctionnait plus sur place - et celui du compte Twitter de la préfecture. Au niveau national, les comptes Twitter et Facebook du Gouvernement, du ministère de l'intérieur, des forces de sécurité - police et gendarmerie - et du ministère des armées ont été mobilisés. Nous nous sommes également appuyés sur les médias, notamment France info, Guadeloupe 1ère ou encore Quotidien et la radio d'urgence, mais aussi un réseau de veilleurs avec l'association VISOV.
Nous avons produit de nombreuses infographies, dont je vous communique quelques exemples : plusieurs sont consacrées aux moyens déployés et à la communication, notamment du numéro de crise. Je voudrais ici vous donner une série de chiffres qui vous donneront une impression plus précise de l'ampleur.
Pour la préfecture de Guadeloupe, 200 tweets ont été publiés, générant 7 700 000 vues, ce qui est considérable. Nous avons ainsi assisté à une augmentation du nombre de vues de 7 000 %, du nombre de visites sur le profil de 11 670 % et 4 000 abonnés supplémentaires ont été constatés. Ces publications ont de plus été massivement reprises par la presse locale et nationale. Pour vous montrer l'importance que Twitter a pu avoir : sur le tweet le plus vu, 1 420 000 vues et 61 300 partages ont été décomptés. La présence sur Facebook a également été importante : la préfecture a publié 170 posts qui ont généré 80 000 vues et, par rebond, touché 1 600 000 personnes ; l'audience a augmenté de 1 942 % avec 8 000 « amis » supplémentaires. Là encore, les publications ont été largement reprises par la presse locale. Le site internet de la préfecture a, quant à lui, comptabilisé plus de 92 000 visites et plus de 211 000 pages parcourues, soit une augmentation de 640 % de la fréquence. À Saint-Martin, 99 posts ont été publiés par le compte de la préfecture, générant 3 300 000 vues et 1 600 000 personnes par rebond. On note ici un taux d'engagement moyen très performant, 4,5 % sur la période, ainsi qu'une augmentation de plusieurs centaines d'abonnés.
Je voudrais enfin préciser l'équivalent pour les comptes du Gouvernement du ministère de l'intérieur. Plus de 70 tweets ont été publiés - point de situation, information à la population, déploiement du dispositif de sécurité, pour plus de 8 millions de vues et impressions. Sur Facebook, 60 posts ont généré plus de 3 millions de vues.
Les relations presse ont également été denses. Les prises de parole du Premier ministre, du ministre de l'intérieur et de la ministre des outre-mer ont été abondantes, avec des conférences de presse ministérielles quotidiennes, mais aussi de nombreux communiqués de presse - 35 au niveau local, 20 au niveau national par la CIC - et interventions dans les médias, avec des prises de parole d'experts et de porte-parole de la gendarmerie et de la direction de la sécurité civile. Les images de la DICOM ont été mises à disposition de la presse.
Une réponse téléphonique a également été rapidement mobilisée. Beaucoup d'appels provenaient de personnes qui avaient perdu le contact avec leurs familles. Il était nécessaire d'y répondre ; même si nous avions peu de moyens pour apporter des réponses précises, avoir une écoute était déjà important. Deux numéros d'information du public ont ainsi été ouverts dès le 6 septembre : un numéro local de Centre d'information sur la prévention (CIP) par la préfecture de Guadeloupe et un numéro national activé à la demande du ministère de l'intérieur destiné aux personnes vivant en métropole sans nouvelle de leurs familles, géré par le prestataire Téléperformance lié au SIG par marché. Parallèlement, une cellule d'aide aux Antilles a été mise en place dès le 7 septembre. Celle-ci a constitué une réponse inédite gérée par le ministère des affaires étrangères et a contribué à la prise en charge de la recherche de victimes. Un basculement vers le numéro national « 08 victimes » a été opéré à partir du 22 septembre.
Ce sont ainsi 120 000 appels qui ont été reçus, que ce soit pour la recherche de proches, un rapatriement, des aides financières, des questions de scolarité ou autre. Une cellule d'appui psychologique a été mise en place pour accompagner les téléopérateurs. Les éléments de langage étaient élaborés en CIC, pilotés par la DICOM en lien avec le SIG et le ministère des affaires étrangères : ils ont été produits en continu.
Je voudrais maintenant revenir sur la radio d'urgence qui a été mise en place lors d'Irma. Je rappelle qu'une convention lie le ministère de l'intérieur et Radio France dans des situations de crise. À la suite de l'ouragan Irma, Radio France a proposé de monter une radio d'urgence depuis Paris. L'émetteur de France Inter à Saint-Martin a été choisi, TDF ayant pu rétablir celui-ci très rapidement, avant les réseaux de télécommunications. La CIC a produit des éléments pour diffusion. Les messages étaient actualisés en continu et des traductions ont été faites : la radio diffusait ainsi en français, en anglais et en créole avec l'aide de la DGOM et du ministère des affaires étrangères. Ceux-ci pouvaient comprendre des points d'information, notamment météo, des points route ou des éléments sur le ravitaillement par exemple. Cette radio a été le seul vecteur d'information pendant près de 15 jours.
Nous avons également produit une communication à destination des rapatriés sous forme de guide : un dépliant était ainsi distribué au départ de l'aéroport, un autre à l'arrivée à Paris ; tous deux étaient corédigés par les ministères de l'intérieur et des outre-mer.
Dans la phase de retour à la normale, l'action gouvernementale a pris la forme d'un accompagnement des préfectures. Deux chargées de communication ont été envoyées en renfort en septembre 2017, l'une à la préfecture déléguée de Saint-Martin, afin d' « autonomiser » le service de communication local, et l'autre au bureau de la communication interministérielle de Guadeloupe, pour la coordination de la communication avec l'aéroport de Saint-Martin (SXM) et la communication numérique. Durant l'hiver 2017, nous avons maintenu des liens permanents entre la DICOM et les préfectures de Saint-Martin et de la Guadeloupe. Nous avons notamment pu aider à la gestion des demandes presse, et, avec le SIG, sur le « temps de la reconstruction » en lien avec la délégation interministérielle. Une page dédiée est ainsi alimentée régulièrement sur le portail du Gouvernement ; cet espace est bien consulté, encore aujourd'hui.
Nous pouvons tirer plusieurs enseignements de cet épisode cyclonique majeur. D'une part, il semble nécessaire de pérenniser un dispositif d'envoi de renforts de communication - « task force » - dans les préfectures selon le profil de la situation et le besoin des préfectures. Cette recommandation générale prend une importance renforcée outre-mer. D'autre part, il est désormais incontournable de mieux lutter contre les rumeurs.
Cette étude nous montre le rôle et l'implication majeurs de l'État. Je souhaiterais savoir si, dans ce genre de situations, il n'existe pas d'outil assurant une information « forcée » de la population.
Il n'y a pas de moyen d'information général et universel permettant d'atteindre simultanément toute une population. Il y a le système SAIP mis en place à la suite des attentats de 2015, une avancée notable qui se heure encore cependant à des difficultés. Notre réflexion porte sur la démultiplication des vecteurs, le déploiement d'une panoplie avec la capacité de viraliser l'information au-delà même des cercles concentriques des réseaux sociaux. Se pose cependant la question de la couverture numérique et des zones blanches.
À Saint-Barthélemy, nous disposons d'un système d'appels automatiques avec messages sur les répondeurs. À Wallis-et-Futuna, une convention avec l'opérateur de téléphonie permet l'envoi massif de SMS.
Aux Antilles, l'information circule assez spontanément sur les réseaux.
Il y a une concurrence assez forte des chaînes étrangères, notamment américaines, que les gens relaient souvent. La provenance des informations est multiple, à Saint-Martin notamment et la maîtrise de l'information est donc complexifiée.
Lors d'Irma, il y a eu un vent de panique, des rumeurs dont il ne faut pas sous-estimer l'impact psychologique. Les difficultés dues aux pillages, au défaut d'électricité ou encore au non-fonctionnement des distributeurs bancaires se sont cumulées avec un contexte de rentrée scolaire.
Nous avons vécu cela différemment en Guadeloupe. La communication doit s'adapter aux différents publics, c'est important, aux rapatriés comme cela a été en Guadeloupe, ou aux touristes, qui n'ont ni la connaissance des phénomènes, ni les habitudes ou réflexes des habitants.
Je souhaite tout d'abord vous remercier pour vos présentations. Cette organisation paraît complexe mais elle semble convenir pour le territoire national : on peut penser qu'il manque ici un volet réellement territorial.
Je salue l'initiative qui a été celle de Radio France de lancer la radio d'urgence. Même si les moyens de communication ont été modernisés, il est important de conserver en parallèle « d'anciennes méthodes » : nous avons pu être confrontés à une absence de mégaphones et cela pourrait être extrêmement préjudiciable en cas d'imminence de submersion de la zone littorale. La préfète s'est déplacée, a mis en place des cars, a mobilisé la police territoriale, mais il est difficile de procéder maison par maison.
Contrairement à ce qui s'était passé pour le cyclone Luis, le comportement d'une partie de la population a cette fois été déplorable et peu digne de la solidarité nationale qui s'est exprimée, avec de nombreux pillages puis les départs massifs. Saint-Martin est ainsi doublement victime.
Avant Irma, nos territoires ont connu Luis et d'autres ouragans. Il est difficile d'entendre, six heures après le phénomène, que des gens ont faim. En effet, des messages de prévention sont diffusés et la population, avertie de l'arrivée d'un tel phénomène au moins 24 heures à l'avance, est invitée à faire des réserves.
Dans le traitement de l'information, ont été montrées des personnes qui souhaitaient quitter l'île sur laquelle ils travaillaient ; or, ce ne sont pas les plus à plaindre...
Irma a touché Saint-Barthélemy et Saint-Martin, la Guadeloupe avait connu Hugo : les gens savent qu'ils vivent dans des zones à risque et pas seulement dans des régions où il fait beau. La préfète a été obligée d'appeler les gens à ne pas quitter le territoire.
S'il est vrai que certaines choses sont à revoir, il ne faut pas minimiser la difficulté qu'est celle de la gestion d'une pareille crise. Nous sommes là pour aider à améliorer ce qui peut l'être, particulièrement au niveau local. J'estime que la réponse à l'incivilité n'a pas été à la hauteur de l'événement.
Cela met en lumière les besoins de mutualisation possible avec d'autres États. Je voudrais également souligner le caractère difficilement audible ou acceptable de certains messages des autorités préfectorales sur le terrain. Je prends pour exemple le traitement de l'ouragan José qui a succédé à Irma. Alors que nous attendions de pouvoir enfin sortir et commencer le travail d'après-crise, les messages de la préfecture indiquaient un ordre de confinement ; le National Hurricane Center (NHC) - dont les bulletins sont très consultés aux Antilles - laissait voir une trajectoire éloignée de nos îles.
Après les services du Gouvernement, le SIG et la DICOM, nous accueillons :
- MM. Walles Kotra, directeur exécutif en charge de l'outre-mer, et Jacques Donat-Bouillud, directeur du développement des réseaux de diffusion et de distribution, tous deux de France Télévisions,
- ainsi que, pour Radio France, MM. Étienne Guffroy, directeur adjoint en charge de l'offre éditoriale, et Vincent Giret, directeur de France info.
France Télévisions est l'opérateur historique de radio et télévision outre-mer. Radio France, non implantée outre-mer, a pris une initiative importante durant le cyclone Irma. Nous souhaitons recueillir leur témoignage sur cet épisode et revenir avec eux sur le rôle incontournable des sociétés de l'audiovisuel public au service de l'information des citoyens en temps de crise.
Nous sommes très heureux de répondre à votre invitation et de pouvoir partager ainsi ce que nous avons vécu et notre réflexion sur le passage de l'ouragan Irma en 2017.
Nous avons dans les outre-mer une certaine « culture des cyclones ». Nous avons, sur nos antennes, l'habitude de gérer ces situations. Pour autant, Irma a été un choc. Si le cyclone Hugo de 1989 reste dans la mémoire collective, il est très rare d'être confronté à un cyclone de puissance 5. Irma a en quelque sorte créé une situation nouvelle ; nous avons pris conscience qu'avec cette puissance, un territoire peut être rayé de la carte en une journée.
Nous allons revenir sur ce sujet, mais je voudrais commencer par situer en quelques mots le pôle outre-mer de France Télévisions. Comme vous le savez, le réseau se compose de dix implantations réparties sur l'ensemble de la planète, dans l'océan Pacifique - à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie -, l'océan Indien - à Mayotte et à La Réunion -, l'océan Atlantique - à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Guyane, à la Martinique et en Guadeloupe - et bien évidemment Paris avec notamment France Ô. Nous sommes donc implantés dans des régions soumises à de hauts risques cycloniques et parfois même sismiques.
Chacune de nos stations d'outre-mer comprend la télévision, la radio et des offres numériques. On constate souvent un enracinement local très fort qui donne une audience et une présence très puissante de nos chaînes - je rappelle à titre d'exemple que le journal télévisé de Guadeloupe 1ère fait plus de 70 % d'audience. C'est une dimension difficile à percevoir de Paris : si l'on devait faire des comparaisons, ce serait bien supérieur à l'addition de l'audience du journal télévisé de TF1, France 2 et France 3, sans compter la radio et des offres numériques. Les « Première » (Guadeloupe 1ère, Martinique 1ère, ...) se positionnent ainsi comme des acteurs essentiels dans leur territoire.
Je l'indiquais plus tôt, nos équipes ont une certaine « culture des cyclones » : que ce soit dans le Pacifique, l'océan Indien ou aux Antilles, nous devons gérer chaque année au moins le passage d'une dépression tropicale ou d'un cyclone dans l'une de nos neuf stations. Avec le temps, nous avons donc mis en place des procédures qui sont relativement similaires dans l'ensemble des stations.
Tout d'abord, bien en amont, dès le début de la saison cyclonique, nous participons à la prévention en diffusant des spots télé et radio, des informations sur les niveaux d'alerte ou sur les comportements à adopter ; tout cela est organisé avec les pouvoirs publics et en particulier les services de l'État.
Dès le déclenchement d'une alerte, les chaînes « 1ère » accompagnent très fortement le dispositif « plan Orsec cyclone ». Nous relayons sur nos différents supports les informations de la cellule de crise et nous installons sur le ou les postes opérationnels des moyens de direct. Cela permet à un de nos journalistes ou encore à l'autorité - en général, le préfet mais cela peut être également le directeur de la sécurité civile - de prendre la parole à tout moment pour donner des informations ou pour rappeler les consignes nécessaires.
Pendant la crise, la télévision et, surtout, la radio deviennent les principaux moyens de communication avec la population avec des grilles de programmes spécifiques. En général, la radio est ouverte 24 heures sur 24.
Que s'est-il passé précisément pour Irma ? C'est tout simplement cette procédure que nos équipes ont essayé de suivre.
Je passe ici rapidement sur la prévention, même si cet effort est important. Dès l'approche de la saison cyclonique, nous avons diffusé des bandes annonces rappelant les consignes de sécurité et reprenant les messages de la préfecture.
Après les premières alertes, et donc dès la dernière semaine du mois d'août, nous avons choisi de pré-positionner à Saint-Barthélemy et Saint-Martin des équipes radio et télé. Celles-ci ont permis de couvrir l'attente - et je dirais la crainte - des populations et nous ont ensuite transmis, non sans difficultés j'y reviendrai, les images du cyclone, de ses dégâts puis le déploiement de l'aide et de la solidarité.
À partir du 5 septembre, la télévision et la radio ont diffusé des programmes spécifiques avec des éditions spéciales d'information régulières. La radio a joué un rôle très particulier et très important en donnant le plus possible la parole à nos auditeurs de Saint-Martin et Saint-Barthélemy et en relayant le mouvement de solidarité des familles et des amis aux Antilles et même au-delà, en particulier en métropole. Les interventions étaient en très grande majorité en créole.
Dans la nuit du 5 au 6 septembre, un dispositif spécial de radio filmée a permis de diffuser à la fois en radio et en télévision, et cela pendant toute la nuit.
Le numérique a également joué un rôle très important avec les sites des « 1ère », de France Ô et notre présence sur les principaux réseaux sociaux. Pour la seule journée du 6 septembre, nous avons enregistré plus de 600 000 visites sur les sites des « 1ère ». Sur le seul mois de septembre, nous avons eu sur le pôle outre-mer plus de 42 millions de vues sur les vidéos contre une moyenne mensuelle d'environ 10 millions ; c'est un chiffre exceptionnel. La mobilisation de nos équipes a été très forte.
Mais nous avons été confrontés également à de graves difficultés techniques. Le 6 septembre, le jour de passage du cyclone, tous les services radio et télé ont été interrompus sur Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Les émetteurs, à l'exception du pic Paradis, ont été détruits. Le vendredi 8, TDF a pu rétablir la diffusion de la télévision Guadeloupe 1ère à partir du pic Paradis. Le samedi 9, c'est la radio Guadeloupe 1ère qui a pu être rétablie à Saint-Martin. Le 10 septembre, le lendemain, la radio d'urgence de Radio France a été lancée, mes collègues vous en parleront. Pour la télévision, cela a été plus compliqué : ce n'est que le 14 septembre que la TNT a été rétablie partout, à Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Je voulais insister sur le fait que, dans une telle situation, les liaisons sont essentielles et nous avons eu des difficultés pour acheminer les équipes de TDF pour la réparation des pylônes de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. Il a fallu attendre deux jours pour que les autorités acceptent de transporter une équipe de TDF ; les émissions TV et radio auraient pu reprendre dès le 7 septembre si l'équipe avait pu se déplacer. Il serait sans doute utile d'intégrer cet élément dans le plan ORSEC.
Pour conclure sur la couverture du cyclone Irma, je tiens à souligner qu'il y a eu à cette occasion une véritable mobilisation des antennes du groupe France Télévisions : France Ô, France Info, France 3 et France 2 ont chacune bousculé leurs programmes pour organiser, soit des éditions spéciales d'information, soit des soirées « Solidarité Antilles » comme France Ô et France 2, ou encore tout simplement la reprise en direct des journaux de Guadeloupe 1ère - c'était le cas de France Ô France Info. Toutes les chaînes ont diffusé les appels aux dons pour la Fondation de France ; la Fondation a ainsi pu récolter plus de 10 millions d'euros pour les victimes du cyclone, ce qui est un chiffre tout à fait exceptionnel. Il était important que le groupe France Télévisions s'engage pour que la communauté nationale soit sensibilisée.
Concernant la couverture du cyclone Irma par nos antennes, je précise qu'elle n'est pas close ; elle continue avec le suivi des énormes opérations de reconstruction.
Quelles leçons avons-nous tirées de ce cyclone ? Nous avons, sur le pôle outre-mer, essentiellement tiré deux leçons. Des leçons éditoriales d'abord : nous avons dû intégrer dans nos logiciels ces cyclones de puissance 5. Ce sont des situations qui peuvent ressembler à des situations de guerre, avec des capacités de destruction massive ; ces destructions peuvent atteindre nos propres capacités de production et de transmission or, même si nous sommes adossés à un groupe public important, sur place, nous restons de petites chaînes de télévision et de radio.
Dans cette situation, quel rôle doit jouer le service public ? Quelles offres de programmes ? Comment relayer plus fortement l'urgence ? Comment s'appuyer sur la puissance d'un groupe comme France Télévisions ? Nous avons ouvert une réflexion sur ce point avec l'ensemble de nos équipes.
Je tiens à indiquer également qu'après Irma nous avons diffusé pendant plusieurs semaines des émissions pédagogiques à destination des lycéens qui n'avaient pas accès à leur établissement scolaire ; cela a été organisé avec les équipes de Francetv Éducation et le ministère de l'éducation nationale.
Au-delà de cette première leçon éditoriale, nous avons ensuite noté nos faiblesses techniques. Nous avons dû repenser complètement nos process techniques en radio, en télévision, mais également dans le domaine numérique. Très concrètement, nous avons décidé de doter chacune de nos stations de deux téléphones satellitaires et de deux systèmes de transmission d'images type BGAN 2 : ce système permet aux équipes de transmettre des directs au plus fort de la crise avec l'assistance de groupes électrogènes légers. Nous souhaitons aller plus loin : nous testons actuellement un autre système de transmission, de toute dernière génération, encore plus robuste et plus simple à utiliser et qui nous permettrait, à tout moment, de transmettre des images mais également de bénéficier d'un accès internet. Ce nouveau système est actuellement testé en Guyane et en Martinique et nous souhaitons en équiper l'ensemble de notre réseau.
Enfin, nous développons à partir de notre station de Guadeloupe une plateforme numérique que nous avons dénommée : « Urgences 1ères ». Elle permettrait de regrouper toutes les informations, les expertises, les reportages et les études concernant les phénomènes climatiques, cyclones mais aussi tremblements de terre. Cette plateforme serait une fenêtre d'urgence et un espace de solidarité ; ce projet est développé par la Guadeloupe avec le soutien du pôle outre-mer et du groupe France Télévisions.
Je vous remercie une nouvelle fois de nous avoir conviés à revenir avec vous sur l'épisode Irma et à participer à vos travaux sur la prévention des risques naturels dans les outre-mer.
Je développerai ici le déploiement de la radio « Urgence Info Îles du Nord » par Radio France. Je souhaiterais revenir tout d'abord sur les conditions de la création de cette radio.
Après le passage d'Irma, les deux émetteurs de Radio France, dédiés à France Inter sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy, n'étaient plus opérationnels - le premier ayant été endommagé et le second rendu hors d'usage par le cyclone. Il fallait donc les remettre en état afin de reprendre les émissions. S'est alors posée la question du programme que nous devions diffuser sur ces émetteurs. Rétablir la diffusion de France Inter ne semblait pas approprié : très vite, l'idée de proposer un programme local d'urgence s'est imposée. Mais sous quelle forme ? Envoyer un studio mobile et une équipe sur place ? Créer un programme spécifique depuis la maison de la Radio à Paris ? C'est la deuxième option qui a été retenue : elle permettait d'émettre très rapidement en s'appuyant sur les envoyés spéciaux de Radio France sur place.
Les premiers contacts avec le ministère de l'intérieur ont été pris le vendredi 8 septembre. Le samedi 9 septembre, en début d'après-midi, une réunion de coordination s'est tenue à Radio France avec le représentant du ministère, David Juillard, délégué à l'information et à la communication. Nous étions alors à quelques heures du passage de l'ouragan José. Le ministère était très intéressé par l'initiative afin d'avoir un canal de diffusion de messages de prévention avant le passage de José. À ce moment-là, le défi était technique. Le choix a été fait de diffuser sur les émetteurs de Saint-Martin et Saint-Barthélemy le programme de France info sur lequel il était plus facile de diffuser des décrochages locaux. Changer le signal demandait, côté Radio France, une intervention lourde sur les installations de diffusion. Dans le même temps, les équipes de TDF devaient remettre en état le pylône de Saint-Martin, qui était le moins endommagé, et augmenter sa puissance dans l'espoir d'être entendu à Saint-Barthélemy, son émetteur ne pouvant pas être remis en état de marche rapidement. Enfin, il fallait raccorder le studio qui servirait aux décrochages locaux et constituer l'équipe.
Le samedi 9 septembre à 20 heures, Radio France était prête à émettre. Les équipes de TDF, qui travaillaient dans des conditions délicates, n'ont cependant pas pu remettre l'émetteur en état de fonctionnement avant le passage de José. Elles ont dû se mettre à l'abri avant de reprendre les opérations le lendemain matin. Le dimanche 10 septembre, il a été convenu avec le ministère de l'intérieur que le ministre Gérard Collomb annoncerait, en fin de matinée, le lancement « dans les prochaines heures » d'une radio d'urgence. À midi, les équipes de Radio France étaient en stand-by et la radio a commencé à émettre en français à 16 h 30, heure de Paris.
Les programmes étaient composés de messages répondant à l'urgence absolue - météo, sécurité, distribution des rations alimentaires et de l'eau, état des réseaux, rétablissement des liaisons commerciales, messages sanitaires - et de reportages des envoyés spéciaux de Radio France, journaux de France info et de Guadeloupe 1ère, antenne ouverte aux auditeurs et musique. Ce programme était diffusé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il y avait un caractère répétitif des programmes, nécessaire compte tenu de la situation.
Pour les remontées d'information du terrain, le premier contact était le ministère de l'intérieur. L'un des souhaits de ce dernier était de pouvoir communiquer vers les populations en français, en anglais et en créole guadeloupéen. Dans les premières heures, en fin de journée dimanche, Urgence Info Îles du Nord était en mesure de proposer ses programmes en trois langues, en faisant notamment appel à ses personnels parlant le créole.
Les informations du ministère de l'intérieur, des collectivités, du terrain, étaient d'abord insuffisantes, mais une fois la radio connue, les collectivités et les habitants ont fait remonter les informations.
Je souhaite souligner un élément opérationnel : nous avons pu déployer cette radio rapidement, mais s'il n'y a plus d'émetteur, aucune diffusion n'est possible. La question de développer davantage des radios numériques se pose.
Nous étions en effet d'emblée sur une logique de radio éphémère. Ceci fait partie de la culture de Radio France et je tiens à rappeler les expériences passées de radios d'urgence : en 2001, Radio France avait ainsi mis en place une radio éphémère pour les sinistrés de l'usine AZF de Toulouse ; après le tremblement de terre d'Haïti, elle avait également créé une radio d'urgence en 2010. L'objectif d'Urgence Info Îles du Nord était de délivrer des informations très concrètes auprès des populations en état d'urgence absolue.
Les journalistes participants étaient bénévoles et enchaînaient leurs programmes respectifs avec leur présence sur la radio d'urgence. Il y avait un réel enthousiasme des équipes, une conscience de la réalisation d'une mission de service public. Une telle organisation n'aurait pu tenir sur la durée, mais a fonctionné tout de même douze jours.
Je souhaite souligner un élément : il était convenu avec le ministère que si la radio diffusait des messages répondant à l'urgence absolue, elle travaillait en toute indépendance et ne s'interdisait pas de diffuser des reportages sur le ressenti des habitants.
La dernière étape du déploiement d'Urgence Info Îles du Nord a enfin été le redémarrage de l'émetteur de Saint-Barthélemy à partir du 15 septembre.
La radio a cessé au bout de douze jours, après le passage de l'ouragan Maria. L'arrêt a été fait en concertation avec le ministère de l'intérieur et des autorités, une fois les réseaux d'eau potable et de communication rétablis. Il était nécessaire de laisser la place aux acteurs locaux pour traiter l'après-cyclone de manière locale.
Je vous remercie pour vos présentations et surtout pour votre action durant ces deux cyclones. Ces phénomènes hors normes nous ont rappelé la fragilité de la vie sur une île, avec la possibilité d'une rupture totale des connections, du jour au lendemain.
Je rappelle une fois encore combien nous avons été touchés par la solidarité, dans les territoires, dans la Caraïbe, aux niveaux national et international.
Je voudrais revenir sur le ressenti des populations à cet égard. La radio permettait de communiquer des informations très concrètes comme des réouvertures de supermarchés, par exemple. Les retours d'auditeurs sur place nous ont également montré qu'il y avait le sentiment d'être entendu par Paris. Cette radio, qui avait le défaut d'être loin pour être une radio de proximité, avait en revanche l'énorme qualité d'être un relais direct à Paris.
Quels contacts entretenez-vous avec les radios locales comme radio Saint-Barth ou Tropic FM, qui se préparent également à l'arrivée des cyclones sur nos territoires ?
Nous avons des contacts avec le service public, France Télévisions, avec lequel nous échangeons notamment sur des propositions d'utilisation de matériels satellites.
Nous avons en effet l'habitude des coopérations et entraides des équipes sur place.
Je voudrais revenir sur la solidarité que nous avons pu constater lors d'Irma. France Ô a organisé une soirée de solidarité à laquelle tous les artistes sollicités ont souhaité participer. Cette soirée a été diffusée en première partie de soirée sur l'ensemble des antennes locales, avant de l'être sur France 2. 10 millions d'euros ont ainsi été récoltés : c'est exceptionnel.
Je souhaite vous remercier collectivement pour votre action durant Irma, et particulièrement remercier Radio France et la radio d'urgence pour la sensibilité qui a été celle de penser aux différentes nationalités et de diffuser en français, en anglais mais aussi en créole ; cela a été très utile, notamment pour la communauté haïtienne.
Il y a plusieurs radios sur place dans les Îles du Nord, cinq majeures : Youk, Maranata, 101.5, S.O.S et Transat. L'émetteur de Transat, qui avait résisté à l'ouragan Luis en 1995, n'a pas tenu en 2017 lors d'Irma. Seule la radio SOS a pu émettre jusqu'à 3 heures du matin.
L'initiative de la radio d'urgence était bienvenue, nous avons pu constater la solidarité et l'importance de cette radio pour une prise de conscience effective à Paris. L'information, même parcellaire, était diffusée et il y avait un souci de correction rapide lorsqu'il pouvait y avoir des approximations.
Se pose également la question de la propre perception des habitants dans les territoires. Je suis personnellement un féru du bulletin cyclonique de Guadeloupe 1ère, mais il y a dans nos territoires une culture d'écoute qui n'est pas celle des radios institutionnelles, ce qui provoque une situation de fragilité. Les habitants écoutent une grande diversité de radios, y compris néerlandaises, ce qui permet néanmoins de recouper les informations. Il faut que la population ait davantage le réflexe d'écouter les radios publiques en temps de vigilance ou de crise, au moins une fois par jour. La faible écoute s'explique peut-être par l'« abandon » de Saint-Martin par le réseau outre-mer de France Télévisions, alors qu'avant le territoire disposait d'une antenne permanente dans le giron de Guadeloupe 1ère.
Je vous remercie à mon tour et vous félicite pour le travail réalisé sur le terrain dans des conditions difficiles. Celui-ci a permis de rassurer les familles, alors que des rumeurs étaient par ailleurs colportées et que la désinformation était grande sur les réseaux sociaux. Vous avez contribué à apaiser la peur qui s'amplifiait sur place et les craintes des proches.
Un certain nombre de journalistes, même locaux, ont eu du mal pour s'acheminer jusqu'à Saint-Martin quand certains grands médias étrangers étaient présents : comment expliquer cela ? J'ai moi-même été interviewé par Al Jazeera et il y a eu une polémique localement au sujet de la présence de ce média.
Certains journalistes ont anticipé le passage du cyclone et se sont rendus sur place assez vite ; c'était le cas d'autres radios, comme par exemple Europe 1, qui avaient prépositionné des journalistes.
France Télévisions avait prépositionné des moyens et des journalistes. Il y avait une inquiétude très forte pour nos équipes. À Saint-Barthélemy, la déconnexion a fait que nous étions sans nouvelle.
La situation a été effectivement difficile à Saint-Barthélemy : l'émetteur n'a été remis en service que le 14 septembre, alors même que la radio avait redémarré le 10. Les équipes avaient tourné l'émetteur de Saint-Martin pour tenter d'émettre, sans certitude, sur Saint-Barthélemy.
Nous avons tendance à Saint-Barthélemy, et c'est peut-être une faille, à nous organiser en interne en priorité. Nous pensons à l'organisation locale, mais le maintien de la liaison au reste du monde n'a peut-être pas été assez anticipé. Nous avons notamment pensé d'abord à la radio locale pour l'information de la population et au déploiement de bornes WIFI.
L'ampleur inédite de cet événement a causé des dommages importants aux infrastructures qui ont toutes été fragilisées. Nous travaillons avec TDF, qui a l'expérience de ces territoires, pour prévoir des dispositifs plus résistants qu'en métropole et pouvant supporter ces situations exceptionnelles. TDF construit des infrastructures aux normes sismiques et cycloniques. Il faut noter que sur le site de pic Paradis à Saint-Martin, seul le pylône TDF a tenu, quand les autres ont été arrachés ; c'est grâce à ce pylône que les émissions ont pu reprendre. Encore une fois, si les conditions avaient permis un envoi rapide des équipes, le délai de reprise aurait pu être encore plus court. À Saint-Barthélemy, le site principal de Morne Lurin a été coupé en deux : outre les difficultés d'acheminement des équipes TDF, il a fallu reconstituer un site provisoire, ce qui explique le redémarrage plus tardif, le 14 septembre. Il existe aujourd'hui des installations « en kit », installables en quelques heures : c'est quelque chose que l'on prévoit désormais pour rétablir le service plus rapidement. L'enjeu reste alors l'acheminement des personnels et du matériel mais sur ce dernier point, grâce au satellite, on peut diffuser même sans électricité.
L'État a bien réagi sur les évacuations, réquisitionnant les compagnies aériennes pour les touristes notamment. Mais il faut penser au sens retour des avions, qui peuvent acheminer des personnels nécessaires aux interventions en une heure là où le bateau met une journée.
Le numérique est le meilleur moyen de lutter contre l'isolement.
Nous avons le sentiment parfois que les informations données dans les bulletins météorologiques des chaînes nationales étaient en décalage avec la réalité du terrain et les annonces des chaînes américaines relayant les prévisions du NHC, particulièrement lors du passage de l'ouragan José à la suite d'Irma. Cela nous a laissé penser que l'ordre de confinement n'était pas pertinent.
Nous avons également eu ce genre de remarques, y compris pour l'ouragan Maria qui a été accompagné de fortes pluies.
Concernant l'importance du numérique, nous avons immédiatement, lors du lancement de la radio, diffusé en numérique et mis le flux sur Facebook Live et Periscope afin d'atteindre le plus de personnes possible : en effet, même l'émetteur rétabli, nous n'avions aucune certitude sur la qualité du signal et la connaissance par la population de l'existence de la radio - France inter n'est pas la première radio sur le territoire -, il fallait parvenir à faire connaître la radio.
Comme cela a été souligné précédemment, ces épisodes produisent de fortes inquiétudes dans la population. Vous indiquiez avoir diffusé la radio en différentes langues : qu'en est-il de la langue des signes sur les antennes de télévision pour les personnes malentendantes qui se trouvent confrontées à des images de panique ?
Tout dépend sur ce point des stations. Nous avons régulièrement des émissions en langue des signes dans certains territoires, c'est le cas par exemple de La Réunion et la Nouvelle-Calédonie : il y a là un dispositif qui permet de réagir. Nous avons été sensibilisés à cette question durant Irma, notamment par la communauté ultramarine en métropole et avons essayé de nous appuyer sur le site internet. En effet, la difficulté de l'accès à l'information amplifie l'angoisse dans ce genre de situations. Nous réfléchissons à ces questions, mais n'avons pas honnêtement les moyens de développer cela.
Cette observation ne vous concerne pas directement, opérateurs radio et télévision, mais je souhaite insister, dans le cadre de nos réflexions, sur les dérogations et mutualisations possibles entre opérateurs - je pense ici tant au domaine aérien qu'aux réseaux téléphoniques, par exemple - et sur les coopérations avec la partie néerlandaise de Saint-Martin notamment.
La préoccupation des mutualisations est en effet importante, dans le respect du droit. Il faut aussi penser à la perception qu'a la population dans ce type de situations. Je prends ici l'exemple du rétablissement des vols commerciaux sur Saint-Martin, qui s'est opéré tardivement : les conditions n'étaient pas en conformité pour les opérateurs qui étaient responsables, alors même que les avions fonctionnaient lors de la réquisition par l'État et que celui-ci, donc, assumait la responsabilité. Il faut plus de souplesse durant le temps nécessaire au retour à la normale.
Je souhaite enfin conclure mon propos en soulignant une fois encore le rôle de France Télévisions.
Je vous remercie à mon tour pour votre action auprès de nos populations lors de telles situations.