Madame la ministre, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Avec le Brexit, nous sommes confrontés à une situation paradoxale : après plus de quarante ans d'imbrications et de convergence, il nous faut travailler à la « désimbrication » et apprendre à gérer la divergence avec le moins de dégâts possible.
Nous devons par ailleurs faire face à la forte incertitude qui pèse sur l'issue des négociations avec le Royaume-Uni. Nous devons donc nous préparer à toutes les hypothèses, y compris celle de l'absence d'un accord sur les modalités de retrait. C'est ce qu'entend faire le Gouvernement à travers le projet de loi d'habilitation qu'il a soumis au Sénat.
Nous souhaitons d'abord recueillir vos analyses sur l'état des négociations. Le dernier Conseil européen ne conduit pas à l'optimisme. Peut-on néanmoins espérer un déblocage en vue de la conclusion d'un accord de retrait ?
À quelques mois du retrait britannique, il paraît effectivement indispensable de s'y préparer, qu'il y ait accord de retrait ou non. Les Vingt-Sept ont donné un peu plus de temps à Theresa May. On peut même imaginer qu'elle puisse reformater sa coalition.
On sait que les mesures à prendre ne sont pas seulement d'ordre législatif ; beaucoup d'entre elles relèveront de l'Union européenne ou seront d'ordre réglementaire.
Pour ce qui est du volet législatif, l'habilitation que le Gouvernement sollicite du Parlement doit être précise. C'est une exigence constitutionnelle. Or l'incertitude même qui plane sur l'issue des discussions avec le Royaume-Uni justifie un besoin de flexibilité. Le contenu des ordonnances sera par ailleurs subordonné à la réciprocité des mesures prises par le Royaume-Uni. Il sera aussi conditionné par les mesures prises dans le même sens par les autres États membres ; la France devra, en effet, rechercher une harmonisation avec les grands États membres, en particulier l'Allemagne.
Votre audition est donc l'occasion d'exposer à notre commission spéciale comment le projet de loi d'habilitation parvient à un équilibre entre l'exigence de précision de l'habilitation et ce besoin de flexibilité.
Madame la ministre, j'ai une question préalable : le Gouvernement n'a pas souhaité rendre public l'avis du Conseil d'État, que le président et moi-même avons pu consulter. Le Conseil d'État considère le recours aux ordonnances comme « justifié à la fois par l'urgence qui s'attache à la préparation de ces mesures, mais aussi par le caractère conditionnel de la plupart d'entre elles ». Il estime en outre que le projet de loi d'habilitation « ne détaille pas suffisamment au Parlement la finalité des mesures envisagées, dont la compatibilité avec le droit de l'Union européenne devra par ailleurs être précisée au stade des ordonnances ». Cet avis n'a rien d'explosif. En ne lui donnant aucune publicité, vous créez un mystère là où il n'y en a pas. Pourquoi ne pas nous permettre de le porter à la connaissance des membres de cette commission spéciale ?
Je vous ai fait parvenir un questionnaire de 21 questions, qui appellent des réponses écrites. J'insisterai sur cinq points.
Si la loi est publiée fin novembre, le Gouvernement aurait jusqu'à novembre 2019 pour publier les ordonnances de l'article 1er - situation des Britanniques en France - et de l'article 2 - situation des Français installés au Royaume-Uni. C'est beaucoup trop, s'agissant des mesures les plus urgentes. Inversement, vous vous donnez jusqu'à avril 2019 pour publier les ordonnances de l'article 3, qui concernent les travaux d'aménagement portuaires notamment. Pourquoi ces délais ?
Concernant l'entrée et le séjour, en l'absence d'accord sur le Brexit, quelles mesures seraient mises en oeuvre pour les Britanniques qui habitent déjà en France ? De combien de temps disposeront-ils pour régulariser leur situation ? Bénéficieront-ils d'une procédure accélérée pour la délivrance d'un titre de séjour ? Quel sera le sort de ceux qui disposent d'un droit au séjour permanent ?
Concernant l'emploi, peut-on envisager, pour les ressortissants britanniques installés sur le territoire français, un accès simplifié et rapide aux autorisations de travail délivrées aux ressortissants des États tiers, comme pour la Suisse, par exemple ?
Quel délai est-il envisagé pour la modification du statut des succursales de droit britannique ?
Enfin, le projet de loi prévoit la prise en compte pour les ressortissants français des diplômes et des qualifications professionnelles acquises : prévoyez-vous une date limite et comment la validation se fera-t-elle ?
Concernant la fonction publique, en l'absence d'accord sur le Brexit, 1 715 ressortissants britanniques vont perdre leur qualité de fonctionnaire. Qu'est-il prévu pour ces personnes ? Des indemnités financières ? Vont-ils conserver leur ancienneté ?
Enfin, nous avons besoin de précisions sur la couverture sociale, les pensions - des Britanniques résidant en France et des Français résidant au Royaume-Uni - et le régime des assurances. Les gens que nous rencontrons sont inquiets.
Michel Barnier le rappelle régulièrement : de nombreux progrès ont été accomplis depuis le début des négociations avec le Royaume-Uni sur les modalités de son retrait de l'Union européenne, qui doit intervenir le 30 mars 2019. Il estime que les négociateurs sont parvenus à se mettre d'accord sur 90 % du projet d'accord de retrait, sur des chapitres essentiels de la négociation. Cela concerne en particulier les droits des citoyens européens au Royaume-Uni, qui devraient pouvoir continuer de résider, de travailler et d'étudier au Royaume-Uni dans les mêmes conditions que celles prévues par le droit européen actuellement ; le règlement financier, puisque le Royaume-Uni a finalement accepté de s'acquitter de ses obligations ; la mise en place d'une période de transition, qui s'ouvrirait le 30 mars 2019 et se finirait le 31 décembre 2020, pendant laquelle le Royaume-Uni devrait continuer à appliquer l'intégralité de l'acquis, sans participer au processus décisionnel.
Pour autant, rien n'est agréé tant que tout n'est pas agréé. C'est un principe que nous avions fixé dès le début des discussions. Les négociations achoppent toujours sur la question de la frontière irlandaise. Nous attendons désormais que le Royaume-Uni clarifie rapidement sa position sur le protocole irlandais de l'accord de retrait et s'engage véritablement dans la recherche d'une solution s'il souhaite éviter un retrait sans accord.
La position de l'Union européenne est inchangée : à défaut d'une meilleure option, nous devons avoir un filet de sécurité, le backstop, qui permettrait de maintenir pour l'essentiel l'Irlande du Nord dans le marché unique et d'éviter le retour d'une frontière physique sur l'île d'Irlande, qui menacerait la mise en oeuvre des accords du Vendredi saint.
Cette position de principe avait fait l'objet d'un accord avec le Royaume-Uni en décembre 2017, qui détaillait très précisément qu'à défaut d'une meilleure solution, nous nous mettrions d'accord sur ce filet de sécurité avec un alignement réglementaire et une participation de l'Irlande du Nord, pour ce qui est de la mise en oeuvre de l'accord du Vendredi saint, au marché unique et à l'union douanière.
En outre, nous devons encore trouver un accord sur une déclaration politique relative au cadre de nos relations futures, qui sera jointe à l'accord de retrait. Sur ce point, les principes de négociation que nous avons agréés le 23 mars dernier à 27 demeurent notre guide, qu'il s'agisse de l'équilibre entre droits et obligations, ou de l'autonomie de décision de l'Union européenne. Le respect de ces principes permettra de préserver l'intégrité et la cohésion de l'Union à 27, tout en permettant le maintien d'une relation étroite avec le Royaume-Uni à l'avenir.
Les négociateurs pensaient avoir trouvé un accord technique permettant d'obtenir un backstop sur la frontière irlandaise dans l'accord de retrait, avec un ajustement réglementaire de l'Irlande du Nord sur l'Union, qui aurait vocation à ne pas s'appliquer puisque les deux parties travailleraient, à partir de la fin de la période de transition, au maintien pour une période donnée du Royaume-Uni dans l'union douanière. Cela supposerait des mesures d'accompagnement, d'une part, pour s'assurer d'une concurrence équitable de part et d'autre de la Manche, d'autre part, pour qu'en échange d'un accès au marché unique pour leurs produits de la mer, les Britanniques autorisent la pêche aux navires européens dans leurs eaux.
Mme May a écarté cette piste il y a dix jours. Elle a pu constater mercredi soir l'unité des membres du Conseil européen autour de nos lignes directrices et de notre négociateur, Michel Barnier. Nous souhaitons que la négociation reprenne, mais cela suppose que Londres fasse mouvement : les solutions techniques sont connues, ce qu'il faut, c'est de la volonté politique de leur part.
La conclusion d'un accord à même de permettre un retrait ordonné du Royaume-Uni de l'Union demeure l'objectif premier des Vingt-Sept et du Gouvernement. Nous sommes calmes et déterminés, mais nous ne pouvons néanmoins pas exclure l'hypothèse d'un échec des négociations entre l'Union européenne et le Royaume-Uni du fait des lourdes incertitudes qui pèsent sur les enjeux critiques de la négociation ni l'hypothèse d'une absence de ratification par l'une des deux parties - je pense au Parlement britannique.
Quoi qu'il advienne, les États membres, les institutions de l'Union et l'ensemble des acteurs concernés doivent se préparer aux changements qui résulteront du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, comme l'a souligné le Conseil européen dans ses conclusions du 29 juin dernier. En particulier, un retrait du Royaume-Uni sans accord nécessiterait l'adoption par l'Union et par les États membres de mesures de contingence dans les domaines qui relèvent de leurs compétences respectives.
Au niveau de l'Union, une équipe dédiée à ces travaux de préparation a été spécifiquement mise en place dans cette perspective au sein du Secrétariat général de la Commission. Elle identifie les mesures qui devraient être prises en cas de retrait sans accord dans les domaines qui relèvent de la compétence de l'Union.
Il nous faut nous aussi, sur le plan national, nous préparer à l'éventualité d'un retrait sans accord. À cette fin, le Premier ministre a demandé à l'ensemble des ministères d'identifier les conséquences d'une absence d'accord et les mesures à prendre, y compris dans le cas où nous aurions très peu de temps pour le faire avant le 30 mars 2019, par exemple en l'absence de ratification.
C'est l'objet du projet de loi qui est soumis à votre examen, présenté le 3 octobre dernier en Conseil des ministres. Il vise à donner au Gouvernement les moyens de se préparer à toutes les éventualités, y compris l'absence d'accord, en l'habilitant, le cas échéant, à adopter par ordonnance les mesures nécessaires.
Le Gouvernement a parfaitement conscience que le recours aux ordonnances est une pratique qui, de façon compréhensible, n'enthousiasme pas les parlementaires. Le choix de l'habilitation, qui permet une plus grande flexibilité, est ici indispensable. Il faut en effet tenir compte de la nécessité de pouvoir agir très vite en fonction de l'évolution des négociations, ce qui explique que la voie de la conclusion d'accords bilatéraux, trop lente, n'est à ce stade pas une option.
Il faudra aussi déterminer le contenu même des mesures en fonction de celles qui seront prises par le Royaume-Uni, mais aussi par les autres États membres, comme l'Allemagne, qui prépare six projets de loi, et par l'Union européenne elle-même. Celle-ci devra en effet agir dans son champ de compétence. Nous souhaitons commencer rapidement à comparer nos travaux de préparation respectifs de façon à nous assurer d'une compréhension partagée de la frontière entre droit national et droit européen, d'une part, et à veiller à ce que les différentes mesures nationales prises par les États membres soient bien coordonnées, d'autre part.
Le Gouvernement restera soucieux du respect de l'article 38 de la Constitution et conscient du nécessaire équilibre à tenir entre précisions des dispositions et nécessaire flexibilité.
Plus précisément, le projet de loi prévoit deux types de mesures : celles, les plus nombreuses, nécessaires en cas d'absence d'accord ; d'autres, également nécessaires même en cas d'accord de retrait en raison des délais nécessaires.
Toutes ces mesures concernent trois grands blocs de domaines : la situation des ressortissants français et, de manière générale, les intérêts français ; la situation des Britanniques en France ; la circulation des personnes et des marchandises.
Concernant la situation des Français vivant au Royaume-Uni et qui reviendraient en France, ces mesures permettront, pour protéger leurs intérêts en cas de retrait sans accord, de prendre en compte certains bénéfices acquis par les ressortissants français durant une période effectuée au Royaume-Uni avant la date de son retrait de l'Union, par exemple pour pouvoir faire valoir une période d'activité outre-Manche dans le calcul de la retraite en France, ou pour pouvoir continuer à se prévaloir en France des diplômes obtenus au Royaume-Uni.
Cette catégorie de mesures vise à préserver, de manière large, les intérêts nationaux. C'est la raison pour laquelle le projet de loi contient également des mesures visant à permettre aux entreprises françaises la poursuite de transferts de produits et matériels de défense à destination du Royaume-Uni, ou encore à permettre aux entités françaises d'accéder aux systèmes de règlement interbancaire et de règlement livraison de pays tiers, ou de pouvoir continuer à utiliser des conventions-cadre en matière de services financiers et à sécuriser les contrats existants.
Ce sont des domaines techniques, mais j'y insiste : les entités britanniques n'auront plus accès au passeport financier européen. Mais nous voulons que les contrats en cours puissent aller à leur terme et que les entreprises françaises puissent de leur côté maintenir leur accès, par exemple, au marché des changes britanniques.
Ensuite, d'autres mesures visent à régir la situation des Britanniques en France après le retrait, en particulier leur droit d'entrée et de séjour, l'emploi des ressortissants britanniques exerçant légalement à la date du retrait une activité professionnelle salariée en France, la situation des agents titulaires et stagiaires de la fonction publique française de nationalité britannique, ou encore l'application aux ressortissants britanniques résidant en France au moment du retrait de la législation relative aux droits sociaux et aux prestations sociales.
De telles mesures permettraient par exemple d'éviter qu'un citoyen britannique résidant en France au 30 mars 2019 ne se retrouve en situation irrégulière ou qu'un employeur en France ne voie sa responsabilité pénale engagée au titre de l'emploi d'un ressortissant britannique non autorisé à travailler.
Il est néanmoins difficile à ce stade de déterminer précisément le contenu de ces mesures. Nous souhaitons en effet que les Français au Royaume-Uni, comme les Britanniques en France, bénéficient de la situation la plus favorable possible, et donc la plus proche de l'existant, mais, bien entendu, nous prendrons ces mesures sous condition de réciprocité.
Enfin, certaines mesures du projet de loi concernent la circulation des personnes et des marchandises. Elles permettront d'assurer la continuité du transport à travers le tunnel sous la Manche ou encore de pratiquer les contrôles nécessaires à l'entrée de marchandises venant du Royaume-Uni sur notre territoire. À cet égard, certaines mesures seront nécessaires, même en cas d'accord, en vue de la réalisation de travaux de construction ou d'aménagement de locaux, installations ou infrastructures portuaires, ferroviaires, aéroportuaires et routières, qui seront requis d'ici au 31 décembre 2020 par le rétablissement des contrôles de marchandises et de passagers à destination et en provenance du Royaume-Uni.
Voici les grandes lignes du projet de loi qui est soumis à l'examen de votre commission spéciale. Le nombre relativement limité de domaines concernés, et donc de mesures prévues par ce projet de loi, s'explique par la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres et, plus généralement, par l'intégration du droit européen dans notre ordre juridique interne.
Je précise, monsieur le rapporteur, que le texte prend pleinement en compte l'avis que lui a adressé le Conseil d'État. Cet avis nous a permis d'améliorer le texte, notamment en précisant davantage la finalité des mesures envisagées dans le sens suggéré par lui et en en ôtant une disposition qui n'était pas nécessaire, relative au maintien des conseillers municipaux de nationalité britannique. En l'état actuel du droit, le Conseil d'État nous a confirmé que les élus de nationalité britannique pourront poursuivre leur mandat jusqu'à son terme et qu'il n'était donc pas opportun d'inclure une disposition en ce sens. Le Conseil d'État précise clairement dans son avis que, dans cette nouvelle rédaction, le texte est conforme aux exigences constitutionnelles. Le Gouvernement a souhaité que cet avis ne soit pas publié pour ne pas donner d'indication sensible à l'autre partie de cette négociation, comme il est d'usage en matière de conduite des relations internationales. Je compte sur votre souci partagé de protéger au mieux nos intérêts dans le cadre de cette négociation ardue, car sans précédent.
Il est en effet étrange de vous présenter un projet de loi d'habilitation dont mon souhait le plus cher est qu'il n'entre jamais en application. Néanmoins, l'état actuel des négociations nous impose de l'examiner.
Vous m'avez demandé, monsieur le rapporteur, la raison du délai de douze mois pour l'adoption des ordonnances. Le délai sera plus court pour les mesures qui doivent être adoptées rapidement ; je pense notamment aux aménagements nécessaires pour rétablir les contrôles aux frontières. La durée est plus longue pour les autres mesures, même si en principe les ordonnances devraient entrer en vigueur à la date du retrait effectif. Les douze mois donnent plus de souplesse au Gouvernement dans l'hypothèse où le retrait serait retardé de quelques mois, même s'il n'en est pas question aujourd'hui. Je préfère que nous soyons juridiquement armés pour répondre à toutes les incertitudes.
Vous m'avez demandé si les Britanniques qui disposent aujourd'hui d'un droit au séjour permanent sur notre sol le conserveraient en cas d'absence d'accord. Non, car ce statut est lié au fait que ces personnes viennent d'un pays de l'Union européenne.
Même pour les Britanniques qui vivent sur notre sol depuis plus de cinq ans ?
Bien sûr. Ce droit au séjour permanent vient du statut de ressortissant de l'Union. Sans accord, ce droit disparaîtrait immédiatement.
Nous souhaitons bien évidemment que les mesures prises soient les plus intelligentes possibles, d'autant que nous avons intérêt au maintien sur notre sol des ressortissants britanniques. Mais n'oublions pas la situation de nos compatriotes au Royaume-Uni : voyons déjà quelles mesures seront prises par les Britanniques avant de dévoiler les nôtres. Les propos de la Première ministre britannique sont encourageants. Dans le projet d'accord de retrait figurent des mesures précises : nous avons intérêt à ce qu'il soit signé et ratifié car il permet à nos ressortissants respectifs de continuer à travailler, à étudier et à résider comme avant. Pour autant, en cas d'absence d'accord, j'attends de savoir avec précision quelles mesures les Britanniques prendraient avant de décider des nôtres. Un délai avant la délivrance d'un permis de résidence ou la prolongation des statuts seraient ainsi possibles. Diverses mesures étant envisageables, attendons que les Britanniques nous présentent les leurs.
Vous m'avez aussi interrogé sur les 1 715 ressortissants britanniques qui sont titulaires de la fonction publique dans notre pays. Par définition, ils ne peuvent pas le demeurer. Nous devrons donc voir comment continuer à bénéficier de leurs services. La plupart de ces personnes enseignent l'anglais. Un certain nombre d'entre elles ont déjà demandé la nationalité française, ce qui est la plupart du temps possible et relativement simple. Mais un ressortissant d'un État tiers ne peut pas être fonctionnaire.
Des contrats ne seraient-ils pas possibles ? Quant aux secteurs sensibles, je ne vois pas de solution.
Le recours aux contrats peut effectivement être envisagé. Je n'ai en revanche pas connaissance que des ressortissants britanniques soient employés dans des secteurs sensibles de la fonction publique française. C'est d'ailleurs une constante d'éviter que des ressortissants européens soient affectés à de tels emplois.
Vous avez cité les propos rassurants de Mme May. Je vous rappelle aussi que lors de votre venue à Londres, vous vous étiez dite confiante.
Les négociations actuelles sur le sort des Britanniques installés en France et sur les Français installés en Grande-Bretagne sont-elles dissociables du sort réservé à tous les autres Européens ? Quel est l'état d'esprit des Britanniques sur cette question ?
L'avis du Conseil d'État qui ne nous a pas été communiqué semble appeler l'attention du Gouvernement sur l'incompatibilité de certaines des mesures de préparation au retrait qui figurent dans ce projet de loi avec la règlementation européenne. Avez-vous identifié les points qui vont devoir faire l'objet d'une adaptation règlementaire ? Ainsi, les contrôles douaniers enfreindraient la règlementation européenne s'ils étaient déportés de plusieurs kilomètres.
Quel sort sera réservé aux quelque mille fonctionnaires européens de nationalité britannique ? J'ai cru comprendre, lors de l'audition du ministre de l'Action et des Comptes publics ce matin, qu'ils le resteraient après le Brexit. Si tel est le cas, quid du parallélisme des formes avec les Britanniques qui sont fonctionnaires en France ?
Si les Britanniques acceptent le principe de réciprocité, rien ne changera pour les ressortissants britanniques sur notre sol. Mais une telle situation serait-elle compatible avec le droit européen s'il n'en va pas de même dans d'autres pays de l'Union ?
Les négociations que vous avez engagées pour rattacher les ports français au corridor Mer du Nord - Méditerranée sont engagées. Vous avez obtenu des avancées pour Dunkerque et Calais. Mais n'oubliez pas Dieppe et Le Havre.
Les ordonnances prévoient-elles des mesures spécifiques pour assurer le trafic entre la Manche, la Bretagne et le Royaume-Uni ? Ainsi, Dieppe assure trois liaisons quotidiennes avec le port de Newhaven et dépend en très grande partie des relations avec la Grande-Bretagne.
A plusieurs reprises, la commission des lois a demandé à ce que les avis du Conseil d'État soient communiqués aux parlementaires et les gouvernements successifs nous ont répondu régulièrement que tel serait désormais le cas. Il est quelque peu scandaleux de ne pas avoir transmis cet avis pour ce projet d'habilitation. L'attitude du Gouvernement et du président de la République sur le Brexit n'est pas claire.
Lors du débat de la semaine dernière, je vous avais posé deux questions, madame la ministre, et vous n'y avez pas répondu, sans doute par surdité volontaire. Si nous organisons des séances de questions, c'est pour obtenir des réponses précises !
J'avais rappelé que plusieurs référendums organisés dans divers pays ont déjà été contournés par les tenants d'une Europe à tendance fédéraliste. Aujourd'hui, c'est la même chose : le président Macron est à la pointe de la coalition qui essaye de saboter le Brexit en pourrissant les négociations par des conditions extravagantes, dont surtout la volonté d'instaurer une frontière douanière à l'intérieur même du Royaume-Uni. Que dirions-nous si l'on nous demandait de rétablir la frontière séparant l'Alsace-Moselle du reste de la France ? C'est scandaleux ! Les tenants de l'Union européenne font tout ce qu'ils peuvent pour bloquer les négociations.
Nous sommes face à trois hypothèses dont la première serait la conclusion d'un accord et la deuxième l'absence d'accord. Dernière hypothèse : un nouveau référendum avec un résultat en faveur de l'Union.
Le traité de Lisbonne prévoit que la répartition des sièges est dégressivement proportionnelle. Or, actuellement, tel n'est pas le cas puisqu'il existe une distorsion entre l'Allemagne et la France. Lors du dernier Conseil européen, de nouveaux sièges ont été attribués pour respecter le traité de Lisbonne. Mais que se passerait-il si la Grande-Bretagne décidait finalement de rester dans l'Union ? Continuera-t-on alors à violer le traité de Lisbonne ?
La courtoisie légendaire du Sénat est parfois mise à mal...
Madame Garriaud-Maylam, si un accord de retrait est signé et ratifié, la situation faite aux Français vivant en Grande-Bretagne sera exactement la même que pour les autres ressortissants européens. En cas d'absence d'accord, les autorités britanniques décideront de la façon dont ils entendent procéder avec les ressortissants européens et rien ne les obligera à traiter chaque nation de la même façon. Néanmoins, la situation sera déjà suffisamment complexe et les autorités britanniques auront sans doute à coeur d'appliquer les mêmes règles à tous les pays européens. Nous serons attentifs à ce que le traitement réservé à nos ressortissants installés en Grande-Bretagne soit le plus proche possible de l'accord sur lequel nous nous sommes mis d'accord.
Monsieur Houllegatte, nous avons demandé un échange d'informations entre la Commission européenne et les États membres pour les mesures nationales que nous avons à mettre en place. Ainsi, le trafic aérien est une compétence européenne : en cas d'absence d'accord, les mesures proposées par la Commission se substitueraient au régime actuel dont bénéficie le transport aérien entre le Royaume-Uni et l'Union européenne. S'agissant du contrôle douanier des marchandises, il est possible d'envisager de déporter le lieu de ces contrôles ailleurs que sur les points d'entrée. Pour ce faire, une autorisation de la Commission est nécessaire, ce qui explique nos négociations actuelles avec elle.
Je ne suis pas loin de partager les remarques de M. Sido sur les fonctionnaires européens de nationalité britannique, mais il revient à la Commission européenne de décider de les maintenir ou non. M. Juncker a décidé de les garder en poste, mais aucun nouveau fonctionnaire britannique ne sera recruté à l'avenir. À mon avis, cela implique aussi que les fonctionnaires britanniques actuels ne pourront pas accéder aux plus hautes fonctions. D'ailleurs, un certain nombre d'entre eux ont pris une autre nationalité.
Je comprends la décision de M. Juncker qui ne veut pas mettre de l'huile sur le feu. Mais en cas de « hard Brexit », le maintien de fonctionnaires européens britanniques serait inimaginable.
En droit, cela serait possible et la décision relèvera exclusivement de la Commission européenne. En revanche, il ne pourra plus y avoir de commissaire britannique.
L'excellent commissaire britannique Julian King chargé de la lutte contre le terrorisme ne pourra pas être reconduit à l'issue du mandat de l'actuelle Commission.
Quand un ressortissant d'un État membre devient commissaire, il oublie sa nationalité.
A l'avenir, l'accès aux plus hautes fonctions administratives européennes me paraît devoir être exclu pour les citoyens britanniques.
Si l'Irlande du Nord restait membre de l'union douanière, que se passerait-il pour les fonctionnaires britanniques ?
Le backstop prévoit de maintenir un alignement règlementaire entre le nord et le sud de l'Irlande et la participation de l'Irlande du Nord à l'union douanière. Mais les habitants d'Irlande du Nord demeurent des citoyens britanniques. Si la Grande-Bretagne devenait un État tiers, nous aurions toute liberté de choisir le statut de ses ressortissants. La Commission européenne serait seulement habilitée à décider de la mise en place, ou non, de visas de courte durée pour les Britanniques.
Concernant la négociation sur le corridor mer du Nord-Méditerranée, la première proposition de la Commission européenne n'était pas acceptable, puisqu'elle ignorait les ports français. Nous sommes donc entrés en discussion avec la commissaire Bulc. Intégrer uniquement Calais ne suffit pas. Soyons conscients, toutefois, que faire partie d'un corridor entraîne des avantages, mais aussi des obligations. Il faut bien mesurer l'équilibre entre les uns et les autres avant de présenter la candidature d'un port.
Quelles mesures prendrons-nous pour assurer la fluidité du trafic ? Nous parlons là de l'hypothèse d'une absence d'accord de retrait ou d'un accord prévoyant la non-participation du Royaume-Uni à l'union douanière. Nous ne savons pas ce qu'il en sera : au début, le Royaume-Uni ne souhaitait plus rester ni dans le marché unique, ni dans l'union douanière. Mais depuis, sont apparues des hypothèses comprenant une participation temporaire à cette dernière. Nous attendons une stabilisation de la position britannique. Mais les hypothèses que j'ai indiquées impliqueraient des contrôles. Et même si le Royaume-Uni reste dans l'union douanière mais s'écarte des règlements européens, il faudra procéder à des contrôles sanitaires et règlementaires. La fluidité pourra être assurée par la mise en place d'aires de stationnement et des technologies les plus avancées pour le contrôle des marchandises, mais aussi des animaux vivants, des plantes et des produits agricoles. L'hypothèse de procéder à ces contrôles hors des points d'entrée sur le territoire national est à explorer.
Monsieur le sénateur Masson, vous considérez que la non-communication d'un avis du Conseil d'État est une preuve que quelque chose n'est pas clair. C'est juste la preuve que nous voulons protéger les intérêts de nos concitoyens et de nos entreprises. Ce que vous appelez des conditions extravagantes relève de ce souci. Vous parlez à juste titre de la frontière irlandaise, qui deviendrait une frontière extérieure. Il est hors de question d'en faire la porte d'entrée incontrôlée de marchandises du Royaume-Uni et du reste du monde. Ce serait fragiliser le droit des consommateurs européens et les entreprises européennes qui seraient confrontées à une concurrence déloyale.
Nous nous sommes mis d'accord avec le Royaume-Uni pour faire en sorte que la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande ne soit pas une frontière physique, afin de préserver les accords du Vendredi saint. Voici ce qui a été signé par Mme May elle-même - je traduis de l'anglais : « En l'absence de solution agréée, le Royaume-Uni assurera qu'il n'y a pas de barrières réglementaires entre l'Irlande du Nord et le Royaume-Uni, sauf à ce que, comme il est prévu par les accords de 1998, l'exécutif et l'Assemblée d'Irlande du Nord soient d'accord pour qu'il y ait une différence réglementaire entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni. Si une autre solution n'était pas possible, le Royaume-Uni proposera des solutions spécifiques pour l'Irlande du Nord. S'il n'y a pas de solution agréée pour ces solutions spécifiques, le Royaume-Uni maintiendra un alignement complet avec les règles du marché intérieur et de l'union douanière qui maintenant ou dans le futur permettent une pleine coopération entre le nord et le sud de l'île d'Irlande. » C'est un engagement pris par le Royaume-Uni, que nous lui demandons de traduire dans l'accord que nous signerons avec lui.
Vous semblez penser que l'essentiel de nos efforts consistent à faire dérailler le Brexit. Nous ne l'avons pas souhaité, c'est vrai. Mais nous le respectons en tant que décision démocratique du Royaume-Uni. Nos efforts consistent à faire en sorte que la séparation soit ordonnée, et que nos concitoyens et nos entreprises soient protégés. Nous ne travaillons à aucun moment sur des hypothèses comme celles d'un nouveau referendum, car le gouvernement britannique ne l'a pas envisagé - nous avons assez de travail comme cela !
Vous souhaitez savoir ce que nous ferions si le Royaume-Uni, par extraordinaire, restait dans l'Union, concernant la représentation de la France au Parlement européen. Je voudrais partager avec vous ma surprise, lorsque j'ai constaté, en prenant mes fonctions, que, comme vous l'avez dit très justement, le nombre de parlementaires européens français fixé en 2013, ne correspondait pas à notre poids démographique dans l'Union européenne. Je me suis même interrogée si nous avions obtenu en échange un avantage qui aurait valu que nous acceptions cette représentation insuffisante. Je ne l'ai pas trouvé. J'ai profité du retrait britannique pour négocier d'abord avec la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, puis avec son assemblée plénière, et j'ai obtenu cinq sièges supplémentaires. Si par extraordinaire, le Royaume-Uni décidait de revenir dans l'Union européenne - hypothèse que rien ne vient étayer aujourd'hui - il faudrait remettre sur le métier la répartition entre États membres, sachant que chacun souhaite faire entendre ses positons, et c'est bien normal. Mais au moment où nous parlons, il n'est pas question qu'il y ait des élections européennes sur le sol britannique.
Vous ne dites pas la vérité. En juin, le Conseil européen a écrit noir sur blanc que si le Royaume-Uni ne sort pas, la répartition actuelle, prise en violation du traité de Lisbonne, serait conservée. Il ne faut pas esquiver le deuxième cas, qui est évoqué dans un document signé par la France. Vous y étiez ! Ne tirez pas le bénéfice d'avoir obtenu une hausse du nombre de sièges dans un cas, si vous n'acceptez pas de prendre la responsabilité de ce qui est prévu dans l'autre cas.
Merci, Monsieur le sénateur, d'avoir suggéré en peu de temps que je souffrais de surdité, que je manquais d'intelligence ou de sincérité... En tout état de cause, ce qui a été dit au moment du Conseil européen serait évidemment modifié en cas de décision britannique de rester membre de l'Union européenne, puisqu'il faudrait - mais nous nageons en plein surréalisme - mettre fin au compte à rebours, ce qui nécessiterait une décision spécifique du Conseil européen à l'unanimité.
Quand les cinq sièges supplémentaires seront-ils attribués à la France ?
Tous les sièges britanniques ne sont pas redistribués, de manière à ce qu'une Union plus petite ait un Parlement plus petit. Certains, au Nord de l'Europe, plaidaient pour une diminution sèche, considérant qu'il n'y a pas de petites économies. D'autres pays gagnent un ou trois sièges. Nous sommes le pays qui en gagne le plus.
Quelle fut, en son temps, la justification de ces cinq sièges de moins ?
Je n'ai pas l'intention de traiter de cette question dans mon rapport. Nous nous éloignons beaucoup des ordonnances.
Je parlerai en revanche des couloirs maritimes, bien qu'ils ne soient pas visés, puisqu'ils relèvent de la compétence européenne. Je ne parlerai pas de la frontière irlandaise, ni, bien sûr, ne remettrai en question le vote des Britanniques, que je regrette, mais que je respecte. Le choix de placer ou non la frontière au milieu de la mer est un choix politique ; remarquons cependant que Mme May n'a de majorité sur aucune des trois solutions envisagées. Mais revenons à l'objet du texte, à savoir les mesures à prendre, en particulier les mesures d'urgence à prendre en cas de no deal.
Mme la ministre, ma dernière question portait sur le volet de la couverture sociale, des retraites, de l'assurance-chômage des Français et des Britanniques ayant travaillé d'un côté et de l'autre de la Manche ; mais il est préférable que vous me répondiez longuement par écrit. J'aurai besoin de votre réponse pour mon rapport.
Ce matin, le ministre de l'Action et des Comptes publics a bien précisé que depuis quarante ou quarante-cinq ans, c'était la première fois que la France allait devoir protéger le marché intérieur. Le backstop est une atteinte à la souveraineté d'un État, mais il n'y a guère d'autre solution. Le moins douloureux serait bien sûr d'établir les contrôles en mer d'Irlande.
Vous avez abordé le sujet du nombre de sièges dans l'hypothèse tout à fait aléatoire où les Britanniques reviendraient sur leur vote. Il faudrait également ouvrir une nouvelle discussion sur toutes sortes de dossiers, dont le rabais britannique.
Dans la mesure où le président Macron avait parlé de listes transnationales, pourrait-il être éventuellement envisagé de créer une circonscription spécifique pour représenter les expatriés européens ou français ? J'avais posé cette question par écrit, mais, à ma connaissance, je n'ai pas eu de réponse.
N'oublions pas qu'entre 2010 et 2014, le nombre de parlementaires européens était de 766, nombre que le traité de Lisbonne a réduit à 751 - 750 plus le président. La France a conservé ses 74 parlementaires, le Royaume-Uni en a conservé 73, alors que l'Allemagne en a perdu 3, passant de 99 à 96. Voici quel est l'historique du nombre de 74 parlementaires.
Nous avions souhaité tirer profit des sièges laissés vacants par les Britanniques pour créer une circonscription européenne à pourvoir par des listes transnationales, mais nous n'avons pas été suivis par le Parlement européen. Cette hypothèse reste ouverte pour 2024, Mme Merkel s'y étant ralliée tardivement dans le courant de l'été. Pour les autres, nous sommes revenus à la circonscription nationale adoptée par la grande majorité des États membres, et avons abandonné les euro-régions, qui n'avaient pas fait preuve de leur efficacité pour rapprocher les eurodéputés des électeurs. Les listes devront compter des candidats aussi représentatifs que possible de la variété des Français établis en métropole, dans les Outre-mer, et, pourquoi pas, des Français établis à l'étranger. Mais cela relève de la responsabilité des partis politiques.
Merci.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 17 h 40.