Commission des affaires sociales

Réunion du 31 octobre 2018 à 9h05

Résumé de la réunion

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La réunion

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Le compte rendu de cette audition sera publié ultérieurement.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Mes chers collègues, nous recevons Mme Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la caisse nationale d'assurance maladie, que je prie de bien vouloir nous excuser pour le retard, pour évoquer la situation de la branche des accidents du travail et maladies professionnelles (AT-MP), aux spécificités de laquelle nous sommes particulièrement attachés. Mme Jeantet est accompagnée de M. Hervé Laubertie, responsable du département prévention des risques professionnels de la Cnam.

Je vous indique que, comme la précédente, cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat.

La branche AT-MP consolide ses excédents en 2019 avec un résultat prévisionnel de 1,1 milliard d'euros. Grace à l'esprit de responsabilité des partenaires sociaux, qui ont fait le choix de réagir très vite face à la dégradation des comptes de la branche pendant la crise en augmentant les cotisations, la situation financière de la branche est saine et elle a totalement apuré sa dette.

C'est ce qui a permis, deux années consécutives, de diminuer le taux des cotisations, au profit notamment de l'augmentation du taux en maladie.

Devant cette situation, la politique conduite par le Gouvernement nous paraît peu lisible. D'une part, les rentes AT-MP sont incluses, pour environ 50 millions d'euros dans le champ de l'article 44 qui prévoit la sous-revalorisation des prestations sociales et d'autre part, alors même que le Gouvernement ramène à zéro à partir de 2020 le solde de branches, comme la branche maladie, qui présentent une dette cumulée, il maintient un excédent de la branche AT-MP dont on comprend qu'il est censé compenser, en trésorerie, la dette de la sécurité sociale non transférée à la Cades.

Cette gouvernance ne nous semble pas conforme aux principes assurantiels qui régissent la branche AT-MP.

Je vous laisse la parole, Madame la directrice, pour un propos introductif, avant d'engager le débat avec les membres de la commission.

Debut de section - Permalien
Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la caisse nationale d'assurance maladie

Je vous remercie pour votre invitation et pour cette présentation. La branche AT-MP est une branche centenaire qui a fait ses preuves, d'une part en parvenant à avoir une influence sur la sinistralité de manière continue et d'autre part à travers une gestion maîtrisée et efficiente.

Une nouvelle convention d'objectifs et de gestion vient d'être conclue au terme d'une longue période de négociations. C'est un texte ambitieux qui s'articule autour de plusieurs axes. Nous devrons ainsi poursuivre nos efforts en matière de prévention et continuer à améliorer l'équité, notamment entre territoires, en matière de réparation. En lien avec la branche maladie et Pôle emploi, nous chercherons à avoir une implication forte en faveur du maintien dans l'emploi. Enfin, nous continuerons à développer notre offre de services en faveur des entreprises.

La branche AT-MP est donc un modèle qui a fait ses preuves, mais qui risque d'être remis en cause dans le cadre de la prochaine réforme de la santé au travail. Cette réforme est indispensable mais pose la question de la place qu'aura l'assureur, gestionnaire de risques, et de quels outils il disposera pour remplir ses missions.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Dériot

La branche AT-MP connaît un excédent depuis plusieurs années et a su apurer seule sa dette sans que celle-ci soit reprise par la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

Dans ce contexte, ne faudrait-il pas mobiliser une partie de ces excédents pour renforcer les dépenses en matière de prévention, qui ne dépassent pas 3 % des dépenses de la branche ?

Pourriez-vous revenir sur les efforts déployés par la caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam) et la branche AT-MP pour remédier à la sous-déclaration persistante en matière de maladies professionnelles ? Envisagez-vous de mobiliser davantage les médecins conseils de la sécurité sociale pour mieux identifier les affections de longue durée (ALD) qui sont d'origine professionnelle ?

S'agissant de la création et de la révision des tableaux de maladies professionnelles, pensez-vous que la reconnaissance d'une maladie professionnelle devrait reposer davantage sur une évaluation scientifique et moins sur la négociation entre partenaires sociaux ?

Quant à la reconnaissance des maladies professionnelles résultant de risques psycho-sociaux, pensez-vous que la voix dérogatoire de comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles soit satisfaisante (CRRMP) ? Le taux d'incapacité de 25 % n'est-il pas discriminant ?

Enfin, le rapport de la députée Charlotte Lecoq préconise la mise en place d'un guichet unique de la prévention qui regrouperait notamment les services de santé au travail et les préventeurs des caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) ? Or, en tant qu'assureurs, les services de la Carsat savent identifier les entreprises à risque. La réforme envisagée ne risque-t-elle pas d'entrainer la perte de cette approche complémentaire entre assurance et prévention ?

Debut de section - Permalien
Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la caisse nationale d'assurance maladie

La question d'un rééquilibrage entre réparation et prévention est complexe. Même si nous ne sommes pas dans un régime de réparation intégrale, il est délicat de réduire les forfaits d'indemnisation. En outre, une part importante de nos dépenses correspond à des rentes viagères sur lesquelles nous n'avons que peu de marge de manoeuvre. Augmenter les dépenses de prévention pourrait donc nécessiter d'augmenter les cotisations.

À l'inverse, il n'est pas facile de dépenser plus en matière de prévention. Nos actions s'inscrivent dans une logique de co-financement avec les entreprises, il faut donc trouver des partenaires qui s'engagent.

Le système de ristournes de cotisations au titre des dépenses de prévention exposées par les entreprises, pratiqué par exemple en Italie, peut être une manière de développer la prévention sans augmenter directement les dépenses. Nous travaillons sur cette question et j'espère pouvoir vous présenter l'aboutissement de ces travaux l'année prochaine.

Sur le sujet de la sous-déclaration, nous nous sommes engagés dans la sensibilisation des médecins traitants mais nous avons parfois l'impression d'arroser le désert, car ces médecins ne traitent pas si souvent des patients atteints de maladies professionnelles. Nous souhaitons donc plutôt comme vous l'évoquiez intervenir auprès des médecins conseils, en particulier en ce qui concerne les dermatoses et les lymphomes. Une campagne est en cours de préparation et sera lancée à la rentrée 2019.

Il convient aussi d'accompagner les demandeurs, qui sont environ 100 000 par an et dont le parcours est très complexe.

Sur la constitution des tableaux, je suis en faveur d'une évaluation scientifique rigoureuse, à l'image du rôle que joue la Haute Autorité de santé (HAS) en matière de remboursement des soins par l'assurance maladie.

C'est sur la base d'une telle évaluation technique que les partenaires sociaux doivent être amenés à fixer un niveau de prise en charge. Il me semble qu'il est temps de faire évoluer nos tableaux, qui ne correspondent aujourd'hui pas toujours aux recommandations des autorités scientifiques. Ce processus va commencer au sujet des maladies causées par les pesticides.

Sur les risques psycho-sociaux, nous constatons une progression continue des demandes, qui atteindraient environ 3 000 en 2017. Il faut savoir qu'environ la moitié de ces demandes sont transmises aux CRRMP, contre seulement 8 % pour les autres pathologies. Le taux de 25 % d'incapacité n'est donc pas vraiment bloquant. Le problème résidait davantage dans le fait que l'on attendait une stabilisation de l'incapacité, ce qui n'arrive jamais réellement pour des maladies psychiques. Depuis 2010, une dérogation existe et un taux prévisible est retenu. Depuis cette date, le nombre de demandes augmente de manière continue, elles sont très souvent transmises aux CRRMP et le taux de reconnaissance est de 50 % contre 20 % pour les autres pathologies.

Une partie importante des maladies psychiques est en outre traitée au titre des accidents du travail.

Sur les préconisations du rapport Lecoq, nous partageons le constat de la nécessité d'une réforme et de la clarification du rôle des différents acteurs. Toutefois, ce rapport n'aborde pas la question de la performance des services de santé au travail, qui a été pointée à plusieurs reprises par des rapports de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). Ces services représentent 17 000 personnes, contre 1 500 dans les Carsat.

Nous ne sommes pas convaincus par le modèle d'un acteur unique par région, notamment parce qu'il ne serait pas facile de passer de 250 services de santé au travail à 13 opérateurs régionaux qui manqueraient d'agilité. En outre, le regroupement n'est pas à lui seul le gage d'une meilleure efficacité.

En tant qu'assureurs, nous intervenons auprès des entreprises en ciblant les 3 % des entreprises qui correspondent à 30 % de la sinistralité. Nous nous positionnons dans une logique d'échanges dans un premier temps. L'injonction ne représente que le dernier recours, il ne faudrait pas nous réduire à cela.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Quelle est la part des accidents de trajet dans les accidents de travail ? Existe-t-il une réflexion sur le bien-fondé de leur prise en charge par la branche AT-MP ?

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Feret

Je souhaite insister sur l'importance du rôle des partenaires sociaux dans la définition des tableaux de maladies professionnelles. Ils représentent en effet ceux qui travaillent dans les entreprises et ont donc une connaissance précieuse des réalités.

S'agissant de l'instauration d'un guichet unique régional comme le propose Mme Lecoq, je souhaite rappeler l'importance de la proximité.

La Cour des comptes a formulé un certain nombre de recommandations en matière de tarification. Quel regard portez-vous sur ces recommandations ?

Debut de section - PermalienPhoto de Cathy Apourceau-Poly

Comment simplifier le parcours de ceux qui cherchent à obtenir la reconnaissance d'une maladie professionnelle, notamment dans les petites entreprises ?

Les sommes annoncées en faveur de la prévention vous semblent-elles suffisantes ?

Enfin, les médecins qui reconnaissent des maladies professionnelles sont parfois poursuivis par les employeurs. Avez-vous réfléchi à ce problème ?

Debut de section - Permalien
Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la caisse nationale d'assurance maladie

Concernant les accidents de trajets, les chiffres restent assez stables. Ce risque est largement dépendant de la politique de prévention routière et des aléas climatiques. Il s'agit d'un risque mutualisé dans le périmètre de notre branche plus pour des raisons historiques que parce que nous le gérons en tant que tel. Dans tous les autres pays européens, il est couvert par les assurances sociales. La question de son maintien dans la branche AT-MP peut donc se poser.

Pour les inscriptions aux tableaux des maladies professionnelles, le programme de travail de la commission spécialisée n° 4 relative aux pathologies professionnelles du conseil d'orientation sur les conditions de travail (COCT) est discuté entre l'État et les partenaires sociaux. L'expertise scientifique n'intervient pas dans la définition du périmètre de la reconnaissance des maladies professionnelles. Elle permet de recenser les symptômes, d'identifier les expositions à risques. Une partie d'évaluation médico-économique intervient également, car les critères retenus détermineront la population ciblée, qui pourra être plus ou moins large. Le dialogue ne se fait donc pas chiffres contre chiffres. Des données objectives viennent rationaliser le débat avant qu'un choix politique s'opère dans le cadre d'un dialogue avec les partenaires sociaux.

Sur la proposition d'opérateur régional unique du rapport de Mme Charlotte Lecocq, un travail technique conséquent de recensement de l'immobilier des services de santé au travail et d'harmonisation de la gestion des ressources humaines s'impose, les agences régionales de santé fonctionnant encore avec neuf conventions collectives. On pourra toujours envisager la présence d'antennes locales qui dépendront de l'entité régionale.

Le plus important sera la capacité à mobiliser l'ensemble des acteurs, car des structures de 1 500 à 2 000 personnes pâtissent mécaniquement d'une certaine forme d'inertie. Il s'agit là d'un enjeu majeur de conduite du changement. Un autre sujet concerne aussi les spécialités par secteur, qu'il faudra peut-être conservés, notamment pour le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) qui dispose de son propre organisme professionnel de prévention (OPPBTP).

Mme Féret évoquait le sujet de la tarification abordé par le rapport de la Cour des comptes. Il faut rappeler que cette tarification est le fruit de l'histoire. La volonté de ce modèle a toujours été de se rapprocher au plus près du risque. Si cette volonté est louable, elle se traduit par une grande complexité de gestion. Nos systèmes d'information sont d'ailleurs assez vieillissants qui vont bientôt faire l'objet d'une révision. Cette complexité engendre de fait une iniquité d'application sur le territoire. Un mouvement de simplification a déjà été engagé puisque nous sommes passés de 600 à 200 codes risques, quand les Allemands sont à 100. Nous partageons donc la plupart des constats formulés par la Cour des comptes, notamment sur la tarification à la section d'établissement, qui résulte de cette volonté de tarifer au plus près du risque en ciblant un groupe de salariés impliqués dans le même type d'activité et qui est d'une complexité folle ! Il faut examiner ce qui est vraiment adapté et opérant et nous allons creuser certains points pour voir ce qu'il reste à faire. Certains de ces sujets sont réglementaires et c'est à l'État d'identifier celles de ces recommandations qu'il souhaite mettre en oeuvre.

La procédure de dossier de maladie professionnelle est en cours de simplification, avec notamment un effort de clarification de l'instruction des dossiers et des délais, grâce à un texte en cours d'examen au Conseil d'État et qui sera publié prochainement. Nous lancerons en parallèle de la publication de ces nouvelles règles une campagne de communication pour informer les assurés de leurs droits. Des documents d'information seront publiés à cette fin quand les textes sortiront. Pour minimiser les risques de contentieux, il faut être attentif à un ensemble de facteurs. La précision et la clarté des critères figurant aux tableaux y contribuent. Des tableaux bien écrits facilitent la constitution des dossiers et évite des différences d'appréciation.

On peut toujours considérer que les crédits alloués à la prévention sont insuffisants, mais il faut au préalable fixer des objectifs précis à proposer aux entreprises en termes de financement avant d'augmenter les cotisations. Il ne faut par ailleurs pas perdre de vue que les entreprises elles-mêmes consacrent des moyens importants à la prévention des risques.

Concernant la contestation des diagnostics effectués par les médecins du travail, leur positionnement est toujours difficile, en particulier lorsqu'ils exercent dans des services intra-entreprise. Ces services-là ne seront d'ailleurs pas affectés par la réforme prévue par le rapport Lecocq, ce sur quoi nous pouvons nous interroger. Nous n'avons pas de vision précise sur leur activité car ils ne dépendent pas de nos services. Par définition notre branche est exposée à un fort risque de contentieux car nous faisons toujours grief à quelqu'un, soit à l'assuré, soit à l'employeur.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Forissier

Je souhaitais attirer votre attention sur la nécessité de sensibiliser les acteurs de la prévention dans les métiers à hauts risques. J'ai moi-même exercé une activité professionnelle dans la taille de pierre et la restauration d'ouvrages historiques, secteur qui se caractérise par le port de charges lourdes et l'intervention sur de hauts édifices. La difficulté aujourd'hui réside dans les reconversions professionnelles. Ces secteurs embauchent aujourd'hui des personnes qui ne sont pas toujours préparées physiquement à ces professions et peu sensibilisées aux risques professionnels. Les entreprises se mobilisent déjà pour la formation de leurs employés. Selon moi, il s'agit donc moins d'un manque de moyens qu'une nécessité de coordonner l'ensemble des services concourant à la formation et à la sensibilisation des personnes.

Debut de section - Permalien
Marine Jeantet, directrice des risques professionnels à la caisse nationale d'assurance maladie

Je rappelle effectivement que la plupart des entreprises fonctionnent bien en matière de prévention des risques et leurs employés sont formés et sensibilisés. Comme je le disais, nous n'avons des difficultés qu'avec 3 % d'entre elles qui représentent beaucoup de dépenses supportées par l'ensemble des entreprises. Pour ces entreprises, il faut des moyens significatifs et certaines ont du mal à évoluer dans la prévention : le conseil ne suffit pas toujours, il faut aussi le bâton ! Des moyens d'actions sont donc nécessaires, c'est pourquoi il faut non seulement agir sur le volet conseil mais également sur le contrôle.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je vous remercie, madame la directrice, mes chers collègues. Je terminerai par cette formule : quand on fait quelque chose, on a toujours contre soi ceux qui veulent faire le contraire, ceux qui veulent faire la même chose que vous et la grande masse de ceux qui ne font jamais rien !

Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12h30.